mardi 7 juillet 2009
La Courbe du Temps (6)
Approchez me dit-elle, mais à bonne distance, la question de la distance, doit sans cesse se poser, ici, sur les bords du fleuve et sous les arbres, j'avais écrit cette phrase, différente c'est vrai, autrement posée, mais cette phrase qu'elle prononçait, fût, pensais-je, un temps la mienne, la question de la distance, et celle de la vision, reprit-elle, pour bien voir, il faut bien écouter et inversement. Ne vous fiez pas trop à ce qui se voit de prime abord, derrière mon sourire lumineux, se cache un autre sourire intérieur qui s'accorde au Temps, cet accord là, peu le voient, peu l'entendent, peu le sentent. Mon sourire révèle cet autre sourire. Mon visage se penche vers vous, voyez-vous ce mouvement, ce léger déplacement dans l'espace. Je vous ouvre ses sens, ils soulignent la bonne distance qu'il faut avoir pour être. Voilà, ce qu'elle me disait aux bords du fleuve et sous les arbres, les mêmes mots, écrits quelques jours avant que je ne sois saisi par la Courbe du Temps. Dois-je lui dire, c'est la question que je me suis posée, silencieusement. Alors le vide s'est installé. Elle ne parlait plus, elle s'écoutait dans le silence, je ne me posais plus aucune question, je m'écoutais dans le silence de son regard, de ses mains posées à plat sur l'herbe. Nous nous regardions de l'intérieur, c'est ce que j'ai écrit dans la nuit qui a suivi cette nouvelle rencontre, la blonde danseuse rouge des bords du fleuve et sous les arbres m'avait retourné, dans la Courbe du Temps. Tout avait eu lieu, dans l'instant du Temps. Dans ce mouvement qui ne me quittait plus depuis notre première rencontre. Ce mouvement mais pas seulement, ai-je noté dans la marge de mon cahier de ma fine écriture rouge, pas seulement, il y a autre chose, mais je ne sais quoi. Une musique, oui une musique, éblouissante musique, Mozart, toujours Mozart, ai-je ajouté avec toutefois un point d'interrogation, puis j'ai barré ce nom pour le remplacer par un autre, Bach, éblouissante musique de Bach, qui jamais ne s'interrompt ai-je écrit. Mozart et Bach, en large lettres noires en travers de la page, oui, c'est cela l'accord des corps, et je me suis dit en écrivant, que je devrais garder tout cela pour moi. Les musiciens, la Courbe du Temps, cet éclat, cet incursion rouge dans le mouvement, dans le dénouement de ses mains, mais très vite j'ai pensé que ce que j'écrivais elle l'entendait, elle le voyait, la danseuse des bords du fleuve et sous les arbres. J'ai aussi ajouté que depuis deux jours, tout était transformé, les livres de mes bibliothèques s'étaient accordées à cette Courbe du Temps, ils se croisaient et de décroisaient, les livres, ils vivaient, comme vivent les tableaux lorsqu'on les regarde, comme les corps découvrent une autre vie lorsqu'ils se touchent. Elle me dit le toucher, elle m'apprends une autre respiration du Temps, elle me dit la résurrection de la jouissance, sur l'instant on fait oeuvre de résurrection. La résurrection des livres, des corps, s'opèrent devant mes yeux, c'est ce que j'écris sur mon écritoire. Les livres accompagnent le mouvement de la danseuse, les corps embrassent les mains de Miryam, les mains de Marie, les mains de Maria, alors j'ai ajouté sur une autre page, la Courbe du Temps est un miracle de l'Instant, et l'Instant devient permanent. Instant du Temps retrouvé, ai-je écrit, du temps embrassé, comme ce baiser qu'elle m'a donné la veille, et comme celui que je venais de poser sur ses lèvres, alors j'ai noté plus bas, désormais je vis, j'ai répété trois fois le mot, je vis, je vis, et puis j'ai poursuivi. J'ai lancé une défi à l'autre Temps, celui qui veut nous défaire, cet autre Temps d'avant la rencontre avec la danseuse des bords du fleuve et sous les arbres. Nous avons marché une partie de la nuit dans les rues de la ville, en silence, dans une autre transparence du Temps, le jour nous a surpris dans les phrases silencieuses que nous échangions. J'ai alors pris sa main dans la mienne, et j'ai senti sur ma peau la Courbe du Temps, dans le dessin de nos deux mains accordées. Tout ce que je vivais, tout ce Temps embrassé, je l'écris, mot à mot, lentement, très lentement, en suspension, et cette suspension nous a conduit dans ma bibliothèque renversée. Elle s'est endormie sur mon canapé rouge, rouge accordé au rouge de sa robe, alors j'ai pensé à Matisse, pour cet accord essentiel de la couleur, j'ai retrouvé cette carte postale reproduisant l'un des tableau du peintre scissionniste dans un livre chamanique qui ne quittait pas mon bureau, et je l'ai glissée dans son corsage, en contact direct avec sa peau, avec ses seins de danseuse blonde et avec son coeur où se croisaient et se décroisaient tout le mouvement du Temps.
à suivre
Philippe Chauché
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Dans la subtile lenteur du temps, la perception de l’infini …
RépondreSupprimerBien à vous
C.