samedi 4 juillet 2009

La Courbe du Temps (3)



Un léger souffle venu de la mer s'est mis à accompagner en accords de particules invisibles sa lecture :

" La voix du rossignol
Lisse
Ronde, longue " (1)

" Reflets dans l'eau
C'est l'écureuil-volant qui traverse
La tonnelle de glycines " (2)

" La Belle-de-Jour
Et l'épouse qui n'est pas jalouse
C'est beau " (3)

J'ai été nommée Miryam me dit-elle, c'est un prénom qui depuis toujours me porte chance, vous pouvez-donc, cher inconnu, désormais l'utiliser.

Nous avons repris le chemin de la ville aux pierres qui s'accordent à sa robe rouge. Soleil couchant, pensais-je, lumière rasante, miroir de mon âme. Elle m'a une nouvelle fois pris la main, l'a enveloppée, avant de la relâcher avec une grande douceur, toute éblouie de soie brodée. C'est cela, me dis-je, la résonance de la Courbe du Temps. Le Palais s'est alors offert à nos regards, rouge, jaune, blanc, murs immenses, silence, nous étions seuls dans le murmure de la Courbe du Temps. Alors à mon tour, je lui ai pris la main pour la porter à mes lèvres. Et j'ai pensé, le basculement se poursuit, le renversement n'est qu'un début, il me faudra l'écrire, son silence est l'Instant, il me faudra lui dire " merci mon amour ", pour vos mains qui se croisent et se décroisent, merci pour le rouge de votre robe qui désormais se lit aussi sur les murs de la ville, merci pour l'embrasement de votre paume, merci pour les haïkus qui saisissent le mouvement du Temps, merci pour le renversement du temps, et puis j'ai répété en silence, tout à basculé en quelques secondes, sur cette place de la ville, là où parfois je vous croise aux bras d'une belle, j'ai été littéralement renversé par la Courbe du Temps, ces deux mots sont désormais les miens, leur réalité saisissante m'accompagne, deux mains qui se sont croisées et décroisées dans une lenteur ancienne, je ne vois qu'elles ces deux mains qui se croisent et se décroisent, là sous mes yeux, sur cette place rouge, jaune et blanche. Alors elle s'est arrêtée, et m'a dit, nous nous verrons demain, sur les bords du fleuve et sous les arbres. Elle a posé ses lèvres sur les miennes, des lèvres qui se croisaient et de décroisaient, et le rouge de sa robe a traversé la place avec la même lenteur qu'un baiser accompli. J'ai a mon tour ouvert le livre qu'elle avait déposé à mes pieds :

" La nuit s'approfondit
Dans l'eau des rizières
La voie lactée " (4)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Tökô / Fourmis sans ombre / Le Livre du haïku / anthologie de Maurice Coyaud / Phébus libretto
(2) Kikaku / d°
(3) Kitô / d°
(4) Izen / d°

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