mercredi 1 juillet 2009
Eclairs (2)
" La dernière favorite du roi Louis XV, la comtesse du Barry, née Jeanne Bécu, était une vraie professionnelle du plaisir. Son profil était si doux que, dans sa jeunesse, elle avait reçu le surnom de Lange. Bien avant qu'elle soit à Versailles, un rapport de police mentionne à son propos : " Tous nos agréables de haute volée s'empressent autour d'elle. " Au moment de la Révolution, Mme du Barry a cinquante ans. Riche, toujours belle, elle est pour le nouveau pouvoir l'incarnation même de la dégénérescence des moeurs de l'Ancien Régime, de la corruption du libertinage aristocratique, de la faiblesse des rois. On va la chercher au château de Louveciennes où elle a été exilée par ordre de Louis XVI et, en décembre 1793, elle comparaît devant le Tribunal révolutionnaire. Fouquier-Tinville demande la condamnation à mort de " l'infâme conspiratrice ". Il conclut son réquisitoire par cette péroraison : " Oui, Français, nous le jurons, les traîtres périront et la liberté seule subsistera. Elle a résisté et elle résistera à tous les efforts des despotes coalisés, de leurs esclaves, de leurs prêtres, de leurs infâmes courtisanes. De cette horde de brigands ligués contre elle, le peuple terrassera tous les ennemis. "
Traînée à l'échafaud, la proximité du supplice ne provoque chez Mme du Barry aucun sursaut d'héroïsme. Sur la charrette elle gémit, se débat, crie qu'il s'agit d'une erreur. Au lieu de se projeter dans une image plus grande qu'elle - ce que, la précédant, ont su si bien faire Charlotte Corday, Marie-Antoinette, ou Mme Roland -, elle se ratatine de terreur, fond en larmes, tombe en faiblesse. Elle n'a pas de dignité et démontre avec éclat qu'une existence adonnée à la volupté n'est pas la meilleure préparation à la mort. Mme du Barry a perfectionné d'autres talents : elle a sur jouir et faire jouir. Elle a aimé les parfums, les rubans, les bijoux, le regard des hommes, leur sexe, leurs mains. Et c'est de ce fond délicieux de frémissements, de caresses, d'orgasmes qu'au moment d'être précipitée sous le couperet de la guillotine monte en elle cette supplication : " Encore un petit moment, monsieur le Bourreau. " Parmi les derniers mots célèbres que la Révolution française a inspirés à ses victimes, et qui tous, qu'ils soient authentiques ou inventés, ont la frappe et l'altière fierté de formules de monuments aux morts, cette prière, pitoyable, détonne. La demande de Mme du Barry, vivre encore un petit moment , est bouleversante. Elle rappelle qu'à côté des principes universels, de l'utopie des abstractions politiques, il y a un critère d'évaluation de son existence, subjectif sans soute, et fanatique à sa manière, qui ne considère que le plaisir qu'on y prend. Cette part intime de délectation est peu propice aux enthousiasme collectifs. Elle n'incline pas au sacrifice, détourne des feux de la gloire, prive la mort de toute grandeur ( les témoins on noté " le cri affreux " de la condamnée à la vue du couperet ). Elle ne donne qu'une envie : continuer comme s'était. Pourquoi ? Parce que ça nous plaît. Et même si la vieillesse restreint le champ des promenades et rétrécit le champ des promenades et rétrécit l'éventail des bonheurs, il en reste assez pour ne pas prêter la main au Bourreau. " (1)
Les procureurs " révolutionnaires " et les bourreaux n'aiment pas les corps en mouvement, détestent ces petits moments qui épousent le Temps. Terreur d'un temps ? Qui oserait l'affirmer ! Reste, comme l'écrit admirablement Chantal Thomas, à faire de cette scissionniste du corps un exemple à méditer, comme d'ailleurs sur celui de Sade, autre scissionniste du corps et de la plume, c'est la même chose, qui échappa au Bourreau, mais pas aux accusations malfaisantes des humanoïdes qui se rèvent procureurs ou bourreaux. Terreur d'un temps ?
à suivre
Philippe Chauché
(1) Chantal Thomas / Comment supporter sa liberté / Rivages poche / Petite Bibliothèque
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"Vivre encore un petit moment..." Une prière, une supplique sans gloire sans doute. Mais quel amour de la vie ! Cruelle mort, mais heureuse femme qui redemande un supplément du festin !
RépondreSupprimerCette femme a surement trouvé le sens de la vie...
RépondreSupprimerIl n'est d'ailleurs pas trés étonnant que ces femmes scissionnistes soient en première ligne lorsque se déchaîne le nihilisme organisé et massacreur.
RépondreSupprimerBien à vous deux.
Ph.