vendredi 3 juillet 2009

La Courbe du Temps (2)



Tout a basculé en quelques secondes, dans l'une des rues de la ville, vous savez celle qui s'abandonne dans le Fleuve, sous les arbres, là où parfois je vous croise en fort bonne compagnie. J'ai été littéralement renversé à cet instant par la Courbe du Temps, ces deux mots sont venus d'eux mêmes, si je puis dire, comme dans un rêve, mais là, point de rêve, mais une réalité saisissante, deux mains se croisaient et se décroisaient dans une lenteur que je n'imaginais pas possible, je ne voyais qu'elles ces deux mains qui se croisaient et se décroisaient, dessinant, dans le bleu qui giflait le ciel, un mouvement qui se reproduisait à l'infini. Je ne voyais qu'elles, ces deux mains élancées, le reste du corps m'était caché, invisible, et pourtant, je n'en doutais pas dans cet instant, il y avait un corps à l'origine de cette Courbe du Temps. Je me suis approché, et les mains toujours dansantes ont donné naissance à deux bras fins et longs qui prolongeaient un éclat rouge, une robe, pensais-je, puis ce fut l'apparition d'une chevelure blonde qui lentement également s'accordait au mouvement des mains qui m'éblouissait, puis dans son entier, le corps de la danseuse, comment la nommer autrement, cher ami, une danseuse rouge s'élevait dans la lenteur du temps entre les arbres et près du fleuve. Alors, je me suis assis sur la berge à quelques mètres de la danseuse, je n'ai cessé de la regarder, attendant qu'elle décide d'en finir avec sa danse qui me traversait, ce qu'elle fit au bout d'un temps qui me sembla suspendu, la lumière bleu était la même, la chaleur de cette fin d'après-midi d'été, les cris accordés des martinets, où se nouent et se dénouent les corps éblouis et joueurs, où les mots se livrent et nous délivrent. Elle approcha et s'assit à mes côtés. Sans un mot, elle me prit les deux mains dans ses mains de danseuse, les croisa et les décroisa, avec une lenteur dont je ne pensais pas être capable, et avec cette même lenteur solaire, m'embrassa. Sans un mot je me levais. Elle me suivit et dans un autre temps, lui racontais cette vision qui m'avait conduit à elle dans la Courbe du Temps.
Nous avons longtemps marché dans les rues de la ville qui s'endormait, passant d'un quartier l'autre, levant les yeux vers les vierges éblouis et les chapelles de pierre blanche, revenant sur nos pas, au bord du fleuve et sous les arbres, nous nous sommes assis dans le silence blanc de l'Instant.
Elle a sorti de son sac un petit livre, l'a feuilleté avec attention cherchant ce qu'elle devinait de ce Temps :

" La peau des femmes
La peau qu'elles cachent
Qu'elle est chaude " ( 1 )



à suivre

Philippe Chauché

(1) Sutejo / Fourmis sans ombre / Le Livre du Haïku / anthologie de Maurice Coyaud / Phébus libretto

1 commentaire:

  1. Bouleversant. Magnifique. Voilà bien l'écriture que j'aime tant lire.J'ai envie de vous dire Merci.Non, je n'ai pas envie, je vous dis Merci.

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