dimanche 26 juillet 2009

La Courbe du Temps (13)



Tout semble simple désormais, les éclats de Lune ont une résonance nouvelle, les cris des martinets qui signent en lettres d'ailes magiques et invisibles des coplas que demain Miryam-Marie-Maria chantera sur les bords du fleuve et sous les arbres, c'est ce qu'il se dit, mais aussi, mon sourire ouvert sur la Courbe du Temps qui se pose sur son épaule dénudée, mes pas légers dans la ville qui oublie en ces instants l'effervescence des jours derniers, mes mains qui entourent ses cuisses dans la suspension du Temps ; je peux ainsi traverser le fleuve pense-t-il, et me baigner une nouvelle fois dans les eaux sauvages de son ventre.

Il a sous le bras le livre :

" Est-il possible de naviguer toujours à contre-courant ? Ce qui a été avant tous les temps , écrit Ismaël, devra exister après la fin de tous les âges humains. Ça s'appelle la baleine, mais ça porte d'autres noms. Je me disais : ce qui arrive de nulle part et s'enfuit vers nulle part, cette chose qu'on ne voit pas, et qui jaillit soudain en écume sur un pont au milieu de Paris, cette chose non plus n'a pas de nom. Est-ce le monde, l'envers du monde, son néant, sa plaie, son pus ? En lisant Moby Dick, peut-être me préparais-je à entendre ça : ce qui n'a pas de nom ; peut-être étais-je en train d'entraîner mon corps à se frayer un chemin parmi les visions. " (1)

Il se dit, j'ai du le livre vingt ou trente fois, et c'est la première fois que je l'offre, l'offrande, voilà le mot qu'il cherchait, il est venu à l'instant se poser sur son écritoire, d'autres mots l'accompagnaient, comme une myriade d'étoiles, il a pensé que les mots sauvent, ces mots qui viennent de cet espace scissionniste qui ouvre sur la Courbe du Temps, ces mots, ajoute-t-il, ils m'accompagnent dans chacun de mes mouvements, si je ferme les yeux ils éclatent sur mes joues, si je marche dans la rue des Martinets ils se posent dans la paume de mes mains, si j'embrasse Miryam-Marie-Maria dans le vent du nord qui soulève l'eau grise du fleuve, ils se glissent dans mes cheveux et me rendent la vue, si j'écoute la musique de José Mercé, ils guettent chacun de mes mouvements qui naissent du cante flamenco, tous ces mots, dit-il, je les offrirai chaque jour à la danseuse rouge du bord du fleuve et sous les arbres, les mots et le livre, je lui offrirai feuille par feuille, au jour le jour, à la nuit la nuit, au soleil de ce mois de juillet qui ressemble à la résurrection du Temps.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Cercle / Yannick Haenel / L'Infini / Gallimard

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