" Je me souviens de deux soeurs âgées d'une vingtaine d'années que je croisais à Biarritz, dans tel ou tel bar à la mode, durant mes années de dérives nocturnes. L'une, plus jolie que son aînée, était pourtant moins belle. L'aînée ne manquait pas des charmes de sa cadette mais, comme elle savait les voiler, toute sa personne gagnait en charme. Bien qu'elle montrât plus de distinction à tous égards, c'était pourtant la première qui avait le plus de succès. A mesure que la soirée passait, je voyais celle-ci papillonner au milieu des garçons pressés de la circonvenir, toute fière d'escamoter à leurs yeux les efforts de séduction des autres jeunes filles - cependant que je demeurais dans la compagnie de sa soeur, à l'écart du bruit, m'adonnant avec elle au plaisir d'une conversation digne de ce nom, où la gravité se dégrafe un peu et se déchausse pour danser plus légèrement avec l'esprit. " (1)
" Détachée de cela même qui hante la jolie femme, la belle femme ne semble préoccupée que de souvenirs, de songes, de divagations dont, en la contemplant, on devine une cause douloureuse, mais qui, en même temps, préservent son être en une salutaire solitude. Est-ce l'épreuve d'un sinistre, d'un désastre, d'une fêlure vécue par la fillette ou l'adolescente d'autrefois ? Est-ce la vive sensation de la fuite du temps ? Qu'elle que soit l'origine de la tristesse qui se lit sur ses traits, elle leur confère une distinction, une race. " (1)
" Au fond, parler de la beauté oblige à établir une esthétique négative, comme ces mystiques qui, cherchant à définir Dieu, n'ont d'autre option qu'une théologie négative. De même que, faute de recenser avec précision les attributs de Dieu, ils passent en revue ceux qui ne peuvent le caractériser, de même, pour dire ce qui est beau, il me faut exclure ce qui ne l'est pas, c'est-à-dire tout ce qui ne peut s'immiscer en mon imaginaire - ma " vie intérieure ". Non que mon imaginaire souffre d'une rigidité caractérielle, mais il s'y est établi malgré moi une commission de censure rejetant sine die toute production littéraire, cinématographique, picturale, musicale ou autre, dont l'aspect, la teneur, le style, l'intention même, ne sauraient cadrer avec ce décor intime... Eh bien, si je devais exprimer la fin de non-recevoir que j'adresse à certaines oeuvres, je dirais : " Cela ne me va pas ! " - dans les deux sens du terme " aller ", l'un synonyme de " plaire ", l'autre, celui que soulignait Wittgenstein, de " seoir ". (1)
Reprenant à mon tour, à son compte, note-t-il, la remarque de Wittgenstein à propos d'un costume qui tombait bien comme une second peau, il écrit, que ce livre lui va, comme lui vont les oeuvres de Gracian, de Montaigne, de Proust, de Ramon Gomez de la Serna, de Pessoa, de Kafka, de Cioran, Sagan, de Quignard, de Meyronnis, - ne doutant pas que les penseurs sont des romanciers, et ces derniers ressemblant aux premiers - comme lui vont au mieux, les opéras de Mozart, les concertos de Vivaldi, les ballades de Bill Evans, les thèmes de Miles Davis, les improvisations silencieuses de Paul Bley ou de Jimmy Guiffre, comme lui vont aussi les tableaux ou les dessins - qui sait encore dessiner se demande-t-il souvent ? - de Goya, de Cézanne, de Motherwell, de Tapies, mais aussi celles de Watteau et de Rodin, n'ayant comme l'auteur de ce beau petit livre, comme seul choix - que dictent quelques expériences, une certaine éducation du temps, et quelques justes fréquentations - celui du style qui cadre au mieux avec son imaginaire, qu'il console de sa funeste destinée par le talent gracieux et beau d'artistes saisissants.
La beauté seule, conduit au silence, pense-t-il, et le silence la fait parfois apparaître, ce petit livre silencieux et beau en est la vive vérification.
à suivre
Philippe Chauché
(1) La Beauté - Une éducation esthétique / Frédéric Schiffter / Autrement / 2012