« Nous nous décrivons nos royaumes respectifs, et chacun de ces pays est un délice pour l’autre. Nous nous faisons la cour mutuellement. La conversation française est bel et bien une forme de pratique érotique ».
L’éternel printemps est un roman d’amour et de séduction. Un roman parfait, une vie princière, un voyage humain, l’écrivain possède, comme son éditeur, l’art rare de savoir choisir les noms qu’il donne à ses livres. Comme il possède celui de composer ses romans, et c’est bien de cela dont il s’agit, de composition, comme on le dit pour la musique et la peinture. Marc Pautrel possède cet art d’écrire avec la précision d’un artisan joaillier, chaque geste est pesé, chaque phrase millimétrée, chaque mot choyé. L’éternel printemps est un roman qui mise sur l’amour et la littérature, comme l’on mise sur la vie. L’éternel printemps est le portrait à la plume d’une femme aimée, aimée sur l’instant, pour le timbre de sa voix, cette intonation, cette tessiture, pour ses doigts fins comme des crayons-mines, la grande mèche de cheveux qui lui barre le front, avec ce mouvement réflexe adorable dont je ne me lasse pas, mais aussi pour ses pertes d’équilibre – Je guette ses secondes de folie, les éclairs durant lesquels elle quitte la route et s’envole pour quelques minutes –, et sa conversation, cet art de vivre si Français. L’éternel printemps est un roman de la conversation, de la fréquentation.
Ils se fréquentent, comme nous disions au siècle passé, et fréquentent les livres et les auteurs anciens, lui écrit, elle conserve et préserve des livres qui continuent d’éblouir leurs lecteurs : Descartes, Alexandre Dumas, Voltaire, Stendhal, Baudelaire, les Bibles, Rabelais, des incunables, des in-folio, des in-plano, tout un univers qui vit et raisonne sur les étagères de sa librairie, et par rebond dans les phrases du roman. Des livres immortels, qui n’ont pas fait leur temps : deux êtres se rencontrent, et la plus belle bibliothèque du monde s’ouvre à leurs yeux.
« Elle me fait penser à ces cerfs-volants que je vois l’été devant l’océan, si leur fil est tenu trop court, ils restent à quelques centimètres de hauteur, comme couchés, ils ne se dressent pas dans le ciel à cheval sur le vent, ils tournent en cage, à droite, à gauche, se plantant sans arrêt dans le sable. Le plus beau cerf-volant est celui dont on coupe le fil et qui part vers le firmament, très haut, très loin ».
L’éternel printemps est un roman attentionné, attentif aux mots, aux gestes et aux silences, attentif aux tressaillements de cette libraire d’exception, que le narrateur apprivoise. Attentif au motif : un visage, un regard, le mouvement d’une main, une rue, une table de restaurant, un ciel. Marc Pautrel porte autant d’attentions à sa libraire, qu’il en portait dans ses romans précédents à Blaise Pascal, Jean-Siméon Chardin, ou Ozu. L’éternel printemps est un roman bref et vif, musical, qui danse – on pense à Vivaldi et ses mandolines –, il pourrait s’intituler Le romancier de Paris, ou encore La Romance de la Seine. L’éternel printemps est le roman portrait d’une femme, d’une étoile, que le narrateur ne peut totalement saisir, vérifiant ainsi que l’on ne peut jamais tout saisir de l’être aimé, l’aventure amoureuse est celle d’un saisissement chaque jour renouvelé. Marc Pautrel fidèle à ses brèves incises romanesques – il écrit, tel un cavalier galopant sur les collines et les chemins de l’art du roman, à vive allure, embrassant du regard les paysages qui s’offrent, les parfums qui volent, et les éclairs qui strient le ciel, le regard d’une femme en devenir d’amour –, nous offre là, une belle pierre bleue, un diamant aux 29 carats taillé par un orfèvre aux mains bénies, un éternel printemps romanesque.
« Nous longeons les Tuileries, chaque jour nous vivons naturellement au milieu de la beauté incroyable de cette ville, qu’à force d’habitude nous ne voyons plus, et que devront nous rappeler involontairement les amis italiens, japonais ou américains, lorsque la découvrant ou redécouvrant ils resteront devant nous comme tétanisés, et pris dans une euphorie continue ».
Philippe Chauché
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