mardi 30 août 2022

David Bosc dans La Cause Littéraire


« Alentour, ce sont surtout des garrigues, la densité nue, lente, d’un tapis de garrigue où l’herbe haute à peine plus qu’un doigt, quand elle tremble au vent, pince le cœur. »

« Nos années heureuses dans une ville heureuse n’ont pas fait pâlir les heures ni les lumières de l’enfance, elles leur ont au contraire donné un éclat plus vif. »

Voici peut-être le roman le plus profondément original, peut-être le plus romanesque, le plus troublant, le plus éclairant, le plus saisissant, de cette rentrée littéraire. Cela tient à la richesse de son imaginaire, à sa forme, son style, à la matière qu’il travaille, qu’il polie, qu’il fait émerger, sous les frondaisons de l’enfance passée aux portes de la Méditerranée. Car nous sommes à Marseille et dans ses environs dans Le Pas de la Demi-Lune, ou plutôt à Mahashima, capitale désertée d’un Royaume ancestral, nous sommes en Provence et au Japon et parfois en Chine, comme si ce pays que connaît bien l’auteur, avait été colonisé par un Royaume guerrier, où comme s’il se réveillait dans un temps ancien où l’Histoire ne serait qu’un improbable souvenir. Souvent les grands romans sont des légendes, et Le Pas de la Demi-Lune en est une.  Les collines, les sentiers, les criques, les Vallons, sont ceux de l’enfance du narrateur, mais aussi ceux de l’enfance de l’auteur, tant ses descriptions sont justes, inspirées, et tant il fait corps avec les paysages qu’il évoque et qui traversent et embrasent son roman. Le monde du Pas de la Demi-Lune, est surréel, et profondément réel, comme un rêve éveillé, un monde qui pourrait être une fable d’aujourd’hui ou d’hier, traversée de secousses, de troubles, de révoltes, d’effondrements, et d’attachements aux personnages que croise le narrateur, qui d’un mot, d’un regard éclairent le roman. C’est un monde qui change de capitale, le pouvoir abandonne Mahashima, sans que l’on sache vraiment pourquoi. C’est un monde où régna la terreur, où se vide une ville, où l’on ne sait trop comment et sur quels pieds dansent ses habitants. Un monde de clans, de guerriers, de guerres visibles et souterraines, un monde aux frontières invisibles, même si parfois des militaires disent ses limites. C’est un monde romanesque, où marche le narrateur parti sur les traces de son enfance heureuse. C’est l’enfance des sentiers, de la Pointe Rouge, des Goudes, devenus Legúdo, de Manosque, transformé en Manosaka, de la lumière et des couleurs, les couleurs profondes, magnétiques, telluriques qui résonnent dans les toiles de Cézanne. C’est l’enfance d’un écrivain qui marche avec les attentions d’un peintre, d’un photographe, qui laisse s’imprimer, se dessiner, s’écrire, ces paysages, qui peuplent sa mémoire. David Bosc s’attache aux lumières et aux couleurs qui ont construit son enfance, et c’est en puisant dans cette enfance, qu’il écrit son nouveau roman, inspiré par cette mémoire infaillible et celle du Japon, où il a écrit son roman, et où se glissent notamment les poètes de la dynastie des Tang, qu’ils soient guerriers, moines ou vagabonds, comme si le Japon conduisait à la Chine. Le narrateur est peut-être un guerrier désarmé, contemplatif et silencieux, qui passe d’un Royaume à l’autre, happé par ses souvenirs. 

« Il y a l’olivier, bien sûr, avec son tronc maigre tatoué de cigales. Le cyprès, qui est fermé de toutes parts. Le peuplier aussi, comme une rivière à la verticale. »
« L’architecture modifie l’écoulement du temps, elle peut le retenir avec douceur ou l’accélérer horriblement, elle peut le rendre suave ou amer. »

David Bosc modifie avec talent l’écoulement du temps, il n’est pas architecte, mais romancier. Le passé du Royaume et du narrateur se percutent, il en retient son souffle, ses vibrations, ses éclairs. Son art du roman, n’est guère éloigné de celui d’un architecte, même précisions, mêmes attentions, même regards en actes. Les fondations du roman s’appuient sur une enfance lumineuse, ceux de l’architecte sur la mémoire bâtisseuse des hommes. Les deux se rencontrent et s’unissent dans le plaisir du beau et de l’équilibre, deux vertus partagées. On ne sait le temps que s’accorde le narrateur pour son voyage éblouissant à travers les collines et les sentiers, comme on le sait le temps qu’il prend dans ses rencontres, notamment avec Akamatsu, l’ermite musicien, peut-être simplement le temps du roman, qui on le sait est immortel. 

Philippe Chauché

David Bosc est éditeur et romancier, on lui doit : Milo, Sang lié (Allia) et Relever les déluges, Mourir et puis sauter sur son cheval, La Claire Fontaine 

https://www.lacauselitteraire.fr/le-pas-de-la-demi-lune-david-bosc-par-philippe-chauche



samedi 20 août 2022

Marcel Proust dans La Cause Littéraire


« Et les ouvrage d’un grand écrivain sont le seul dictionnaire où l’on puisse contrôler avec certitude le sens des expressions qu’il emploie. »

En marge des « Mélanges »

« La couleur que je préfère – La beauté n’est pas dans les couleurs, mais dans leur harmonie.

L’oiseau que je préfère – L’hirondelle. »

Marcel Proust par lui-même (1893 ?)

Mais que faisait Marcel Proust, avant qu’il ne se lance dans l’édification d’À la recherche du temps perdu, cette cathédrale du Temps romanesque ? Il écrivait, il ne cessait d’écrire ! Ce volume de la Bibliothèque de la Pléiade, nous offre ses écrits, ses essais, ses courts articles, qui vont d’une façon plus ou moins secrètes irriguer son grand livre. Il ouvre ce bal littéraire dans les revues de son lycée, le lycée Condorcet, puis ce sont des Pastiches et Mélanges, il écrit sur l’art, les livres et les salons – ses belles inspirations -, dans Le Figaro, et son Contre Sainte-Beuve, dont cette édition publie le Dossier – En aucun temps, Sainte-Beuve ne semble avoir compris ce qu’il y a de particulier dans l’inspiration et le travail littéraire, et ce qui le différencie entièrement des occupations des autres hommes et des autres occupations de l’écrivain. –. L’écrivain ne se contente pas de porter la plume, comme l’on porte le fer, sur les principes défendus par Sainte-Beuve, et notamment, ne pas séparer l’homme de l’œuvre, il défend avec une grande finesse, dans cet essai, les écrivains que le critique n’aime guère : Stendhal, Baudelaire, Nerval et Balzac notamment. La meilleure manière de prouver que Sainte-Beuve a écrit des fadaises, c’est de répondre en romancier, par l’art du roman, cet Essai narratif, qui augure de ce que sera La Recherche. Ses phrases viennent de loin, comme les vagues que l’on aperçoit dans le lointain, qui s’allongent et s’élèvent, leur force est souterraine, profonde, et à chaque mouvement, elles dévoilent ce qu’imagine Proust, autrement dit ce qu’il voit. Le narrateur s’éveille au jour venant, c’est-à-dire à littérature, à la vie imaginaire nourrit de sentiments et de pensées, vibrant aux vibrations des souvenirs, et aux flammèches des couleurs et de la lumière du jour qui éclairent sa chambre, comme elles éclaireront toute sa vie d’écrivain. L’écrivain ne peut être réduit à son corps, il est des corps en mouvement dans le Temps, et dans le mouvement du Temps, ce que n’aurait pas compris Sainte-Beuve. L’écrivain fait son miel de mille rencontres et visions, de mille sensations et souvenirs, de mille lectures et observations, il a l’œil en éveil et l’oreille affutée.

« Tous ceux qui ont éprouvé ce qui s’appelle l’inspiration, connaissent cet enthousiasme soudain qui est le seul signe de l’excellence d’une idée qui nous vient et qui, à son apparition, nous fait partir au galop à sa suite et rend aussitôt les mots malléables, transparents, se reflétant les uns les autres. »

Ce qui s’appelle l’inspiration – (Fin 1899 ?) – Publications posthumes – 1894-1899

« Je ne sais pas ce que Maman n’aurait pas bien lu, tant sa belle voix savait mettre à chaque mot son sens et sa grâce. Mais s’il y a quelque chose au monde qu’elle lisait bien c’était George Sand parce qu’elle l’aimait. »

Dossier du « Contre Sainte-Beuve » - Développements romanesques

Mais que faisait Marcel Proust, entre deux Essais, ou quelques pages de La Recherche ? Il lisait, il ne cessait de lire ! On oublie parfois que l’écrivain fut aussi un grand lecteur : Chateaubriand, Lamartine, Racine, Baudelaire, Flaubert, Hugo, Anatole France, Pierre Loti, et d’autres encore. Pour ne nous arrêter que sur Chateaubriand, nous pourrions le définir, comme nous pourrions définir Marcel Proust, par cette phrase écrite, en 1899 ?, que l’on peut lire dans Le Roman et le Temps dans les Publications posthumes : « Un roman qui veut imiter avec quelque profondeur la vie doit embrasser un long espace d temps parce que nous voyons que d’est précisément avec le temps que se manifeste ce qu’il y a de plus profond dans la vie. ». La plus belle manière de lire ces Essais, c’est de les avoir toujours à portée de regard, à portée de rêverie, à portée de littérature, lorsqu’inlassablement, nous reprenons la lecture de ce monument de mots (1) qu’est La Recherche.

« Certes, ce qui palpite ainsi au fond de moi, ce doit être l’image, le souvenir visuel, qui, lié à cette saveur, tente de la suivre jusqu’à moi. " (2)

Philippe Chauché

(1) Dictionnaire amoureux de Venise – entrée Proust – Philippe Sollers - Plon

(2) À la recherche du temps perduDu côté de chez Swan – Bibliothèque de la Pléiade – Edition de Pierre Clarac et André Ferré – Gallimard (1954)



lundi 8 août 2022

Christian Laborde et Robert Redeker dans La Cause Littéraire

Pour bien écrire sur le sport, la bicyclette par exemple, il faut y avoir goûté, pour l’un, Christian Laborde, avoir souvent dégusté les cols des Pyrénées, l’Aubisque par exemple, ou le col de Marie-Blanque, pour l’autre, Robert Redeker, avoir roulé, jusqu’à huit cents kilomètres chaque semaine, confiant à la poche arrière de son maillot ses livres de philosophie, il pédalait pour apprendre à philosopher, et il philosophait entre deux échappées heureuses. 



« 15 juillet 1974 – 

ils arrivent ils sont là / c’est le groupe de tête / les plus forts les meilleurs / tous laqués de sueur / à l’orée de la pente / maçons au pied du mur / ô vélos ô taloches / ô bitume bancroche / ici le dur commence il en finira pas. » 

Poulidor enfin ! – Christian Laborde 

Christian Laborde est un troubadour gascon, un romancier de la bicyclette, un tchatcheur qui swingue. Derrière ses mots et ses phrases qui caracolent, se glissent Poulidor, Darrigade, Robic, qui l’illuminent, comme ils illuminaient les spectateurs du Tour de France qui les voyaient passer. Ce dernier petit livre, l’écrivain enchanteur l’a écrit pour le dire, pour l’offrir. Il raconte la victoire de Raymond Poulidor - l’homme qui savait perdre dans la dignité -, victoire !, et quelle victoire dans l’ascension du Pla d’Adet le 15 juillet 1974, une étape de 225 kilomètres entre Seo de Urgel et Saint-Lary-Soulan. Il a 38 ans et il est heureux, comme l’écrivain est heureux de nous conter cet exploit pyrénéen. Poulidor enfin ! s’écoute et s’entend, porté par la voix de Christian Laborde, une voix irriguée par l’accent gascon, qui donne encore plus d’épaisseur à ses mots, un accent qui roule, comme roulent les échappés, comme roule Poupou, il roule comme les gaves et les voitures suiveuses, il roule dans la jeunesse éternelle d’un champion, qui l’est tout autant. 




« Est dérisoire ce qui donne de la joie gratuite sans délivrer de message, sans être, à l’inverse de la manière dont le sport est présenté chaque jour dans tous les médias, un discours sous-titrant l’ordre social. Ce pitoyable discours-sous-titre est celui que tiennent à la radio et à la télévision la majorité des journalistes sportifs lorsqu’ils commentent en direct les matchs, les concours, et les courses. » 

Sport, je t’aime moi non plus – Robert Redeker

Robert Redeker livre son diagnostic du sport spectacle, de sa mondialisation capitalistique, de ses dérives financières, de la marchandisation des corps, le mercato, et de l’oubli de ce qui en faisait (en fait ici ou là), l’essence même : le plaisir, le jeu, la joie partagée. L’écrivain philosophe met en lumière non quelques dérives, mais un état d’esprit, un état des lieux du sport aujourd’hui, en évoquant ce tropisme compétitif et le fanatisme de la performance. Il développe en quelques phrases quelques constats, qui pourraient en les développant donner naissance à des concepts : la haine du corps, l’homme adulescent, le triomphe du mental sur l’esprit. Pour Robert Redeker, qui aime à se définir comme un ancien sauvageon du sport et un sauvageon de la philosophie, le sport est aujourd’hui impensé et incritiqué, un peu comme s’il était intouchable, et donc irréprochable, sauf à passer pour un fâcheux antimoderne. Robert Redeker va s’employer à le soumettre aux faits, à ce qu’il est devenu, loin fort loin, du plaisir et du jeu qui en étaient ses belles raisons. 

Finalement les deux écrivains ne sont jamais très éloignés, ils cultivent tous les deux leurs passions, leurs amours d’enfance et d’adolescence pour la bicyclette, les étapes du Tour qui nourrissent souvent de beaux livres, les coureurs inspirés dans les cols des Pyrénées ou des Alpes, le rugby qui n’était que plaisir collectif, que nous aimions qualifier de « champagne », le jeu qui n’était qu’un jeu d’adultes rieurs. 

Philippe Chauché

https://www.lacauselitteraire.fr/poulidor-enfin-christian-laborde-sport-je-t-aime-moi-non-plus-robert-redeker-par-philippe-chauche