« L’éternité est sûrement retrouvée, puisque, comme toujours, la mer est mêlée au soleil ».
« La lumière du Graal est immortelle. Elle brille jusque dans les ténèbres, mais les ténèbres ne peuvent pas la saisir ».
Entre ces deux phrases, un roman s’est déployé. Un court roman inspiré par le Graal, l’apôtre Jean, Rimbaud (1), les Atlantes, et les heureuses expériences sexuelles du narrateur en état de jeunesse inspirée. Comme toujours chez Philippe Sollers, la parole est d’or, elle transforme le plomb, autrement dit la moraline dominante, en or fin, et elle ne doute pas un instant, comme chez l’apôtre Philippe (2), que la résurrection se déroule sous nos yeux, de notre vivant – « La vraie vie consiste à vivre sa propre mort. Pas LA mort, mais SA mort ». Comme toujours, Philippe Sollers mise sur la chance, la joie, le bonheur, la musique, la mémoire, l’attraction des corps inspirés, et sur son art romanesque qui trouble et enchante le roman depuis 1958.
Dans ce nouveau livre, le narrateur explorateur de son corps unique se fait Atlante, fils de l’Atlantide, cette île engloutie, ce paradis, que l’on affirme perdu, oublié, inventé. Ici la France : un Atlante parle aux Atlantes ! L’art romanesque ne s’est jamais aussi bien porté. Je répète, l’art romanesque ne s’est jamais aussi bien porté. Ce petit roman métaphysique et très incarné vibre du sang réellement versé par le Christ sur la croix, et recueilli par un calice disparu et devenu l’objet de mille spéculations, comme l’Atlantide ; et le narrateur prouve qu’il n’en est rien, ou tout au moins, que des résonances œuvrent encore dans le monde, et qu’il suffit de savoir voir, comme les apôtres face au Ressuscité. Philippe Sollers est un écrivain des résonances, les troubles des hommes et du Monde s’immiscent dans ses romans, ils en constituent des strates, sur lesquelles il bâti son œuvre en solitaire, si près et si loin du tumulte social, il n’est pas seul contre tous, il est seul dans sa diversité particulière et dans sa gaité intempestive.
« La Parole Suprême jouit de la parole en tant que parole, et nous voici brusquement chez saint Jean, sans parler de Heidegger qui préfère l’expression “cheminement vers la parole”, chemin qui ne mène nulle part, mais là où il faut, en pleine Forêt-Noire ».
Graal est un roman qui se fait chair, comme le Verbe des Écritures. Finalement tous les romans de l’écrivain de l’Ile de Ré – cette Suite française de l’Atlantide – sont, et se font chair. Pour le vérifier il suffit d’ouvrir avec délicatesse votre ancienne édition d’Une Curieuse solitude, celles de Paradis, Femmes, des Folies Françaises ou encore de Passion fixe ou bien des Lettres à Dominique Rolin – son grand roman d’amour –, le verbe y est enchanté, joyeux et perçant. L’écrivain perce des secrets que l’on dirait bien gardés. Partons du principe, pour bien lire ce roman, qu’un livre réussi ne peut être que le Graal indestructible de l’auteur, son calice où bouillonnent les mots et les phrases, sous l’œil d’un Atlante, qui en est le premier lecteur et l’auteur. Les Atlantes qui l’accompagnent ? Athanase Kircher, Baudelaire, René Guénon, Borges, mais aussi et c’est capital dans le roman, sa tante et ses sœurs. Graal pourrait être le rêve éveillé d’un écrivain contemporain, ou celui d’un Atlante, qu’une heureuse concordance des temps a projeté dans ce siècle et donc dans ceux qui l’ont enfanté et enchanté.
Philippe Chauché
(1) « Elle est retrouvée. Quoi ? – L’Éternité. C’est la mer allée / Avec le soleil » (L’Éternité, mai 1872), Arthur Rimbaud, Œuvres complètes, Édition d’Antoine Adam, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1972.
(2) « Ceux qui disent que le Seigneur est mort d’abord puis qu’il est ressuscité sont dans l’erreur, car il est ressuscité d’abord, puis il est mort. Si quelqu’un n’obtient pas d’abord la résurrection, ne doit-il pas mourir ? Par le Dieu vivant, celui-là ne doit pas mourir » (Évangile selon Philippe, Écrits gnostiques, La bibliothèque de Nag Hammadi, Edition publiée sous la direction de Jean-Pierre Mahé et de Paul-Hubert Poirier, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 2007).