« Tu possèdes la magie d’une question sans réponse,
Question à la vie et à la
mort
Qui renaît au sable des
arènes
Entre une ligne d’ombre et
un sas de soleil. »
Une
date, le 16 septembre 2012, comme un sas de soleil qui monte de l’ovale de
Nîmes. Un sas de mots et une ligne noire. Des mots et des lignes de fusain qui
se croisent comme se croise José Tomás. Un dimanche matin inspiré, le torero
s’avance sur le sable pour un solo, laissez-moi
seul, seul face à six toros, pour à son tour dire le je ne sais quoi. Le Tao du
Toreo est le saisissement sur le vif de l’art éphémère du torero. Velter,
Ernest Pignon-Ernest, Tomás à Nîmes, combien de phrases, de dessins, de passes
au centre de l’arène et du livre ? Économie du geste, geste de l’économie,
un mot, deux, trois, une phrase, un dessin et cela suffit. Il en reste l’éclair
et l’éclat.
« Chaque
geste a retenu son amplitude,
Chaque
avancée s’est voulue sur la réserve,
Chaque
sursaut a anticipé son arrêt,
Chaque
appel à suscité un écho assourdi,
Jusqu’à
rêver d’un mouvement immobile. »
Il
a donc fallu que ce 16 septembre ait lieu pour que tout s’accorde, il a fallu
l’incroyable pour voir le croyable. André Velter et Ernest Pignon-Ernest
s’accordent à cet instant suspendu, cet enchantement, ce bouleversement, cette
immobilité rêvée, cette voie royale,
devenus une évidence. Evidence du mouvement de poignet du dessinateur, comme
l’est celui de José Tomás, évidence de la cadence des phrases d’André Velter,
comme le sont les naturelles du torero de Galapagar.
« Sa
loi n’appartient à nul autre.
La
connaissant il est en ordre avec lui-même.
Etant
sans rival il triomphe.
Triomphant
il recouvre les yeux de ses dix ans. »
Ce
16 septembre fut à chaque instant unique, parfait, les souvenirs le deviennent
tout autant. Ce petit livre en est la trace, la mémoire libre. Plus que
n’importe quel homme de lumière, José
Tomás inspire les écrivains - Jacques Durand, Mario Vargas Llosa, Simon Casas -,
par sa gestuelle réduite à sa plus simple
et compliquée expression (Durand), par son style unique, la profondeur de
chacune de ses passes, cette absence totale d’affectation lorsqu’il toréé – Un héros doit rassembler en lui, autant
qu’il est possible, toutes les vertus, toutes les perfections, toutes les
belles qualités, mais il n’en doit affecter aucune – Baltasar Gracian – Le
Héros –. Son histoire est celle d’un héros, la mort l’a embrassé plusieurs fois, la dernière étreinte
Mexicaine aurait pu lui être fatale, mais il en est revenu, comme il était
parti, comme si de rien n’était.
« Il
agit, ô combien, sans agir plus que ça
Pour
détourner la charge,
Placer
le leurre en vérité
Et
se retrouver arpenteur funambule
A
toréer dans l’inconnu. »
Une
force fondamentale coulait dans les veines du torero ce dimanche matin, une éthique unique, une part très
chinoise et très ancienne qui en fait un être à part. Torero certes, mais à des années lumières de ce qui se montre ici
et ailleurs dans les arènes, une
attention sacrée au moindre mouvement, au moindre geste, un art martial, une beauté unique qui
conduit à l’éternité et au
chavirement du poète et du dessinateur.
Philippe
Chauché