lundi 21 avril 2014

André Velter dans La Cause Littéraire




« Au sortir du labyrinthe / à jamais / l’arène est un miroir / de feu
une clairière / qui découpe / un cercle de lumière / et le ciel, à vif »

La poésie d’André Velter est une clairière. Un ciel mis à vif par les mots, comme la musique flamenca de Pedro Soler, qui accompagne silencieusement Tant de soleils dans le sang. La poésie libre de l’écrivain résonne dans les ruedos et au centre tellurique de la terre andalouse. Elle saisit comme une saeta, ce chant sacré lancé à la ville et au monde dans une rue de Séville au passage du Cachorro.  André Velter se met au tempo du Temps, inspiré par la musique silencieuse du torero José Tomás, par le duende solaire de Lorca, au cœur des vibrations de la phrase qui s’allonge comme une éternité, qui vibre jusqu’à l’os. Vamos, vamos, vamos, vamos, écrit-il, et le poème s’élance avec la profondeur naturelle d’un mouvement de poignet, de la plume à la muleta, de la cape à la plume sous la lune qui donne aux chants et aux champs tant de vibrations profondes, de chants profonds, cante jondo de l’autre côté des Pyrénées.

« D’un œillet à l’oreille ou la boutonnière / tu ravives le danger, la beauté, / le risque cardinal des hommes / soumis à la lumière andalouse, / à celle qui aveugle aux seuils des torils / autant que sur la neige et dans les blés. »

D’un chant l’autre à la fin de l’ouvrage, sept poèmes-tracts sous la plume légère et inspirée du dessinateur Ernest Pignon-Ernest. Le trait s’envole entre les noirs et les gris, blancs profonds, noirs éclatants, comme un résumé net et précis de ce qui se joue là, corps nus qui se dénouent, mains qui se croisent et pieds ailés du marcheur.
Tant de soleils, tant de phrases sur le qui-vive, tant d’éclats, de saisissements, d’éclairs qui traversent les corps et les pierres, tant de retenues, d’ivresses de mots que l’on porte en médaille sur le cœur, tant de sang, tant d’accords de guitare qui s’offrent là, tant de miracles qui apparaissent à l’aplomb de vie. André Velter a l’art secret de transformer la soie en phrases, la percale de ses mots en musiques, les fleurs du Guadalquivir en ivresses, de donner aux phrases cette saveur rare dont on s’enivre en effleurant l’encre des pages de Tant de soleils dans le sang. Il a des visions, c'est-à-dire qu’il voit et jamais ne se dérobe à ce qui se joue dans l’axe vibrant de sa poésie. Vamosvamosvamos y suerte.

« Guadalquivir / rien qu’à te dire / tu mets un  autre ciel à ma bouche, / une tout autre Amérique / sur la route de nos Indes / soyeuses, galantes, enchantées. "enchantées. »
 
 
 
D’un musicien l’autre, de l’andalou toulousain Pedro Soler, à son fils Gaspar Claus, d’un père au fils, d’une guitare à un violoncelle, sous le regard d’André Velter, triomphe d’une trinité inspirée. Nouvelle étape d’un voyage qui s’aventure Jusqu’au bout de la route. D’une caravane l’autre, de Canaan au Gange, de Kaboul à Lhassa, en passant par Maïmana et Padum, le désert au bord des paupières, rosée des rêves évanouis, mais aussi, la beauté du geste que perpétue l’écriture, ou encore, la poussière amoureuses des lèvres dont l’écho vous enivre. Le poète marche et accorde sa marche à la musique, au rythme qui appareille. Le rythme donne à entendre, mais aussi à voir et  à écrire.

 « L’état d’évasion permanente, voilà / qui est naturel à notre imaginaire, voilà qui crée ce diamant de pure lumière / en forme d’au-delà tonique et solaire / où l’avenir s’évade en même temps que le temps. »

Ecrire ici, c’est partir d’un bon pied, comme l’on part du bon tempo, avec à chaque fois la bonne attaque, le bon accord et le juste mot, et par éclats, son tremblement devient le vibrato du monde. Ecrire ici, jusqu’au bout de la route,  c’est vocaliser le monde qui se déroule sous ses yeux, ses grandeurs et ses terreurs, ses menaces, ses oublis, ses miracles, ses déserts et ses soleils. Passer d’Ouest en Est comme l’on traverse un pont suspendu, écrire pour trouver un bel équilibre, c’est aussi cela la poésie d’André Velter.

 « Je veux d’une trajectoire qui ne connaît que sa force, / sa haute fréquence physique, ses envolées mentales / et l’impulsion de mantras sans mesure / que je crée soudain, scande une fois ou deux, et oublie. »
 
Philippe Chauché

 

lundi 14 avril 2014

Le Mendiant de Velasquez



" Malgré la pénombre ambiante, on distinguait les entrecroisements de marbres fuyant vers une crédence au fond, où s'amoncelaient des pots remplis de pinceaux de toutes tailles au milieu de piles de chiffons. Rangées les unes à côté des autres, quelques toiles de lin, la plupart vierges, attendaient. Deux chevalets se faisaient face, tels des squelettes en conversation. "

Approchez-vous et gardez silence et distance, c'est un génie qui peint, il prend son temps, le temps, le tempo, l'occupe au plus au point, le roi Philippe IV sait ce que cela veut dire, il a lu Baltasar Gracián, il admire son peintre et reste sourd aux malfaisants qui l'entourent à la cour. Le peintre fixe souvent le ciel et la géométrie poétique des étoiles, il s'assied à bonne distance et regarde cette toile qui prend corps et qui va bouleverser l'art, son art, l'histoire de l'art. Picasso ne l'oubliera jamais, en 1957 il lui rend un hommage tellurique et signe 58 tableaux vibrants de l'écho des Ménines. Le hasard d'une curieusement rencontre lui fait adopter Mendigo, mendiant, un peu briguant, il doit poser pour le peintre, alors il pose, il se pose à l'Alcázar, coup de chance et coup de dès.
 
" - Je vous donne mon accord pour accomplir quelque chose d'exceptionnel qui fera taire pour de bon les mauvaises langues. Pour concevoir une œuvre qui vous placera au-dessus de toutes les critiques, sinon des jalousies. Une peinture qui vous ouvrira les portes de la chevalerie, à laquelle vous aspirez, que vous méritez comme aucun autre. Vous porterez un jour sur votre poitrine la croix de Santiago. "
 
Approchez-vous et gardez distance et silence, nous sommes au 17° siècle, autrement dit au siècle du net et du bref, de la lame et de la brosse, du pinceau et du mot. Là un jésuite, une fine lame, ici un peintre, le peintre des peintres, là à nouveau un roi qui sait comme tous les espagnols que la vie est un songe, et puis Mendigo, témoin d'une révolution volcanique. Mendigo qui se glisse dans les Ménines comme entre les velours du Palais royal, Mendigo témoin actif.
 
" - Moi, Diego de Silva y Velázquez, je ne peins pas une scène, je mets en scène. Différence considérable. Faire un portrait, Mendigo, rien de plus élémentaire. Cela exige du doigté bien sûr, sans plus. J'en exécuterai d'autres encore si le roi me l'ordonne, mais je ne vois pas très bien comment m'améliorer. Ma Famille, elle, ne ressemblera vraiment à rien de ce qui existe aujourd'hui. "

Le roman de François Rachline saisit tout cela avec netteté et justesse, avec la politesse d'un invité discret, lui aussi se glisse entre les murs du palais, il voit, il entend, il écrit, il met en scène avec une belle vitalité ces corps et ses âmes dans le mouvement royal du temps et du songe, dans une perspective cavalière.

" Ainsi donc, Diego peignait une scène où il représentait peignant une scène, laquelle restait invisible puisque le dos du chevalet, seul, se révélait au spectateur. Marcela de Ulloa, regard baissé vers la fenêtre, les deux nains Nicolasito et Mari-Barbola comptaient au nombre des figures quasiment terminées, avec don José Nieto, et bien sûr, Santillo. L'infante Marguerite, elle, reconnaissable entre toutes, du haut de ses cinq ans, atteignait déjà la perfection. L'or de ses cheveux et la roser de sa joue droite attestaient que la lumière, venant d'une grande ouverture devinable au premier plan, à droite, la percutait de plein fouet. "

Tout un roman !

Philippe Chauché

 
 

mercredi 2 avril 2014

Marcelin Pleynet dans La Cause Littéraire


 


 

« A Venise la circonférence est partout et le centre nulle part…
Ma vie comme un roman dont la circonférence est partout et le centre nulle part… »

Marcelin Pleynet écrit comme Cézanne peignait, sur le motif. Ici, comme depuis longtemps, c’est Venise. Une île musicale pour une idée de roman musical. Loin, si loin, de toute imagerie bavarde, chichiteuse et larmoyante, loin de l’imaginaire de sa disparition annoncée dans les eaux de la lagune, loin de ses masques et de ses poses, de ses écrivains dépressifs et de ses cinéastes laborieux et poudrés. On est à mille années lumières de Mort à Venise et ses fantômes souffreteux, littéralement au cœur du mouvement de la ville, d’un mouvement poétique et musical, où s’invitent écrivains, musiciens, peintres et architectes. C’est Vie à Venise ou plus harmonieusement Vies à Venise, le pluriel est ici capital. Dans son Dictionnaire amoureux de Venise, Philippe Sollers met en avant l’éloge prononcé pour la consécration du Doge sérénissime de Venise, Luigi Mocenigo, le 23 août 1570, autrement dit aujourd’hui, par Luigi Grotto Cieco d’Hadria : « … qui ne la contemple est indigne de la lumière, qui ne l’admire est indigne de l’esprit, qui ne l’honore est indigne de l’honneur… », on ne saurait mieux dire !

Marcelin Pleynet écrit par aplats, par fines touches musicales, par traits à la main levée sur l’étendue du Temps, comme un calligraphe à l’encre noire de seiche, par suspensions, retraits, saisissements, éclats, un œil sur Monteverdi et Vivaldi, une oreille pour Bellini et le Titien, accompagné des voyelles colorées et musicales de Rimbaud.

« … O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
– O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! »

 « Les voyelles surgissent et se répartissent en consonnes. C’est ainsi qu’apparaissent les couleurs, et les couleurs précipitent, attirent un nouvel épanchement. Les consonnes ne bougeaient pas si les voyelles ne les suivaient ».

Marcelin Pleynet traverse Venise en prenant son temps, et le temps du marcheur est celui de l’écrivain, dans l’immortalité de son savoir et de ses saveurs. Le marcheur solitaire écoute, voit, et entend ce qui se joue dans le visible et l’invisible de Venise. Tout un roman entre ciel et terre, vibrant de la palette des couleurs absorbées et offertes. Cela se joue d’une ruelle à une église, d’un canal à la lumière du ciel. D’un livre l’autre, ceux qu’il lit et ceux qu’il écrit, L’amour vénitien, La fortune, la chance, Comme la poésie la peinture, Le savoir-vivre, ceux qui s’écoutent et se parlent (répons) et les musiques poétiques résonnent dans les églises où se glisse l’écrivain.

« A disposition : l’écart du soleil printanier, la légende, le roman, la meilleure compagnie… Lumière pâle, jaune et bleue, diagonales rasantes vers les Moulini Stucky, et les rives de Giudecca…
Tout est possible si je veux bien accompagner le spectacle qui s’offre à moi – celui-là ou un autre, celui que chacun croit devoir se donner à lui-même ».

Marcelin Pleynet se laisse traverser par Venise, comme Chateaubriand en son Temps – qui peut sur l’instant devenir le nôtre –, et comme un vitrail, nous en renvoie mille éclats, couleurs, toutes les couleurs invitées, les musiques qui s’inventent dans le silence des chapelles, toutes ces musiques qui nous révèlent au monde, l’art romanesque, cette étendue poétique, une manière de vivre et d’écrire ici et maintenant, autrement dit d’être dans la liberté libre.

« Ma vision est divine. Je sens aussi battre dans mes veines la joie de l’immortalité… Sa présence fait taire en moi tout autre bruit. J’ouvre le livre qui s’anime alors et change au point qu’il me semble ne l’avoir jamais lu ».

Philippe Chauché