jeudi 31 décembre 2009

Questions de Décembre

Un livre lu et relu cette année ?

Un disque découvert et écouté sans arrêt ces derniers mois ?

Ce dont vous êtes le plus fier ?

Ce que vous regrettez ?

Ce que vous seriez prêt à recommencer l'an prochain ?

Votre idée de la Joie en cette fin d'année ?

Votre idée de la littérature ?

Votre idée du Bonheur ?

Votre idée du Temps ?

Votre idée de la jouissance ?


mais aussi :

Le principal trait de votre caractère ?

La qualité que vous appréciez chez un homme ?

La qualité que vous appréciez chez une femme ?

Ce que vous appréciez le plus chez vos amis ?

Votre principal défaut ?

Votre rêve de bonheur ?

Quel serait votre plus grand malheur ?

Ce que vous voudriez être ?

La fleur que vous aimez ?

L'oiseau que vous préférez ?

Vos auteurs favoris en prose ?

Vos poètes préférés ?

Vos héros dans la fiction ?

Vos compositeurs préférés ?

Vos peintres favoris ?

Vos héros dans la vie réelle ?

Vos héroïnes dans la vie réelle ?

Ce que vous détestez par-dessus tout ?

Caractères historiques que vous méprisez ?

Le fait militaire que vous admirez le plus ?

La réforme que vous admirez le plus ?

Le don de la nature que vous voudriez avoir ?

Comment aimeriez-vous mourir ?

État présent de votre esprit ?

Fautes qui vous inspirent le plus d'indulgence ?

Votre devise ?

mais aussi :


Vous regrettez l'année qui s'achève ?

Vous doutez de celle qui s'annonce ?

Vous finissez l'année heureux ?

mais aussi :

D'où viennent ces premières phrases ?

" Tout va très vite, maintenant, en plein dans la cible. "

" J'aurai passé ma vie à chercher des mots qui me faisaient défaut. "

" Le désastre ruine tout en laissant tout en l'état. "

" On est entré dans une zone de chocs. "

" Seul, sur le quai désert, en ce matin d'été,
Je regarde du côté de la barre, je regarde vers l'Indéfini,
Je regarde et j'ai plaisir à voir,
Petit, noir et clair, un paquebot qui entre. "

" C'est maintenant qu'il faut reprendre vie. "

" Par hasard, la fin du monde a commencé sous ma fenêtre. "

" Il faut avoir été réellement incarné pour ne pas perdre sa chair et la retrouver enfin dans cette même enveloppe. "

" Qu'y a-t-il de plus engageant que l'azur si ce n'est un nuage, à la clarté docile ? "

" Pour parler franc, là entre nous, je finis encore plus mal que j'ai commencé... "

" Tel qu'en lui-même l'éternité le chante. "

Qu'elle est la phrase qui cette année vous a ébloui ?

Celle que vous avez écrite dont vous êtes le plus fier ?


à suivre

Philippe Chauché

mercredi 30 décembre 2009

La Laitière de Bordeaux




" Madrid s'est endormi, il sent une tension monter dans son ventre, ses vieux démons s'invitent, le sommeil l'oublie, il se dit que dès demain, il prend le premier train pour la frontière, oublie tout, toute cette histoire impossible qu'il tente de réinventer. Il s'est allongé sur le lit, pas un bruit, le manuscrit est ouvert : « Goya dénude sa belle laitière bordelaise dans son minuscule salon où s’amoncellent les dessins et les toiles. Leurs corps s’unissent et ses mains se posent sur sa poitrine, délectation. Il est de fort bonne humeur et la jeune femme aime venir poser pour son peintre, les séances se déroulent en début d’après-midi, pas tellement pour la lumière qui fait briller ses pinceaux, mais parce que c’est à ce moment de la journée où il est de forte bonne humeur. Il se souvient d'avoir peint ce tableau pour le Duc, il se souvient de la cour d'Espagne, de la musique qui s'éloigne, des fantômes qui s'invitent. Mais aujourd'hui, il peint la vie, et embrasse sa laitière d'amour. Elle a fait glisser son chemisier blanc et il embrasse ses seins. Puis il prend ses distance et pose sur la toile quelques touches de blanc, de gris, de jaune, juste ce qu'il faut pour attendre. Elle est nue dans ses bras et le vieux peintre comme on l'appelle dans la rue, le vieux peintre se lance dans la découverte sur le vif d'un corps. Ce n'est pas une épreuve, c'est une aventure. Leur jouissance dure longtemps, elle donne au vieux peintre des pistes pour des toiles qui vivront demain, mais l'heure n'est pas à la peinture, l'heure est à la jouissance. Leurs rencontres l’étonnent toujours, il est heureux, un répit, car le soir venu ses fantômes prennent toute la place, l’assomment, l’enferment dans leurs cercueils de douleurs, c’est insupportable, il n’en parle à personne, seule sa peinture peut dire tout cela, les mots ils se refusent à les laisser être contaminés, c'est comme sa peau, même usée, elle doit avoir la même élasticité, la même vérité du corps. Parfois le matin il va saluer la Garonne, le visage de sa belle laitière se reflète dans les eaux qui se projettent sur les piliers Pont de Pierre. La lumière de ses toiles claque sur les voiles des bateaux qui attendent la marée, barriques de vin, ballots de tissus colorés, malles de tissus. Il croise des jeunes femmes qui remontent leurs jupes en le voyant. Il s’est déjà fait traité de fou, on a voulu l’enfermer, lui prendre ses pinceaux et ses couleurs, mais en vain, il continue de peintre sur le motif. Sa belle laitière a dégrafé le haut de son double corsage brodé, remonté ses jupes, il s’est placé à la bonne distance. Il fixe la toile et son modèle, leurs yeux se croisent, ses pinceaux se signent et libèrent l’espace, sa laitière est contre lui, il admire cette forte poitrine blanche, fait courir un pinceau sur sa peau, sa brosse couvre ses cuisses. Il lui parle de l'Espagne, du sable, de la pierre, des fleurs, du chant qui monte des rues d'Almonte, de lui, de Cervantès, il voudrait follement lire à haute voix les aventures du Quichotte, mais ici à Bordeaux, pas un livre, rien que ses couleurs, ses rêves et ses pinceaux. Ils ont joui au pied du chevalet. Ma fée des bords du Rhône aime cette histoire, elle aime lorsque ma voix glisse dans les draps et s'enroule autour de ses cuisses. » - Esquisses du bonheur - 2008

à suivre

Philippe Chauché

lundi 28 décembre 2009

Evidences (2)

" Je vois - j'enflamme le réel.
Je vois, et tout alors devient possible.

J'écoute - j'embrasse le temps.
J'écoute, et sa musique me comble.
J'écoute - toute peau tendue.

Je vois son corps suspendu.
Et les éclats du temps me comblent.

J'écris dans la floraison de sa peau.
J'écris dans la joie de son regard.
J'écris dans l'évidence de son silence.

Je vois ce qu'elle écoute.
J'écoute ce qu'elle écrit.
Et mes mots s'illuminent.

Mes mots - résonance du silence.
Mes mots - grain du regard.
Mes mots - naissance de la joie.
Mes mots - le bleu de la danse. "

Voilà l'évidence, se dit-il, en refermant le livre.


Auguste Rodin 1840-1917

à suivre

Philippe Chauché

dimanche 27 décembre 2009

La Courbe du Temps (64)

" Alors ma vie fut entièrement changée. Ce qui avait fait, et non à cause d'Albertine, parallèlement à elle, quand j'étais seul, la douceur, c'était justement, à l'appel de moment identiques, la perpétuelle renaissance de moments anciens. " (1)

Rien ne lui semblait plus évident que cette phrase qui venait de naître. Les phrases naissent du temps aimé, se dit-il, mais aussi de l'effervescence d'un regard. Rien n'est plus beau, pensa-t-il, qu'une phrase venue d'un regard et d'un geste. Rien n'est plus troublant ajouta-t-il, qu'une phrase qui voit le jour d'un corps aimé, les corps qui n'ouvrent pas sur de telles phrases, sont des corps oubliés. Rien ne lui semblait plus nécessaire qu'une phrase qui se pose sur l'envolée de la jouissance. La jouissance qui ne donne pas vie à une phrase, est une jouissance volée, et toute jouissance volée n'est que l'ombre de la vie pensait-il. Et ces phrases vivantes sont indestructibles, comme l'est un corps dans le mouvement de l'amour, qui est, écrit-il, le mouvement de la vie, et le mouvement de la vie est cette phrase qui s'est naturellement posée sur son écritoire. Une phrase morte est une phrase sans corps. Son regard est une phrase, ses seins sont ces phrases qu'il écrit dans la nuit naissante, ses bras, ses cuisses, son ventre, ses pieds, tout son corps est une phrase. Tout cela il l'a vu en entrant dans la Courbe du Temps, en la faisant sienne, elle ouvre aussi sur cela, se dit-il, sur la phrase du corps, elle se déroule sous ses mains, elle naît du regard qu'il lui porte, des mots embrassés.


Léonard de Vinci 1452-1510


Ces phrases l'ont accompagné sur le chemin qui mène au Fleuve et sous les arbres. C'est là, dans cet espace ouvert sur le Temps, qu'il a senti la force tellurique des phrases et du corps, des corps qui vivent dans le mouvement des phrases, des phrases qui s'illuminent lorsqu'on les touche. Le Temps est là, devant ses yeux, facilement saisissable, comme le sont les phrases. La première qui lui est apparue, il l'a notée sur le carnet noir et jaune, ce carnet de la renaissance : " Aujourd'hui tout devient possible, le bleu du ciel s'accorde à la Courbe du Temps, et le mouvement de son regard ouvre un espace nouveau, et c'est dans cet espace que la délivrance s'opère, que les phrases prennent une autre force, la force de ce mouvement, la grâce de la transparence d'une phrase qui embrasse une épaule, c'est dans cet espace du Temps que mon corps devient la phrase de toutes les phrases, une magie blanche qui transforme en or chaque geste, chaque baiser, chaque envolée du corps et de phrases, la transparence des phrases dans le bleu du ciel est celle du corps aimé, et le corps aimé devient une phrase. " Voilà, c'est dans cette phrase que je me baptise, se dit-il, comme dans l'élévation joyeuse d'une musique.




Rien de plus évident, se dit-il, que ce regard, cette voix, ce corps, un regard qui illumine la rue des Vierges Perchées, une voix qui embrase le Temps aimé, un corps qui immortalise le mouvement vif de l'amour. Face au Fleuve et sous les arbres, la danseuse rouge écrit, et c'est une danse. Face au Fleuve et sous les arbres, la danseuse rouge chante, et c'est une floraison. Face au Fleuve et sous les arbres, la danseuse rouge danse, et c'est une phrase. Il se dit, elle s'envole, et dans ce mouvement il voit ce déchirement où il va se glisser de tout son regard, et ce regard c'est ce qu'il écrit dans la nuit qui glisse sur le chemin qui conduit au Fleuve.


Léonard de Vinci 1452-1510

Ces phrases l'ont accompagné dans la nuit où se glissaient les gracieuses étoiles du Temps, elles vibraient, tournaient, montaient et descendaient dans les rues de la ville blanche et grise, elles s'enfonçaient entre les pavés, pour réapparaître plus loin dans les éclats de fleurs jaunes et rouges, et ce mouvement des phrases ressemblait à celui des mains de la danseuse rouge du bord du Fleuve et sous les arbres. Alors, il s'est dit, " de ces phrases je fais un paradis, de ce mouvement une joie, de ce silence une révélation ".

à suivre

Philippe Chauché

(1) Albertine disparue / A la recherche du temps perdu / Marcel Proust / Gallimard

samedi 26 décembre 2009

La Courbe du Temps (63)

" Jouer c'est expérimenter le hasard. " (1)

Dans le gris laqué du matin, il offre son visage aux éclats de son regard, il laisse la musique de sa peau délicieuse s'écrire sur la portée de ses mains. Il se dit que l'amour est une partition sans fin, et dans la musique qu'il invente à chaque fraction de seconde mille caresses de pinceaux, mille offrandes d'une vie lumineuse. Il se dit aussi, que la vie vive vient de la Courbe du Temps, qu'elle est sa permanence, dans la beauté du temps aimé naissent mille autres temps anciens et nouveaux, que chaque mouvement est une pensée, que chaque pensée est un baiser, que chaque baiser est un éblouissement, que chaque éblouissement retourne la magie noire dominante, et que les mauvaises manières du siècle s'effacent sous l'enchantement révolté de sa présence miraculeuse.


Domenico di Tommaso Bigordi, dit Ghirlandajo - Florence, 1449- id., 1494

Dans le matin d'hiver son regard fait disparaître toute crainte et tout soupçon, c'est ce qu'il écrit sur son épaule, dans le matin d'hiver son éblouissante présence diffracte ses baisers, dans le matin d'hiver l'espace du Temps est celui de la phrase, l'espace de la phrase est celui de son ventre et de ses seins, l'espace de son corps découvre une faille qui ouvre sur un autre temps, un autre espace, un autre mouvement, une Courbe réjouissante, et il convient ajoute-t-il pour être à la hauteur de la " situation " de savoir toucher avec les yeux, et voir avec les mains.


Domenico di Tommaso Bigordi, dit Ghirlandajo - Florence, 1449- id., 1494

Un regard, un mouvement, un sourire, l'espace nouveau est là, il faut s'en saisir.




Domenico di Tommaso Bigordi, dit Ghirlandajo - Florence, 1449- id., 1494

à suivre

Philippe Chauché

(1) Novalis / Fragments / traduct. Maurice Maeterlinck / José Corti Éditeur

mercredi 23 décembre 2009

Evidences

" Quand le vent souffle du nord
les feuilles mortes
fraternisent au sud. " (1)

Le vent du nord donne des ailes
Aux déesses.

Les espaces du Temps
Se découvrent dans le dévoilement d'un corps.




La suspension du Temps
Est un regard.


à suivre

Philippe Chauché

(1) Buson / Anthologie Haïkus / traduct. Roger Munier / Fayard

dimanche 20 décembre 2009

La Courbe du Temps (62)

" Tout objet aimé est le centre d'un paradis. " (1)



" Le vent d'hiver réduit le Temps à sa juste mesure. Suite pour le déplacement d'une main dans l'espace. Éclats vifs d'un regard. Absolue vérité qui transcende l'espace. " C'est ce qu'il écrit dans le bleu du ciel, face à son cadran solaire amoureux qui éclaire la rue des Martinets, ses phrases s'envolent et se posent dans l'espace rayonnant de son regard. Il se dit que " le paradis est plus que jamais à une portée de peau ", " sa grâce tient à cela, à cette envolée harmonique ", pense-t-il, " à cette musique qui s'élève du mouvement merveilleux d'un visage, " les visages se transforment sous les éclats d'une main ", se dit-il, " la peau brille sous le soleil d'un regard ", " un ventre se révèle dans l'éternité partagée d'une caresse ", mais aussi, " toute la beauté de l'Instant est un silence joyeux ", " et mes phrases ", ajoute-t-il, " naissent de cette main que révèle la Courbe du Temps".


" Si celui qui doit vous peindre doit vous voir,
Et ne peut sans s'aveugler vous regarder,
Qui sera assez puissant pour votre portrait faire
Sans vous ni ses yeux blesser ?

En neige et roses j'ai voulu vous fleurir ;
Mais c'eût été honorer les roses et vous outrager ;
Deux étoiles pour les yeux j'ai voulu vous donner ;
Mais quand jamais les étoiles en ont-elles rêvé ?

J'ai connu l'impossible dans cette esquisse ;
Mais votre miroir à votre propre éclat
Assura le succès dans son reflet.

Il pourra vous représenter sans lumière fausse,
Puisque vous êtes de vous-même, dans le miroir,
Original, peintre, pinceau et copie. " (2)





" ... Viens me parler ô parle moi lèvres d'aube cuisses d'éclairs
Libellules lasers sur le sommet de mon crâne
Hulottes et pipistrelles du nocturne échevelé
Et verts luisants murets de pierre sèche
Illuminant tes yeux de très anciennes constellations
Qui raturent le ciel... " (3)

Le mouvement du Temps est une Courbe,
Et dans cette Courbe,
- Brillance
J'écris.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Fragments / Novalis / traduct. Maurice Maeterlinck / José Corti
(2) De la difficulté de faire le portrait d'une grande beauté, qui le lui avait demandé, et seul moyen possible d'y parvenir / Francisco de Quevedo / traduct. Frédéric Magne / La Délirante
(3) Saume dins lou vènt / Psaume dans le vent / Serge Bec / la cardère

vendredi 18 décembre 2009

Les Eclats du Temps

" La nuit où la jeune biche me dévoilait
L'astre brûlant de ses pommettes
Et le fauve rubis des cheveux qui voilait
Sa tempe de cristal perlé de gouttelettes
- Tout le tableau de sa beauté... -
Elle était ce soleil qui pendant sa montée
Rougissait les nuées, quand va poindre l'aurore,
De ses flammes et de ses ors. " (1)

Il écrit dans les Éclats du Temps
- Révélation
Il écrit dans le mouvement lumineux d'un visage
- Joie
Il écrit dans la permanence de la vibration d'un corps
- Jouissance
Il écrit dans le silence de la musique de la nuit
- Élévation
Il écrit pour chasser la terreur
- Nécessité.



Le bleu du ciel souligne les Éclats du Temps.
Le silence du matin est une visage.
Ma joie, une courbe du bonheur.

à suivre
Philippe Chauché


(1) La nuit... / Juda Hallévi / Poèmes d'amour de l'Andalousie à la Mer Rouge / traduct. Masha Itzhaki et Michel Garel / Somogy

jeudi 17 décembre 2009

Le Chant du Corps

" Chaque phrase que j'écris vise toujours le tout, donc toujours à nouveau la même chose, et toutes ne sont pour ainsi dire que des aspects d'un objet considéré sous des angles différents. " (1)

" Les éclats du corps aimé ne cessent de briller dans la nuit et la transfigurent. " C'est ce qu'il se dit, ajoutant : " en la regardant j'ai été retourné par le Temps et j'ai découvert sa permanence ", mais aussi : " le Temps appartient à ceux qui connaissent le savoir de la saveur. ". Il se laisse alors emporter par le chant du corps qui délivre et éclaire, et ne doute plus que le Paradis s'entend dans son regard.



" La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstantielle ou ne sera pas. " (2)

à suivre

Philippe Chauché


(1) Remarques Mêlées / Ludwig Wittgenstein / traduct. Gérard Granel / GF Flammarion
(2) L'amour fou / André Breton / Gallimard

mercredi 16 décembre 2009

Identité Musicale

Tout est là se dit-il, tout s'éclaire dans la musique de Bach. Il se dit aussi que la beauté d'un corps heureux ressemble à cela, et que la joie d'un visage soyeux n'est autre que l'éclat d'un violoncelle inspiré. Son identité musicale.

Le musicien est en photo sur le coffret (1), en noir et blanc, son corps c'est l'instrument merveilleux, ce violoncelle c'est lui. Yeux fermés, petites lunettes rondes, visage inspiré, en lévitation.
Ce musicien c'est Pablo Casals.
En ces temps de confusions générales, où la vulgarité domine, il est fort utile de se souvenir qu'un dictateur le condamna à mort de l'autre côté des Pyrénées, Franco n'aimait guère la musique, Casals détestait Franco comme il détestait Hitler, mais il y avait la musique, celle de Bach, de Beethoven, de Haydn, de Boccherini, de Tartini, cette musique qui ridiculise les dictateurs et leurs admirateurs, cette musique : son identité.
Il y avait Barcelone, Madrid, Paris, Alfred Cortot, Jacques Thibaud, Prades, Porto Rico. Il y avait la permanence de la musique, son absolue beauté, son éternelle nécessité. Ecoutez la suite N°1 enregistrée à Paris le 25 novembre 1936, cet art d'embrasser la mélodie et le Temps, écoutez cette manière unique de chanter et de danser avec Bach, écoutez la sonate N° 2 de Johannes Brahms gravée à Londres en 1936 aux côtés de Mieczyslaw Horszowski ou encore les dix variations de Ludwig van Beethoven aux côtés de Cortot et Thibaud, une belle manière de résister à la glaciation de la pensée et des corps.

Mon identité ? musicale !

L'amour inspiré est une musique.
Se savoir étranger aux fausses notes du Temps que l'on veut nous faire embrasser.
S'accorder aux vibrations d'un corps heureux et offrir mille accords de joie.




La joie vive d'un regard heureux est cette musique.



Pour aimer, il faut d'abord s'accorder à la musique de l'Instant.
Toute joie partagée est une musique.
Toute musique est un regard ébloui.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Pablo Casals / The Complete Publisched EMI Recordings / 1926-1955 / EMI Classics /

mardi 15 décembre 2009

Le Secret des Secrets

" J'assiste au secret des secrets, mais sans pouvoir le percer. " (1)

Il lui a donné rendez-vous dans un café de la ville où un temps il séjourna, à un regard de l'océan, paquebot embarqué dans une dérive qui mène à une scission qui délivre de la douleur des temps, lumière luxueuse, coupes de champagne, belles femmes assises qui attendent que leurs amoureux les surprennent avant qu'elles ne les quittent, un livre ouvert, il se glisse à ses côtés. Il lève les yeux, et le regarde en silence. Merci d'être venu cher complice. J'ai un livre pour vous. Il me traverse comme une vague glacée.

" Parole d'attente, silencieuse peut-être, mais qui ne laisse pas à part silence et dire et qui fait du silence déjà un dire, qui dit dans le silence déjà le dire qu'est le silence. Car le silence mortel ne se tait pas. " (2)

Je suis, cher ami, dans cet état de parole d'attente : " le regard qui n'est plus regardé s'éteint ", " c'est dans l'absence qu'un visage se déchire ", mais aussi, " le déchirement révèle mon vrai visage ". Seule réponse à donner pense-t-il, retourner les phrases, lui offrir un autre éclat du Temps de l'Instant : " le regard un jour aimé, le reste à jamais ", mais aussi " c'est la Joie qui délivre du déchirement ", " de l'absence naît une autre résonance ", " si toute parole est une parole d'attente, tout corps perdu est un corps qui va renaître " et " dans le délabrement misons sur le verbe du corps ". Je vois, lui dit-il, que vous êtes infatigable, je vous admire, je sais tout cela, en un temps vous m'auriez même entendu dire des choses semblables, mais je vous avoue qu'aujourd'hui le renversement que je subis, si fort éloigné de celui dont vous me parliez il y a peu, est un déchirement qui diffracte mon coeur, ma peau et mon âme. Avant de nous quitter je vous laisse ces reproductions, lisez, écoutez, ce que disent ces toiles, vous comprendrez mieux de quoi il est question.








Il a quitté notre café des bords de la terre, comme il le faisait à chaque fois, sans se retourner. Il a ouvert le catalogue qu'il venait de lui offrir (3), l'écrivain s'y expliquait :

" Je peins comme j'écris. Pour trouver, me retrouver, pour trouver mon propre bien que je possédais sans le savoir. Pour en avoir la surprise et en même temps le plaisir de la reconnaître. Pour faire ou voir apparaître un certain vague, une certaine aura où d'autres veulent ou voient le plein. " (3)

Il s'est dit, il vivait comme j'écrivais, il me reste à lui faire entendre qu'il devra écrire comme je vis.

à suivre

Philippe Chauché

(1) L'infini turbulent / Henri Michaux / Mercure de France / 1964
(2) L'écriture du désastre / Maurice Blanchot / Gallimard / 1980
(3) Henri Michaux / Peintures 1975-1984 / Villa Béatrix Enéa / Anglet / jusqu'au 6 février 2010

dimanche 13 décembre 2009

La Saveur et le Savoir (3)

" Quel corps ? Nous en avons plusieurs . " ( Le Plaisir du Texte ) J'ai un corps digestif, j'ai un corps nauséeux, un troisième migraineux, et ainsi de suite : sensuel, musculaire ( la main de l'écrivain ), humoral, et surtout : émotif : qui est ému, bougé, ou tassé ou exalté, ou apeuré, sans qu'il n'y paraisse rien. D'autre part, je suis captivé jusqu'à la fascination par le corps socialisé, le corps mythologique, le corps artificiel ( celui des travestis japonais ) et le corps prostitué ( de l'acteur ). Et en plus de ces corps publics ( littéraires, écrits ), j'ai, si je puis dire, deux corps locaux : un corps parisien ( alerte, fatigué ) et un corps campagnard ( reposé, lourd ). " (1)

Il s'est dit en allant là-bas, j'y passerai. Même un court instant, je me dois d'y passer. D'autant plus qu'il s'était rappelé à lui en lisant ce livre (2). C'est ce qu'il aimait à nommer la géographie des écrivains, celle-ci passait par ce village dominant l'Adour et sa Lumière, il se souvint avoir lu un jour un texte sur cette lumière du Sud-Ouest qui lui était familière, mais dont il n'arrivait plus à localiser de quel ouvrage il l'avait tiré. Cela se disait-il n'a pas grande importance. Il avait fait le voyage, traversé le village et garé sa voiture sur un trottoir à quelque mètres de l'entrée du cimetière. Lui revenait alors en mémoire, qu'il avait déjà écrit sur ce cimetière : " Je suis à Urt. Dans ce petit cimetière sur la colline. Nous y déposons quelques cailloux sur la pierre claire lézardée de mousse grise. Lecture attentive et à haute voix de l'écrivain. Brigitte m'aime pour ces lectures de Roland Barthes dans notre cimetière. Nous donnons un autre corps à ses écrits. Donner des voix aux tombes, de la vie aux pierres, y déposer des caresses, des nuées de vie, y inscrire d'autres histoires. C'est dans les mots portés haut que nous trouvons une autre énergie, un autre souffle, une autre musique. Une façon différente d'être au monde. Cela demande une certaine position du corps. La colonne d'air doit être libérée, les épaules retomber légèrement, les jambes s'ouvrir. Le poids se porte sur la plante des pieds, les mains donnent le rythme, les hanches le fixent, le ventre durcit, les yeux fixent cet espace de vie et de lutte. Plus tard, une autre déesse croisée sur les bords du Fleuve m'a appris la lecture optique de la peau. Sourcils envolés, bouche opale, peau de pétale, verbe libre, étoile permanente du bonheur. Il a son tour composé sa lite, en souvenir de son regard et de R.B. : m'asseoir au soleil dans les arènes de Madrid, les cigarettes blondes un peu fortes, les chemises blanches, Joselito, José Tomas, le café très noir, le whisky écossais trés tourbé, Sollers, Novarina, les vins de Cairanne, la voix de François Mauriac, les actrices des films de J.L.G., prendre le train la nuit, passer le Cap du Figuier à la voile, Mozart, avoir très chaud, l'eau pétillante, les chouettes, passer la nuit dans la Cour d'Honneur du Palais des Papes, le melon, le vol des martinets, écouter Martha Argerich, le parfum du romarin en été, les montres mécaniques, l'amitiée de N., Miro, écouter une voix aimée, les aphorismes de Cioran, les livres anciens, l'amour le matin, l'horchata, les bagues en or, etc. " (3) Il a poussé le lourd portail de fer, tourné sur la gauche, emprunté la dernière allée, marché quelques mètres, elle était là. La large pierre grise tâchée de blanc, il pensait qu'il s'agissait d'un champignon blanc, Henriette Barthes née Binger, 1893-1977, Roland Barthes, 1915-1980. Pas de croix, pas de fleurs, quelques cailloux ici et là rassemblés ou égarés. Il a déposé les siens, cinq petits cailloux blancs. Il est resté quelques minutes debout face à la tombe, seul, pas un bruit. Il s'est dit, " c'est un bel endroit pour se reposer et écrire ". " Écrire fait rebondir la vie ". " Aimer est une révélation ". " Le corps de l'écrivain écrit dans le mouvement du Temps ". En retrouvant la chambre de son adolescence inquiète, il s'est servi un verre de Lillet blanc, Podensac, la saveur, allumé une cigarette, le savoir, et a repris sa lecture.



" Le roman n'a pas pu être écrit. C'était un labyrinthe. Et Barthes hésitait à l'emprunter. Question de temps. Dans ce roman devaient entrer des fragments de toutes sortes, journal, incidents, fiches, méditations, portraits, micro-récits.
J'avais parfois l'impression que Barthes butait sur quelque chose de plus fort que lui. C'est peut-être qu'au coeur du labyrinthe il y avait un Minotaure. La mère ?
Et puis il y eut la mort. " (2)

C'est le dernier paragraphe de " Mémoire d'une amitié " qu'il a lu hier soir. Il a pris quelques notes, souligné des paragraphes. Il se dit, qu'il se doit, ici de les reprendre, pour la saveur et le savoir :

" Le dessert est sur la table. Un fruit généralement, qu'il pèle patiemment. On fume en prenant le café préparé dans une cafetière à l'italienne. Lui, un havane de taille moyenne, et moi des Camel à bout filtre. On bavarde encore, car c'est à ce moment-là que nous reviennent les choses à se dire qu'on avait oubliées. Caféine et nicotine induisent ces réminiscences. Tout est soudain serein, comme si le monde était fait pour finir par " un bon cigare " et dans la fumée bleue qui s'exhale en volutes de nos corps. Ces rappels sont brefs, jamais très nombreux, mais ce sont généralement de " bonnes nouvelles ". Il m'annonce qu'il a eu des places pour tel concert ou bien c'est moi qui en ai pris pour l'Opéra, je suis sur le point de terminer l'article " Oral/Écrit " qu'il ma chargé d'écrire pour l'Encyclopédia Eïnaudi et qu'il doit cosigner, il me propose de m'emmener au Maroc pour les vacances de Pâques ( nous n'irons pas ), un groupe de chercheurs américains est en train de développer un programme informatique sur la base des cinq codes de lecture forgées pour S/Z ( les débuts de l'hypertexte dont Barthes, sans le savoir, serait l'inventeur...) " (2)

" Je me suis vite rendu compte qu'entre Barthes et sa mère s'était nouée une relation trés particulière qu'on aurait pu réduire à la simple généralité oedipienne, ou à celle plus stéréotypée, et plus vulgaire encore, de l'homosexuel vivant avec sa mère. C'était la relation de deux individus dont le lien de maternité ou de filialité avait été comme débordé par un amour totalement personnel, d'une grande autonomie et d'une grande plénitude dans les contenus imaginaires qu'elle déployait... " (2)

Il a poursuivi la lecture où il l'avait suspendue dans la nuit :

" Que dit le maître au disciple pour susciter ainsi chez lui ce désir de savoir, ce désir de penser ? Il lui dit tout simplement : " Tu peux penser ". " (2)

" Peu à peu je me suis convaincu que Barthes aimait son ennui. Qu'il aimait interrompre longuement toute communication et peu à peu chuter dans le neutre comme dans une sorte de coma public.
J'aimais penser que cet amour de l'ennui, ou du moins cet art ascétique de l'ennui qui absorbait son énergie vitale, était né avec la cure de silence qu'il avait faite lors de son séjour à Saint-Hilaire pendant sa tuberculose. Je me disais que cette étrange cure, dont je n'ai jamais su exactement le protocole et la motivation thérapeutique, avait été comme originaire dans cette habitude prise à s'ennuyer. Une habitude au sens de Proust, comme l'habitude du baiser maternel. " (2)

" Parfois nous parlions d'amour et il fallait répondre à la question : " Qu'est-ce que faire l'amour ? " Quand ce fut mon tour, je répondis, je ne sais pourquoi : " C'est l'étreinte. " Et Barthes ajouta : " C'est ça. C'est tout à fait ça. " (2)

Il a refermé le livre, et il s'est dit, et pour moi, " Qu'est-ce que faire l'amour ? " : " C'est voir, c'est écouter, c'est être éternellement dans l'Instant. " mais aussi : " C'est écrire sur un corps aimé le plus beau des romans. " ou encore : " C'est offrir au corps aimé une musique de la Joie. " Il s'est dit qu'il reviendrait dans quelques mois, dans le cimetière du village et déposerait ses petits cailloux sur la pierre grise et blanche.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Le corps pluriel / Roland Barthes par Roland Barthes / Écrivains de toujours / Seuil / 6 août 1973 - 3 septembre 1974
(2) Roland Barthes le métier d'écrire / Eric Marty / Fictions & Cie / Seuil
(3) Esquisses du Bonheur

mercredi 9 décembre 2009

Le Paradis de la Vie (4)



" Qui une fois, Lisi, a su vous regarder
Et qui est parvenu à vous connaître,
Mérite de pouvoir vivre sans vous voir,
Et de ne pas mourir s'il a su vous aimer.

Il n'a pas su vous voir, ni ne saura vous estimer
Qui d'avantage désire voir ces étoiles ;
Et qui vous vit une fois, ose vous offenser
S'il essaye encore de vous contempler.

Ces feux d'amour, riches et avares,
Ou bien ceux du ciel n'en sont que des flammèches,
De moindre ardeur, même si moins rares,

Ou Nature réunit dans vos yeux
Les étoiles, ou vos lumières claires elle répandit
Dans le ciel pour les créer. " (1)

Qui une fois vous a aimé,
Peut embrasser le Paradis - et disparaître sur l'Instant.
Qui une fois vous a vu,
Peut se glisser dans le mouvement du Temps - et s'en détacher.
Qui une fois vous a perdu,
Doit écrire - " il cherchait l'Or du Temps ".

Disparition du corps :
" Il tourne dans la nuit
Et se laisse consumer par les flammes ".
Naissance d'un regard :
Il embrasse le verbe du silence.

" Ai tant amat de viure
dins lis augas alabras
de ta planeta
quora ta pèu bluia
que de la mar s'enauçava
me subrondava d'una brefonià
de desirs

Ame tant de viure
de tu " (2)

" J'ai tant aimé vivre
dans le plancton vorace
de ta destinée
quand ta peau bleue
surgissant de la mer
me submergeait d'une tempête
de désirs

J'aime tant vivre
de toi " (2)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Sonnets amoureux / Francisco de Quevedo / traduct. Frédéric Magne / La Délirante
(2) Saume dins lou vént / Psaume dans le vent / Serge Bec / la cardère

mardi 8 décembre 2009

Propos Intempestifs (4)

" Avoir frôlé toutes les formes de réussite, y compris la réussite. " (1)

Ne garder que la vibration d'une voix, la beauté d'un visage, la grâce d'un sourire.

Contre la souffrance, le vaccin du silence.

Vieillir, c'est perdre patience.

Ecrire, pour ne pas perdre la vue.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Aveux et Anathèmes / E. M. Cioran / Oeuvres / Quarto Gallimard

lundi 7 décembre 2009

La Courbe du Temps (61)



" Avivant un agréable goût d'encre de Chine une poudre noire pleut doucement sur ma veillée. - Je baisse les feux du lustre, je me jette sur le lit, et tourné du côté de l'ombre je vous vois, mes filles ! mes reines ! " (1)

Il se dit, c'est cette voix qui délivre, sauve, enchante, illumine, se faufile sous sa peau, embrasse son coeur. Cette voix pense-t-il, est celle de l'Eclat du Temps. L'Eclat du Temps, c'est un soleil qui se lève sur le Fleuve et sous les arbres, et offre de l'or à son regard.
C'est aussi se dit-il, une musique de Bach qui effleure sa joue.
Cette voix ouvre une autre brèche où il s'engouffre. Cette voix, il la prend par la main.

" A la longue, la main qui écrit vient d'un autre corps qui enveloppe et comprend le corps, ses déplacements, sa flexibilité, ses respirations, ses courbures, ses oublis, ses mise à distance. " (2)

La voix dans sa main, il traverse la ville blanche dans le noir de décembre. Le froid saisit son regard, le fixe, et c'est face au Fleuve et sous les arbres qu'il s'ouvre à son tour. Comment ouvrir le regard ? c'est la question qu'il se pose en cette nuit des étoiles. Le regard, une brèche où se glisse la voix. Il ajoute, " la voix est la musique du regard ", mais aussi, " sa voix est une phrase sur le point de naître ", " c'est un écho de la vibration de sa peau ", et encore, " c'est en écoutant que l'on voit ", " entendre c'est embrasser ", et " cette voix conduit au Paradis ".

" Je demande à Mara trois syllabes. Elles les prononce. C'est parti.
Couchée sur le dos, Mara regarde les syllabes rouler entre ses seins. Elles descendent jusqu'au nombril, vont mouiller son pubis. Entre ses jambes, les syllabes se multiplient. De chaque syllabe fleurissent, comme des pétales, de nouvelles syllabes. Entrecroisées dans l'air au-dessus du corps de Mara qui ferme les yeux, les syllabes s'élèvent ; elles forment des phrases, un nuage de phrases légères qui, brusquement, filent vers la Seine, où elles se frottent à l'écume. Elles rebondissent à la vague, et reviennent lécher les épaules de Mara, sa bouche, les pointes de ses seins. " (3)

Il a passé la nuit sur le muret de pierre. Dans les éclats des eaux du Fleuve, il a vu ceux de la voix, il s'est dit, cette voix résonne et transforme à chaque minute les couleurs du Fleuve. Ces couleurs sont celles de la danseuse rouge qui s'est ici offerte à son regard. Alors il a pensé, cette Courbe du Temps ouverte par la danseuse rouge des bords du Fleuve et sous les arbres, s'entend et se voit dans sa voix, une voix qui devient courbe, et dans cette courbe, il se glisse.
Le glissement du corps dans le Temps est une manière de résurrection, c'est ce qu'il note au matin sur son écritoire, et cet écritoire résonne dans le jour qui se lève d'une voix qui est un corps en mouvement, et ce mouvement est un roman qui s'écrit à chaque seconde dans les déplacement des corps.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Illuminations / Phrases / Arthur Rimbaud / Oeuvres complètes / 1972 / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard
(2) Le Secret / Philippe Sollers / Gallimard
(3) Évoluer parmi les avalanches / Yannick Haenel / L'Infini / Gallimard

samedi 5 décembre 2009

La Courbe du Temps (60)





" Yasaka. Jasmin, fontaine, petits ponts, arbres, taiko (tambour) au lointain.
La forme des arbres. Ombres bleues, pleine lune.
Héron blanc gracile et lourd corbeau noir, coups de becs du héron au corbeau.
Papillon jaune clair voletant sur fond de bambou vert. " (1)

Le ciel s'assombrit.
Il a noué son écharpe de cachemire noir, traversé la place Saint Pierre, en silence franchi le porche de l'église. Personne. L'heure semble-t-il n'est pas à la prière pour les hommes de peu de joie. Il s'est assis sur un banc dans le fond de cette machine à embrasser le Verbe et le Temps, et laissé son regard filer entre les pierres blanches.
Il s'est dit, " le silence ouvre une brèche ", c'est cela la Courbe du Temps. Il s'est dit aussi, " là, je traverse d'un regard les plaines et les montagnes d'un pays vif et éblouissant ", " je voyage dans le Temps apaisé et doux d'un regard ", " je suis saisi par un mouvement que seul je peux entendre ", " je suis dans l'immortalité d'une phrase ". Cette phrase, elle s'est glissée sous sa peau, la phrase de la danseuse rouge des bords du Fleuve et sous les Arbres, phrase magique qui transforme les mots en or. " L'or des mots naît de ses lèvres " a-t-il pensé, " l'or de son corps est tout entier contenu dans cette phrase ", mais aussi, " j'ai trouvé l'or du Temps dans son sourire ", cette phrase qui ne le quitte plus, c'est l'or de la joie.
Il s'est dit, c'est une rose qui s'est dessinée entre ses seins, j'y pose mes lèvres et une nouvelle brèche s'ouvre. C'est un bouton d'or qui s'est glissé sous son épaule, un coquelicot sur ses cuisses, une aubépine sur ses fesses, une clématite blanche sur son ventre, une glycine bleu violacée sur sa bouche, un oeillet sur sa main, une tulipe jaune derrière son oreille, un myosotis sur son sexe.
Toutes ces fleurs dans mon regard, dans l'oeil de la Courbe du Temps, c'est ce qu'il écrit face à un bouquet de résédas.



" Les fleurs ont, paraît-il, des intentions amoureuses. Il suffit de les faire parler ( et, même si ce n'est pas le cas, le récipendiaire des fleurs est une femme ). Voici comment on s'exprimait au dix-neuvième siècle :

Acacia, blanc ou rosé, désir de plaire.
Amandier, douceur, bonté.
Amarante, rouge brun, amour durable, rien ne pourra me lasser.
Aubépine, prudence, restons discrets, cachons notre amour.
Azalée, bleu ou rose, joie d'aimer, heureux de vous aimer, heureux d'être aimé.
Bouton d'or, joie d'aimer.
Camélia rouge ou rose, fidélité, je vous trouve la plus belle, je suis fier de votre amour.
Clématite blanche, désir, j'espère vous toucher.
Coquelicot, ardeur fragile, aimons-nous au plus tôt.
Cyclamen rouge, jalousie, votre beauté me désespère.
Dahlia, reconnaissance, merci, merci.
Gardénia blanc, sincérité.
Genêt, préférence.
Géranium, sentiments.
Giroflée rouge brun, jaune feu, constance, je vous aime de plus en plus.
Glaïeul rose ou orange, rendez-vous, le glaïeul au centre d'un bouquet indique, par le nombre de fleurs, l'heure de la rencontre ( tout cela avant le téléphone, le portable, et pour déjouer les interceptions postales ).
Glycine bleu violacé, tendresse.
Hortensia, caprice.
Iris, coeur tendre.
Jacinthe, joie du coeur.
Jasmin, amour voluptueux.
Laurier-rose, triomphe.
Lilas, amitié.
Lys, pureté.
Marguerite, extrême confiance.
Myosotis, souvenir fidèle.
Narcisse, froideur.
Mimosa, sécurité, personne ne sait que je vous aime.
Oeillet, admiration.
Orchidée, ferveur ( et même beaucoup plus ).
Pavot, désigne l'heure, et complète la signification des glaïeuls ( usage inconnu en Afghanistan )
Pensée, affection.
Pervenche, mélancolie.
Pétunia, obstacle, indiscrétion, surveillance.
Pivoine, vigilance, mon amour veille sur vous, veillez sur vous.
Réséda, tendresse.
Rose, amour, rose blanche : soupir, rose rose : serment, rose thé : galanterie, rose rouge vif , passion.
Scabieuse, tristesse.
Tulipe, toutes couleurs, déclaration d'amour.
Violette, amour caché, clandestinité, secret, ambiguïté sexuelle, unisexualité, et. " (2)

Le ciel s'éclaire.
Il est assis face au Fleuve et sous les arbres dans le silence de l'hiver, il a ouvert le livre, il voit sous les lignes ses deux mains qui se croisent et se décroisent et qui font vibrer la phrase. Il se dit, cette phrase est un bouquet de Myosotis.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Poussière d'or / Marc Dachy / L'Infini n° 105 - Hiver 2008 / Gallimard
(2) Fleurs / Philippe Sollers / Hermann Littérature

jeudi 3 décembre 2009

Je Crois (2)

Je crois à la transparence d'un regard.
Je crois à la beauté d'un mouvement.
Je crois à la nécessité d'un baiser.
Je crois aux éclats du Temps.
Je crois à mes fidélités.
Je crois à mes attentions.
Je crois que l'élégance est un combat.
Je crois que vivre délivre.
Je crois qu'aimer est une grâce.
Je crois Vivaldi vivant.



Je crois que les mots sont des offrandes.
Je crois que les caresses sont des mots.
Je crois à l'éblouissement des sentiments.
Je crois à l'absence lumineuse.
Je crois à la tendresse éclatante.
Je crois au verbe qui se fait jouissance.
Je crois à la jouissance qui se fait mot.
Je crois à la puissance des fleurs.
Je crois qu'un regard est une offrande.
Je crois à l'infidélité fidèle.
Je crois Scarlatti là.





Je crois à la protection des fées.
Je crois aux baisers des déesses.
Je crois à l'art de la courtoisie.
Je crois que lire délivre.
Je crois que vivre aide à lire.
Je crois que la poésie est un corps qui s'offre.
Je crois à l'insouciance.
Je crois Matisse heureux.
Je crois dans l'offrande d'un sourire.
Je crois au bonheur d'être embrassé.
Je crois aux nuits éclairées.
Je crois à la générosité de l'oubli.
Je crois au bonheur d'un silence.
Je crois à la joie d'un corps heureux.
Je crois...

A suivre

Philippe Chauché

mercredi 2 décembre 2009

Je Crois

Je crois dans la clarté des mots.
Je crois dans les éclairs de la peau.
Je crois dans la lumière d'un regard.
Je crois dans la douceur d'une absence.
Je crois dans le verbe qui se fait chair.
Je crois que la jouissance tétanise le diable.
Je crois dans l'odeur des livres.
Je crois dans le miracle du vin.
Je crois dans ce que je suis.
Je crois dans le bleu du ciel.
Je crois dans la Joie de la Musique.



Je crois que le Temps est imminent.
Je crois que la beauté sauve.
Je crois qu'aimer c'est offrir l'immortalité.
Je crois que le silence est une offrande.
Je crois que la parole est une fleur.
Je crois que le corps des femmes est un Paradis.
Je crois que tout vient à qui ne sait pas attendre.
Je crois que la tendresse fait fleurir les mains.
Je crois que la poésie aide à aimer.
Je crois qu'aimer est une musique.
Je crois Picasso vivant.
Je crois à l'immortalité d'un sourire.
Je crois à l'éternité des corps mêlés.
Je crois à ce que j'étais.
Je crois à ce que je deviens.
Je crois que la mort me fuit.
Je crois qu'aimer c'est peindre.
Je crois à la Courbe du Temps.
Je crois à la douceur du vent.
Je crois à la passion de la soie.
Je crois à l'Instant.
Je crois...

à suivre

Philippe Chauché

mardi 1 décembre 2009

La Courbe du Temps (59)



L'Instant est bleu, et dans le bleu du ciel, il écoute Mozart. Le Quintet pour clarinette (1), non se ravise-t-il sur l'instant, c'est Mozart qui m'écoute, la musique écoute celui qui l'écoute, de même que la peinture regarde celui qui la regarde, il suffit de le savoir et tout est transformé.

L'Instant flamboie, et dans ce flamboiement de l'Instant : Mozart. Allegro, Larghetto, Menuetto, Allegro con variazioni, et les éclats de vie vive prolongent sa vue. Mozart toujours, comme un baiser embrase mes mots, Mozart au centre du corps musical. Un corps peut-il être autre chose ?

Il laisse le jour décliner sur sa tour des délices. Il se dit que la danseuse rouge des bords du Fleuve et sous les arbres séduirait Mozart. Il se dit aussi, que ses mains qui se croisent et se décroisent dans le bleu de l'automne, ressemblent au diamant d'une clarinette. Il ajoute, la Courbe du Temps vient aussi de la musique de Mozart. Mozart, permanence du Temps Présent. Il le voit nettement dans le bleu du ciel et le rouge qui embrasse la cheminée de brique qui prolonge sa vision fleurie par le Kegelstatt-Trio. Il écrit aussi, c'est dans la musique que j'embrase son regard.





" ... Plus de lendemain,
Braises de satin,
Votre ardeur
Est le devoir.

Elle est retrouvée !
- Quoi ? - l'Eternité,
C'est la mer mêlée
Au soleil. " (2)




L'Instant est passé du bleu soutenu à un bleu plus lointain, la musique l'écoute, dans une intensité éclatante. Il sourit au mouvement du Temps, celui de la musique de Mozart, et de la danseuse rouge.
Il fait sien le saisissement de la note et du verbe.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Wolfang A. Mozart / Clarinet Quintet, Kegelstatt-trio, Adagio et Fugue / Michel Portal - Jean-Claude Pennetier - Quatuor Ysaÿe / Ysaÿe Records
(2) Une saison en enfer / Arthur Rimbaud / Oeuvres complètes / Bibliothèque de la Péliade / Gallimard / 1972

lundi 30 novembre 2009

La Musique Seule (2)



Demain ces traces disparaîtront dans le flot pornographique dominant,
Demain cette musique ne sera plus écoutée que par quelques scissionnistes solitaires,
Demain plus personne ne saura qui fût ce musicien, (1)
Demain la musique s'écoutera dans les musées, comme elle s'écoute aujourd'hui dans les boutiques,

Demain le mauvais goût sera langage commun.

Demain la joie de l'amour sera oubliée,
Demain les corps ignoreront la jouissance partagée de l'Instant,
Demain la joie des mots sera engloutie,
Demain la joie des livres sera consumée par la nuit.


Aujourd'hui le rayonnement du Temps est un acte de résistance invisible, aujourd'hui nos regards dénouent la mort, aujourd'hui nous savons que ce sont les fées qui nous sauvent, aujourd'hui la musique accompagne nos silences et nos méditations sur les seins de nos aimées.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Scott Ross / Diapason du mois de décembre consacre quelques belles pages à ce musicien du Temps

dimanche 29 novembre 2009

Identité Nationale

" Tant d'ombres, pour tromper tant de regards ! " (1)

Identité Nationale : une certaine idée de la littérature - Cervantès, Montaigne,  Vivant Denon, Voltaire, Proust, André Breton, Hemingway, Beckett, Joyce, Ponge...
Identité Nationale : une certaine idée de la poésie - Dante, Hölderlin, Rimbaud, Claudel, Manciet...
Identité Nationale : une certaine idée de la musique - Rameau, Couperin, Bach, Frescobaldi, Mozart, Vivaldi, Parker, Monk, Miles Davis, Bill Evans, Jarret...
Identité Nationale : une certaine idée de la peinture - Fragonard, Courbet, Cézanne, Matisse, Picasso...
Identité Nationale : une certaine idée du politique - Baldassar Castiglione, Baltasar Gracian y Moralès...
Identité Nationale : une certaine idée de la géographie - Bordeaux, Séville, Madrid, Venise, Paris, Avignon...
Identité Nationale : une certaine idée du retrait - " Je prends le monde tel que je suis. " (2)
Identité Nationale : une certaine idée du doute.
Identité Nationale : une certaine idée du silence des étrangers.
Identité Nationale : une certaine idée du style - " Épurer par dignité, styliser par noblesse, esthétiser par pudeur. " (3)
Identité Nationale : être étranger aux peurs françaises.
Identité Nationale : bleu, blanc, rouge - des fleurs.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Dictionnaire du mensonge / Pio Rossi / traduct. Muriel Gallot / Éditions Allia
(2) Mes inscriptions / Louis Scutenaire / Éditions Allia
(3) Commérages / Esnaola / Distance

Seins (2)



" C'est quand on les saisit par derrière que les seins donnent la sensation d'être le plus grands. Quand on les surprend ainsi et qu'on les presse, on devine leur aspiration, on les sent tirer, tirer en avant, s'échapper, se tendre, saillir. C'est de cette façon seulement, en les prenant par derrière, qu'on les confond et qu'on les devine : car, sans même le vouloir, quand ils sont surpris de face, ils se rétractent un peu, se retirent dans leur coquille, se blottissent... Oh, cette chasse défendue qui consiste à les saisir tout à coup par derrière ! Comme ils s'y livrent, pareils à une femme à qui on met par surprise les deux mains sur les yeux ! Ils croient que c'est l'Idéal qui les saisit ainsi, et ils se dilatent de plaisir. " (1)

L'été les seins vous dévisagent.
L'hiver les seins sont en suspension.

Ses seins avaient un parfum de tabac indien.

Les seins des montagnardes sont des paratonnerres.

Les seins des andalouses se couvrent de mantilles le vendredi sein.

C'est à dessein qu'il embrassait ses seins le matin.

Seule la seinteté conduit au Paradis.



" Odeur des cuisses brunes, douce odeur des seins blonds. " (2)

Ses seins indiquaient le Sud lorsqu'il les caressait.
La nuit les seins sont des étoiles filantes.
Lorsque son sein gauche dort, le droit veille.
Elle offrait ses seins comme l'on ouvre un livre.

La soie est la partition des seins.

" Brûler, puis éclairer. " (3)

Son identité nationale : une double seinteté.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Variétés et observations / Seins / Ramon Gomez de la Serna / traduct. Jean Cassou, Valery Larbaud et Mathilde Pomès / Ryôan-ji / André Dimanche Éditeur
(2) Louis Scutenaire / Mes Inscriptions 1943-1944 / Éditions Allia
(3) Nouvelles Pensées de l'Amazone / Natalie Clifford Barney / Éditions Ivréa

samedi 28 novembre 2009

Seins




" Les seins sous la clarté lunaire sont comme gonflés de quelque chose de plus blanc que ce lait qui suinte de certaines tiges coupées, de quelque chose de plus blanc que la lune, de quelque chose qui n'est plus ce qu'ils ont pris à la lune, exactement comme ce qu'il y a dans le miel n'est plus ce qu'il y avait dans les fleurs... O miel de lune ! " (1)

Les seins du matin ont souvent l'éclat d'une rose qui sommeille.
Les seins du jour sont parfois ravis qu'on les admire.
Les seins du soir se réveillent enfin, et chantent sous nos baisers.
Les seins de la nuit nous transforment en musiciens.
Les seins du sommeil rêvent du jour et du soir.

Nous ne devrions jamais oublier les seins embrassés.
Chaque sein touché est un miracle avéré.
C'est parce qu'ils vont par deux, que les seins savent si bien danser.
Les seins aimés sont des seins sauvés.

Dans la Bible c'est de seinteté qu'il s'agit.
Chaque prière est une adresse aux seins.

Je donne ma langue au sein ! me dit l'enfant en riant.

Les seins nous apprennent à lire et à écrire.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Variétés et observations / Seins / Ramon Gomez de la Serna / traduct. Jean Cassou, Valery Larbaud et Mathilde Pomès / Ryôan-ji / André Dimanche Éditeur

vendredi 27 novembre 2009

Le Paradis de la Vie (2)



Le visage lui est apparu, net, clair, éclatant. Il l'a fixé longuement avant que la nuit ne l'efface. Le visage est resté imprimé dans son regard, sur sa peau, il est ce Paradis de la Vie.
Le visage, il le regarde, et laisse ses éclats se glisser sur sa peau, s'y poser comme un baiser de déesse, comme une sonate pour flûte et clavecin de Jean-Sébastien Bach. C'est un saisissement, et ce saisissement ouvre les portes du Temps présent, passé et futur, c'est ce qu'il se dit.
Le visage de la femme embrasse son épaule, il écoute la flûte et le clavecin, les deux jeunes hommes sont en accord parfait avec le vieux Bach (1), la main de la femme se pose sur sa joue, il ferme les yeux et accompagne cet éblouissement, rien ne m'est plus nécessaire, pense-t-il, que la musique de Bach, le regard de la femme s'est fondu dans le ciel bleu grisé, il ne fermera plus jamais les yeux, c'est ce qu'il écrit dans l'hiver qui le saisit, il ajoute, le Paradis de la Vie est né des nuances de son visage.



Il n'a pas ouvert un livre depuis dix jours, et se laisse envelopper par leur présence. Il pense que les livres sont un Fleuve et des arbres, et que son seul regard les fait vivre, il ajoute que le visage des femmes enflamme les livres, que leurs mains les enluminent, mais aussi, que dans son regard il lit tous les livres qui font chanceler son lit. Il pense aussi que le Paradis de la Vie traverse son corps, comme un regard qui reçoit la vie d'un dessin de Matisse. Il se dit qu'il lit à travers sa peau, les livres qu'il n'a jamais écrit, mais aussi que son seul visage est une bibliothèque de Nag Hammadi, que son corps connaît enfin la résurrection de la vie. Il la regarde dormir et se dit, le monde appartient aux hommes qui savent ainsi les regarder. Le plus légèrement du monde il dépose un baiser sur son épaule adorée. Sa respiration s'imprime sur ses lèvres, il lui sourit, et il sait qu'elle le voit dans sa nuit qui est un jour permanent et joyeux, il se dit alors, " toutes tes nuits ma douce amie seront ainsi aimées, c'est ce que je te souhaite. "

" Jésus a dit : " Si la chair est advenue à cause de l'esprit, merveille ! Si c'est l'esprit à cause du corps, merveille des merveilles ! " (2)

Il est sorti en chemise dans la rue, il ne sentait rien, il a même un peu remonté les manches sur ses avant bras, il ne sentait rien. Il a alors pris la rue de la Synagogue, tout était silence, tout était douceur en ce mois de novembre. Une étoile a traversé le ciel, et son éclat s'est figé dans son regard. Il s'est dit, c'est ainsi que les déesses s'invitent. Il a poursuivi son chemin, traversé la place Saint Pierre, les pavés s'ouvraient sous ses pieds, il a posé sa main sur la pierre blanche de l'église, y laissant sa marque, comme il l'avait laissée son épaule ronde lorsqu'elle dormait dans les éclats du Paradis de la Vie. Il est resté longtemps face à l'église. Une larme a glissé sur sa joue. C'est une larme de joie, s'est-il dit, une larme de vie, laissons les larmes de mort aux morts.

" La chambre était colorée de gris lilas. Clarine, allongée sur le lit, écartait ses jambes. Elle souriait : " Qu'est-ce que tu vas lui faire à ma chatte ? " Je me suis approché, je l'ai contemplée en tenant ses jambes bien haut ; le petit bracelet d'émeraudes cliquetait au-dessus de ma tête. J'ai dit : " Je crois que tu as une chatte heureuse. " Oui, a dit Clarine, ma chatte, elle est très douée pour le bonheur. La beauté fauve, presque rousse, la beauté renarde de sa chatte vibrait dans la nuit. " (3)

Dans la nuit tout était là, net, clair et éclatant. Il s'est dit, je peux encore marcher des années, les déesses heureuses me protègent.


à suivre

Philippe Chauché

(1) Bach / Complete Chamber Music for Flute / Jed Wentz - Michaël Borgstede / Brillant Classics
(2) Évangile selon Thomas / Ecrits gnostiques / La bibliothèque de Nag Hammadi / traduct. Jean-Marie Sevrin / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard
(3) Cercle / Yannick Haenel / L'Infini / Gallimard

jeudi 26 novembre 2009

Le Paradis de la Vie



Il regarde ce visage, et il se dit, c'est dans le visage des femmes que nous renaissons. Un miracle. Une diffraction du Temps. Il écrit, c'est par le visage des femmes que nous ressuscitons, la plus belle des évidences du monde.
L'aurions-nous oublié ? Serions-nous devenus aveugles ? Sourds ?
Il ajoute :
L'éclat d'un visage amoureux délivre du mal, ouvre sur le Temps de l'Instant. L'éclat d'une peau est une musique qu'il faut savoir entendre.
L'explosion de la vie qui s'en dégage détourne de la mort.

Il écrit enfin, lorsque la mort s'invite, laissez dériver votre regard sur ce visage, il vous ouvrira les portes du Paradis de la Vie.

" Les héritiers des morts sont eux-mêmes morts et c'est des morts qu'ils héritent. Les héritiers du vivant sont eux-mêmes vivants et ils héritent du vivant et des morts. Les morts n'héritent de personne. Comment en effet celui qui est mort pourrait-il hériter ? Le mort, s'il héritait du vivant, ne mourrait pas, mais c'est bien davantage qu'il vivrait, le mort. " (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Evangile selon Philippe / Écrits gnostiques / La bibliothèque de Nag Hammadi / traduct. Louis Painchaud / Bibliothèque de la Pléiade / Gallilmard



"

lundi 23 novembre 2009

Matins d'Automne




" La rivière de ce soir est lisse et calme,
Les fleurs du printemps s'épanouissent.
Le courant emporte la lune,
La marée ramène les étoiles. (1)

Je lui offre les éclats du matin d'automne.
La douceur du Temps.
Le mouvement du regard.
Que mille fleurs l'accompagnent.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Fleurs et clair de lune sur la rivière du printemps / L'empereur Yang 605-617 / La poésie chinoise / traduct. Patricia Guillermaz / Pierre Seghers Éditeur / Club des Libraires de France

samedi 21 novembre 2009

La Courbe du Temps (58)




Il a traversé la nuit dans la ville blanche, s'est assis face au Fleuve, et s'est glissé dans l'absence.
La lune glaçait ses yeux.
Il a déposé le livre sur le muret de pierre, puis il s'est levé.
Il n'a croisé personne dans les rues aux vierges perchées.
La nuit s'est écoulée.
Au matin, il a une dernière fois regardé son visage brisé.
Il tremblait.
Il a cacheté la lettre et s'est noyé dans le jour.




à suivre

Philippe Chauché

mardi 17 novembre 2009

Le Temps du Silence (2)

" Les coquillages porteurs de perles ne doivent s'ouvrir que pour recevoir la rosée du ciel. " (1)

Lire : se laisser transpercer par les phrases.
Écrire : porter haut le Temps et ses Instants.
Aimer : apprivoiser le silence.
Voir : s'accorder aux chants d'un visage.
Sourire : espace entre deux visions.
Main : offrande aux déesses.
Musique : le Temps d'aimer.
Joie : fleur du regard.
Femme : miracle absolu.
Silence : éclats du sommeil.
Baiser : caligraphie à l'encre sympathique.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Dictionnaire du mensonge / Pio Rossi / traduct. Muriel Gallot / Éditions Allia

lundi 16 novembre 2009

Le Lieu de la Vie



" Un livre exposant sans arrêt l'opération qui le constitue ressemble à ce que les gnostiques appellent le " Lieu de la vie " : sans cesse, il recroise son commencement et sa fin. D'ailleurs le " Lieu " des gnostiques est par excellence celui où se tient la parole, et qu'un appel requiert chaque être humain à rejoindre. " (1)

" Un corps qui expose dans chacun de ses gestes l'opération qui le constitue ressemble à la Courbe du Temps, il ne peut ouvrir que sur une brèche que nous nommerons le Paradis, sur un autre art d'être au monde dans la vibration des mots transcendés en chair. " C'est ce qu'il écrit. Il ajoute : " Un corps qui ne parle pas est un corps mort, un corps qui triche est un corps destiné aux enfers, un corps qui ne s'offre pas est un corps en décomposition, un corps qui n'aime pas est un corps perdu. " Mais aussi : " Mes mots m'ont perdu. "

Et pourtant :

" Bouche, mère des paroles, origine des baisers ; théâtre qui possède des guirlandes de rubis, des portes de corail éclatant, des colliers de perles candides, des rideaux de pourpre naturelle, des rues de roses animées : où, amusées, passent les Grâces ; le rire y tient séjour. " (2)

Il se dit enfin : " Les corps sauvent les corps, les mots sauvent les phrases, les sourires la palpitation des couleurs, la douceur vagabonde des préludes de la douleur. "

à suivre
Philippe Chauché


(1) Prélude à la délivrance / Yannick Haenel - François Meyronnis / L'Infini / Gallimard
(2) Dictionnaire du mensonge / Pio Rossi / traduc. Muriel Gallot / Éditions Allia

Propos de Novembre

" Je sais pourquoi je jouis. Je sais pourquoi je ne mourrai pas. Parce que je est qui je sera. Arrivé là, on sort enfin de la religion, sans quoi, rien à faire. " (1)

Non, c'est écrit.
Il pensait lire Oui.
Mais le Non l'emporte.
Sorcellerie ?

Oui, elle dit.
Il n'en revient pas
Du Oui dit !
Miracle ?

Instants.
Tendons tendus.
Verbe juste.
Silences sur la peau.

En permanence,
Vérifier ses doutes,
Ses emportements,
Ses mots et ses gestes.
Pour mieux se taire.

Faire de la nuit
Un jour nouveau.
Et du jour une nuit blanche.

Parler.
Pour tout dire.
Ou se taire
Pour aimer ?

D'ou vient le bonheur ?
D'une voix.
D'une peau.
D'un silence.
D'une absence ?

Félicité :
Ce qu'elle offre.

à suivre

Philippe Chauché


(1)Je sais pourquoi je jouis / Philippe Sollers / Tel Quel / n°90 Hiver 1981 / Éditions du Seuil

dimanche 15 novembre 2009

La Courbe du Temps (57)



" Ah ! Viens, viens ma daine ravissante, ne fût-ce dans un rêve. Donne-toi, ne fût-ce, dans un doux discours. Quelques mots suffiraient à éteindre la luisante fournaise qui me consume. Ah ! Viens, viens à moi, ne fût-ce dans le rêve ; comble-moi, ne fût-ce de ton salut. Car tes paroles, si rares soient-elles, désaltèrent la soif du soupirant. " (1)

Nous y voici, lui dit-il, la néfaste organisation générale poursuit sa destruction programmée, les corps ne sont pas épargnés, pourquoi d'ailleurs le seraient-ils, ni les âmes libres, les sensualistes, les intemporels, ou encore les déesses, les fées, les musiciens, les écrivains, les individualistes joyeux, les amoureux invisibles du Temps, les amants heureux, les peintres, et tous ceux dont l'art de vivre est un danger pour les gardiens du temple social. Nous devons cher ami perfectionner notre art de la guerre, nous avons des alliés anciens vous le savez, ils suffit d'y penser, c'est simple et très efficace. Leurs noms, ces astres vifs et vivants, ils rêvent à jamais de les rayer des encyclopédies et des dictionnaires, de laisser leurs livres moisir dans leurs coffres contaminés. Tout cela ne m'effraie pas, je dois même vous dire cher complice, que j'en suis amusé, leur médiocrité cancérigène finira n'en doutez pas, par les diffracter. Profitons de ce moment pour célébrer leur défaite qui n'en doutez pas est proche. C'est ce qu'il lui dit, en levant sa coupe de champagne. Tenez j'ai pour vous, un livre qui paraît-il n'est plus d'actualité. L'auteur est un allié. Lisez, vous comprendrez.

" Nous parlons peu, sauf la langue codée de l'acte lui-même ( on s'accorde vite là-dessus, ou pas ). Je me rajeunis, elle se rassure. On finit en riant, et c'est l'essentiel. " (2)

" Je me concentre sur le mot "mot". Je le vois là-bas, dans la ligne mire. Il respire un peu, il grandit, c'est lui que je vise, que je veux toucher et trouer. MOT. Avec une lettre de plus, c'est MORT. En anglais, ça ferait WORD et WORLD. Je tire sur la mort, je tire sur le monde. Petite plaisanterie, mais qui fait du bien. Ma voisine de stand, Viva, me félicite d'avoir mis dans le mille. Je ne sais rien de ses activités, ni elle des miennes. On se sourit, ça suffit. " (2)

Ils se sont séparés la nuit venant. Il a traversé la place où s'agitaient quelques touristes égarés, descendu la ruelle qui serpente jusqu'au Fleuve et sous les Arbres. La nuit s'annonçait claire et douce. Il s'est assis armé du livre, sur la murette d'où il avait aperçu pour la première fois la danseuse rouge dans les éclats de la lune. Là dans le silence il n'a pensé à rien, à rien d'autre qu'aux éblouissements de la Courbe du Temps qui, s'il les connaissait, rassurerait définitivement le scissionniste du café, ils sont une arme redoutable pensa-t-il, une arme de vie contre la mort dominante, une arme de joie, de bonheur, de jouissance, de corps dansant, de peau flamboyante, de verbe rayonnant. Il fixe longuement les eaux du Fleuve, et laisse le gris et le noir se glisser sous sa peau. Sur son petit carnet noir, il note : " elle s'est endormie dans mes bras, j'ai écouté son rythme, sa musique intérieure, sa mélodie de la nuit, son visage qui glissait dans l'aventure du sommeil, je ne bougeais pas, et cela pouvait durer toute la nuit, toute une vie. ", il ajoute : " Elle s'est envolée dans la nuit, encore bercée par sa nuit que j'ai accompagné de mon silence, elle s'est envolée... " Il a passé la nuit sur les bords du Fleuve, il faisait un peu froid, il ne sentait rien, pas un bruit pour troubler cette méditation marine, pas un mot. Au matin, il a emprunté à nouveau la rue qui serpente, seul avec la pensée du rythme de son sommeil. Il s'est dit, " la Courbe du Temps s'est envolée ce matin ".

" A la pointe de la découverte, de l'instant où pour les premiers navigateurs une nouvelle terre fut en vue à celui où ils mirent le pied sur la côte, de l'instant où tel savant put se convaincre qu'il venait d'être témoin d'un phénomène jusqu'à lui inconnu à celui où il commença à mesurer la portée de son observation - tout sentiment de durée aboli dans l'enivrement de la chance - un très fin pinceau de feu dégage ou parfait comme rien autre le sens de la vie. " (3)

Le jour est autre ce matin, il reste dans le silence, navigateur du Temps perdu, note-t-il. Il reprend mot à mot tout ce qu'il écrit depuis des siècles, note à note, et laisse le Temps l'éclairer. Tout son corps s'y accorde, tous ses mots s'y glissent, ses yeux, sa voix. Il garde le mouvement léger du sommeil de la danseuse rouge. Il ferme les yeux dans le silence du matin, et écrit " une fée veille sur moi. "

à suivre

Philippe Chauché


(1)La fille d'Arabie / Todros Aboulafia 1247-après 1295 / Poésie hébraïque du IV° siècle au XVIII° siècle / choix de poèmes adapté de l'anglais en prose française par Frans de Haes / L'Infini / Gallimard
(2) Les voyageurs du temps / Philippe Sollers / Gallimard
(3) L'amour fou / André Breton / Gallimard

samedi 14 novembre 2009

L'Isolée




" C'est mon sort qui est triste
Et non votre amour qui est inconstant.
Je prends pitié de l'éventail délaissé
Et n'ose blâmer le vent de l'automne. " (1)

Le vent d'automne.
Gris du ciel,
Espace dégagé,
Rien ne filtre.

Le vent du délaissement frappe son regard,
Plus que jamais isolée,
Elle s'endort.

Qu'offrir de plus ?
Rien.
Que vivre de mieux ?
Rien.
Que voir de plus troublant ?
Rien.
Qu'écouter de plus saisissant ?
Rien.
Qu'écrire après ?
Rien.

L'isolée écoute le mouvement de l'Instant :
Un doute troublant,
Un éclat saisissant,
Un sourire de grâce,
Un tremblement de vie,
Une joie ?
Non !
Un vide.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Pan Chieh Yu / Hsu Tsung Lu XV° siècle / La poésie chinoise / Patricia Guillermaz / Pierre Seghers Éditeur / Club des Libraires de France

mercredi 11 novembre 2009

La Courbe du Temps (56)



" Seul, assis, je contemple l'eau et la montagne,
Appuyé contre un mol oreiller, j'écoute le vent et la pluie.
Tous les jours des amis viennent et s'en vont,
Tous les ans les fleurs éclosent et tombent. " (1)

Il multiplie les phrases et les offre comme des colliers de bois.
Elle multiplie les sourires et les offre dans l'absence.
Il s'avance dans le Temps permanent de la ville blanche. Les mains dans le mouvement des phrases, le corps délivré et vide. Il se dit que le vide de son corps ressemble au plein de son regard, il se dit aussi que chaque mot qu'elle prononce est un bouquet de violettes, que chaque sourire qu'il pose sur son épaule est une rosée d'automne.

"... A travers la mince soie rouge de ma robe,
Paraît ma chair parfumée, lisse et blanche.
Souriante, je dis à mon bien-aimé :
- Le rideau léger, l'oreiller et la natte seront frais. " (2)

Il note sur son écritoire : " le sourire des femmes sauve ", et celui de la danseuse rouge m'a délivré de l'absence du Temps. Il ajoute " le corps des femmes parfume l'âme ", et celui de la danseuse des bords du Fleuve et sous les Arbres a fait fleurir mes doigts, et " la jouissance des femmes est un vrai roman ", et celle de la danseuse rouge est une sidérite, et encore " la peau des femmes est un plumier ", et celle de cette femme libre ouvre mes phrases, il écrit également, " les mots des femmes délivrent votre parole ", et ceux de la danseuse de la ville aux martinets clairs a éclairci ma voix, plus loin dans le cadre lumineux de sa page blanche " les seins des femmes font de vous des musiciens ", et ceux de cette femme là ont mis en partita mes adorations.

" Cette nuit, tout est simple. La pensée ne réclame rien. Elle s'éclaircit, comme la gorge. Le repos est léger dans les nuances. " (3)

à suivre

Philippe Chauché


(1) Fantaisie / Hsu Pen XV° siècle / traduc. Patricia Guillermaz / La poésie chinoise / Pierre Seghers Éditeur / Club des Libraires de France
(2) Sur l'Air " Printemps a Wuling " / Li Ch'ing Chao 1081-1140 ? / d°
(3) Cercle / Yannick Haenel / L'Infini / Gallimard

mardi 10 novembre 2009

Eclairs (5)




Sur la barque fleurie
Elle sourit
Éclairs

à suivre

Philippe Chauché