jeudi 20 février 2020

A la carte pour La Cause Littéraire












Lire comme si nous écrivions, la plus étrange biographie du monde. 

Philippe Chauché 

mardi 18 février 2020

Robert Redeker dans La Cause Littéraire




" Plus que les philosophes, les héros et les saints indiquent à la vie humaine sa direction. Son sens : où elle va, ce qu'elle signifie. Ils la remplissent d'un contenu - c'est pourquoi, feintant le nihilisme par un cadrage-débordement, ils entretiennent quelque parenté avec l'optimisme. Ils sont comme une ouverture dans le ciel, taillée pour nous aspirer. "
 
En ouverture de cet essai qui comptera, Robert Redeker convoque un gendarme, Arnaud Beltrame, qui a offert sa vie contre celle d’otages retenus par un terroriste islamiste dans le Super U de Trèbes : Fut-il un héros ? Sans doute. Fut-il un saint ? Peut-être. En tout cas, il est mort en martyr de sa foi et de sa patrie, témoignant de la mort de son corps charnel pour elles deux. Le ton est donné, les premiers accords esquissés, la mélodie dessinée, comme pour un opéra de Mozart, le philosophe peut se lancer dans ses admirables démonstrations, et la construction de ses concepts. Il invite héros et saints, qui note-t-il, ont déserté la France, qui en fut pourtant une terre fertile.
 
Ces héros et ses saints, indiquent à la vie humaine sa direction, où elle va et ce qu’elle signifie et lorsqu’ils surgissent, finalement peu compatibles avec le matérialisme consumériste et l’hédonisme de marché qui caractérise l’humanité forgée par notre époque. Notre société humaine, trop humaine, s’est éloignée des héros fondateurs, ces piliers sur lesquels s’appuie l’Histoire, Jeanne d’Arc évidemment, mais aussi Bonaparte, puis Napoléon dans les premiers temps, ou encore le philosophe résistant communiste Georges Politzer assassiné par les nazis. Il en va de même des saints qui paraissent aujourd’hui à jamais enfermés dans les dictionnaires ou les prêches des prêtres que personne n’écoute. Robert Redeker est persuadé que les uns comme les autres, s’ils ont été chassés d’une mémoire partagée, c’est pour faire triompher, les victimes, le transhumanisme, l’idolâtrie, les anti-héros – le héros inverti, aux prises avec la mauvaise conscience du soupçon, les tenants du tout se vaut, l’homme lunaparkisé, l’inhéritier – il n’y a de héros et de saint, que sur le fond d’un héritage,  et l’homme de divertissements, qui ne ravit plus, ne pulvérise plus, comme le notait Pascal, mais il fabrique et usine – il fabrique de l’homme.

« La chose est sue depuis toujours : le divin est ce qui apparaît. C’est, évidemment, par ce don d’apparition que l’homme ressemble au divin, qu’il est configuré à l’image du divin. Le verbe configurer transporte avec lui l’idée du visage. L’homme est ce qui apparaît : il en va ainsi depuis le surgissement du visage, dans notre plus lointaine préhistoire. »
 
Les Sentinelles d’humanité est le livre de ce surgissement, celui d’une apparition, ici un saint, là la fulgurance d’un héros, mais aussi celui d’une profonde transformation, d’une raison qui s’éloigne, d’un miroir qui se trouble, qui fait que la vision s’y noie. Pour se faire, Robert Redeker, s’appuie sur les éclats et les réflexions et propos de penseurs d’hier, d’avant-hier et d’aujourd’hui, qu’il fait vivre et revivre, ils vivifient sa pensée et ses réflexions, et c’est heureux : Pierre Teilhard de Chardin – L’expérience du front, à mon avis, c’est celle d’une immense liberté. -, Martin Heidegger, Nietzsche – Napoléon appartient à l’humanité antique. -, G. W. F. Hegel, Jules Michelet – Elle (Jeanne d’Arc) fut une légende elle-même, rapide et pure de la naissance à la mort. -, François-René de Chateaubriand – La chevalerie seule offre le beau mélange de vérité et de fiction. -, Tertullien – Le plus grand crime du genre humain, le forfait qui comprend tous les autres, la cause de la prévarication, c’est l’idolâtrerie. -. Le philosophe déploie ses thèses en toute clarté, et en toute transparence – La culture implique l’autorité judiciaire de la tradition. Il sait qu’il doit, et qu’il peut compter sur son style limpide et précis, nous rappelant à un devoir de restauration du réel face à la société d’idolâtrie, un devoir d’humanité, si loin de l’humanisme publicitaire – Sans ces exceptions, le héros et le saint, l’humanité ne serait rien. Robert Redeker en philosophe de l’ovalie, saisit, ramasse, resserre, muscle ses phrases, et ses idées filent comme un ballon de rugby, l’arrière s’intercale entre les trois quarts, et file vers l’essai, qui est superbement transformé, et ne pas manquer de faire grincer quelques dents.
 
Philippe Chauché
 
http://www.lacauselitteraire.fr/les-sentinelles-d-humanite-philosophie-de-l-heroisme-et-de-la-saintete-robert-redeker-par-philippe-chauche

vendredi 7 février 2020

Alexandre Postel - Gustave Flaubert dans La Cause Littéraire




« Il entend au-dehors la rumeur de la mer, l’appel des goélands, une toile claquant au vent et, pareil à l’écho d’une fête lointaine, le murmure des voix humaines. Il reconnaît la musique des bords de mer, étrange et familière comme un rêve qui revient ; à mesure qu’il s’en pénètre dans le demi-jour de la cabine fermée, il éprouve le besoin de respirer, de s’accorder au rythme de la mer et du vent, de rompre les digues du chagrin. »
 
Le 16 septembre 1875 au matin, Flaubert entre dans Concarneau. Lors d’un premier voyage en Bretagne, en juin 1847, il voit assez mal la ville du Finistère (Saint-Mathieu du bout du monde). Cette fois il y passe deux mois, il se promène, prend des bains, observe les pêcheurs, passe beaucoup de temps avec son ami Pouchet dans sa station de biologie marine, assiste à la mue d’un homard, et se demande s’il est encore capable d’écrire (1).
Un automne de Flaubert, est le passionnant roman de ce séjour, de cette villégiature, de cette halte dans la vie de l’écrivain, mais aussi de cette renaissance à la littérature, que seul un écrivain d’élégance pouvait en rendre compte. Alexandre Postel est attentif aux pas hésitants de Flaubert, à ses doutes, à sa mélancolie, à ses renoncements, à ses tremblements, à ses emportements admiratifs, et finalement au retour à la plume qui fut la sienne, et à la naissance de La Légende de saint Julien l’Hospitalier.
 
« Des images prennent forme, se déploient devant ses yeux mi-clos : un château sur une montagne boisée, un vieillard qui se chauffe en se remémorant sa jeunesse, une femme filant des broderies d’église, l’intrusion d’une bohémienne dans une fête. Pendant ce temps, Flaubert est rarement assis à sa table : le plus souvent, allongé sur le lit, il rêvasse. »
 
 


 
 
Pas à pas, Alexandre Postel suit Flaubert en cet automne breton. Il l’accompagne, attentif et admiratif, sur le chemin de ronde de sa vie : Il se regarde comme un homme fini. L’écrivain n’écrit plus, aucun roman, peu de lettres, rien de visible en tout cas, il rêve, ses affaires ne vont pas bien, son avenir s’assombrit chaque jour. Mais à Concarneau, en cet automne, qui devient un printemps, il va réapprendre à se voir, à voir et à partager la joie des bains de mer, les conversations avec Pouchet l’étourdissent comme un bon vin, et les visites régulières de sa femme de chambre, Mademoiselle Charlotte qu’il baptisera mon petit ange, le ravissent. Il assiste aux recherches de son ami, qui sonde ses poissons et ses bêtes de mer, comme un écrivain ses phrases, scalpel en main, il dissèque ses poissons, comme Flaubert ses romans. Flaubert observe les bassins et se nourrit de ces visions d’embryons d’une raie, ou d’un hippocampe, un bestiaire en mouvement : ébloui par leur splendeur silencieuse, Flaubert pense à Adam parmi les créatures du jardin d’Eden, à Noé dans son arche, au chasseur sauvage dont il rêve le destin. Un automne de Flaubert est un roman inspiré, à l’élégance admirative, un roman habité, non par la statue d’un commandeur de la littérature, mais par le corps d’un homme qui se retrouve face à l’océan, que Concarneau sauve de la chute fatale, et rend à sa nature profonde d’écrivain.
 
Philippe Chauché
 
(1) Lorsqu’il réside à Concarneau Gustave Flaubert a publié Madame Bovary (1857) Salammbô (1862-1874), L’Education sentimentale (1869), et laissé en suspens Bouvard et Pécuchet. Ses contes, dont La Légende de saint Julien l’Hospitalier seront imprimés en 1877.
 
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samedi 1 février 2020

Michel Bernard dans La Cause Littéraire


« La parole de Jeanne s’enlaçait comme une liane vigoureuse, verdoyante, au questionnement sec et abstrait des prêtres, professeurs et maîtres qui la jugeaient, et montait plus haut. Il comprenait mieux comment elle avait pu séduire et entraîner seigneurs et soldats. Et puis elle était morte, encore une enfant, horriblement ».
 
Le Bon Sens poursuit ce chemin littéraire et historique ouvert avec Le Bon Cœur par Michel Bernard, écrivain de passions et de raisons. Jeanne d’Arc a été condamnée et mise à mort, Charles VII s’emploie à rendre la France à la France et à en chasser les anglais, fidèle à la mission que s’était fixée la Pucelle. Le Bon Sens est le livre de cette reconquête, celui du pardon royal pour ceux qui ont fait alliance avec les envahisseurs, mais aussi celui du procès en vérité de Jeanne, et la proclamation de l’arrêt annulant sa condamnation, le 7 juillet 1456. Michel Bernard s’attache et nous attache à ces hommes de Bon Sens qui vont participer à la mise au jour de la vérité, à la conquête d’une parole juste, à la mise en lumière des accusations et du jugement du tribunal qui l’a condamnée au bûcher pour sorcellerie.
 
Parmi ces hommes de qualité, ces grands témoins et grands passeurs de l’Histoire de France, Guillaume Manchon, gardien de manuscrits, grand lecteur et lumineux religieux lettré, fidèle serviteur de la vérité, témoin du procès dont il conserve précieusement les minutes – « Il se souvenait d’avoir été ce greffier consciencieux attentif à recueillir les paroles de l’accusée et de ses juges, l’auteur scrupuleux du document qui faisait foi ». Comme dans Le Bon Cœur (1), Michel Bernard dévoile ces hommes, militaires et religieux qui ont fait l’Histoire, pour certains par fidélité à la couronne de France, et ceux qui l’ont trahie par cupidité et opportunisme. L’écrivain sait comme d’aucuns en saisir les traits et les traces, comme il saisit en peintre attentif et précis les traces des paysages traversés par les hommes en armes, et les traits de ceux qui se retirent du monde après avoir offert sang et jeunesse à Jeanne et à la reconquête. Le Bon Sens est aussi le roman d’une passion, Agnès Sorel (un nom d’héroïne romanesque), que la mort éloigne à jamais de son roi Charles et que Jean Fouquet va saisir dans sa profonde et unique beauté.
 
« Sa blondeur, l’éblouissante pureté de sa peau blanche, le brillant de ses yeux bleus, ses lèvres délicatement renflées au dessin parfait, jusqu’à la palpitation de l’air autour d’elle étaient admirables. Il n’avait jamais vu une aussi belle peinture ».
 
 
Agnès Sorel par Jean Fouquet
Michel Bernard nous offre un roman d’une rare perfection, classique et racé. Il possède l’art de faire entendre l’Histoire et les histoires particulières qui la façonnent. Il vibre et nous fait vibrer avec ces hommes au Bon Cœur et de Bon Sensenfants de cette guerre qui dura un siècle, et c’est tout un pan de notre histoire collective qui se dévoile, et que l’écrivain façonne. Et l’on peut entendre, en écho, une autre défaite et une reconquête qui transformèrent la France au siècle passé, avec là aussi ses héros, ses traîtres, un pardon et une reconquête les armes à la main. Le Bon Sens fait entendre ces voix uniques qui ont résonné au 15ème siècle : Charles VII, Guillaume Manchon, Agnès Sorel, Jean Fouquet, Jean Bréhal, François Villon – Ce chant aux modulations subtiles et lumineuses n’était rien d’autre que l’art de parler français –, mais aussi Jeanne dont les mots scrupuleusement transcrits habitent la mémoire de ses fidèles amis, et enfin Thomas de Courcelles, ce courtisan sans âme, qui dissimule son terrible secret, son souhait durant le procès que Jeanne soit soumise à la torture : « Maître Thomas de Courcelles a dit qu’il paraît bon de l’y mettre ». L’écrivain inspiré saisit, par son fil d’or, les raisons du courage et les déraisons des trahisons, toutes les nuances d’une nation qui se reconstruit les armes en main, qui retrouve ses provinces, ses villes, et sa langue. Michel Bernard en dessine le deuil, l’oubli, les fidélités et la joie retrouvée, ses portraits sont admirables de justesse et de finesse, tant il est maître des couleurs et des formes. Michel Bernard est doté d’une plume parfaite, comme on le dit de l’oreille d’un musicien.
 
Philippe Chauché