Ces héros et ses saints, indiquent à la vie humaine sa direction, où elle va et ce qu’elle signifie et lorsqu’ils surgissent, finalement peu compatibles avec le matérialisme consumériste et l’hédonisme de marché qui caractérise l’humanité forgée par notre époque. Notre société humaine, trop humaine, s’est éloignée des héros fondateurs, ces piliers sur lesquels s’appuie l’Histoire, Jeanne d’Arc évidemment, mais aussi Bonaparte, puis Napoléon dans les premiers temps, ou encore le philosophe résistant communiste Georges Politzer assassiné par les nazis. Il en va de même des saints qui paraissent aujourd’hui à jamais enfermés dans les dictionnaires ou les prêches des prêtres que personne n’écoute. Robert Redeker est persuadé que les uns comme les autres, s’ils ont été chassés d’une mémoire partagée, c’est pour faire triompher, les victimes, le transhumanisme, l’idolâtrie, les anti-héros – le héros inverti, aux prises avec la mauvaise conscience du soupçon, les tenants du tout se vaut, l’homme lunaparkisé, l’inhéritier – il n’y a de héros et de saint, que sur le fond d’un héritage, et l’homme de divertissements, qui ne ravit plus, ne pulvérise plus, comme le notait Pascal, mais il fabrique et usine – il fabrique de l’homme.
« La chose est sue depuis toujours : le divin est ce qui apparaît. C’est, évidemment, par ce don d’apparition que l’homme ressemble au divin, qu’il est configuré à l’image du divin. Le verbe configurer transporte avec lui l’idée du visage. L’homme est ce qui apparaît : il en va ainsi depuis le surgissement du visage, dans notre plus lointaine préhistoire. »
Les Sentinelles d’humanité est le livre de ce surgissement, celui d’une apparition, ici un saint, là la fulgurance d’un héros, mais aussi celui d’une profonde transformation, d’une raison qui s’éloigne, d’un miroir qui se trouble, qui fait que la vision s’y noie. Pour se faire, Robert Redeker, s’appuie sur les éclats et les réflexions et propos de penseurs d’hier, d’avant-hier et d’aujourd’hui, qu’il fait vivre et revivre, ils vivifient sa pensée et ses réflexions, et c’est heureux : Pierre Teilhard de Chardin – L’expérience du front, à mon avis, c’est celle d’une immense liberté. -, Martin Heidegger, Nietzsche – Napoléon appartient à l’humanité antique. -, G. W. F. Hegel, Jules Michelet – Elle (Jeanne d’Arc) fut une légende elle-même, rapide et pure de la naissance à la mort. -, François-René de Chateaubriand – La chevalerie seule offre le beau mélange de vérité et de fiction. -, Tertullien – Le plus grand crime du genre humain, le forfait qui comprend tous les autres, la cause de la prévarication, c’est l’idolâtrerie. -. Le philosophe déploie ses thèses en toute clarté, et en toute transparence – La culture implique l’autorité judiciaire de la tradition. Il sait qu’il doit, et qu’il peut compter sur son style limpide et précis, nous rappelant à un devoir de restauration du réel face à la société d’idolâtrie, un devoir d’humanité, si loin de l’humanisme publicitaire – Sans ces exceptions, le héros et le saint, l’humanité ne serait rien. Robert Redeker en philosophe de l’ovalie, saisit, ramasse, resserre, muscle ses phrases, et ses idées filent comme un ballon de rugby, l’arrière s’intercale entre les trois quarts, et file vers l’essai, qui est superbement transformé, et ne pas manquer de faire grincer quelques dents.
Philippe Chauché