« Ce n’est encore rien d’être né ; ce qu’il faut, c’est renaître ; renaître à soi et au monde ; renaître à la divinité qui nous importe et qui nous inspire » (Défi).
« Proust baroque, d’une intégrité sans faille, n’a-t-il pas publié lui-même de nombreuses versions des mêmes œuvres, pour se corriger toujours et continuer plus avant (c’est-à-dire en aval) sa recherche, que l’on pourrait qualifier d’optimiste, du temps perdu ? » (Leonhardt).
Souvent ici même les grands classiques et les grands modernes, les livres fondateurs, nécessaires et essentiels sont revisités, preuve s’il en était, que l’actualité des romans, des recueils et des essais, s’appuie sur leur force, leur originalité, leur style, leur savoir et leur saveur et non uniquement sur l’actualité de leur parution. Certains livres sont éternels, ils se transmettent, s’offrent, se classent, et attendent avec patience et sérénité qu’une main s’en saisisse et qu’un regard nouveau s’y glisse, pour ne plus s’en détacher.
Météores de Stéphane Barsacq en est un réjouissant exemple. L’ouvrage se présente comme un dictionnaire de la lettre A, à Z, d’Adam – Adam est un dieu déchu, Jésus est l’homme divin –, à Zweig – A Hermann Hesse, le 1er novembre 1903, Zweig écrit avec sa mélancolie : « J’aimerais retourner dans mon bateau à voile brun de l’île de Bréhat et voguer vers l’inconnu et l’insoupçonné ».
Un abécédaire que l’on visite au hasard, qui trouble, surprend, et s’offre comme des divines surprises. Un dictionnaire de mots inspirés, dont l’auteur s’inspire, à la manière d’un musicien, pour en écrire une fugue, un impromptu, une balade, une sonate, une suite. C’est ainsi que des dieux, des saints, des écrivains, des musiciens, des philosophes, des pensées, des mots vont surgir comme des météores, traverser, éclairer ce livre, venant de l’inconnu et de l’insoupçonné, de l’invisible, de la mémoire fluorescente de l’auteur. Si les passions gouvernent la littérature, fixent les idées et les admirations, Stéphane Barsacq est couronné de passions, comme on le dirait d’un saint, et d’admirations comme on le dirait d’un homme raisonnable.
Les Météores sont des flèches, des traits de pensées et de souvenirs, des témoignages de fidèles amitiés, des éclats, des aphorismes qui doivent autant à la Bible, à Bach, Händel – Le Michel-Ange de l’opéra – qu’à Cioran dont il est un lecteur affuté, un admirateur rare (1).
« On ne monte à la lumière que dans le feu » (Ascèse).
« La France s’est partagée à ses sommets historiques entre les abbayes romanes et les boudoirs libertins. À chacun de choisir d’aller vers l’un ou l’autre » (Civilisation).
« Écoute-toi mieux » (Conseil).
Stéphane Barsacq est un écrivain de la lumière – Je me nourris de lumière plus que tout –, de l’espérance, de la justesse, de l’inspiration, un écrivain de la joie – une douleur surélevée –, et du feu ; un écrivain en guerre, contre les ténèbres. Météores est aussi le livre des rencontres, des amitiés complices, des fidélités familiales, de la mémoire qui l’irrigue. Stéphane Barsacq est un écrivain visité, comme l’est Claudel, visité par la Bible, le Christ, la beauté, le silence, et qui ne baisse jamais la garde devant la dévastation du monde et de la pensée, qui n’est autre que celle de la langue et de la littérature vivante. Qu’il soit devant l’ange au sourire du fronton de la cathédrale de Reims, devant les films de Bergman, qu’il lise Léon Bloy, Claudel ou Céline, qu’il écoute la voix d’Alfred Deller, le théâtre de Giraudoux, le clavecin de Gustav Leonhardt, ou encore le Stabat Mater de Pergolèse, il est à chaque fois juste et inspiré, il a la plume parfaite, comme l’on dit pour un musicien, l’oreille parfaite.
Philippe Chauché
(1) Cioran, Éjaculations mystiques, Seuil, 2011