mardi 15 février 2022

Météores de Stéphane Barsacq dans La Cause Littéraire



« Ce n’est encore rien d’être né ; ce qu’il faut, c’est renaître ; renaître à soi et au monde ; renaître à la divinité qui nous importe et qui nous inspire » (Défi). 
« Proust baroque, d’une intégrité sans faille, n’a-t-il pas publié lui-même de nombreuses versions des mêmes œuvres, pour se corriger toujours et continuer plus avant (c’est-à-dire en aval) sa recherche, que l’on pourrait qualifier d’optimiste, du temps perdu ? » (Leonhardt).

Souvent ici même les grands classiques et les grands modernes, les livres fondateurs, nécessaires et essentiels sont revisités, preuve s’il en était, que l’actualité des romans, des recueils et des essais, s’appuie sur leur force, leur originalité, leur style, leur savoir et leur saveur et non uniquement sur l’actualité de leur parution. Certains livres sont éternels, ils se transmettent, s’offrent, se classent, et attendent avec patience et sérénité qu’une main s’en saisisse et qu’un regard nouveau s’y glisse, pour ne plus s’en détacher. Météores de Stéphane Barsacq en est un réjouissant exemple. L’ouvrage se présente comme un dictionnaire de la lettre A, à Z, d’Adam – Adam est un dieu déchu, Jésus est l’homme divin –, à Zweig – A Hermann Hesse, le 1er novembre 1903, Zweig écrit avec sa mélancolie : « J’aimerais retourner dans mon bateau à voile brun de l’île de Bréhat et voguer vers l’inconnu et l’insoupçonné ». Un abécédaire que l’on visite au hasard, qui trouble, surprend, et s’offre comme des divines surprises. Un dictionnaire de mots inspirés, dont l’auteur s’inspire, à la manière d’un musicien, pour en écrire une fugue, un impromptu, une balade, une sonate, une suite. C’est ainsi que des dieux, des saints, des écrivains, des musiciens, des philosophes, des pensées, des mots vont surgir comme des météores, traverser, éclairer ce livre, venant de l’inconnu et de l’insoupçonné, de l’invisible, de la mémoire fluorescente de l’auteur. Si les passions gouvernent la littérature, fixent les idées et les admirations, Stéphane Barsacq est couronné de passions, comme on le dirait d’un saint, et d’admirations comme on le dirait d’un homme raisonnable. Les Météores sont des flèches, des traits de pensées et de souvenirs, des témoignages de fidèles amitiés, des éclats, des aphorismes qui doivent autant à la Bible, à Bach, Händel – Le Michel-Ange de l’opéra – qu’à Cioran dont il est un lecteur affuté, un admirateur rare (1). 

« On ne monte à la lumière que dans le feu » (Ascèse). 
« La France s’est partagée à ses sommets historiques entre les abbayes romanes et les boudoirs libertins. À chacun de choisir d’aller vers l’un ou l’autre » (Civilisation). 
« Écoute-toi mieux » (Conseil). 

Stéphane Barsacq est un écrivain de la lumière – Je me nourris de lumière plus que tout –, de l’espérance, de la justesse, de l’inspiration, un écrivain de la joie – une douleur surélevée –, et du feu ; un écrivain en guerre, contre les ténèbres. Météores est aussi le livre des rencontres, des amitiés complices, des fidélités familiales, de la mémoire qui l’irrigue. Stéphane Barsacq est un écrivain visité, comme l’est Claudel, visité par la Bible, le Christ, la beauté, le silence, et qui ne baisse jamais la garde devant la dévastation du monde et de la pensée, qui n’est autre que celle de la langue et de la littérature vivante. Qu’il soit devant l’ange au sourire du fronton de la cathédrale de Reims, devant les films de Bergman, qu’il lise Léon Bloy, Claudel ou Céline, qu’il écoute la voix d’Alfred Deller, le théâtre de Giraudoux, le clavecin de Gustav Leonhardt, ou encore le Stabat Mater de Pergolèse, il est à chaque fois juste et inspiré, il a la plume parfaite, comme l’on dit pour un musicien, l’oreille parfaite. 

Philippe Chauché 

(1) Cioran, Éjaculations mystiques, Seuil, 2011 

mardi 1 février 2022

La Nuit comme le jour est lumière de François Huguenin dans La Cause Littéraire

« Green m’a révélé la violence des sentiments qui campaient en moi et auxquels je ne comprenais rien. Il m’a parlé du silence de Dieu en mettant en lumière un désir inassouvi et que je ne savais nommer. Green m’a sauvé ». 

Il faut toujours prendre au sérieux les noms que donnent les écrivains à leurs livres, La Nuit comme le jour est lumière en est l’exemple parfait. Il donne la note à laquelle va s’accorder le livre, comme le fait un chef de chœur. Les romans et les Journaux de Julien Green sont des pièces musicales (1) qui se répondent, sombres ou lumineuses, souvent tremblantes, certaines brillent plus que d’autres par leur force littéraire, mais toutes révèlent les tourments et les inspirations de l’écrivain qui s’attache toujours à la langue française, sa langue, celle de ses confessions et de sa consécration à l’Académie française. En une phrase, François Huguenin dévoile le projet de cet essai biographique, et en écho, s’y met à nu. Ils passent l’un et l’autre de la nuit au jour, dans la plus inspirée et inspirante lumière, que François Huguenin définit comme christique. D’une souffrance à une vérité révélée, d’une chute à une profonde transformation, sa grande amitié avec Jacques Maritain, est le terreau des romans, du Journal et de l’Autobiographie, on est face à une expérience vécue et transmise que l’auteur et son double place sous le signe d’une révélation biblique. 
Il faut toujours être attentif aux biographies d’écrivains qui ont passé leur vie à voiler et dévoiler leurs troubles et leurs doutes, leurs passions et leurs obsessions. Ce livre est celui de l’enfance de Julien Green et de François Huguenin, l’un menacé de castration par sa mère avec un couteau à pain, alors qu’il s’adonne sous ses draps à la découverte physique de son sexe, l’autre dressé par son père à la haine des juifs ; la douleur, l’incompréhension et la haine ont fait leur lit d’épines dans l’enfance des écrivains. Des épines et des éclats, pourrait-être aussi le nom de ce livre. L’un et l’autre se tournent vers une lumière – Vers l’âge de six ans, le petit Julien, assis dans la chambre de sa mère qui lit à haute voix la Bible en anglais, éprouve une grande émotion à entendre cette parole. La nuit comme le jour est lumière –, se nourrissent de l’enfance, des hasardeuses rencontres et des livres, ceux que lisait Julien Green, et ceux de l’écrivain que François Huguenin a lus et qu’il lit avec l’attention dévorante d’une passion. Ces romans et ce Journal, long récit de l’immersion et des passions de Julien Green, d’une vie qu’il écrira, le jour et les nuits blanches. Cet essai se saisit de ces nuits où l’écrivain se lance dans des aventures sexuelles, chaque nuit répétées, comme s’il tournait dans la nuit, dévoré par ses passions et ses attirances, et qui semblent sans issue. François Huguenin a les mêmes lectures et les mêmes prières, comme si en priant, il s’approchait encore plus justement des romans de Julien Green, une parole en révélant peut-être une autre. 

« Cet écartèlement entre désir de Dieu et tyrannie du sexe sera le terreau de toute une œuvre de romancier et de diariste… Pour Green, le péché de chair abîme l’âme et vient inexorablement altérer la relation de l’homme à Dieu ». 

François Huguenin a tout lu de Julien Green, ses romans, Journaux et autobiographies – Mais à partir du jour où il l’avait secouée pour la contraindre à jouer aux cartes, elle avait reconnu que la crainte seule formait le fond de son respect, et que l’amour filial n’y jouait aucun rôle (2) –, il y glisse des miroirs littéraires qui les font se refléter, s’enrichir, se compléter, se contredire. Il y glisse aussi ses lectures religieuses tout aussi attentives – Dans l’espérance nous avons été sauvés (3) –, et en silence, car le silence révèle toujours la force d’un écrivain, alors que le tumulte le réduit à un bruit littéraire de fond. Les corps et les âmes saisis par Julien Green n’ont jamais été aussi bien révélés, avec tant de justesse que dans cet essai en fusion. Les romans noircis par ce qu’il vivait et voyait ont donné à Julien Green cette patine qui en fera des romans de la foi, portés ici avec brio par cette biographie spirituelle. 

Philippe Chauché 

(1) Si j’étais vous ; Minuit ; Chaque homme dans sa nuit ; Épaves
(2) Adrienne Mesurat, Fayard. 
(3) Seconde encyclique de Benoît XVI, Spe salvi.