mardi 31 mai 2011

Visages du Roman (41)



Il en va de la lecture comme de l'amour, à trop s'attarder sur la même page on finit par s'y endormir, note-t-il. Aimer comme lire est une stratégie où domine la situation, et ses plus étourdissantes rencontres se sont faites livre à la main - mes épées aime-t-il dire - de même d'ailleurs que ses échecs les plus cuisants.
Il écrit aussi, que le commerce des livres, est semblable à celui des corps, seule manière de vérifier si une telle mérite attention, porter toute son attention à sa bibliothèque et à ses façons de lire :
assise en plein soleil,
allongée dans le dégagement d'autres occupations,
en silence,
portée par le même sérieux et la même concentration que pour les affaires de sentiment,
en musique,
légèrement dévêtue ou très élégamment couverte,
avec sérieux et légèreté,
sans que cela ne se remarque,
avec impatiente,
dans un état d'accessoire volupté,
sur la plage,
au théâtre,
en marchant,
après l'amour, etc.







à suivre

Philippe Chauché

lundi 30 mai 2011

Mouvement du Roman


Photo Boris Lipnitzki

" Dans tes yeux il y a la première rosée de ces fleurs et tes lèvres ont avec les mots ces affinités en colliers d'irisation toujours nouvelle qui font le luxe des tourbillons. " (1)

Plus que jamais, note-t-il, il s'emploie à saisir ce qui dans chaque phrase lue vérifie le Mouvement du Roman, et il ajoute, que seuls lui importent les romans en mouvement, ceux qui continuent à s'écrire lorsqu'on les lit et bien après que nous les ayons refermé et parfois même oubliés, et à bien y regarder, il en va de même de certaines femmes, dont le corps en mouvement permanent se livre sur la situation mais aussi dans sa mémoire, le corps en mouvement est un roman permanent où chaque déplacement, même infime, ouvre mille perspectives qui sont autant d'éclaircies à la sauvagerie dominante, ce mouvement est une danse invisible et légère, et l'attention qu'il convient de lui porter, écrit-il, est par bien des égards comparable à celle que l'on porte au Mouvement du Roman.
Plus que jamais, il pense, que ces écrivains du Mouvement du Roman, n'ont pas à craindre, quelque effet de mode, ou pire, les déflagrations et les oublis du temps, leur mouvement s'en joue et en joue alors que la mort rode.

- Son histoire est charmante mais un peu gnangnan.
- Ne vous en étonnez pas c'est un asthmatique nostalgique.
- Pour ma part, mon cher, le seul mouvement qui m'occupe est celui que vous imprimez en ce moment à vos reins, mais de grace n'en faites pas un roman.
- Loin de moi cette idée, je me consacre comme dit l'autre à la situation, et je vous avoue qu'elle mérite toute mon attention.
- Tirons alors le rideau avant qu'il ne s'enflamme !

à suivre

Philippe Chauché

(1) Arcane 17 / André Breton / Jean-Jacques Pauvert / 1971

mardi 24 mai 2011

Absences


photo : Claude Nori


Le temps d'une Ode Maritime, je prends le large, note-t-il.

à suivre

Philippe Chauché

mercredi 18 mai 2011

Visages du Roman (40)



" Le toreo, comme la vie, est le temps menacé par la mort. " (1)

" Qui ne copie pas, ne crée pas. " (1)

" Ortega y Gasset découvrit avec étonnement que le sang du taureau se transformait en joyau. C'était une transsubstantiation sacrificielle du réel à l'imaginaire. " (1)

D'ici, il voit mieux où naissent les aphorismes, là même où se forment les vagues, et comme elles, ils n'attendent qu'une chose : que l'on glisse sur leur forme dans l'équilibre précaire du mouvement de la langue.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Le mystère taurin / José Carlos Arévalo - Robert Ryan / Culture Suds / 2005

dimanche 15 mai 2011

Visages du Roman (39)



" Vivre dans l'angle - in angulo - du monde. " (1)

C'est à cela, pense-t-il, qu'il s'emploie, vivre, dans les angles que l'on dit morts.

Toute effusion est une illusion, et chaque illusion une effusion.

Il aime particulièrement les photos un peu datées d'actrices plus ou moins oubliées, il s'imagine ainsi demain, oublié mais photographié !

à suivre

Philippe Chauché

(1) Les Ombres errantes / Pascal Quignard / Grasset / 2002

samedi 14 mai 2011

Visages du Roman (38)



- Jamais les artistes n'ont été aussi libres !
- Foutaises !
- Regardez autour de vous, les artistes font ce qu'ils veulent, il n'y a jamais eu autant de créations !
- Et si peu de poésie...
- L'artiste n'est soumis à rien, et cela ne s'était jamais vu dans l'histoire de l'art.
- Je veux bien vous croire, mais, mais si je puis me le permettre, tout cela pour quoi ?
- Pour la création cher ami, pour l'invention, pour la liberté...
- L'art n'est jamais une invention, mais l'embrasement de ce qui s'est déjà fait, comme une plante en pot, il se nourrit d'un terreau aux couches multiples. Picasso, pour ne citer que lui, n'a rien inventé, et c'est heureux, il s'est inspiré - Zurbaran, Goya, Vélasquez, vous êtes ici chez vous ! - comme aucun autre, et cette inspiration a fait briller son dessin et son pinceau. L'art s'inspire et inspire, et aujourd'hui, il expire ! Priez pour lui !
- Ouvrez les yeux !
- Merci, trop aimable ! Ce que je vois ici ou là, risque justement de me faire perdre la vue. Et d'ailleurs vous remarquerez chère amie, que nos amusants contemporains se disent toujours " artistes ", jamais peintres ! Imaginez par exemple ce qu'en penserait Cézanne ou Matisse.
- L'artiste comme vous dites, c'est celui qui embrasse son art et tous les autres en même temps, et l'art d'aujourd'hui c'est cela !
- Comme le Rap ! Merci ! Passons à autre chose, je vais m'assoupir !

" De toute évidence Cézanne s'est essentiellement employé à cultiver la richesse de ces " sensations " ( les sensations faisant le fond de mon affaire je crois être impénétrable Cézanne à son fils Paul en 1906 ) qui le rendaient impénétrable. Mais est-ce encore assez dire ? N'était-il pas fondamentalement, essentiellement ses sensations ? Et ne s'emploie-t-il pas d'abord, ne consacre-t-il pas sa vie ( faits et gestes ) à les réaliser ? Le caractère unique et l'enseignement de son oeuvre ne tiennent-ils pas à ce qu'ils sont gouvernés par l'exceptionnelle noblesse aristocratique de ses sensations ? " (1)

à suivre

Philippe Chauché


(1) Cézanne / Marcelin Pleynet / Folio Essais / Gallimard / 2010

jeudi 12 mai 2011

Visages du Roman (37)


photo Inez van Lamsweerde and Vinoodh Matadin

" C'est un mirage voluptueux qui leurre l'homme, en lui faisant croire qu'il trouvera dans les bras d'une femme dont la beauté lui agrée, une jouissance plus grande que dans ceux d'une autre ; ou le convainc fermement que la possession d'un individu unique, auquel il aspire exclusivement, lui apportera le bonheur suprême. " (1)

Il n'en reste pas moins vrai, note-t-il, en pensant au cher Arthur, que le mirage voluptueux de la belle jeunesse lui convient à merveille, il affectionne particulièrement ces pertes de temps, conscient, toutefois, que ce petit théâtre de la jouissance se transforme le plus souvent en dérisoire tragédie, où l'insulte et les claquements de portes en sont l'amusant décor et la jalousie la méchante intrigue.

- Et tu te crois malin ?
- De nature mauvaise ou fort habile ?
- Tu n'as qu'à demander aux demoiselles que tu crois séduire qu'elles te le précisent !
- Dans cette histoire, vois-tu chère amie, le naïf n'est jamais celui que l'on croit.
- Baratin.
- Allons - en essayant de l'embrasser - un rien de dérision n'est jamais vain.
- Bas les pattes, tu ressembles au caniche de ton cher Arthur !
- Ouaf ! Ouaf !

à suivre

Philippe Chauché

(1) Arthur Schopenhaeur / Méthaphysique de l'amour / traduc. Marianna Simon / 10-18 / 1964

mercredi 11 mai 2011

Visages du Roman (36)



On n'écrit jamais contre le désespoir, l'alcool, la drogue, les femmes, l'amour, note-t-il, mais du dedans, du volcan, au risque d'entraîner dégats et désolations sous les fumerolles, blocs, bombes, débris et cendres, le théâtre d'Eugène O'Neill, est un théâtre de cendres de débris, de bombes, de blocs et de fumerolles. Et pendant ce temps à Cannes : blablas, chichis, Télérama et Libération ! (1)

" Cathleen. Vous avez pris de vot' remède ? Ça vous rend drôle, Ma'ame. Je saurais pas ce qu'y en est, je croirais que vous avez bu un coup.
Mary. Ça tue la douleur. On se retire jusqu'à être hors d'atteinte. Seul est réel le passé, le temps où l'on était heureux. " (2)

" Mary. Il faut que je monte. Je n'en ai pas pris assez. J'espère qu'un jour, comme ça, sans faire exprès, j'en prendrai trop. Le faire consciemment, je n'en serai jamais capable. La Sainte Vierge ne pourrait jamais me pardonner. " (2)

" Tyrone. D'où peux-tu bien tirer ton goût pour les auteurs... Cette maudite bibliothèque que tu as là ! Voltaire, Rousseau, Schopenhauer, Nietzsche, Ibsen ! Des athées, des idiots, des fous ! Et des poètes ! Ce Dowson, ce Baudelaire, Swinburne, Oscar Wilde, Whitman et Poe ! Des débauchés, des dégénérés ! Pouah ! Quand j'ai là trois bonnes éditions des oeuvres complètes de Shakespeare que tu pourrais lire.
Edmund. On dit que c'était un pochard, lui aussi.
Tyrone. On ment ! Je ne dis pas qu'il n'aimait pas boire son petit verre - défaut de brave - mais il savait boire, il ne se serait pas empoisonné l'esprit d'obscénités morbides. Ne le compare pas avec toute la bande que tu as là. Ton sale Zola ! Et ton Dante Gabriel Rosseti qui était un drogué ! " (2)



à suivre

Philippe Chauché

(1) Long voyage du jour à la nuit / mise en scène Célie Pauthe - juste, fine, couppante / Pierre Baux / Valérie Dréville - éblouissante - / Philippe Duclos - l'art et la manière - / Anne Houdy / Alain Libolt / jusqu'au 12 mai à La Criée à Marseille
(2) Long voyage du jour à la nuit / Eugene O'Neill / traduc. Françoise Morvan / L'Arche

mardi 10 mai 2011

Vivement l'Eté



Vivement l'Eté et Les Chanteuses qui s'invitent au bord de la piscine de l'Hôtel du Palais, lunettes noires, chemise de lin blanc, pantalon assorti, sandales basques, cigarette dans une main et coupe de champagne dans l'autre, belle manière de se préparer à une nouvelle nuit d'insultes.

Vivement l'Eté accompagné de ces deux charmantes teignes, qui prennent tout à la légère et n'en pensent pas moins :

" Ça y est Les Chanteuses ont la grosse tête
On dit plus bonjour à nos parents
On passe devant toi dans les fêtes
On n'aime que l'argent

Ça y est Les Chanteuses ont le melon
En anglais on s'appelle The Singers
T'es qui toi ? T'as vraiment l'air d'un con
Je me demande à quoi tu sers

Eh ouaiiiiis oublie mon numéro
Eh ouaiiis tes un boulet alors tchao... " (1)

" ... Dis ton visage, il faut le refaire
Car tu ressembles trop à l'Abbé Pierre
En plus t'as l'haleine d'un Yorkshire
Quelque chose nous dit
que t'es pas une lumière
Ta soirée elle est ni faite ni à faire... " (2)

Vivement l'Eté : insolations, crises de nerfs, vols à l'arraché, divorce, découvert bancaire, Debray et Onfray boivent la tasse !
Vivement l'Eté : tatouages, shorts, chemisettes, nymphettes amusantes et piquantes, costume froissé, barbe de trois jours, nuit en garde à vue pour conduite en état avancé de désespoir !
Vivement l'Eté : pochettes blanches, taureaux noirs, goudron sous les pieds, coups de soleil, chanteurs engagés aphones, romans bâclés et dernier verre avant la noyade !
Vivement l'Eté : le diable fait la planche, les requins rôdent, et les vacanciers rotent !




SECOUE TA TÊTE -- LES CHANTEUSES par LesChanteuses

à suivre

Philippe Chauché

(1) La Grosse Tête / Octave Parango / Louis Larivière, François Rainville / Les Chanteuses / Dernier album / Jajou Productions / Universal
(2) C'est la guerre / Octave Parango / Travis Conway / d°

lundi 9 mai 2011

Visages du Roman (34)




" ... pour l'Italie, les Français ont depuis toujours un choix : c'est ou Venise ou Naples. Debray c'est plutôt Naples. C'est-à-dire que c'est social ou asocial. Naples, c'est social, c'est la société italienne dans toute sa splendeur et dans toute sa misère. Venise, c'est asocial, c'est l'art, d'abord parce que c'est une ville cosmopolite où vous croisez aussi bien des Indiens que des Russes, des Américains, des Français, des Italiens, des Espagnols. Et dès que vous cessez d'être arrêté par rien d'autre que par le projet propre que vous portez avec vous. Nietzsche dit qu'il adore écrire en marchant. Venise est une ville où on marche beaucoup. Et en marchant on éclaire sa pensée. " (1)

" Nous arrivons à Venise le 14 octobre 2006. Le taxi nous dépose Campos san Guistina. Sur le hors-bord David sort sa caméra, filme l'écume du sillage et l'arrivée sur Venise. Le temps est magnifique. Ciel bleu vif. L'appartement de San Guistina est spacieux, entouré de fenêtres. Le soleil les traverse d'heure en heure accompagné des cloches qui se répondent par-dessus les toits...
Une bibliothèque trilingue, italien, anglais, français. D'un côté livres d'art, monographies, traités d'architecture. De l'autre littérature principalement française : Voltaire, Diderot, Flaubert, Stendhal...
Une discothèque, Mozart, Haydn, Haendel, Vivaldi, Monteverdi...
Une vidéothèque avec quelques films rares... Je découvre Ordet de Karl Dreyer...

Le soir nous installons la caméra sur un des ponts. Riva dei Schiavoni. Un paquebot quitte la ville. Le foule attend son passage, amassée le long de la rive. L'eau dorée est agitée par la circulation dansante des bateaux. Au loin la Salute est déjà à contre-jour. Un point rougeoyant éclaire une des ouvertures traversée d'un rayon. Le paquebot s'avance. Derrière lui la ville disparaît et réapparaît à la poupe. Les passagers sur le pont applaudissent les spectateurs sur le quai, qui leur répondent, personne ne sachant plus sur quel bord de la scène il est... Passagers d'un embarquement mystérieux. A côté de moi, une jeune Américaine, les larme aux yeux, murmure " Why, why is it so beautiful ? ... How can that exist ? ".

Le grand théâtre flottant passe lentement et la foule étonnée applaudit encore longtemps. " (2)

Quelles images, quelles villes, quels mots montrer – mettre devant les yeux, mais aussi révéler - d'un écrivain vivant ?
Ce qui pourrait être une question est ici une réponse lumineuse, celle de Florence Lambert dans Vita Nova (3), c'est ce qu'il note.
Le mouvement d'un corps particulier – celui de l’écrivain - unique, dans le centre tellurique de trois villes rares, Paris, Rome, Venise, le mouvement du Temps de l'homme des situations, expérience intérieure et joyeusement solitaire, que seules les phrases dans leur mouvement peuvent rendre, et parfois un film, c’est le cas de Vita Nova, pour une raison simple, Florence Lambert est danseuse, et c’est en danseuse silencieuse et attentive qu’elle écoute l’écrivain, c’est en danseuse qu’elle accompagne les lignes de risque de l’écrivain, qu’elle met devant les yeux les livres, et le corps de Marcelin Pleynet.


photo Vita Nova : David Grunberg

« Le temps, le ciel mouvant, je passe des heures avec ces mondes nuageux qui se couvrent et se découvrent, aventure, profondeur du ciel … (regardez bien Vita Nova) des passerelles de cuivre, de plates-formes, des escaliers qui contournent les halles et les piliers, j’ai cru pouvoir juger la profondeur de la ville. Il sonne une cloche de feu dans les nuages. On a reproduit dans un goût d’énormité singulier toutes les merveilles classiques de l’architecture. Bottom, tisserand des nuages. Métamorphoses. Le temps est un enfant qui joue dans son jeu quelque part, là-haut… et la visite des amis.
Gérard et Christina… Nous avons passé toute une semaine ensemble à Venise. Roman : Je vous revois arrivant en gondole sur la piazzetta, ou encore bottés (aqua alta), riants et légers, les pieds dans l’eau, au Harry’s Bar… Savoir-vivre quasi aristocratique de Gérald. Nous étions ensemble pour le passage du siècle. J’aime les regarder. Ils sont donc là. Ils ne s’attardent pas, juste le temps qu’il faut, comme il faut. » (4)


photo Vita Nova : David Grunberg

Et puis il y a, note-t-il, le mouvement des peintres, Matisse, définitivement Matisse, mais aussi Cézanne – l’art ne s’adresse qu’à un nombre extrêmement restreint d’individus - et Picasso, tout un Roman, et ici tout un film.




à suivre

Philippe Chauché

(1) Art et Littérature / La Vie Littéraire - Marcelin Pleynet / L'Infini / N° 112 / Gallimard
(2) Filmer Marcelin Pleynet / Florence D. Lambert / L'Infini / N° 113 / Gallimard
(3) Vita Nova / DVD / à commander à l'adresse de l'auteur : florencelambert@wanadoo.fr / pour en savoir plus : pileface.com et marcelinpleynet.fr
(4) Le savoir-vivre / Marcelin Pleynet / L'Infini / Gallimard / 2006

samedi 7 mai 2011

Visages du Roman (33)



- La vie étant un théâtre, puissions-nous, cher ami, lui donner la grâce d'une comédie !
- Permettez-moi alors d'y choisir mon masque. Lisons :

" Suivant ce que j'avais ouï la veille, elle devait bientôt rentrer dans sa chambre à coucher, où était le lit de repos dont elle avait parlé. Je n'hésitai pas à m'y couler et à me cacher dans la ruelle de son lit, où je m'assis sur le plancher, le dos appuyé contre le mur, à côté du chevet. J'avais le rideau du lit devant moi, que je pouvais entr'ouvrir au besoin, pour avoir en entier le spectacle du petit lit, qui était dans le coin opposé de la chambre, où l'on ne pouvait pas dire un mot sans que je l'entendisse
Ainsi posée, l'impatience commençait à me faire appréhender d'avoir manqué mon coup, lorsque mes deux acteurs rentrèrent.
- Baise-moi comme il faut, mon cher ami, disait madame C... en se laissant tomber sur son lit de repos. La lecture de ton vilain PORTIER DES CHARTREUX m'a mise tout en feu ; ses portraits sont frappants ; ils ont un air de vérité qui charme ; s'il était moins ordurier, ce serait un livre inimitable en son genre. Mets-le-moi aujourd'hui, abbé, je t'en conjure, ajouta-t-elle : j'en meurs d'envie, et je consens à en risquer l'événement.
- Non pas moi, reprit l'abbé, pour deux bonnes raisons : la première, c'est que je vous aime, et que je suis trop honnête homme pour risquer votre réputation et vos justes reproches par cette imprudence ; la seconde, c'est que M. le docteur n'est pas aujourd'hui, comme vous le voyez, dans son brillant ; je ne suis pas Gascon, et...
- Je le vois à merveille, reprit madame C... ; cette dernière raison est si énergique, que vous eussiez pu, en vérité, vous dispenser de vous faire un mérite de la première. Ça ! mets-toi du moins à côté de moi, ajouta-t-elle en s'étendant lascivement sur le lit, et chantons, comme tu dis, le petit office. " (1)

- Amusant, fort amusant, cher ami, je constate que vous ne perdez ni votre argent ni votre temps en lectures fâcheuses !
- Si vous le souhaitez, je peux agrémenter nos échanges d'autres petites perles, qui pimenteront vos rêveries, et qui s'il le fallait vérifieront que ce théâtre là, peut par instant, offrir quelques savoureuses fables.
- Je ne résiste pas !
- Qu'on se le dise ! Qu'on l'écoute et qu'on le fasse :

" Mme de Saint-Ange. - Ce spectre de Vénus, que tu vois sous tes yeux, Eugénie, est le premier agent des plaisirs en amour : on le nomme membre par excellence ; il n'est pas une seul partie du corps humain dans laquelle il ne s'introduise. Toujours docile aux passions de celui qui le meut, tantôt il se niche là ( elle touche le con d'Eugénie ) : c'est sa route ordinaire... la plus usitée, mais non la plus agréable : recherchant un temple plus mystérieux, c'est souvent ici ( elle écarte ses fesses et montre le trou de son cul ) que le libertin cherche à jouir : nous reviendrons sur cette jouissance, la plus délicieuse de toutes ; la bouche, le sein, les aisselles lui présentent souvent encore des autels où brûle son encens ; et quel que soit enfin celui de tous les endroits qu'il préfère, on le voit, après s'être agité quelques instants, lancer une liqueur blanche et visqueuse dont l'écoulement plonge l'homme dans un délire assez vif pour lui procurer les plaisirs les plus doux qu'il puisse espérer de sa vie. " (2)




- Quel théâtre ! Quelle vie !
- Cela dit, lu et fait, chère amie, convenons, que la comédie de l'amour, reste une kômôdia, et lorsque le rideau tombe, le caveau s'ouvre !
- Un caveau qui s'ouvre, quel théâtre !

à suivre

Philippe Chauché

(1) Thérèse Philosophe / Mémoires pour servir à l'Histoire du P. Dirrag et de Mademoiselle Eradie / Le Terrain Vague 1954
(2) La Philosophie dans le boudoir / Donatien Alphonse François, marquis de Sade / P.O.L. / 1993

jeudi 5 mai 2011

Visages du Roman (32)



La parole, la fiction, ont souvent à voir et à entendre avec la résurrection, pense-t-il. Celle de Jan Karski déjà admirablement portée par Yannick Haenel dans son roman éponyme, le sera au Festival d'Avignon cet été par Arthur Nauzyciel : " Jan Karski - Mon nom est une fiction ".

" Tandis que nous nous frayions un chemin dans la boue et les décombres, des ombres qui avaient jadis été des hommes et des femmes s'agitaient autour de nous. " (1)

" Je parcourus à nouveau, trois heures durant avec mes guides, les rues de cet enfer pour le mémoriser. "(1)

" J'ai dit ce que j'avais vu dans le ghetto. " (1)

" Je sais que beaucoup de gens ne me croiront pas, ils penseront que j'exagère ou que j'invente. Et pourtant je jure que j'ai vu ce que je décris. Je n'ai pas d'autres preuves, pas de photographies, mais tout ce que je dis est vrai. " (1)

Une parole, pas des images. Une parole, pense-t-il, pour dire le ghetto de Varsovie, seule une parole pour dire les massacres organisées, ajoute-t-il, une parole pour que les alliés sauvent les juifs de Pologne, une parole dans le vide des démocraties. ( la communauté juive de Pologne, vivier du judaïsme, est quasiment détruite : 500 000 personnes seraient mortes dans les ghettos, 600 000 auraient péri dans des exécutions de masse et près de 1 900 000 dans des centres de mise à mort - Anthologie du judaïsme - sous la direction de Francine Cicurel / Nathan )

" On a laissé faire l'extermination des Juifs. Personne n'a essayé de l'arrêter, personne n'a voulu essayer. Lorsque j'ai transmis le message du ghetto de Varsovie à Londres, puis à Washington, on ne m'a pas cru. Personne ne m'a cru parce que personne ne voulait me croire. " (1)

" D'un côté il y avait l'extermination, et de l'autre l'abandon - rien d'autre à espérer. C'était le programme du monde à venir, et ce monde, effectivement, est venu : tous nous avons subi cet abandon, nous le subissons encore. " (1)

Ils lui disent en somme, pense-t-il, " tu n'as rien vu à Varsovie ", rien, ta parole seule dit qu'elle a vue, mais que vaut ta parole ?

La parole seule sauve, écrit-il, elle n'a pas sauvé 6 000 000 de Juifs d'Europe, car elle n'a été crue. Mais la parole, n'a pas été exterminée par le silence, elle n'est pas morte, elle résonne aujoud'hui dans le roman et demain sur la scène du Festival d'Avignon. Une parole vivante est une résurection.





à suivre

Philippe Chauché

(1) Jan Karski / Yannick Haenel / L'Infini / Gallimard / 2009

mercredi 4 mai 2011

Visages du Roman (31)



« Enrico Beyle
, milanese,
visse, scrisse, amo…
quest'anima
adorava
Cimarosa, Mozart e Shakespeare
mori di anni
il ..18..
»




J'ai vécu, écrit, aimé, et note-t-il, comme l'écrivait un certain bordelais, les mots ont un sens, et ils ne sont assemblés par hasard, modifier cet assemblage, cette cristallisation qui s'opère là, change tout, mais les humanoïdes tenant de la moraline ne manquent jamais l'occasion de le faire, ils se mêlent des vivants, pourquoi, ajoute-t-il, voudrions-nous qu'ils n'en fasse pas de même des morts et de l'épitaphe qu'ils ont décidé de laisser au Temps. C'est ainsi peut-être qu'ils pensent d'un trait rayer ce que l'écrivain voulait, mais les écrits restent et leurs traces les ridiculise à jamais.

Qui sait vivre, sait écrire et aimer, lisez :

" Il me semble que mon bonheur physique avec Angéline m'a ôté beaucoup de mon imagination. I make that one or two every days, she five, six and sometimes neuf fois. " (1)

" J'étais couché avec Angéline. Le canon l'éveille à dix heures. C'était le troisième coup, nous comptons le vingt-deuxième avec transport.
A notre dix-neuvième, qui était le vingt-deuxième du public, nous entendons applaudir dans la rue. " (1)

" Elle a dit, avec l'air assez convaincu, en parlant des rapports que nous avons eu ensemble : " Mais c'est un roman. " (1)


à suivre

Philippe Chauché

(1) Journal / Stendhal / Édition d'Henri Martineau revue par Xavier Bourdenet / Folio classique / Gallimard

lundi 2 mai 2011

Visage du Roman (30)



" La prose bavarde : le babil de l'enfant, et pourtant l'homme qui bave, l'idiot, l'homme des larmes, qui ne se retient plus, qui se relâche, sans mots lui aussi, dénué de pouvoir, mais tout de même plus proche de la parole qui coule et s'écoule, que de l'écriture qui se retient, fût-ce au-delà de la maîtrise. En ce sens, il n'y a silence qu'écrit, réserve déchirée, entaille qui rend impossible le détail. " (1)

S'installer dans le silence, comme sur un transat, une coupe de champagne dans une main et un revolver dans l'autre.

" Écrire peut avoir au moins ce sens : user les erreurs.
Parler les propage, les dissémine en faisant croire à une vérité.
Lire : ne pas écrire ; écrire dans l'interdiction de lire.
Écrire : refuser d'écrire - écrire par refus, de sorte qu'il suffit qu'on lui demande quelques mots pour qu'une sorte d'exclusion se prononce, comme si on l'obligeait à survivre, à se prêter à la vie pour continuer à mourir. Écrire par défaut. " (1)

Son style : une faillite non déclarée.

" Ne nous confions pas à l'échec, ce serait avoir la nostalgie de la réussite. " (1)

Il passe ses nuits à observer les étoiles et les rats : vision du monde.

" L'écrivain, l'insomniaque du jour. " (1)

La jouissance : comme en équitation, on finit toujours par être désarçonné.




à suivre

Philippe Chauché

(1) L'Écriture du désastre / Maurice Blanchot / Gallimard / 1980

dimanche 1 mai 2011

Visages du Roman (29)


Photo Carl Van Vechten

" Lola Jackson était une drôle de fille. Elle n'avait qu'un défaut : elle était trop consciente du fait qu'elle n'était pas une pure blanche. Cela la rendait d'un maniement assez délicat, du moins au stade préliminaire. Un peu trop préoccupée de nous impressionner par sa culture et sa bonne éducation. Après deux ou trois verres, elle se dégela ; assez pour nous donner quelque idée de la souplesse de son corps. Sa robe était trop longue pour certaines prouesses qu'elle désirait accomplir. Nous lui suggérâmes de l'ôter ; ce qu'elle fit, révélant un corps ébouriffant, que mettait en valeur une paire de bas de soie arachnéenne, un soutien-gorge et une ceinture bleu pâle. Mara décida de l'imiter. Nous ne tardâmes pas à les presser de se dispenser de soutien-gorge. Il y avait un vaste divan sur lequel nous nous tassâmes tous quatre, étroitement embrassés. " (1)

Il écrit, rien ne lui semblait plus opaque que ses élancements, qu'ils fussent de phrases ou de gestes ; pour me mettre en garde - de quoi ? -, l'une de ses très proches connaissances me dit un soir, qu'elle parlait comme l'on aime, et aimait comme l'on parle, ajoutant, c'est un paratonnerre qui attire la foudre et vous la transmet sur le champ !, un concentré du nimbus et de foudre, impossible de saisir à la seconde ce qu'elle désire, sauf acculé au pire, et le pire vous comprendrez vite qu'avec elle, il va de soi. Certains de ses amants s'y sont brûlé la peau, quand ce ne fut pas la cervelle ; et cette opacité que vous évoquez lui ressemble comme une soeur, sachez, qu'elle est passé maître dans l'art de brouiller les pistes et les chairs, de réduire en cendre tout projet commun, de faire flamber les illusions et de détruire non sans en rire, tout instant joyeux que avez cru partagé avec elle et que vous auriez la mauvaise idée de vouloir prolonger ; ce portrait vous le comprendrez n'est pas à charge, il fixe simplement le climat que vous devrez supporter sous ses cieux.



" La vie Créatrice ! Dépassement de soi. Départ en fusée dans l'inconnu du ciel, escalade au passage d'échelles volantes, montée, essor, monde que l'on empoigne aux cheveux et que l'on soulève, débusquage des anges dans les antres célestes, voyages accrochés à la queue des comètes. Nietzsche avait décrit ces extases - et puis s'enfonça, s'évanouit dans le miroir pour mourir, enraciné, couvert de fleurs. " Escaliers et escaliers contradictoires ", avait-il écrit ; et puis soudain, tout fut sans fond ; l'esprit, comme un diamant qui éclate, se pulvérisa sous le marteau de la vérité. " (1)



Photo Philippe Halsman

" Mes pensées détalaient obliquement comme des crabes. L'image de Mélanie remonta brusquement à la surface. Elle était toujours là, telle une tumeur charnue. Il y avait quelque chose de la bête et de l'ange, en elle. Toujours clopinant, traînant les mots, psalmodiant, bavochant ; ses énormes yeux mélancoliques pendant comme des chardons ardents au fond de leurs orbites. C'était une de ces splendides créatures hypocondriaques qui, en perdant tout sexe, prennent les vertus sensuelles et mystérieuses des monstres qui peuplent la ménagerie apocalyptique de William Blake. " (1)

La nuit s'était installée, elle fumait sur le canapé rouge, fixant sur le mur blanc du fond, la reproduction d'un " papier collé " de Matisse, où une femme blanche et jaune s'élevait et dansait sous le regard d'un homme bras et jambes écartés, elle avait croisé les jambes et sa jupe courte laissait apparaître la bande noire de ses bas.
- Vous voilà bien désirable.
Silencieuse.
- D'autant plus désirable, que cette ébauche de peau brune que dévoile le croisement de vos jambes me donne quelques idées.
Me fixant avec des éclairs dans le regard.
- Vous appelez cela des idées ?
- Que devrais-je dire ?
- Rien ! Contentez-vous de me regarder, et surtout que ces idées, comme vous le dites, ne se traduisent par le moindre geste, vous pourriez le regretter.
- Toujours aussi aimable !
- Vous comprendez peut-être un jour, que le désir n'est jamais aimable, sauf dans les mauvais romans et la belle vie, comme ils disent !
- Bien ! Je reconnais que vous venez de marquer un point.
- Ce n'est qu'un début ! Si vous continuez, vous comprendez le sens du mot humiliation.
- Je me rends.
Décrafant son chemisier, elle libéra ses seins et me tira la langue.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Sexus / Henry Miller / traduc. Georges Belmont / Buchet/Chastel / 1968