dimanche 31 août 2008

Instants Propices

" ... Traînée à l'échafaud, la proximité du supplice ne provoque chez Mme du Barry aucun sursaut d'héroïsme. Sur la charrette elle gémit, se débat, crie qu'il s'agit d'une erreur. Au lieu de se projeter dans une image plus grande qu'elle - ce que, la précédant, ont su si bien faire Charlotte Corday, Marie-Antoinette, ou Mme Roland -, elle se ratatine de terreur, fond en larmes, tombe en faiblesse. Elle n'a pas de dignité et démontre avec éclat qu'une existence adonnée à la volupté n'est pas la meilleure préparation à la mort. Mme du Barry a perfectionné d'autres talents : elle a su jouir et faire jouir. Elle a aimé les parfums, les rubans, les bijoux, le regard des hommes, leur sexe, leurs mains. Et c'est de ce fond délicieux de frémissements, de caresses, d'orgasmes qu'au moment d'être précipitée sous le couperet de la guillotine monte en elle cette supplication : " Encore un petit moment, monsieur le Bourreau. " Parmi les derniers mots célèbres que la Révolution française a inspirés à ses victimes, et qui tous, qu'ils soient authentiques ou inventés, ont la frappe et l'altière fierté de formules de monuments aux morts, cette prière pitoyable détonne. La demande de Mme du Barry, vivre encore un petit moment, est bouleversante. Elle rappelle qu'à côté des principes universels, de l'utopie des abstractions politiques, il y a un critère d'évaluation de son existence, subjectif sans doute, et fanatique à sa manière, qui ne considère que le plaisir qu'on y prend. Cette part intime de délectation est peu propice aux enthousiasmes collectifs. Elle n'incline pas au sacrifice, détourne des feux de la gloire, prive la mort de toute grandeur ( les témoins ont noté " le cri affreux " de la condamnée à la vue du couperet ). Elle ne donne qu'une envie : continuer comme c'était. Pourquoi ? Parce que ça nous plaît... " (1)
Voyez-vous, il me plaît de retenir de cette adorable femme, que vivre, jouir et faire jouir était essentiel. Voilà le scandale que Fourquier-Tinville ne supportait pas, la mort seule, pouvait effacer ce scandale, la Révolution, l'exigeait, il demanda la condamnation à mort de " l'infâme conspiratrice ", souhaitant secrètement qu'elle monte à l'échafaud portée par la gloire de cette mort que couronnait la Révolution et finalement se sacrifiant dans l'allégresse pour la gloire de " l'Etre Suprême ". Il n'en fût rien. Il dût reprendre sa besogne de criminel la mine grise, car ses cris, et ses derniers mots giflaient à jamais la mort voulue et organisée. Le diable qui suivait l'affaire de loin, en fût lui aussi pour son argent et ses mensonges. Son visage grimaça. Non loin de là, vous le savez un écrivain échappait d'un vers, au même supplice : " Ma détention nationale, la guillotine sous les yeux, m'a fait cent fois plus de mal que ne m'en avaient jamais fait toutes bastilles imaginables " (2). Nous aurons l'occasion, qui en douterait cher ami, de revenir un autre jour sur cette hystérie humaine à chasser de la terre écrivains et voluptueuses, à offrir au diable reconnaissant, ces hommes à la plume féroce et ses femmes au coeur léger.
" Tout crime est vulgaire, exactement comme toute vulgarité est un crime " (3)
à suivre
Philippe Chauché

(1) Chantal Thomas / Comment supporter sa liberté / Rivages poche

(2) Sade lettre à son avocat Gaufridy 21 janvier 1795 in Sade Contre l'Etre Suprême / Philippe Sollers / Quai Voltaire

(3) Oscar Wilde / Aphorismes / Éditions Mille et une nuits


mardi 12 août 2008

En Cavale


Pour quelques temps, le silence s'installe, je suis en cavale sous d'autres cieux.

à suivre

Philippe Chauché

jeudi 7 août 2008

L'Envol des Déesses

Voyez-vous, les choses sont très simples et infiniment compliquées, c'est à dire qu'elles demandent à fois une disponibilité d'une légèreté absolue, et une concentration rare, c'est lorsque l'on a trouvé cet accord, Mozart n'est pas loin, que l'on peut avec allégresse embrasser le temps et saluer la beauté, c'est ce qu'il me dit dans ce café de l'Etoile où nous nous sommes une nouvelle fois retrouvés devant une coupe de champagne, et cela s'applique tout autant à ces beautés libres qu'il nous arrive de croiser, de séduire, d'entraîner dans quelques dérives nocturnes, qu'il nous arrive parfois d'aimer, qu'à cette toile dont je vous ai apporté une petite reproduction, cet envol des déesses, ces immenses Baigneuses qui dans leur extase tracent, ce qu'un ami que je vous présenterai un jour, appelle la résurrection du corps enflammé, ajoute-t-il en portant sa coupe aux lèvres, nous avons tous les deux une bien aimable distance instruite, qui nous rend finalement si dangereux, car notre savoir n'est autre que celui du peintre amoureux de ces modèles glorieux, du musicien attentif aux vols des martinets, de l'écrivain dont les phrases sont des épées dont le nihilisme ambiant ferait bien de se méfier.



" La plupart des critiques d'art ( Cézanne : " Ne soyez pas critique d'art ! Faites de la peinture ! Là est le salut ! " ) sont ici gênés par le " catholicisme " de l'auteur des Grandes Baigneuses, lequel, sur la fin, confesse qu'il ne peut plus aller, comme d'habitude, écouter la messe à la cathédrale d'Aix parce qu'un " crétin d'abbé tient les orgues et joue faux ", en ajoutant : " Je crois que pour être catholique, il faut être privé de tout sentiment de justesse, mais l'oeil ouvert sur les intérêts. " N'empêche : on ne plaiante pas, en 1905 - 1906, avec ces choses, pas plus qu'aujourd'hui. Le clergé anticlérical veille. Ce Cézanne a peur de la mort, disent-ils. Il a besoin de protection, il est un peu dérangé, on expliquera ça un jour par ses relations d'amour-haine avec son père, la psychanalyse n'est pas encore là mais il n'y en a pas pour longtemps. De toute façon, son diabète s'est aggravé. Il est de plus en plus susceptible, nerveux, irritable. Phobique ? Paranoïaque ? J'allais le dire. Il admet lui-même, dans sa correspondance, avoir des " troubles cérébraux ", vous voyez bien. Finalement, c'est un conservateur, pas un tableau sur la Commune de Paris, pas un mot, mais des réticences facilement amplifiables, sur l'Affaire Dreyfus, une amitié douteuse pour les régionalistes qui vont devenir, c'est forcé, plus ou moins fascistes, tout cela est suspect, et s'il " s'appuie sur Rome ", comme il le dit, c'est bien la preuve de sa faiblesse de caractère. Ainsi va le psychologisme courant, véritable plaie d'époque, taie immédiate sur l'oeil. Cézanne ne manifeste aucun intérêt pour la radieuse expérience humaine qui s'annonce, millions de morts en vue, camps d'extermination ? En effet. Il veut du temps, le plus de temps possible. " (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Le paradis de Cézanne / Philippe Sollers / Éloge de l'Infini / Gallimard

mardi 5 août 2008

Liberté du Temps

Cette fresque a donc échappé au désastre, à la furie de la lave, à la guerre, à la fronde, cette petite reproduction nous en dit plus sur le temps aimé, que beaucoup de discours, il faut s'y plonger comme dans une fontaine de jouvence, ajoute-t-il, ces deux femmes là, ont, si je puis dire la nudité au bout des lèvres, l'échappée belle du temps se lit dans la courbe dansante de leur seins et de leurs fesses, quelques policiers de la pensée, s'en offusqueront, y voyant, diront-ils, une nouvelle illustration, de la domination de l'homme sur la femme, ou quelque autre foutaise, fort à la mode en ces temps frileux, dévots, policés, nihilistes, et sans saveur, il y a dans ces corps suspendus tout un savoir de la saveur, une douce façon de s'offrir à la caresse du temps, une liberté du mouvement, sans crise, sans peur, sans doute, gardons cher ami, nos doutes pour nous, offrons à ces déesses ressuscitées, nos corps et nos mots, offrons leur quelques douces jouissances de soies sauvages, des vins merveilleux, doux et généreux, des musiques libres et pétillantes, des envolées de mots, comme ces coupes de champagne, que nous goûtons ici, dans ce café de la conspiration permanente, dit-il, en portant à ses lèvres cette liberté de raisin béni et enjoué.
" Douce est la brise au printemps
caressant la joue des roses,
Doux un visage charmant
dans les fleurs fraîches écloses.
D'hier qu'est-ce que tu me chantes ?
Tu m'attristes, tu m'ennuies :
Goûtons ce bel aujourd'hui,
car douce est l'heure présente. (1)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Cent un quatrains / Omar Khayyâm / traduct. Gilbert Lazard / Éditions Hermes

lundi 4 août 2008

Il Embrasse le Temps


D'évidence il n'a jamais appris à saluer la beauté, il a salué la beauté, car la beauté s'est penchée un soir sur sa jeunesse éclatante, en lui offrant la manière, elle lui a donné la matière, alors, est né cet embrasement singulier de la vie, dit-il, pour comprendre tout cela, il faut regarder ce qu'il peint de son visage, de ses mains, il faut s'enfoncer dans cette masse terrestre et étoilée, on devrait ajoute-t-il s'en inspirer, ou plutôt se laisser pénétrer par cet éclair de vie, c'est ce chemin qui peut conduire à cet art si particulier qui consiste, voyez-vous, à saluer la beauté, car saluer la beauté, c'est sur l'instant devenir cette beauté là, et finalement, Picasso, n'est qu'un exemple, que vous n'êtes évidement pas obligé de suivre, à vous de voir, vous pouvez à votre façon, que je sais singulière, saluer ces beautés qui nous entourent ici dans ce café où nous avons désormais nos habitudes, celle-ci par exemple, cette blonde beauté, qui à deux tables de nous, se joue de nos représentations en croisant les jambes, laissant ainsi sa très courte jupe découvrir le brun d'été de ses cuisses réjouissantes, cette autre beauté, qui l'autre soir, nous offrit avant de disparaître, ces deux coupes musicales d'un vin léger traversé de vives vagues souterraines, qui en remontant à la surface le rendait encore plus transparent, dit-il avec un évident plaisir, mais il serait stupide de croire que ces seules beautés là, méritent notre attention, non, voyez-vous, cher ami, cela serait trop simple, lorsque je nous invite à saluer la beauté, il en va aussi, de ce ciel, que beaucoup de nos frères humains, oublient simplement de regarder avec les yeux du créateur, ce ciel éclatant d'une palette rare de bleus musicaux, ces vierges postés dans les rues que vous embrassez le matin lorsque vous revenez de vos dérives nocturnes, ces livres divins que vous offrez à ces femmes de passage, qui ignorent votre passion souterraine pour le mouvement invisible des mascarets de l'amour, ces musiques qui embrassent le temps, que vous réservez à quelques aventuriers, papillons de nuit qui échouent comme des roses dans votre phare en alerte, et mille autre choses aussi, mais cher ami, passons à table, cette journée d'été mérite qu'on lui offre quelques jeunes poissons grillés.
Il ne cachait pas le plaisir qu'il prenait à ces rencontres dans le café de l'Etoile, il avait tellement l'habitude de le nommer ainsi, qu'il en avait oublié le véritable nom, finalement cela n'avait guère d'importance, ils se retrouvaient le plus souvent le soir, un peu avant le coucher du soleil, ils y restaient le temps de mettre en mouvement quelques idées, quelques pensées, quelques images, quelques songes, comme cette nuit d'été, où il a poursuivi son aventure avec l'embrasement de la beauté.
Après son départ, il commanda une autre coupe de champagne, alluma une cigarette américaine, il avait abandonné le paquet américain sur la table, j'ai assez fumé ce soir, je vous le laisse, à très vite, même heure, même endroit, lui avait-il dit, avant de se retourner pour disparaître dans un taxi qui l'attendait devant l'établissement. Alors il sortit de son cartable de cuir clair, l'un des livres qui ne le quittait plus depuis deux semaines, précisément depuis douze jours, il ne cessait d'y entrer, de s'y glisser, d'annoter, de rayer, de sur ligner, de s'en retirer, d'y revenir :

" Où est-il passé ce premier chant de Maldoror, depuis que sa bouche, pleine des feuilles de la belladone, le laissa échapper, à travers les royaumes de la colère, dans un moment de réflexion ? Où est passé ce chant... On ne le sait pas au juste. Ce ne sont pas les arbres, ni les vents qui l'ont gardé. Et la morale, qui passait en cet endroit, ne présageant pas qu'elle avait, dans ces pages incandescentes, un défenseur énergique, l'a vu se diriger, d'un pas ferme et droit, vers les recours obscurs et les fibres secrètes des consciences. Ce qui est du moins acquis à la science, c'est que, depuis ce temps, l'homme, à la figure de crapaud, ne se reconnaît plus lui-même, et tombe souvent dans des accès de fureur qui le font ressembler à une bête des bois. Ce n'est pas sa faute. Dans tous les temps, il avait cru, les paupières ployant sous les résédas de la modestie, qu'il n'était composé que de bien et d'une quantité minime de mal. Brusquement je lui appris, en découvrant en plein jour son coeur et ses trames, qu'au contraire il n'est composé que de mal, et d'une quantité minime de bien que les législateurs ont de la peine à ne pas laisser évaporer. " (1)

Il se souvint qu'il lui avait dit qu'il fallait retrouver notre âme de panthère. La nuit prouvera qu'il avait raison, se dit-il.






à suivre

Philippe Chauché

(1) Les Chants de Maldoror / Isidore Ducasse Comte de Lautréamont / Garmier - Flammarion

dimanche 3 août 2008

Apprendre à saluer la beauté



S'il y a bien un exercice qui relève de la plus haute spiritualité, c'est celui de saluer la beauté, me dit-il en allumant une longue cigarette américaine, les humains qui depuis longtemps l'ignorent, devraient un jour comprendre que leur indigence pour le bonheur vient de là, de cet oublie ancien, de cette faillite de la mémoire, ajoute-t-il, on pourrait comprendre qu'ils aient renoncé à saluer la beauté, par faiblesse, fatigue, désespoir, où je ne sais quoi d'autre, mais voyez-vous, dit-il, c'est de bien autre chose qu'il est question, et l'explication saute aux yeux, nous savons tous les deux que nos frères humains, ont fort mauvais goût, dire cela n'est point une forme de condamnation définitive, c'est seulement un constat, ils se complaisent, un jour dans un état de morbide délectation, l'autre dans une permanence d'admiration lugubre, le tremblement secret de la beauté, précise-t-il, cet état miraculeux, ils en ignorent l'urgence salutaire, il s'agit pourtant, et je sais, ajoute-t-il, que sur ce point là, nous ne sommes pas très éloignés, il s'agit, d'un acte qui demande une attention particulière, une profonde concentration, car saluer la beauté, relève d'une étrange attitude, fort peu humaine, peut-être, en tout cas fort peu en accord les pratiques habituelles de nos frères humains, peut-être n'est-ce pas très loin de la prière, d'une prière voluptueuse, mais restons-en là pour ce soir, et buvons cette coupe de champagne que nous offre, cette dame, que vous apercevez à la table ronde du fond de la salle, elle a quelques aptitudes à la beauté, et en buvant cette coupe de champagne nous salueront sa beauté.

" La fontaine de Jouvence était un bassin cerné de trois marches dans lequel les hommes et les femmes se baignaient nus.
On l'appelait aussi la fontaine du Prêtre Jean.
Tout corps qui s'y immergeait ressortait dans l'apparence de ses 32 ans.
( Parce que Jésus fut supplicié à 33 ans. )
On avait calculé que le Prêtre Jean avait en vérité 562 ans. " (1)

Il m'avait prévenu par un petit message codé transmis par le garçon du bar, qu'il aurait un peu de retard, ce soir, car il avait quelques saluts précis à donner à la beauté, je m'amusais à penser qu'il s'agissait peut-être de la dame aux coupes de champagne, dont j'avais un instant aperçu la silhouette, avant qu'elle ne disparaisse dans la nuit de la rue, ou bien de l'une de ses haltes quotidienne devant l'un des tableaux du peintre miraculeux dont il aimait m'entretenir, je me disais tout cela en fixant le verre que j'avais demandé et les petites olives au fenouil qui l'accompagnait, lorsque je sentis une main se poser sur mon épaule, le léger glissement d'une chaise que l'on déplace et un " me voici, cher ami ", nous pouvons reprendre notre conversation sur la beauté, et l'art de la saluer. Je me demandais en vous attendant, si simplement le premier salut que nous adressons à la beauté, c'est ce regard vif, mordant, ce regard de fauve a écrit un écrivain du risque, ce regard empli de grâce que nous portons sur les dames qui croisent notre route, sans qu'un seul instant ne se glisse dans nos pensée la moindre stratégie de séduction, nous ne sommes pourtant pas tous les deux étrangers à l'art de la séduction, mais nous savons que sa force réside dans son absence. Vous me voyez ravis par de tels propos, a-t-il répondu, je vous parlerai un de ces soirs de mes rencontres avec la dame invisible qui nous a offert du champagne l'autre soir, je vous dirai aussi comment saluer Picasso et quelques autres musiciens de la toile.



" Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j'ai connu le monde, j'ai illustré la comédie humaine. Dans un cellier j'ai appris l'histoire. A quelque fête de nuit dans une cité du Nord, j'ai rencontré toutes les femmes des anciens peintres. Dans un vieux passage à Paris on m'a enseigné les sciences classiques. Dans une magnifique demeure cernée par l'Orient entier j'ai accompli mon immense oeuvre et passé mon illustre retraite. J'ai brassé mon sang. Mon devoir m'est remis. Il ne faut même plus songer à cela. Je suis réellement d'outre-tombe, et pas de commissions. " (2)



" Avivant un agréable goût d'encre de Chine une poudre noir leur doucement sur ma veillée. - Je baisse les feux du lustre, je me jette sur le lit, et tourné du côté de l'ombre je vous vois, mes filles ! mes reines ! " (2)

à suivre

Philippe Chauché


(1) Les Paradisiaques / Pascal Quignard / Grasset
(2) Illuminations / Arthur Rimbaud / Oeuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard