samedi 25 mars 2017

Patrick Dubost et Brigitte Baumié dans La Cause Littéraire





 
« On dit “on” comme on écrit / sur le dos rond d’un moine / on se dit que le silence est rond aussi / on taille un arbre / on taille un arbre à la mesure du silence / on admet quelques oiseaux / on attribue un bruit pour chaque oiseau / chaque seconde / mais sans toucher au silence / on ajoute un graffiti parmi ceux de toujours / on affirme que “tout fait poème” / on prend  ses désirs pour des réalités / on existe bien sûr encore un peu / mais très peu / très très peu / on est presque plus rien / comme un bruit / un souffle suspendu dans un parfait silence », 13 poèmes taillés dans la pierre, Patrick Dubost
 
3 poèmes taillés dans la pierre ont cette force tellurique, qui vient de la pierre – l’écrivain devient tailleur de texte : phrases gravées dans « la pierre blanche et crayeuse du langage », phrases infinies qui épousent les obliques, les angles, les triangles de la Chartreuse Notre-Dame-des-Près de Neuville-sous-Montreuil où elles ont été façonnées et polies par Patrick Dubost. L’art rare de l’écrivain s’écoute et se voit, ses textes, ses poèmes, ses phrases, ses mots, résonnent entre les pierres, ils ont la même patine.
 
« On sait que peu de mots tombés dans un lieu silencieux… »
 
Ces 13 poèmes taillés dans la pierre se nourrissent de résonnances et d’échos – on avance avec trois mots à la ceinture –, on les imagine tracés à la craie blanche sur les pierres du monastère, en souvenir de l’imprimerie des chartreux, des architectes qui l’ont dessiné et fait s’élever, dans le silence et le doute. Ecrire pour douter, écrire le temps qui se glisse lui aussi entre les colonnes du cloître, dans la lumière qui « parle un peu comme l’on parle en écrivant… ». Ecrire suspendu à son corps tendu vers la lumière – à l’orée d’un monde ciselé par les vents et les siècles –, attentif à – cette chouette au regard scientifique – et à l’ordonnancement des mots et des phrases. Ces poèmes se bâtissent pierre à pierre dans les angles romanesques de la Chartreuse.
 
« Par la fenêtre, elle regarde les arbres défiler / le nom des arbres / ou plutôt / faire le lien entre les visages des arbres et / leurs noms…
 
 

Bouleau, chêne, hêtre, mélèze, orne et frêne / se mélangent les branches et les radicelles », Paysages intermittents, Brigitte Baumié.
 
Comme un film qui passerait au ralenti, oubliant les 24 images par seconde, le livre de Brigitte Baumié défile sous nos yeux à la vitesse d’un regard qui se pose et qui se repose. L’enfance, la rêverie, le présent, des paysages – Enlacement des lignes du temps –, ailleurs, elle, voilà les axes autour desquels tournent au ralenti ces Paysages imaginaires – Des visages défilent. Des milliers de visages assis sur le bord. La force du livre est d’ouvrir des brèches de fictions et de frictions dans le défilement du livre – un arrêt sur un mot, comme on le dit sur une image. Brigitte Baumié saisit la joie et l’effroi de l’enfance, où rien n’est important sauf les fantômes – Quand il vient à la maison, il faut le surveiller en permanence parce que c’est sûr qu’un jour ou l’autre il cherchera à nous empoissonner –, elle saisit le Présent qui se compose et se décompose sous ses yeux – Il pleut à rayure. Sur la vitre la vitesse dessine une musique entendue il y a très longtemps –, et se glisse dans l’ailleurs – Dérive infinie. C’est à chaque ligne passionnant : éclats de fictions, et d’événements, éclairs de vie(s) et louanges des instants. L’auteur voyage, comme dans un Tour du Livre en 80 mondes.
 
Une nouvelle fois, Antoine Gallardo prouve qu’être éditeur c’est non seulement choisir avec justesse et attention ses auteurs, mais aussi, et ces deux livres, 13 poèmes taillés dans la pierre et Paysages intermittents, en sont la preuve lumineuse, choisir son imprimeur – Yenoa –, avec en tête ses papiers – Fedrigoni ici – et le corps des textes – Minion 12 et 10,5 –, ses couvertures, son foulage pour le livre de Patrick Dubost, avec le chiffre 13, qui s’inscrit en creux dans corps de la couverture. Tout un art d’artisan façonné pour quelques amateurs, les tirages restent limités entre 500 et 800 exemplaires.
 
Philippe Chauché
 
 
 

jeudi 2 mars 2017

Beauté dans La Cause Littéraire




« Et voici l’événement : un éclair en plein jour, un coup de foudre sans le moindre orage. C’est stupéfiant et très bref. Zeus vient de parler, on est traversé par cet éclat, on en pleurerait de joie. Il est donc toujours là le vieux Zeus, « l’assembleur de nuées », le Père ? On est pétrifiés, on ne bouge pas, on se tait ».

Commençons par le commencement : Beauté est un roman qui ne se lit pas comme un autre. En même temps que nos yeux fixent les lignes imprimées, les pages enchantées, nos oreilles écoutent Les suites françaises de Jean Sébastien Bach sous les doigts de Glenn Gould, la connexion nerveuse est parfaite, le roman des sens s’ouvre, comme un enchantement – Il a un drôle de geste hiératique pour souligner une brève interruption, il tend le bras en avant, paume ouverte –, et tout s’éclaire ! Le pianiste et l’écrivain : même concentration, même justesse de style, de ton, même vivacité, foisonnement, richesse, justesse, même légèreté, concentration, éloignement du monde et présence au Temps, même musique, et quelle musique ! Beauté est un livre heureux et musical, un livre enchanté. Preuve s’il en est, que la littérature s’entend, s’écoute, comme la musique se voit, elle vérifie la vérité d’un roman, son style, ses manières et sa matière. Les romans de Philippe Sollers s’écrivent et se lisent en musique, ce n’est pas un effet de style, rien de démonstratif, la musique est cette aventure romanesque, le roman cette partition éclairée et éclairante.
 
« J’ai prié pour Empédocle, à Agrigente, dans le grand temple dorique de la Concorde ».
 
Beauté s’écrit sous la protection des dieux grecs – Zeus, Athéna Aphaïa, Apollon, Poséidon – quels noms ! –, d’Hölderlin qui en son temps a tant et tant admiré la belle Garonne lors d’un séjour à Bordeaux – ce n’est pas une ville, c’est un pays, un royaume, une planète –, de Lisa, la pianiste baromètre du narrateur, Beauté mise en musique – L’immortelle beauté la protège –, d’écrivains immortels et de livres qui le sont tout autant, écrins protégés de la surveillance ambianteBeauté saisit aussi la contre-beauté – rien de plus opposé à la musique de Bach, de Haydn, de Mozart ou de Webern –, qui est à l’œuvre sous nos yeux. Une œuvre au noir : guerres, massacres, bombes, égorgements, terreurs, mensonges et rumeurs, blablas religieux et mortifères, mais aussi laideur, les dollars fissurent l’art, et les marchands du temple s’en réjouissent. Les couplets désaccordés du nihilisme, que l’écrivain met en pièces depuis des décennies, s’invitent à nouveau au bal du siècle nouveau. D’une terreur l’autre, d’un roman l’autre, le style contre la terreur, on pourrait presque parler de chanson de geste. Montaigne s’y employait déjà en son temps dans sa librairie, Sollers quant à lui, virevolte dans son île, à Bordeaux et Athènes, protégé par Athéna, Hölderlin, Aliénor d’Aquitaine, Picasso et Empédocle, et comme Montaigne, il écrit, autrement dit, il vit. Il manie des formules magiques – je ne cherche pas je trouve ! –, latines, grecques et françaises. La langue ne capitule jamais et la musique résiste, le narrateur de Beauté le prouve à chaque page.
 
« Vous vous déployez en , vous vous retirez en mi, vous recommencez en ut, vous vous reposez en fa. Vous attaquez en sol, vous vous consolidez en si, vous faites semblant de dormir en la ».
 
Commençons par le commencement, autrement dit par l’art du roman, tout l’art de Beauté vibre d’une floraison de citations, comme tant de fleurs et d’étoiles : Pindare, Genet, Apôtres, Homère, dictionnaires illustrés – merveilleuses boussoles. Beauté est une langue de feu, en feu, un roman du savoir et de la saveur. Difficile d’imaginer un roman de Philippe Sollers qui ne conjugue ces deux mots – chers à Roland Barthes – ces deux principes romanesques. Le verbe de la passion de l’Histoire et de la Science, de quelques écrivains, le goût des fleurs et la saveur des dieux grecs. Fidélité de l’écrivain à la beauté : un dessin, un visage, une musique, une fleur, un oiseau, une sculpture, une phrase, une étoile, une toile, un prénom. Dans Beauté, elle se nomme Lisa, pianiste, grecque de sang, légère, musicale, enchanteresse, elle vient de très loin, d’Ithaque, et elle est partout à sa place, comme une déesse : Zurich, Varsovie, Berlin, Prague, et Bordeaux, au bord du fleuve et sous les arbres. Il suffit d’un piano pour que la joie surgisse – que ma joie demeure ! Beauté est le roman de ce surgissement, de cette élévation, le roman d’un écrivain à l’oreille aiguisée, comme on le disait d’un peintre mutilé, et comme son ancêtre sur les chemins d’Arles, il entend avec ses mains agiles les voix des dieux et des hommes – tout sauf impénétrables ! Il écrit à l’oreille, au stylo plume, peut-être même au pinceau de soie ! Beauté est une suite française, qu’il faut lire à l’oreille.
 
« Vous ouvrez les yeux, l’évidence est là. Vous êtes étonné, chaque matin, que votre cœur vous ait conduit aussi loin. Vous auriez dû vous effondrer ou vous égarer cent fois, mais votre ange gardien vous protège, ou plutôt votre « déesse aux yeux pers ».
 
Philippe Chauché


http://www.lacauselitteraire.fr/beaute-philippe-sollers