« C’est la lumière qui unifie la
Méditerranée ».
« Retournons vers ces espaces où sont nés le
monothéisme et la philosophie. Retournons la leçon de la nouvelle alliance entre
l’Orient et l’Occident. Contemplons. Méditons. Vivons »
(Contemplation).
Qui mieux que Richard Millet pour nous offrir ce
Dictionnaire amoureux de la Méditerranée ? La question posée ne résiste
pas longtemps à la lecture vagabonde de cet éblouissant et réjouissant
dictionnaire. D’Abraham à Istanbul, en passant par
Dalida et Homère, sans oublier Durrell,
Hérodote, Lampedusa, saint Paul, l’Art Roman et Port
Royal. Justesse du choix des entrées, pensées vives du jeune Français
devenu Libanais le temps de l’enfance et de la guerre, éclats et éblouissements
de l’écrivain au cœur parfois tendu comme un arc. Le chrétien corrézien baigné
de patois limousin, s’ancre avec l’élégance et la force du vicomte de
Chateaubriand dans la langue de Giono, René Char, Casanova et Valéry. Question
de style et de manière, mais aussi de matière, l’écrivain sait où il met les
pieds, il sait la nature des sols, leurs tremblements, leurs forces intérieures
et l’éblouissante douceur des arbres qui s’y accrochent, oliviers, platanes et
cyprès, arbres méditerranéens, arbres qui s’accordent au ciel et s’accrochent
aux regards des hommes.
La langue de Richard Millet n’est jamais vaine et
fade, elle charrie des galets, et tire sa force, ses envolées, sa gloire et ses
tiraillements, ses passions aussi, d’une Histoire, d’un accent, d’un paysage,
d’un écrivain, d’un musicien, d’une vibration divine, d’un héros –Baltasar
Gracián –, d’un espace rayonnant entre mer et oliviers, entre chrétiens,
juifs et musulmans, qui a donné deux civilisations en miroir : celle de
l’Europe, et celle du Proche-Orient.
« …Beyrouth demeure une abstraction sensible ; un
lieu de spéculations identitaires, de négation de soi et de résurrection dans la
coexistence des contraires, des ethnies, des religions, des langues, des
intérêts et des passions idéologiques… » (Beyrouth).
Qui mieux que Richard Millet pour nous entraîner
dans ce périple amoureux de savoir et de saveurs ? Ce périple
savant où se dressent des villes – Venise, Port-Bou, Beyrouth, Arles –
et des fleuves – La Garonne – remontant vers l’Atlantique où son
puissant mascaret la féconde. Des hommes et des dieux s’invitent à la table
d’orientation de l’écrivain, mais aussi des poètes et des musiciens, des
actrices –Adjani la kabyle –, des écrivains – Adonis croise
ici Joë Bousquet, René Char, Miguel de Cervantès
et Casanova –, des peintres – Zurbarán, Miquel
Barceló, le Caravage et Henri Matisse – Tout art
digne de ce nom est religieux. Un périple politique, qui est aussi un
vertige pour l’écrivain et parfois pour son lecteur, un bruissement de
nostalgie, une colère contemporaine, un doute sur ce qui demain nous sera conté
et sur la façon dont il l’est aujourd’hui. Finalement l’écrivain dérange tout
autant que sa Méditerranée, ses flèches et ses assauts, que ceux du
jésuite rebelle aragonais. Richard Millet agace, résultat, il est peu ou mal lu,
victime d’une police littéraire qui ne dit pas son nom, mais il écrit. Il écrit
au cœur de ce que l’on pourrait nommer, avec lui, l’exception française, et
son Dictionnaire amoureux de la Méditerranée est l’un de ses opus les
plus réjouissants.
« …ils sont nos guides les plus sûrs ; ils nous
enseignent l’usage du désert, où que se trouve celui-ci et où que nous nous
trouvions, pauvres humains égarés en un siècle matérialiste » (Pères du
désert).
« Je rêve aussi d’une tombe du côté de Batroun,
au Liban, sur une colline surplombant la mer, près d’un couvent, dans l’ombre
d’un grand cyprès, sous le calme regard que les religieuses viendront poser sur
les croix et sur la mer » (Cyprès).
Qui mieux que Richard Millet pour nous faire
véritablement voir ce qui nourrit, éclaire, enivre dans la
Méditerranée ? Avec l’écrivain stylé et racé, nous ouvrons les yeux sur les pays
qu’il a traversés et admirés, sur l’art et la manière d’être là physiquement,
musicalement, littérairement et moralement, entre terre et Mare
nostrum, au centre tellurique de la poésie vive, autrement dit de la vie
même et de sa liberté libre.
« Ulysse, d’une certaine façon, c’est l’homme qui
a décidé du temps, contre la vindicte divine ; il est le temps. Il est nôtre.
Nous sommes Ulysse » (Ulysse).
Philippe Chauché
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