vendredi 31 octobre 2008

Le Souffle des Dieux




" De son berceau de brume, à peine sortie l'Aurore aux doigts de rose, qu'Ulysse revêtait la robe et le manteau. La Nymphe se drapa d'un grand linon neigeux, à la grâce légère ; elle ceignit ses reins de l'orfroi le plus beau ; d'un voile retombant, elle couvrit sa tête, puis fut toute au départ de son grand coeur d'Ulysse. Tout d'abord, elle vint lui donner une hache aux deux joues affûtées, un gros outil de bronze, que mettait bien en mains un manche d'olivier aussi ferme que beau ; ensuite elle apporta une fine doloire et montra le chemin vers la pointe de l'île, où les arbres très hauts avaient poussé jadis, aunes et peupliers, sapins touchant le ciel, tous morts depuis longtemps, tous secs et, pour flotter, tous légers à souhaits. Calypso lui montra cette futaie d'antan, et la toute divine regagna son logis. Mais lui, coupant ses bois sans chômer à l'ouvrage, il jetait bas vingt arbres, que sa hache équarrit et qu'en maître il plana, puis dressa au cordeau. Calypso revenait : cette toute divine apportait les tarières.
Ulysse alors perça et chevilla ses poutres, les unit l'une à l'autre au moyen de goujons et fit son bâtiment. " (1)

Nous y sommes, nous allons embarquer, ce radeau là conviendra à quelques élues, fidèles à quelques principes, à quelques auteurs des hauteurs, nous ne craignons aucune tempête, aucun orage de nous effraie, nous avons pour nous l'insolence de la liberté, la liberté du corps délivré, envolé dans le souffle des dieux.
C'est dans ce radeau que nous allons inventer d'autres attirances, d'autres frôlements, d'autres aventures dont vous ignorez les floraisons et les frissons, certes ce voyage n'est pas sans risque, mais quel voyage l'est-il, certes cette aventure du corps n'est pas donnée à tout un chacun, mais toutes savent ce qui les attend, une traversée du siècle de la lumière.



" Assis prés de la barre, en maître il gouvernait : sans qu'un somme jamais tombât sur ses paupières, son oeil fixait les Pléiades et le Bouvier, qui se couche si tard, et l'Ourse, qu'on appelle aussi le Chariot, la seule des étoiles, qui jamais ne se plonge aux bains de l'Océan, mais tourne en même place, en guettant Orion ; l'avis de Calypso, cette toute divine, était de naviguer sur les routes du large, en gardant toujours l'Ourse à gauche de la main.
Dix-sept-jours, il vogua sur les routes du large ; le dix-huitième enfin, les monts de Phéacie et leurs bois apparurent : la terre était tout près, bombant son bouclier sur la brume des mers. " (1)

Nous avons ainsi vogué, traversé ces mers qui se reflètent dans la courbe étoilée qui nous éclaire, ainsi nous avons filé tels des poissons d'or et d'argent, sans autre pensée que celle d'être attentifs aux signes du vent et des dieux complices, ainsi de nos corps nous avons fait des compas et les boussoles vigilantes, nos amies n'ignoraient rien de ces codes appris au fil du temps, elles se postaient à l'avant du radeau du bonheur avec dans les yeux les éclats d'étoiles de soie et de poissons complices.

Ce voyage ouvre sur mille mots tendus comme les voiles que nous embrassons de la main.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Odyssée / Homère / Bibliothèque de la Pléiade / traduc. Victor Bérard / Gallimard

jeudi 30 octobre 2008

L'Air du Temps (2)

Le temps s'y prête, il suffit de lever les yeux, plafond bas, pluie glacée. D'aller voir au plus bas, au raz du gazon de pierre, ce n'est alors que marrons de cuir, coton épais, velours côtelé, laine vacharde, cols déroulés, corps enfermés, prisons étanches à toutes les vibrations sensuelles, écharpes tricotées industriellement ou manuellement, ce qui vous en conviendrez est la même chose, au pays du laid, le plaid qui protège la gorge, est un serpent qui étouffe votre souffle, le moindre élan de peau, et le premier mot. Disparus donc les blancs ébouriffants, les rouges carmins, les jaunes andalous, les verts olives, les gris sensuels, les noirs en fleur, les bleus mousseux, les ors et les nacres. Les hommes passent et les femmes suivent, ou l'inverse, comme il vous plaira, les parapluies vous éborgnent, les bottes sales vous écrasent, les visages frileux vous éclaboussent. Le temps s'y prête, il suffit de lever les yeux ou d'aller voir plus bas de quoi il retourne. Alors tentons une éclaircie, un effet printanier, un saut dans un autre air du temps, traversons l'espace et le brouillard :



Voilà, il suffisait d'y penser.

à suivre

Philippe Chauché

dimanche 26 octobre 2008

Les Envolées du Corps



Le corps de l'acteur, porteur d'eau, de vin, de sang, et de mots, le corps de l'acteur traverse le temps et embrasse le verbe, il le digère, le malaxe, le retourne et détourne, le corps de l'acteur respire les phrases, embrasse les phrases, précipite les noms dans son foyer incandescent, le corps de l'acteur muscle chaque réplique, le corps de l'acteur lorsqu'il rencontre le corps de l'écrivain est invité a se faire mouvement de mots, chanteur des métaphores, élévation de verbes, souffle continue d'adjectifs, il devient noms de théâtre, théâtre des noms du corps de l'acteur et de l'écrivain.

Écoutons :

" 63. Entreprendre la radiographie du langage à travers le corps révélateur de l'espace, entendre les sons du langage raisonnant dans la matière, apercevoir soudain le drame spatial de la parole, son croisement avec la matière, sa sexualité avec l'espace. " (1)
" 68. Il y a parfois à traverser les éboulis du langage. " (1)
" 73. Montrer la parole sortant des mots. Faire la pensée visiblement traverser l'air, rendre le langage ardent, c'est-à-dire d'abord le montrer matériel. L'air et le langage : montrer leur amour, leur croisement combustif. Ouvrir les mots comme des fruits, en offrir la chair irriguée, traversée, évidée, fléchée de souffles..."
(1)

L'acteur a du corps, du souffle, de la vie à revendre, du temps à transpercer, des muscles à irriguer, le corps de l'acteur souffle, transperce, irrigue les mots et les oreilles, les pieds et les yeux.

Lisons :

" 207. " L'esprit respire. " Voilà ce que notre pensée, notre langue oublie toujours. Le français ni l'allemand, ni les autres langues d'Europe, n'ont su conserver le même mot pour l'esprit et pour le souffle, comme le font l'hébreu dans rouah, le grec dans pneuma. Le spirituel, ce n'est pas l'immatériel, c'est le respiré : l'esprit n'est pas le contraire de la matière mais sa métamorphose, son offrande. L'esprit est une donnée de la matière. " (1)

L'acteur Louis Castel souffle du Novarina dans quelques temps à la Maison de la Poésie, c'est à Paris sur verbe.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Lumières du corps / Valère Novarina / P.O.L.

jeudi 23 octobre 2008

Les Corps Offerts



" Sur les évolutions des acrobates, le bonheur des amoureux, les quêtes de leur désir, les danseurs du temps, l'extase qui les porte, l'arc bandé et le cri étrange qui la concluent.
Il y a une connivence virtuose des corps quand ils désirent qui le fait parvenir à peu près à l'état de célestes.
Ils s'envoyaient en l'air.

Si le paradis a des habitants, ce sont les acrobates.
Le septième ciel où ils volent et tournoient comme des oiseaux dans le ciel.
Des écureuils sur le tronc des arbres.
Des cabris sur la paroi toute blanche de neige de la montagne.
La crainte de tomber et de mourir excite l'âme.
Ou l'invente.
Il y a une joie d'abîme dans les caprices des cabris. (1)

C'est en danseur que nous devons nous fondre dans la vie réelle et épouser le temps, les amours du temps piègent le diable, les sauts et les glissements déjouent les piègent que l'on nous tend, les corps qui s'élèvent trompent l'apesanteur générale, c'est en danseur que nous défions la misère générale. L'espace, le ciel nous appartiennent, les fleurs invisibles que nos ailes frôlent nous couvrent de parfums paradisiaques, nos amoureuses l'ignorent, même si parfois l'étrangeté de notre regard les trouble, les oiseaux de nuit que nous croisons dans nos dérives enjouées nous parlent du rêve secret des flèches des cathédrales, des feuilles des platanes centenaires, des romans des étoiles qui brûlent leurs plumes, et de la mémoire des villes qui s'élève portée par le vent venu de la mer.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Danse / Les Paradisiaques / Pascal Quignard / Grasset

mardi 21 octobre 2008

Le Temps Aimé (3)



Il n'est pas interdit de penser que ce tableau là, aurait en ces temps beaucoup de mal à trouver sa place dans le charabia qui s'expose, dans le chichi qui s'affiche et le blabla vidéo qui s'impose comme une nouvelle divinité de l'art vivant.

L'art ne peut être que vivant ou mort, pas d'alternative, et cela d'évidence n'a rien à voir avec sa modernité, l'art vivant est celui d'artistes qui affirment leur modernité dans leur manière d'être là, dans la vie immédiate, à chaque fois que nous regardons leurs toiles, que nous écoutons leurs musiques, que nous lisons leurs livres, notre regard fertilise leurs créations.

L'art vivant transperce le diable, c'est sa force qu'il naisse au 17° siècle ou aujourd'hui, le temps ne fait rien à l'affaire, car ces artistes vivants sont le temps même.



à suivre

Philippe Chauché

dimanche 19 octobre 2008

La Solitude Joyeuse ( 2 )



Ce soir, sera un autre soir, c'est ce qu'il m'a dit devant une coupe de champagne dans notre café des Hauteurs, c'est ainsi que désormais nous le nommerons, un autre soir, car nous l'avons choisi, comme pour ces peintres dont nous échangeons les traces, elles deviennent sous notre regard, celles du mouvement de la peinture admirée, il en va de même, voyez-vous de la littérature et de la musique, à leur contact nous nous transformons, comme d'ailleurs nous transformons ce qui s'est écrit, je crois que nous servons de révélateur secret à ces phrases imprimées, à notre contact elles se bonifient, notre cerveau est une bibliothèque mouvante, j'aime à penser que c'est ce contact unique qui illumine les yeux de ces femmes que nous aimons. Notre alchimie est faite d'éclats de regards, d'envolées de mots et de mouvements intérieurs, cet autre soir révélera tout cela, rien ne sera facile, a t-il ajouté, rien ne sera simple, mais nous le rendrons à l'évidence, il nous faut traverser le Néant et les Catastrophes, il nous faut nous incruster dans toutes les crevasses du diable, c'est alors seulement, je le crois cher ami, alors seulement que nous éclairerons de nos yeux qui déchirent le temps, cet autre soir décidé.

" Les filles du chant sont venues :
- " Veux-tu de nous ? Nous sommes nues,
nos lèvres sentent la lavande "...
- Je songe aux ravins de Finlande
où dorment des soldats de gel...
Les vierges de sel du poème
m'ont dit : - " Il est temps qu'on nous aime !
Nous sommes nues sous la peau. "
- Je songe aux navires sous l'eau
noyés derrière les vitrines...
Les molles putains de mon songe
me crient : - " Lâche pied et plonge,
que les poissons sont frais et muets ! "
- Je songe aux forçats d'Allemagne :
ils sont maigres sous le fouet...
Les douces mères du sommeil
me choient : " Couche-toi ! Les orteils
dressés vers la pointe du somme.
La belle-au-bois qui dort dans l'homme
ne se nourrit que de baisers... "
- Je songe aux énormes brasiers
qui brûlent autour de la terre...
La Vieille édentée de la mort
m'a dit : " Chaque cheval a son mors.
Ton lot sur terre est la mort lente.
Que ça te déplaise ou non, chante !
Nul être n'a droit au merci...
A quoi penses-tu, ombre vague ? "
- O très chère, je songe à Prague !
Je n'entends pas, je n'entends plus
les prières de ses synagogues... " (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1)Refus du Poème / Au temps du poème / Le mal des Fantômes / Benjamin Fondane / Verdier

vendredi 17 octobre 2008

Le Miracle de l'Acteur




" C'est à vous que je parle, hommes des antipodes,
je parle d'homme à homme,
avec le peu en moi qui demeure de l'homme,
avec le peu de voix qui me reste au gosier,
mon sang est sur les routes, puisse-t-il, puisse-t-il
ne pas crier vengeance !
L'hallali est donné, les bêtes sont traquées,
laisez-moi vous parler avec ces mêmes mots
que nous eûmes en partage -
il reste peu d'intelligibles !

Un jour viendra, c'est sûr, de la soif apaisée,
nous serons au-delà du souvenir, de la mort
aura parachevé les travaux de la haine,
je serai un bouquet d'orties sous vos pieds,
- alors, eh bien, sachez que j'avais un visage
comme vous. Une bouche qui priait, comme vous.

Quand une poussière entrait, ou bien un songe,
dans l'oeil, cet oeil pleurait un peu de sel.
Et quand une épine mauvaise égratignait ma peau,
il y coulait un sang aussi rouge que le vôtre !
Certes, tout comme vous j'étais cruel, j'avais
soif de tendresse, de puissance,
d'or, de plaisir et de douleur.
Tout comme vous j'étais méchant et angoissé
solide dans la paix, ivre dans la victoire,
et titubant, hagard, à l'heure de l'échec ! " (1)

Voilà comment cela s'écrit, voyez comment cela se joue. Là devant nous, le miracle de l'acteur, retenez son nom, c'est un roman : Alain Cesco-Resia (2).Voyez le silence de ses mains qui dessinent sur quelques centimètres l'espace du poème, écoutez son regard des hauteurs, cet homme est un oiseau des hautes mers, admirable. C'est un torero qui affronte droit la charge terrible de la scène, les pieds sur la scène dans le sable noir, la tête dans l'élévation du poème, théâtre du courage, courage du verbe porté comme une offrande, admirable acteur, acteur de la transcendance, de la statuaire, de la nuance, de la grâce, du verbe mouliné dans une bouche de création. Ecoutez cette parole et comme elle est offerte, tremblez hommes de peu de foi devant le miracle du verbe. A l'origine était l'acteur, et l'acteur fonda la vie.



" Un jour viendra, sans doute, quand le poème lu
se trouvera devant nos yeux. Il ne demande rien !
Oubliez-le, oubliez-le ! Ce n'est qu'un cri,
qu'on ne peut pas mettre dans un poème parfait,
avais-je donc le temps de le finir ?
Mais quand vous foulerez ce bouquet d'orties
qui avaient été moi, dans un autre siècle,
en une histoire qui vous sera périmée,
souvenez-vous seulement que j'étais innocent
et que, tout comme vous, mortels de ce jour-là,
j'avais eu, moi aussi, un visage marqué
par la colère, par la pitié et la joie,

un visage d'homme, tout simplement. " (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Benjamin Fondane / Le Mal des fantômes / Verdier
(2) Titanic - Le mal des fantômes / Alain Cesco-Resia / Théâtre des Halles d'Avignon / avec l'admirable complicité d'Alain Timar

jeudi 16 octobre 2008

Le Bonheur (2)



C'est d'une évidence biblique, il suffit simplement de savoir lire, écrire, écouter, et vivre !

à suivre

Philippe Chauché

mercredi 15 octobre 2008

A Quoi Penser ?



On lui reprochera longtemps encore cet érotisme, ce corps à corps permanent, qui dessine l'espace de la jouissance. Il est là devant nous dans cette alliance parfaite, du corps délivré, et de la délivrance du dessin.

" Le voici donc, ces dessins, et je crois qu'il faut les imaginer comme le vrai jour des sculptures répandues un peu partout dans la nuit, comme la vraie lumière d'une chambre noire révélant la signification des bronzes et des plâtres tordus dans les musées, les jardins, les rues. A quoi pense Le Penseur ? A ça. Que contemple, enfermé en lui-même et rejeté en arrière, le Balzac ? Ça. Sur quoi ouvre la Porte de l'Enfer ? Sur ça. A quoi rêve Hugo sans pouvoir le dire ? A ça. D'où sortent tant de bustes, de mains, de jambes et de gestes, de visages tendus, de couples musculeux, de demi-dieux ou de déesses emportées ? De ça. De ces femmes uniques, au pluriel nu, en situation extrême. Découvrant en mouvement leur sexe, le désignant et le profilant, l'imposant de face, Méduse enfin affrontée et vaincue par au moins un explorateur ou criminel de fond, encore un Français comme par hasard, concentré, obstiné, au milieu de la régression générale, atelier réservé, convenances dehors, en pleine action dedans, on ne pourra évidemment montrer le résultat que beaucoup plus tard. " (2)



" Ne s'afficher avec une femme que si l'on
accepte d'être jugé à travers elle. " (1)

C'est un mouvement, cette femme est le mouvement.

Le corps s'élève, passe à travers le corset social, sans que cela ne se voit, les bras dessinent l'espace du désir et le sexe à fleur de pensée ouvre une brèche dans le Néant. J'ai du mal à voir les femmes autrement que dans ce mouvement.

C'est un déplacement invisible, elle traverse la rue des Martinets, dans un flottement léger, tous les regards se taisent, elle allume des incendies dans les coeurs des hommes, et cela l'amuse. J'ai du mal à voir les femmes autrement que dans l'invisible.

C'est un mouvement, un désir, un silence, et la passion des soies et des livres, j'ai du mal à voir les femmes autrement que dans ce désir.


à suivre

Philippe Chauché



(1) Esnaola / Commérages / Distance
(2) Le secret de Rodin / Philippe Sollers / La guerre du goût / Gallimard

mardi 14 octobre 2008

Evangile de la Baleine



" Qui est Lucifer ? Justement, le Diable en tant qu'il porte la lumière. Or, à travers la chasse à la baleine, tout le roman traite de la face négligée de la lumière - son revers de massacre, dont Moby Dick incarne pour Achad la violence artificielle. En un sens, on peut soutenir que le livre est dans son ensemble une liturgie de Lucifer. Mais, s'il se soutient d'une telle liturgie, en même temps il passe à travers elle et la transperce de part en part : ce n'est pas depuis la position du roi Achab et de son chapelain Fédallah qu'il s'écrit ; mais depuis le coeur du sacrifice, où se trouvent - comme dirait Rimbaud - " le lieu et la formule ". (1)

On n'en n'aura jamais fini avec le Diable, si justement on ne comprend pas ce qu'il complote, en quoi il porte la lumière, en quoi cette lumière est autre, masquée pourraît-on ajouter, trompeuse d'évidence, ce Diable là domine notre belle époque, personne ne le dit, sauf trois ou quatre écrivains, et oui, des écrivains. Ce sont eux, qui traquent le Diable, pour mettre en lumière ce qu'il porte vraiment, le reste n'est que blabla et chichi religieux, l'écrivain a l'imposant mérite de saisir dans ses écrits, ce qui est à l'oeuvre aujourd'hui, ce qui était à l'oeuvre hier. Le lire est une expérience intérieure et extérieure, sans l'une, l'autre s'efface.

" Derrière les heurtoirs de bronze des palais de Venise, non seulement ce qui se concocte n'a pas en vue le Moi, ni " l'homme ", ni la représentation : mais dans le jeu des conspirateurs se prémédite un RETOURNEMENT qui, un jour, emportera ces instances. Si tu compares la métaphysique à une tapisserie, ou du moins à une fable qu'elle raconte, le Néant y tient le rôle du comparse - même pas, celui d'un élément du paysage : un morceau de ciel, mettons, ou le toit d'un château. Eh bien, le jeu consiste à raconter la fable d'une nouvelle manière, à même la tapisserie, en ramenant de loin l'attention sur ce morceau de ciel, sur ce toit. Alors, tout change. Un souffle te vrille dans une dimension que tu ne connaissais pas, tord et enroule tes nerfs. Une force qui excède les limites t'attire au centre d'un rayonnement aigu, brutal. Tu n'as plus d'idées, plus d'images : la tapisserie brûle, brûle dans un feu sans commencement ni fin. La lumière de ce feu est une pensée qui advient sans cesse. Ne me dis pas que les humanoïdes échouent à coïncider avec cet évènement perpétuel.
D'abord cela ne prouve rien.
Mais surtout l'enjeu est là : dans le fait de passer la barrière, et d'y arriver sans carboniser ses déchargeoirs mentaux.
Qui passe la barrière met sa tête en danger. Alors, il y a des crânes qui EXPLOSENT.
Il y a aussi des crânes qui résistent. " (2)

et voilà, regardez ces crânes qui résistent !

à suivre

Philippe Chauché

(1) François Meyronnis / Yannick Haenel et François Meyronnis Évangile de la baleine / L'infini n° 104 / Gallimard
(2) François Meyronnis / L'Axe du Néant / L'Infini / Gallimard

samedi 11 octobre 2008

La Muleta du Philosophe



" Quelle folie de regretter et de déplorer d'avoir négligé de goûter dans le passé tel bonheur ou telle jouissance ! Qu'en aurait-on maintenant de plus ? La momie desséchée d'un souvenir. " (1)

"... il me suffit de dire que les amoureux de la sagesse et les amateurs du pire ne s'opposent pas tant intellectuellement que psychologiquement : alors que les optimistes ne plaisantent pas avec les motifs d'espérer en une existence moins tragique, les pessimistes ne se privent pas d'en rire. " (2)

Cet écrivain, n'a pas l'habitude d'avancer masqué, sauf en situation extrême, mais là n'est point le cas, il dévoile ses cartes, et certaines sont foudroyantes, lisons :

" Selon une opinion bien vissée dans les crânes, la volonté de culpabiliser les humains pour leurs penchants n'apparaît qu'avec les doctrines juives et chrétiennes. C'est méconnaître combine l'accusation demeure le plus archaïque des penchants, le plus impérieux et le plus jouissif. Chez les humains, désigner un individu, ou un groupe, ou une classe, ou une ethnie, ou une génération, ou une société, etc., comme coupable de ce que la réalité ne ressemble en rien à l'idée qu'ils se font d'un monde est une manie contractée dès l'âge de pierre et à laquelle ils donnent cours le plus libre dans l'histoire. Ironiquement, Nietzsche décèle dans cette manie une humeur occulte qu'il appelle "moraline", poisson affectant principalement nombre de philosophes qui, eux, quand ils accusent," ne font pas dans le détail. " (2)

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'écrivain n'est pas un instant, le fût-il un jour, frappé de " moraline ", c'est même tout le contraire, fidèle à quelques penseurs aux plumes affûtées, qu'il ne manque pas au passage de saluer, comme on peut le faire à la fin d'un banquet, qui tourne à la déroute, par un grand éclat de rire alors que coule navire, et que les philosophes du bonheur s'agitent devant leurs pelles et leurs râteaux, notre écrivain a l'audace, car il s'agit bien de cela, de les épingler pour leur " blabla " et leur " chichi " vertueux. Poursuivons :

" ... les humains savent bien qu'ils ne vivent pas dans un monde, que la somme de leurs passions ne fait pas l'Homme et que nul logos divin ou cosmique n'ordonna, n'ordonne ni n'ordonnera jamais le réel. Seulement, ce savoir intuitif, charnel même, que Miguel de Unamuno appelait le " sentiment tragique de la vie ", est une douleur. Refoulé chez le plus grand nombre, il génère un pessimisme malheureux consistant à déplorer que le monde soit " mal fait " - toujours inadéquat à ce qu'on en attend -, contraire à un pessimisme heureux, cultivé, quant à lui, par un petit nombre, consistant à s'arranger de l'évidence que, n'étant " ni fait ni à faire ", le " monde " n'a pas vocation à satisfaire les désirs humains. Or, c'est du pessimisme malheureux, de ce sentiment que le monde pâtit d'une malfaçon, que surgit le désir optimiste de l'améliorer, de le modifier, de le transformer soit dans l'ensemble, soit dans le détail, à commencer par les humains, magiquement métamorphosés en l'un des ces " universaux " : l'Homme. Aujourd'hui décevant, le réel appelle l'action pour que demain il ressemble enfin à un monde, pour que l'Homme y séjourne comme en sa cité en citoyen souverain et béat. " (2)

Il serait ici malvenu de rappeler les noms, ils sont légions, de ces chers philosophes qui aujourd'hui tout autant qu'hier - ce que rappelle avec finesse le livre - nous proposent quelques belles recettes du bonheur, de la justice, de l'écoute de soi et de l'autre, de la paix, de l'accommodement des différences, de la découverte d'une " contre-histoire de la philosophie ", de quelques pratiques naturelles, sexuelles et hygiéniques, que sais-je encore ? L'écrivain ne manque pas de les retourner, tel un torero pratiquant à la fin de sa faéna, cette " passe " du "châtiment" qui va lui permettre de mettre à mort son taureau, mais cette " passe " là, cette attitude, cette aptitude n'est pas donnée à tout le monde, il faut pour pour cela n'être " dupe de rien et de pas grand chose ", avoir en permanence en " tête et en corps " que le théâtre de la vie, si l'on s'en amuse, ne manque pas de piment. En toute situation, il est " glorieux de connaître sa qualité dominante, et le caractère de sa fortune " (3), sans d'évidence en montrer " la moindre affectation " (3), et notre écrivain n'en manque pas. Le rideau rouge peut se lever et les masques s'agiter.

Nos chers donneurs de leçons ont ici trouvé qui lire, pour se départir de leurs funestes entreprises, ils devraient y gagner - en tout cas pour ceux qui sévissent encore en ces temps - en détachement élégant, en désespoir amusé, songeur et rieur, et comprendre, certes un peu tard, que la seule leçon que l'on puisse donner aux autres, est contenu dans cette pique que lança un jour Pablo Picasso à un curieux critique d'art : " je ne cherche pas, je trouve ! "

à suivre

Philippe Chauché

(1) Arthur Schopenhauer / Parerga / in " Insultes " Éditions du Rocher
(2) Frédéric Schiffter / Le Bluff Ethique / Fammarion
(3) Baltasar Gracian y Moralès / Le Héros / Editions Champ Libre

vendredi 10 octobre 2008

L'Art de Lire

" Un bateau de cha-tang avec des rames de mou-lan ;
De jeunes musiciennes sur les bancs, avec des flûtes d’or et de jade ;
Du vin exquis dans des coupes mille fois remplies ;
Emmener avec soi le plaisir, et se laisser porter par les flots.

Les immortels m’attendent, montés sur leurs cigognes jaunes,
Tandis qu’insouciant et tranquille, je vogue au milieu des mouettes blanches.
Les sublimes inspirations de Kio-ping nous restent comme un monument qui s’élève à la hauteur des astres ;
Que sont devenus les tours et les pavillons du roi de Tsou, jadis accumulés sur ces collines désertes !
Quand l’ivresse m’exalte, j’abaisse mon pinceau, j’ébranle de mes chants les cinq montagnes sacrées,
Je suis joyeux et je suis fier, je me ris de toutes les grandeurs.
Puissance, richesse, honneurs, quand vous serez d’assez longue durée pour que je vous estime,
On verra donc le fleuve Jaune partir de l’Occident pour couler vers le Nord. " (1)

L'ivresse du temps me convient, la douceur musicale des fées m'accompagne, je place mon pinceau au zénith du verbe, merveille de l'espace gagné, merveille de l'art de lire.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Li Bai / Poésies de l’époque des Thang / traduct. du Marquis d'Hervey-Saint-Denys - Editions Gérard Lébovici

dimanche 5 octobre 2008

Peindre dit-il




Yo Velasquez !
C'est ce qu'il nous dit dans ce tableau !
La vie représentée là est un théâtre, théâtre des opérations politiques, c'est en lisant ces tableaux que l'on peut le comprendre, et cela est applicable au petit théâtre qui se joue un peu partout aujourd'hui, à la différence qu'aujourd'hui aucun peintre ne montre cela, seuls finalement les écrivains saisissent sur le vif ce théâtre.


à suivre

Philippe Chauché

samedi 4 octobre 2008

Un Certain Regard



" On dirait une fleur. Ce n'est pas une fleur.
On dirait une brume. Ce n'est pas une brume.
Cela vient à minuit.
Cela part au matin.

Cela vient comme un rêve de printemps
qui s'efface au réveil.
Cela vient comme un nuage du matin.

Vous ne trouverez cela
nulle part. " (1)

" Simplicité, concentration, méditation, aucun embarras psychique, détachement, pas d'effet inutile. La vibration chinoise s'écrit comme d'elle-même, elle laisse passer la pointe d'évidence de l'être-au-monde atteint par " Triple Excellence " poésie, calligraphie, peinture. Je vois en même temps que je trace, j'entends ce que je vois, la respiration maintient les intervalles et les fait vivre, je fais tourner et disparaître la composition dans le souffle qui vient du paysage et de moi. Le taoïsme, sur quoi tout cela repose en secret, n'est pas une " religion ", mais, soudain, l'évidence. " (2)

Surtout ne pas se laisser impressionner, surtout garder la sagesse de poursuivre, autrement, ce qui est dit, ce qui s'écrit, car cela ne cesse de s'écrire, une poésie qui ne poursuit pas en vous ce cheminement déclenché chez ses premiers lecteurs, une poésie qui n'est pas une invitation à lire et à écrire est une poésie morte, passons donc notre chemin, écoutons, lisons, voyons le roseau qui court sur le papier de riz, écoutons sa musique, lisons les signes qu'il nous adresse aujourd'hui.

Rien de figé, rien de fermé, mais une ouverture parfaite, un champ de fleurs, le sourire d'une déesse, la caresse des mots d'une fée, ou l'inverse, le temps s'accorde à cette respiration. Regarder en voyant - ce qui n'est pas vous le savez accordé à tout le monde - voir en écoutant, débarrassé immédiatement de toutes les pressions sociales, de toute culpabilité, de tout doute, des frayeurs et des angoisses, des illusions, des faux semblants, retrouver ainsi la saveur des fleurs et le savoir des couleurs, instant qui dure un milliard de secondes et qui vous inonde de joie.

Et puis le silence, belle improvisation de la peau.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Po Kiu-Yi ( 772-846 ) in Les Aventures du roman / Philippe Sollers / L'Infini / Automne 1991 / Gallimard
(2) Les Aventures du roman / Philippe Sollers / L'Infini / Automne 1991 / Gallimard

jeudi 2 octobre 2008

L'Espace Ouvert



" J'ai dit que j'aimais singulièrement à méditer dans la douce chaleur de mon lit, et que sa couleur agréable contribue beaucoup au plaisir que j'y trouve.
Pour me procurer ce plaisir, mon domestique a reçu l'ordre d'entrer dans ma chambre une demi-heure avant celle où j'ai résolu de me lever. Je l'entends marcher légèrement et tripoter dans ma chambre avec discrétion ; et ce bruit me donne l'agrément de me sentier sommeiller ; plaisir délicat et inconnu de bien des gens.
On est assez éveillé pour s'apercevoir qu'on ne l'est pas tout à fait et pour calculer confusément que l'heure des affaires et des ennuis est encore dans le sablier du temps. Insensiblement mon homme devient plus bruyant ; il est si difficile de se contraindre, d'ailleurs il sait que l'heure fatale s'approche. - Il regarde à ma montre, et fait sonner les breloques pour m'avertir ; mais je fais la sourde oreille ; et, pour allonger encore cette heure charmante, il n'est sorte de chicane que je ne fasse à ce pauvre malheureux. J'ai cent ordres préliminaires à lui donner pour gagner du temps. Il sait fort bien que ces ordres, que je lui donne d'assez mauvaise humeur, ne sont que des prétextes pour rester au lit sans paraître le désirer. Il ne fait pas semblant de s'en apercevoir, et je en suis vraiment reconnaissant.
Enfin, lorsque j'ai épuisé toutes mes ressources, il s'avance au milieu de ma chambre, et se plante là, les bras croisés, dans la plus parfaite immobilité.
On m'avouera qu'il n'est pas possible de désapprouver ma pensée avec plus d'esprit et de discrétion : aussi je résiste jamais à cette invitation tacite ; j'étends les bras pour lui témoigner que j'ai compris, et me voilà assis. " (1)

J'ai du écrire un jour que j'affectionnais singulièrement à rester couché alors que le soleil s'invitait avec insistance dans ma chambre. Ce plaisir qu'il m'arrivait de partager avec une déesse, je ne le goûtais totalement qu'en été, j'ouvrais alors l'un des livres qui me protègent des diableries ambiantes et qui s'alanguissent sur le parquet et laissais les mots et les phrases me guider vers une nouvelle journée, que je souhaitais délicieusement allongée, je pouvais ainsi rester une ou deux heures sans rien faire d'autre que lire lentement entre le sommeil et le jour qui tente de le troubler, puis parfois il m'arrivait de me rendormir les yeux ouverts sur la vie qui s'éveille, moment d'exception, la déesse attentive m'invitait alors à partager quelques improvisations florales sur sa peau, délicieux présages d'une journée qui serait placée sous la protection des anges de la vie amoureuse et des sensualistes du verbe flamboyant et du corps conjugué.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Voyage autour de ma chambre / Xavier de Maistre / Mille et Une Nuits

mercredi 1 octobre 2008

L'Espace du Peintre



Il se souvient, Biarritz, éclats de nuit, dérives joyeuses dans les rues qui descendent vers l'Océan.
Il se souvient, Biarritz et la main du peintre, passé qui devient présent, la main d'une fée qui se pose sur la sienne, puis d'un souffle disparaît comme un nuage de vagues.

à suivre

Philippe Chauché