dimanche 6 juillet 2014

Idier : un livre pour l'été dans La Cause Littéraire


« Je marche tous les jours, par tous les temps, même les nuits pluvieuses. Les villes d’Asie ne dorment jamais à poings fermés. Moi non plus, depuis le jour-sans-nom ».
 
Les beaux livres ne dorment jamais, comme les vagues qui viennent de si loin que l’on se demande souvent si elles ne sont pas éternelles, nées du caprice d’un dieu. L’écrivain regarde les vagues de loin, s’avance, ses pieds se posent sur mille petites pierres roulées, le corps s’élance dans le mouvement permanent de l’eau, les bras, les jambes, la tête, ce n’est pas un nageur, c’est un ange. Les beaux livres offrent au lecteur attentif aux récifs, des nuits blanches et calmes, des nuits dessinées au pinceau avec grande attention, comme les pierres de Liu Dan qui s’élancent dans le mouvement du Temps chinois, le Temps éternel qui est à bien l’embrasser, la plus belle des révolutions. Les beaux livres ne dorment jamais les pages fermées, elles s’ouvrent comme des fleurs du désert, pierres de sables qui glissent entre les doigts, et ne retombent jamais en poussière.
 
C’est un corps de pierre, tragédie première, qui va faire s’envoler le narrateur vers la Chine. Ce n’est pas une fuite devant la mort de l’aimée, c’est une renaissance, et son ombre vivante va fluidifier chacun de ses gestes, chacune de ses phrases comme dans les toiles de son peintre. Pour réussir ce voyage vers les contrées des Tang et des Song, il convient d’être non seulement l’aimé des dieux, mais aussi de ses anges, accompagné d’un Hôte discret, mécène du Grand Siècle, d’un peintre de la Renaissance chinoise au dictionnaire de pierres, de quelques divinités éclairantes, d’un poète ancien et de ce livre à écrire, ce livre à polir, à faire tourner dans sa main, comme les petites pierres par l’océan mille fois roulées.
 
« Je ferme les yeux un quart de seconde, et quand je les rouvre, je suis à nouveau chez Liu Dan. Le temps se mélange, se sédimente, se pétrifie. Je me demande un instant si je ne vais pas mourir là, chez lui, à cette table. Le jour-sans-nom m’a fait comprendre que la mort guette, en permanence. Elle est là, je la sens. Cette proximité me procure une joie indéfectible. Je suis un joyeux enthousiaste qui fréquente le néant, et quand mon cœur se serre, lorsque ma vision rétrécit, je me rappelle la profondeur infinie de ces gouffres où nous serons précipités ».
 
Les beaux livres ont de la mémoire, comme les pierres, ils en savent beaucoup sur l’histoire des hommes, de leurs frayeurs et de leurs passions. Ils ressemblent à ces vagues du large, ces masses noires et lourdes qui viennent de nulle part, de l’autre versant de la planète, d’îles disparues, de ports engloutis sous des roulis incessants. Du silence du large, de la mémoire des pierres qui parfois reflètent les quelques éclats de soleil qui se glissent jusqu’à elles et qu’elles renvoient vers la surface en éclats cristallins. La vague ici vient de très loin, c’est un peintre Chinois, un dessinateur de la Renaissance au savoir immense, au style unique, que le narrateur va voir, écouter, découvrir, admirer en même temps qu’il se découvre écrivain. Se découvrir écrivain : le narrateur est à chaque ligne visité par la Chine, la musique des pierres, éclats, résonances, silences, accompagné par des écrivains du magma, des peintres à la présence éclairante. Ecrire demande cette même attention, cette même précision, ce style, ce travail sur le motif que magnifie Nicolas Idier dans le silence des nuits marines. La musique des pierres, est une vague musicale qui vous accompagnera longtemps, le stylo s’est fait pierre, et c’est avec cette pierre que tu écriras.
 
« J’ai apporté à Pékin mon nécessaire de travail : les œuvres choisies de Buffon (Histoire naturelle des minéraux), mes carnets de notes, mes stylos. Dans un ordre prédéterminé, disposés devant moi. A travers la fenêtre, la vue est divine, et je remercie le Ciel de m’avoir souvent donné des fenêtres sublimes, jusqu’à cette vue sur l’Hudson de notre dernière résidence new-yorkaise, avec Livia ».
 
Philippe Chauché
 
 


vendredi 4 juillet 2014

Brea dans La Cause Littéraire



« Il est vrai que Dieu t’a fait don du rêve mais qui te dit qu’Il t’a fait là un beau cadeau ? Le rêve est le trône de misère où Dieu s’assoit sur les visages. Le rêve est la froide chambre des reclus que ne pénètrent pas les tueurs à l’aube. Le rêve te fendra le tronc comme l’hiver. En rêve l’homme est un vautour stupide et sale comme il l’est aussi dans l’autre vie ».

Antoine Brea a plus d’un rêve dans son sac à malice, et plus d’une interprétation dans sa vision des songes de Mohamed Ibn Sîrîne, le rêveur des rêveurs, comme l’on dit le voleur des voleurs, qui ne manque pas d’à-propos. Le rêveur est à prendre au sérieux, d’autant plus si c’est un ascète vertueux, comme l’on prend au sérieux Maldoror ou La Divine Comédie, et le sourd (Allez voir le sourd, c’est-à-dire Mohamed Ibn Sîrîne) est là pour lui rappeler que le rêve mène à tout, à condition de bien apprendre à identifier les créatures et ses habitants et de ne pas s’endormir sur ses rêves et ses lauriers, et surtout à veiller à bien se réveiller.

« Rêveur méfie-toi des anges sortis du ciel sur des montures volantes qui sont venus collectionner ta tête. Rêveur certains anges sont plus noirs que des nègres auréolés de plumes ils ont le sang dans le sang. On appelle de tels anges les anges-chevals. Les principaux anges-chevals dont tu dois te méfier sont Gabriel et Michel et aussi Raphaël ».

Contrairement à Antoine Brea, Mohamed Ibn Sîrîne est né en Irak en 654, il lui arrivait de porter un pallium, un habit blanc, un long turban, il se défrisait, se teignait les cheveux et taillait avec attention ses moustaches. Spécialiste des rêves et de leur interprétation dans l’Islam, il n’a contrairement à Antoine Brea rien écrit sur Charles Bukowski, mais il en sait beaucoup sur le diable, le désir et la vérité, ce qui n’est pas pour déplaire à Antoine Brea qui en a fait un Roman d’or mais (qui) par endroit ment.

« Si Dieu en rêve t’envoie une terrible épreuve offre-Lui un bien de ce monde. Si Dieu en rêve se montre avec toi de mauvaise nature passe ton index sur ta langue et offre-Lui le reste d’un vieux pain ».

« Si la femme pleure en rêve la mort d’un gouvernant elle est suspecte. Pour moi je lui raserai volontiers la tête et lui incrusterais de jolis tatouages mais les lois du rêve ne sont pas celles de la morale ».

Le rêveur lecteur passe ses aventures nocturnes au tamis onirocritique de l’écrivain-interprète, ce qui n’est pas de tout repos, car le sourd a réponse à tout et ne craint aucune extravagance. Il répond même aux questions que ne se posera jamais le rêveur. Le lecteur éveillé s’en réjouit de la première à la dernière page et attache une attention particulière aux djinns, ces êtres passoul (qui veut dire périmé) que l’on ne peut voir qu’en rêve ou en leur jetant de la teinture d’iode, avant qu’il ne se rendorme et vérifie non sans effroi qu’il n’est pas en train de rêver ce qu’il vient d’écrire. Le Roman Dormant n’est pas de tout repos pour le lecteur éveillé, il va devoir y rencontrer des anges, la mort, la Résurrection, l’enfer, le paradis, quelques humains, et se demander si tout cela est bien sérieux, lui qui se prend au sérieux quand il rêve, mais il n’est pas à une Plaisanterie prêt.

Si Mohamed Ibn Sîrîne avait rencontré Antoine Brea, tout porte à croire qu’il en aurait fait son scribe, son Cid Hamet Ben Engeli comme dans le Quichotte, et d’ailleurs qui peut affirmer que ce n’est pas le cas.

Philippe Chauché

http://www.lacauselitteraire.fr/roman-dormant-antoine-brea

mardi 1 juillet 2014

Desports dans La Cause Littéraire






« A 16h34, à la 79e minute de la rencontre, Alcides Ghiggia, l’ailier uruguayen, déboule, excentré. Il a éliminé Bigote, son vis-à-vis, et s’en va chercher la tête ou le pied de Schiaffino. Comme sur le premier but de la Celeste, Barbosa l’anticipe, légèrement avancé, oui, Barbosa anticipe le centre, il ne ferme pas bien l’angle de son but, Ghiggia l’a vu, tire, Barbosa se détend mais trop tard, la balle lui échappe, l’Uruguay marque. La Celeste même au score et le Brésil ne la rattrapera jamais, il va perdre « la Finale » ! (Le gardien maudit, Olivier Guez).

Comme la littérature, le football est affaire de détente et d’anticipation. Il faut bien fermer l’angle de son but pour éviter que la phrase lancée à vive allure ne finisse dans le filet. Comme la littérature, le football est affaire de stratégie, on occupe le terrain ou on semble se découvrir, mais c’est une ruse chinoise, les attaquants sont en place, mais un milieu jaillit comme un haïku, pied droit, pied gauche, déhanchement, retour sur le droit et exclamation finale, la clameur se poursuit longtemps en suspension comme chez Céline.

« Entre ciel et terre, sur l’herbe rouge ou bleue, une tonne de muscles voltige en plein oubli de soi, avec toute la présence que cela requiert en toute invraisemblance. Quelle joie, René, quelle joie ! » (Nicolas de Staël à René Char).

Comme le football, la peinture est affaire de détente et d’inspiration. Le mouvement inspire le mouvement, à condition d’entendre et de voir ce qui se joue sur la pelouse et sur la toile. Nicolas de Staël voit le hasard et celui-ci le lui rend bien. Ses Footballeurs en témoignent, c’est un Prince foudroyé chez les Princes du Parc.

« Le 21 novembre 1973, dix mille spectateurs assistent à cette partie sans adversaire, le match, propagande de la dictature militaire, se veut une célébration de la victoire et la qualification. Autour du terrain, les soldats surveillent les joueurs et le public, la mascarade officielle ne doit souffrir d’aucune sorte de contestation. Et ainsi, onze joueurs se retrouvent à arpenter seuls le terrain jusqu’à ce que Francisco Chamaco Valdès, buteur du club Colo-Colo, aille marquer l’unique but de la rencontre » (Le jour où Pinochet a assassiné le football, Adrien Bosc)
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Football et littérature, imaginons Père Ubu à l’Estadio Nacional de Santiago du Chili, Merdre, le foot : 1973, l’URSS offre au Chili une qualification pour le Mondial sur tapis vert, l’équipe adverse ne s’est pas déplacée, deux mois plus tôt un militaire amateur de Ray Ban renversait le gouvernement d’Allende. Point d’esquive, de dribble, de débordement, de petit ou de grand pont, mais un mauvais roman national. On joue pour de faux comme disent les enfants, mais on torture et on meurt pour de vrai dans les tribunes et les vestiaires. Ji tou tue au moyen du croc à merdre et du couteau à figure.

« A Kyoto, il est un sanctuaire – le Shimogamo Shrine – où l’on croise d’antiques officiants affublés de robes à parements multicolores. Chaque mois de janvier, une poignée d’entre eux s’adonnent à des parties de kemari hajime avec une balle en peau de daim de vingt-quatre centimètres de diamètre qu’ils sont tenus de se renvoyer de leur seul pied droit sans que jamais celle-ci ne touche terre. Le terrain ne dépasse pas quelques mètres carrés, mais chacune de ses quatre extrémités est marquée par un arbre distinct : pin, saule, cerisier, érable. Une archiviste aurait trouvé trace d’une partie de cet ancêtre du football au XIIe siècle et noté qu’une balle avait été anoblie à la même époque pour avoir rebondi cent fois sans discontinuer » (La force du prophète, Benoît Heimermann).

Comme en littérature, en football rien n’est jamais gagné, un but peut en cacher un autre, une phrase tout renverser, un mauvais geste comme une faute de style se payer comptant. Il ne suffit pas de croire que ce que l’on vient d’écrire est un pur bijou, ou que la brillante attaque décisive que l’on a menée marquera son temps, il ne suffit pas de le croire, mais cela porte chance.

Philippe Chauché 


http://www.lacauselitteraire.fr/desports-4-special-coupe-du-monde