Barney Wilen & Alain Jean-Marie, Montréal Duets, Barney Wilen, Ténor et Soprano saxophone, Alain Jean-Marie, Piano, Live at the Festival International de Jazz de Montréal, 4 juillet 1993, Elemental music, Produced by Jordi Soley, Associate producer : Patrick Wilen, 2020
Barney Wilen, La Note Bleue, Barney Wilen, Ténor Saxophone, Alain-Jean-Marie, Piano, Philippe Petit, Guitar, Ricardo Del Fra, Bass, Sangoma Everett, Drums, Produced by Philippe Vincent, 1987
Barney et La Note Bleue, Loustal & Paringaux, Casterman, 1987 (une nouvelle édition est annoncée par Patrick Wilen)
« Il joue Besame Mucho comme personne ne l’a jamais joué et tant mieux si Jo et les autres restent silencieux dans son dos : c’est son histoire à lui, il n’a besoin de personne pour l’aider à la raconter, lorsqu’il a joué sa dernière notre on n’entend même plus les glaçons tinter dans les verres », Besame Mucho (Reprise), Barney et La Note Bleue.
Comme les bibliothèques, les discothèques, les maisons de disques, les studios, les radios, les collections privées, regorgent parfois de trésors endormis, qui un jour, par miracle, apparaissent ou réapparaissent. Ici, il s’agit bien d’une apparition. Il y a vingt-sept ans les deux musiciens se produisaient à Montréal, Barney Wilen avait pris l’heureuse habitude d’enregistrer ses concerts sur un D.A.T., comme pour l’Album Live in Tokyo 91, sorti l’an dernier. La musique de Barney Wilen et Alain Jean-Marie est passionnante, d’une rare fraîcheur, d’une lumineuse beauté. Les deux musiciens s’accordent merveilleusement, ils épousent les mélodies qu’ils interprètent – Round Midnight, My Funny Valentine (dédié à Chet Baker), Latin Alley, Besame Mucho –, dans un élan commun, une grâce qui tient du miracle. C’est cette même grâce qui rend l’album La Note Bleue unique et exceptionnel, et la bande dessinée qui accompagnait sa sortie en 1987 reste l’un des grands romans dessinés du jazz. Côte à côte, Loustal et Paringaux, pour ces courtes histoires. Treize histoires publiées dans le mensuel (A suivre) de novembre 1985 à mars 1986 avant la sortie de l’album en janvier 1987. Treize histoires, en bleu, en rouge, en jaune, en noir profond, comme autant de thèmes, qui scintillent : l’amour, la drogue, la passion du jazz. Comme autant de chansons romantiques, qu’il joue sur le disque éponyme – Besame Mucho, Les Jours Heureux, ou encore Un Baiser Rouge, et Goodbye). De courtes histoires d’une vie électrique et éclectique, entre Nice, Paris, et New York, l’Espagne, et à nouveau Paris où il va une nouvelle fois mourir, des vignettes de vie et de musique remarquablement dessinées et coloriées, subtilement enchâssées dans le fil de l’histoire, des histoires qui comme les standards de jazz sont immortelles.
Patrick Wilen, fils de Barney Wilen est producteur associé du disque Montréal Duets. Après Live in Tokyo’91, publié l’an passé, voici la belle surprise musicale de cette année : Montréal Duets ; là aussi, un concert enregistré au Festival de Jazz de Montréal en 1993.
Patrick Wilen : Mon père a enregistré des concerts sur un petit D.A.T, un appareil qu’il branchait directement sur la console de mixage. Avant de mourir il m’a montré une caisse pleine de DAT, de bandes magnétiques et de K7, il y avait là 200 enregistrements. Il m’a dit : « Prends-ça avant que les vautours arrivent et fais-en quelque chose ». Il a fallu beaucoup de temps, pour « en faire quelque chose » car il fallait qu’une maison de disque numérise tous ces enregistrements, certains étaient fragiles. Après des années d’attente, j’ai rencontré un producteur allemand, Sonorama, qui a joué le jeu et tout numérisé, puis c'est le label espagnol Elemental qui a sorti les deux disques. Pour ce concert, je ne possédais que peu d’informations, juste « AJM Montréal », Alain Jean-Marie Montréal, et après des recherches, tout a été mis en place pour la parution du disque qui regroupe les deux concerts donnés ce soir-là par Alain Jean-Marie et Barney.
Philippe Chauché, La Cause Littéraire : Barney Wilen a marqué les amateurs de jazz et les musiciens qui l’ont côtoyé, qui ont joué avec lui, et ses albums (notamment La Note Bleue ou French Ballads) ont gardé la fraîcheur originale de leur enregistrement. Comment expliquez-vous que sa musique reste à ce point vivante, présente, ce n’est pas qu’elle a bien vieilli, mais c’est qu’elle n’a pas vieilli ?
Patrick Wilen : Le son magnifique de cet enregistrement n’a pas pris une ride. Lorsque l’on écoute sa musique, il y a des images qui surgissent, c’est comme s’il nous racontait une histoire, mais sans s’imposer, sans nous l’imposer, il vous laisse la place de la poursuivre. Les disques de Barney Wilen, dont La Note Bleue et French Ballads, ses concerts, sont comme des voitures italiennes de collection, comme des tableaux d’Andy Warhol, ils ne vieillissent pas. Barney avait un talent énorme et il a su s’entourer de gens compétents, les musiciens – souvent d’ailleurs il jouait avec de jeunes musiciens peu connus, par exemple le bassiste Gilles Naturel ou le pianiste Laurent de Wilde –, son manager et son producteur de l’époque de La Note Bleue, Philippe Vincent (lire plus loin). Quand il joue Besame Mucho, vous avez envie de pleurer, mais ce n’est jamais sentimental, il ne cherche pas à faire pleurer, ce n’est jamais kitch, pas de sirop de framboise dans ce qu’il joue ; ses solos sont comme suspendus, sa musique devient alors celle de l’absence, et c’est magnifique.
Philippe Chauché, entretien téléphonique avec Patrick Wilen, le 24 juin dernier
Il annonce quelques belles surprises dans les mois qui viennent, un nouveau concert public, dont il garde pour l’instant les détails et la possible réédition en disque vinyle de collection de La Note Bleue, accompagné de la bande dessinée, de photos de Guy Le Querrec, de dessins de Loustal et d’un texte de Philippe Paringaux, sur cet enregistrement désormais mythique.
Rencontre épistolaire avec Philippe Vincent, qui collabore aujourd’hui à Jazz Magazine, ancien producteur de Jazz, fondateur du label Ida Records, et qui fut à l’origine de l’enregistrement en 1986 de La Note Bleue de Barney Wilen. Un disque qu’accompagnait l’album de bande dessinée Barney et la Note Bleue, signé Loustal et Paringaux et publié par Casterman, un exemple unique dans l’histoire du jazz. En ce mois de juin un enregistrement inédit du saxophoniste en duo avec le pianiste Alain Jean-Marie paraît grâce à son fils Patrick Wilen. Enregistrement d’un concert des musiciens au Festival de Jazz de Montréal en 1993, Montreal Duets.
Philippe Chauché, La Cause Littéraire : La Note Bleue est aujourd’hui un disque de référence, une perle musicale. Comment est né ce projet musical et littéraire, car l’album de bande dessinée et la musique font corps comme rarement ? Comment s’est construite cette aventure ?
Philippe Vincent : A l’époque (milieu des années 80), Philippe Paringaux voulait faire une BD sur le jazz et il donna quelques photos de musiciens à Loustal avec qui il avait l’habitude de travailler, mais qui avait plutôt une culture musicale rock. Et c’est celle de Barney Wilen qui retint l’attention du dessinateur. Pendant tout leur travail, ils appelèrent leur héros « Barney » en se disant qu’ils changeraient son nom à la fin car il s’agissait d’une fiction mais ils eurent bien du mal à changer un nom qui les avait accompagnés pendant toute la création de leur livre. Des extraits de leur BD sortirent alors dans la revue « A Suivre » en faisant sa couverture, et le vrai Barney Wilen la vit à la vitrine d’un kiosque parisien. Son sang ne fit qu’un tour en pensant qu’on utilisait ce qu’il semblait être son image, et il alla voir Paringaux, alors rédacteur en chef des revues Rock & Folk et L’Écho des Savanes, pour lui proposer son pardon s’il l’aidait à lui trouver un producteur pour un disque qui relancerait sa carrière. Les major-compagnies n’étant pas intéressées, ils prirent contact avec moi et je fus immédiatement partant pour produire un musicien que j’adorais et dont je connaissais le passé glorieux. On décida donc de faire un disque où les morceaux illustreraient les chapitres de la BD, changeant parfois les titres de l’un ou de l’autre pour que la correspondance soit parfaite entre le livre et le disque.
Ph. Chauché, LCL : Barney Wilen est né à Nice d’une mère française et d’un père américain, il a commencé sa carrière dans des clubs, encouragé par Blaise Cendrars, ami de sa mère. Peut-on dire comme pour Blaise Cendrars qu’il fut un musicien « bourlingueur » ? Georges Perec, grand amateur de jazz, se souvient de lui, 235° souvenir, « Je me souviens de Barney Wilen », le 236° évoque lui aussi un musicien de jazz, « Je me souviens que le palindrome d’Horace, Ecaroh, est le titre d’un morceau d’Horace Silver ». Quels sont vos souvenirs de Barney Wilen, dont vous avez produit cinq disques, dont La Note Bleue et French Ballads ?
Ph. Vincent : Je ne crois pas que le terme « bourlingueur » convienne à Barney. Il avait le côté nonchalant d’un dandy mais c’était surtout un surdoué qui était curieux de beaucoup de choses. Il avait sans doute hérité du côté créatif de son père qui inventait des appareillages sous-marins, entre autres des fusils de plongée, que sa mère, grande nageuse, essayait dans les eaux de la Méditerranée. Il eut aussi la chance d’apprendre le saxophone aux États-Unis dès sa plus tendre enfance, puisque son père y emmena toute sa famille pour plusieurs années dès le début de la deuxième guerre. Il avait donc plusieurs longueurs d’avance lorsqu’il rentra en France et il n’est pas étonnant qu’il fût considéré à l’époque comme un jeune prodige lorsqu’il débarqua à Paris à l’âge de 16 ans. Un an plus tard, il commençait à enregistrer comme sideman, et à 20 ans il fit ses deux premiers disques en leader et intégra le quintet parisien de Miles Davis pour la musique du film Ascenseur pour l’Échafaud. Pour ma part, j’ai beaucoup de souvenirs de Barney mais ils concernent la dernière partie de sa carrière, du milieu des années 80 jusqu’à sa mort en 1996, lorsqu’il retrouva une notoriété à la mesure de son talent après la sortie de La Note Bleue qui le remit en selle. J’ai le souvenir d’un homme qui pouvait être aussi aimable avec les gens qu’il appréciait que méfiant, voire agressif, avec ceux qu’il n’aimait pas. Il était déçu que sa jeune compagne, Marie Möör, ne soit pas reconnue à la hauteur de ce qu’il estimait être son talent de peintre et de chanteuse, et n’avait de cesse de la mettre en avant, s’occupant parfois plus de son avenir que de sa propre carrière.
Ph. Chauché, LCL : Barney Wilen est sûrement par son style, ses inspirations, ses improvisations, sa passion pour les standards, l’un des musiciens les plus « romanciers » du jazz. Il possède cet art singulier de raconter en quelques phrases, en quelques notes, l’histoire singulière de la musique de jazz, mais aussi des chansons populaires françaises qu’ils l’ont inspirées. Montreal Duets, ce nouveau disque en est une nouvelle fois la preuve musicale. Tout y est lumineux, lyrique et harmonieux ; les belles harmonies, les belles mélodies, une rare complicité entre les deux musiciens, ce sont là aussi des signatures de Barney Wilen ?
Ph. Vincent : Comme tous les grands musiciens de jazz, Barney Wilen avait le talent de redonner vie à ce qu’on appelle les standards, ces vieilles mélodies de Broadway écrites dans les années 30. Mais tout pouvait devenir standard entre ses mains, comme il le montra dans l’album French Ballads où il reprend des chansons françaises. Ce n’était pas un musicien qui avait fait de grandes écoles musicales comme on peut en trouver à la pelle aujourd’hui. Mais c’était un type qui avait une imagination très fertile et un swing qui lui coulait dans les veines. Comme disait René Urtreger, c’était un musicien « naturel ». Il ne travaillait pas beaucoup son instrument car il était tellement doué qu’il n’en avait pas besoin, et n’était pas un grand compositeur au sens où l’entend la Sacem. Il considérait d’ailleurs que son talent de compositeur résidait dans son aptitude à improviser. Et là, il faut reconnaître qu’il était d’une intelligence supérieure. Il donnait donc le meilleur de lui-même avec un musicien comme Alain Jean-Marie qui comme lui a le jazz inscrit dans son ADN. Et, outre leur complicité musicale, il y avait entre eux beaucoup de respect et d’admiration mutuelle. C’est sans doute le secret de la musique magnifique qu’ils ont fait ensemble pendant des années.
Philippe Vincent se « souvient de Barney Wilen », dans le numéro d’été (Juillet-août) de Jazz Magazine
Philippe Chauché
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