lundi 30 novembre 2009

La Musique Seule (2)



Demain ces traces disparaîtront dans le flot pornographique dominant,
Demain cette musique ne sera plus écoutée que par quelques scissionnistes solitaires,
Demain plus personne ne saura qui fût ce musicien, (1)
Demain la musique s'écoutera dans les musées, comme elle s'écoute aujourd'hui dans les boutiques,

Demain le mauvais goût sera langage commun.

Demain la joie de l'amour sera oubliée,
Demain les corps ignoreront la jouissance partagée de l'Instant,
Demain la joie des mots sera engloutie,
Demain la joie des livres sera consumée par la nuit.


Aujourd'hui le rayonnement du Temps est un acte de résistance invisible, aujourd'hui nos regards dénouent la mort, aujourd'hui nous savons que ce sont les fées qui nous sauvent, aujourd'hui la musique accompagne nos silences et nos méditations sur les seins de nos aimées.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Scott Ross / Diapason du mois de décembre consacre quelques belles pages à ce musicien du Temps

dimanche 29 novembre 2009

Identité Nationale

" Tant d'ombres, pour tromper tant de regards ! " (1)

Identité Nationale : une certaine idée de la littérature - Cervantès, Montaigne,  Vivant Denon, Voltaire, Proust, André Breton, Hemingway, Beckett, Joyce, Ponge...
Identité Nationale : une certaine idée de la poésie - Dante, Hölderlin, Rimbaud, Claudel, Manciet...
Identité Nationale : une certaine idée de la musique - Rameau, Couperin, Bach, Frescobaldi, Mozart, Vivaldi, Parker, Monk, Miles Davis, Bill Evans, Jarret...
Identité Nationale : une certaine idée de la peinture - Fragonard, Courbet, Cézanne, Matisse, Picasso...
Identité Nationale : une certaine idée du politique - Baldassar Castiglione, Baltasar Gracian y Moralès...
Identité Nationale : une certaine idée de la géographie - Bordeaux, Séville, Madrid, Venise, Paris, Avignon...
Identité Nationale : une certaine idée du retrait - " Je prends le monde tel que je suis. " (2)
Identité Nationale : une certaine idée du doute.
Identité Nationale : une certaine idée du silence des étrangers.
Identité Nationale : une certaine idée du style - " Épurer par dignité, styliser par noblesse, esthétiser par pudeur. " (3)
Identité Nationale : être étranger aux peurs françaises.
Identité Nationale : bleu, blanc, rouge - des fleurs.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Dictionnaire du mensonge / Pio Rossi / traduct. Muriel Gallot / Éditions Allia
(2) Mes inscriptions / Louis Scutenaire / Éditions Allia
(3) Commérages / Esnaola / Distance

Seins (2)



" C'est quand on les saisit par derrière que les seins donnent la sensation d'être le plus grands. Quand on les surprend ainsi et qu'on les presse, on devine leur aspiration, on les sent tirer, tirer en avant, s'échapper, se tendre, saillir. C'est de cette façon seulement, en les prenant par derrière, qu'on les confond et qu'on les devine : car, sans même le vouloir, quand ils sont surpris de face, ils se rétractent un peu, se retirent dans leur coquille, se blottissent... Oh, cette chasse défendue qui consiste à les saisir tout à coup par derrière ! Comme ils s'y livrent, pareils à une femme à qui on met par surprise les deux mains sur les yeux ! Ils croient que c'est l'Idéal qui les saisit ainsi, et ils se dilatent de plaisir. " (1)

L'été les seins vous dévisagent.
L'hiver les seins sont en suspension.

Ses seins avaient un parfum de tabac indien.

Les seins des montagnardes sont des paratonnerres.

Les seins des andalouses se couvrent de mantilles le vendredi sein.

C'est à dessein qu'il embrassait ses seins le matin.

Seule la seinteté conduit au Paradis.



" Odeur des cuisses brunes, douce odeur des seins blonds. " (2)

Ses seins indiquaient le Sud lorsqu'il les caressait.
La nuit les seins sont des étoiles filantes.
Lorsque son sein gauche dort, le droit veille.
Elle offrait ses seins comme l'on ouvre un livre.

La soie est la partition des seins.

" Brûler, puis éclairer. " (3)

Son identité nationale : une double seinteté.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Variétés et observations / Seins / Ramon Gomez de la Serna / traduct. Jean Cassou, Valery Larbaud et Mathilde Pomès / Ryôan-ji / André Dimanche Éditeur
(2) Louis Scutenaire / Mes Inscriptions 1943-1944 / Éditions Allia
(3) Nouvelles Pensées de l'Amazone / Natalie Clifford Barney / Éditions Ivréa

samedi 28 novembre 2009

Seins




" Les seins sous la clarté lunaire sont comme gonflés de quelque chose de plus blanc que ce lait qui suinte de certaines tiges coupées, de quelque chose de plus blanc que la lune, de quelque chose qui n'est plus ce qu'ils ont pris à la lune, exactement comme ce qu'il y a dans le miel n'est plus ce qu'il y avait dans les fleurs... O miel de lune ! " (1)

Les seins du matin ont souvent l'éclat d'une rose qui sommeille.
Les seins du jour sont parfois ravis qu'on les admire.
Les seins du soir se réveillent enfin, et chantent sous nos baisers.
Les seins de la nuit nous transforment en musiciens.
Les seins du sommeil rêvent du jour et du soir.

Nous ne devrions jamais oublier les seins embrassés.
Chaque sein touché est un miracle avéré.
C'est parce qu'ils vont par deux, que les seins savent si bien danser.
Les seins aimés sont des seins sauvés.

Dans la Bible c'est de seinteté qu'il s'agit.
Chaque prière est une adresse aux seins.

Je donne ma langue au sein ! me dit l'enfant en riant.

Les seins nous apprennent à lire et à écrire.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Variétés et observations / Seins / Ramon Gomez de la Serna / traduct. Jean Cassou, Valery Larbaud et Mathilde Pomès / Ryôan-ji / André Dimanche Éditeur

vendredi 27 novembre 2009

Le Paradis de la Vie (2)



Le visage lui est apparu, net, clair, éclatant. Il l'a fixé longuement avant que la nuit ne l'efface. Le visage est resté imprimé dans son regard, sur sa peau, il est ce Paradis de la Vie.
Le visage, il le regarde, et laisse ses éclats se glisser sur sa peau, s'y poser comme un baiser de déesse, comme une sonate pour flûte et clavecin de Jean-Sébastien Bach. C'est un saisissement, et ce saisissement ouvre les portes du Temps présent, passé et futur, c'est ce qu'il se dit.
Le visage de la femme embrasse son épaule, il écoute la flûte et le clavecin, les deux jeunes hommes sont en accord parfait avec le vieux Bach (1), la main de la femme se pose sur sa joue, il ferme les yeux et accompagne cet éblouissement, rien ne m'est plus nécessaire, pense-t-il, que la musique de Bach, le regard de la femme s'est fondu dans le ciel bleu grisé, il ne fermera plus jamais les yeux, c'est ce qu'il écrit dans l'hiver qui le saisit, il ajoute, le Paradis de la Vie est né des nuances de son visage.



Il n'a pas ouvert un livre depuis dix jours, et se laisse envelopper par leur présence. Il pense que les livres sont un Fleuve et des arbres, et que son seul regard les fait vivre, il ajoute que le visage des femmes enflamme les livres, que leurs mains les enluminent, mais aussi, que dans son regard il lit tous les livres qui font chanceler son lit. Il pense aussi que le Paradis de la Vie traverse son corps, comme un regard qui reçoit la vie d'un dessin de Matisse. Il se dit qu'il lit à travers sa peau, les livres qu'il n'a jamais écrit, mais aussi que son seul visage est une bibliothèque de Nag Hammadi, que son corps connaît enfin la résurrection de la vie. Il la regarde dormir et se dit, le monde appartient aux hommes qui savent ainsi les regarder. Le plus légèrement du monde il dépose un baiser sur son épaule adorée. Sa respiration s'imprime sur ses lèvres, il lui sourit, et il sait qu'elle le voit dans sa nuit qui est un jour permanent et joyeux, il se dit alors, " toutes tes nuits ma douce amie seront ainsi aimées, c'est ce que je te souhaite. "

" Jésus a dit : " Si la chair est advenue à cause de l'esprit, merveille ! Si c'est l'esprit à cause du corps, merveille des merveilles ! " (2)

Il est sorti en chemise dans la rue, il ne sentait rien, il a même un peu remonté les manches sur ses avant bras, il ne sentait rien. Il a alors pris la rue de la Synagogue, tout était silence, tout était douceur en ce mois de novembre. Une étoile a traversé le ciel, et son éclat s'est figé dans son regard. Il s'est dit, c'est ainsi que les déesses s'invitent. Il a poursuivi son chemin, traversé la place Saint Pierre, les pavés s'ouvraient sous ses pieds, il a posé sa main sur la pierre blanche de l'église, y laissant sa marque, comme il l'avait laissée son épaule ronde lorsqu'elle dormait dans les éclats du Paradis de la Vie. Il est resté longtemps face à l'église. Une larme a glissé sur sa joue. C'est une larme de joie, s'est-il dit, une larme de vie, laissons les larmes de mort aux morts.

" La chambre était colorée de gris lilas. Clarine, allongée sur le lit, écartait ses jambes. Elle souriait : " Qu'est-ce que tu vas lui faire à ma chatte ? " Je me suis approché, je l'ai contemplée en tenant ses jambes bien haut ; le petit bracelet d'émeraudes cliquetait au-dessus de ma tête. J'ai dit : " Je crois que tu as une chatte heureuse. " Oui, a dit Clarine, ma chatte, elle est très douée pour le bonheur. La beauté fauve, presque rousse, la beauté renarde de sa chatte vibrait dans la nuit. " (3)

Dans la nuit tout était là, net, clair et éclatant. Il s'est dit, je peux encore marcher des années, les déesses heureuses me protègent.


à suivre

Philippe Chauché

(1) Bach / Complete Chamber Music for Flute / Jed Wentz - Michaël Borgstede / Brillant Classics
(2) Évangile selon Thomas / Ecrits gnostiques / La bibliothèque de Nag Hammadi / traduct. Jean-Marie Sevrin / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard
(3) Cercle / Yannick Haenel / L'Infini / Gallimard

jeudi 26 novembre 2009

Le Paradis de la Vie



Il regarde ce visage, et il se dit, c'est dans le visage des femmes que nous renaissons. Un miracle. Une diffraction du Temps. Il écrit, c'est par le visage des femmes que nous ressuscitons, la plus belle des évidences du monde.
L'aurions-nous oublié ? Serions-nous devenus aveugles ? Sourds ?
Il ajoute :
L'éclat d'un visage amoureux délivre du mal, ouvre sur le Temps de l'Instant. L'éclat d'une peau est une musique qu'il faut savoir entendre.
L'explosion de la vie qui s'en dégage détourne de la mort.

Il écrit enfin, lorsque la mort s'invite, laissez dériver votre regard sur ce visage, il vous ouvrira les portes du Paradis de la Vie.

" Les héritiers des morts sont eux-mêmes morts et c'est des morts qu'ils héritent. Les héritiers du vivant sont eux-mêmes vivants et ils héritent du vivant et des morts. Les morts n'héritent de personne. Comment en effet celui qui est mort pourrait-il hériter ? Le mort, s'il héritait du vivant, ne mourrait pas, mais c'est bien davantage qu'il vivrait, le mort. " (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Evangile selon Philippe / Écrits gnostiques / La bibliothèque de Nag Hammadi / traduct. Louis Painchaud / Bibliothèque de la Pléiade / Gallilmard



"

lundi 23 novembre 2009

Matins d'Automne




" La rivière de ce soir est lisse et calme,
Les fleurs du printemps s'épanouissent.
Le courant emporte la lune,
La marée ramène les étoiles. (1)

Je lui offre les éclats du matin d'automne.
La douceur du Temps.
Le mouvement du regard.
Que mille fleurs l'accompagnent.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Fleurs et clair de lune sur la rivière du printemps / L'empereur Yang 605-617 / La poésie chinoise / traduct. Patricia Guillermaz / Pierre Seghers Éditeur / Club des Libraires de France

samedi 21 novembre 2009

La Courbe du Temps (58)




Il a traversé la nuit dans la ville blanche, s'est assis face au Fleuve, et s'est glissé dans l'absence.
La lune glaçait ses yeux.
Il a déposé le livre sur le muret de pierre, puis il s'est levé.
Il n'a croisé personne dans les rues aux vierges perchées.
La nuit s'est écoulée.
Au matin, il a une dernière fois regardé son visage brisé.
Il tremblait.
Il a cacheté la lettre et s'est noyé dans le jour.




à suivre

Philippe Chauché

mardi 17 novembre 2009

Le Temps du Silence (2)

" Les coquillages porteurs de perles ne doivent s'ouvrir que pour recevoir la rosée du ciel. " (1)

Lire : se laisser transpercer par les phrases.
Écrire : porter haut le Temps et ses Instants.
Aimer : apprivoiser le silence.
Voir : s'accorder aux chants d'un visage.
Sourire : espace entre deux visions.
Main : offrande aux déesses.
Musique : le Temps d'aimer.
Joie : fleur du regard.
Femme : miracle absolu.
Silence : éclats du sommeil.
Baiser : caligraphie à l'encre sympathique.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Dictionnaire du mensonge / Pio Rossi / traduct. Muriel Gallot / Éditions Allia

lundi 16 novembre 2009

Le Lieu de la Vie



" Un livre exposant sans arrêt l'opération qui le constitue ressemble à ce que les gnostiques appellent le " Lieu de la vie " : sans cesse, il recroise son commencement et sa fin. D'ailleurs le " Lieu " des gnostiques est par excellence celui où se tient la parole, et qu'un appel requiert chaque être humain à rejoindre. " (1)

" Un corps qui expose dans chacun de ses gestes l'opération qui le constitue ressemble à la Courbe du Temps, il ne peut ouvrir que sur une brèche que nous nommerons le Paradis, sur un autre art d'être au monde dans la vibration des mots transcendés en chair. " C'est ce qu'il écrit. Il ajoute : " Un corps qui ne parle pas est un corps mort, un corps qui triche est un corps destiné aux enfers, un corps qui ne s'offre pas est un corps en décomposition, un corps qui n'aime pas est un corps perdu. " Mais aussi : " Mes mots m'ont perdu. "

Et pourtant :

" Bouche, mère des paroles, origine des baisers ; théâtre qui possède des guirlandes de rubis, des portes de corail éclatant, des colliers de perles candides, des rideaux de pourpre naturelle, des rues de roses animées : où, amusées, passent les Grâces ; le rire y tient séjour. " (2)

Il se dit enfin : " Les corps sauvent les corps, les mots sauvent les phrases, les sourires la palpitation des couleurs, la douceur vagabonde des préludes de la douleur. "

à suivre
Philippe Chauché


(1) Prélude à la délivrance / Yannick Haenel - François Meyronnis / L'Infini / Gallimard
(2) Dictionnaire du mensonge / Pio Rossi / traduc. Muriel Gallot / Éditions Allia

Propos de Novembre

" Je sais pourquoi je jouis. Je sais pourquoi je ne mourrai pas. Parce que je est qui je sera. Arrivé là, on sort enfin de la religion, sans quoi, rien à faire. " (1)

Non, c'est écrit.
Il pensait lire Oui.
Mais le Non l'emporte.
Sorcellerie ?

Oui, elle dit.
Il n'en revient pas
Du Oui dit !
Miracle ?

Instants.
Tendons tendus.
Verbe juste.
Silences sur la peau.

En permanence,
Vérifier ses doutes,
Ses emportements,
Ses mots et ses gestes.
Pour mieux se taire.

Faire de la nuit
Un jour nouveau.
Et du jour une nuit blanche.

Parler.
Pour tout dire.
Ou se taire
Pour aimer ?

D'ou vient le bonheur ?
D'une voix.
D'une peau.
D'un silence.
D'une absence ?

Félicité :
Ce qu'elle offre.

à suivre

Philippe Chauché


(1)Je sais pourquoi je jouis / Philippe Sollers / Tel Quel / n°90 Hiver 1981 / Éditions du Seuil

dimanche 15 novembre 2009

La Courbe du Temps (57)



" Ah ! Viens, viens ma daine ravissante, ne fût-ce dans un rêve. Donne-toi, ne fût-ce, dans un doux discours. Quelques mots suffiraient à éteindre la luisante fournaise qui me consume. Ah ! Viens, viens à moi, ne fût-ce dans le rêve ; comble-moi, ne fût-ce de ton salut. Car tes paroles, si rares soient-elles, désaltèrent la soif du soupirant. " (1)

Nous y voici, lui dit-il, la néfaste organisation générale poursuit sa destruction programmée, les corps ne sont pas épargnés, pourquoi d'ailleurs le seraient-ils, ni les âmes libres, les sensualistes, les intemporels, ou encore les déesses, les fées, les musiciens, les écrivains, les individualistes joyeux, les amoureux invisibles du Temps, les amants heureux, les peintres, et tous ceux dont l'art de vivre est un danger pour les gardiens du temple social. Nous devons cher ami perfectionner notre art de la guerre, nous avons des alliés anciens vous le savez, ils suffit d'y penser, c'est simple et très efficace. Leurs noms, ces astres vifs et vivants, ils rêvent à jamais de les rayer des encyclopédies et des dictionnaires, de laisser leurs livres moisir dans leurs coffres contaminés. Tout cela ne m'effraie pas, je dois même vous dire cher complice, que j'en suis amusé, leur médiocrité cancérigène finira n'en doutez pas, par les diffracter. Profitons de ce moment pour célébrer leur défaite qui n'en doutez pas est proche. C'est ce qu'il lui dit, en levant sa coupe de champagne. Tenez j'ai pour vous, un livre qui paraît-il n'est plus d'actualité. L'auteur est un allié. Lisez, vous comprendrez.

" Nous parlons peu, sauf la langue codée de l'acte lui-même ( on s'accorde vite là-dessus, ou pas ). Je me rajeunis, elle se rassure. On finit en riant, et c'est l'essentiel. " (2)

" Je me concentre sur le mot "mot". Je le vois là-bas, dans la ligne mire. Il respire un peu, il grandit, c'est lui que je vise, que je veux toucher et trouer. MOT. Avec une lettre de plus, c'est MORT. En anglais, ça ferait WORD et WORLD. Je tire sur la mort, je tire sur le monde. Petite plaisanterie, mais qui fait du bien. Ma voisine de stand, Viva, me félicite d'avoir mis dans le mille. Je ne sais rien de ses activités, ni elle des miennes. On se sourit, ça suffit. " (2)

Ils se sont séparés la nuit venant. Il a traversé la place où s'agitaient quelques touristes égarés, descendu la ruelle qui serpente jusqu'au Fleuve et sous les Arbres. La nuit s'annonçait claire et douce. Il s'est assis armé du livre, sur la murette d'où il avait aperçu pour la première fois la danseuse rouge dans les éclats de la lune. Là dans le silence il n'a pensé à rien, à rien d'autre qu'aux éblouissements de la Courbe du Temps qui, s'il les connaissait, rassurerait définitivement le scissionniste du café, ils sont une arme redoutable pensa-t-il, une arme de vie contre la mort dominante, une arme de joie, de bonheur, de jouissance, de corps dansant, de peau flamboyante, de verbe rayonnant. Il fixe longuement les eaux du Fleuve, et laisse le gris et le noir se glisser sous sa peau. Sur son petit carnet noir, il note : " elle s'est endormie dans mes bras, j'ai écouté son rythme, sa musique intérieure, sa mélodie de la nuit, son visage qui glissait dans l'aventure du sommeil, je ne bougeais pas, et cela pouvait durer toute la nuit, toute une vie. ", il ajoute : " Elle s'est envolée dans la nuit, encore bercée par sa nuit que j'ai accompagné de mon silence, elle s'est envolée... " Il a passé la nuit sur les bords du Fleuve, il faisait un peu froid, il ne sentait rien, pas un bruit pour troubler cette méditation marine, pas un mot. Au matin, il a emprunté à nouveau la rue qui serpente, seul avec la pensée du rythme de son sommeil. Il s'est dit, " la Courbe du Temps s'est envolée ce matin ".

" A la pointe de la découverte, de l'instant où pour les premiers navigateurs une nouvelle terre fut en vue à celui où ils mirent le pied sur la côte, de l'instant où tel savant put se convaincre qu'il venait d'être témoin d'un phénomène jusqu'à lui inconnu à celui où il commença à mesurer la portée de son observation - tout sentiment de durée aboli dans l'enivrement de la chance - un très fin pinceau de feu dégage ou parfait comme rien autre le sens de la vie. " (3)

Le jour est autre ce matin, il reste dans le silence, navigateur du Temps perdu, note-t-il. Il reprend mot à mot tout ce qu'il écrit depuis des siècles, note à note, et laisse le Temps l'éclairer. Tout son corps s'y accorde, tous ses mots s'y glissent, ses yeux, sa voix. Il garde le mouvement léger du sommeil de la danseuse rouge. Il ferme les yeux dans le silence du matin, et écrit " une fée veille sur moi. "

à suivre

Philippe Chauché


(1)La fille d'Arabie / Todros Aboulafia 1247-après 1295 / Poésie hébraïque du IV° siècle au XVIII° siècle / choix de poèmes adapté de l'anglais en prose française par Frans de Haes / L'Infini / Gallimard
(2) Les voyageurs du temps / Philippe Sollers / Gallimard
(3) L'amour fou / André Breton / Gallimard

samedi 14 novembre 2009

L'Isolée




" C'est mon sort qui est triste
Et non votre amour qui est inconstant.
Je prends pitié de l'éventail délaissé
Et n'ose blâmer le vent de l'automne. " (1)

Le vent d'automne.
Gris du ciel,
Espace dégagé,
Rien ne filtre.

Le vent du délaissement frappe son regard,
Plus que jamais isolée,
Elle s'endort.

Qu'offrir de plus ?
Rien.
Que vivre de mieux ?
Rien.
Que voir de plus troublant ?
Rien.
Qu'écouter de plus saisissant ?
Rien.
Qu'écrire après ?
Rien.

L'isolée écoute le mouvement de l'Instant :
Un doute troublant,
Un éclat saisissant,
Un sourire de grâce,
Un tremblement de vie,
Une joie ?
Non !
Un vide.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Pan Chieh Yu / Hsu Tsung Lu XV° siècle / La poésie chinoise / Patricia Guillermaz / Pierre Seghers Éditeur / Club des Libraires de France

mercredi 11 novembre 2009

La Courbe du Temps (56)



" Seul, assis, je contemple l'eau et la montagne,
Appuyé contre un mol oreiller, j'écoute le vent et la pluie.
Tous les jours des amis viennent et s'en vont,
Tous les ans les fleurs éclosent et tombent. " (1)

Il multiplie les phrases et les offre comme des colliers de bois.
Elle multiplie les sourires et les offre dans l'absence.
Il s'avance dans le Temps permanent de la ville blanche. Les mains dans le mouvement des phrases, le corps délivré et vide. Il se dit que le vide de son corps ressemble au plein de son regard, il se dit aussi que chaque mot qu'elle prononce est un bouquet de violettes, que chaque sourire qu'il pose sur son épaule est une rosée d'automne.

"... A travers la mince soie rouge de ma robe,
Paraît ma chair parfumée, lisse et blanche.
Souriante, je dis à mon bien-aimé :
- Le rideau léger, l'oreiller et la natte seront frais. " (2)

Il note sur son écritoire : " le sourire des femmes sauve ", et celui de la danseuse rouge m'a délivré de l'absence du Temps. Il ajoute " le corps des femmes parfume l'âme ", et celui de la danseuse des bords du Fleuve et sous les Arbres a fait fleurir mes doigts, et " la jouissance des femmes est un vrai roman ", et celle de la danseuse rouge est une sidérite, et encore " la peau des femmes est un plumier ", et celle de cette femme libre ouvre mes phrases, il écrit également, " les mots des femmes délivrent votre parole ", et ceux de la danseuse de la ville aux martinets clairs a éclairci ma voix, plus loin dans le cadre lumineux de sa page blanche " les seins des femmes font de vous des musiciens ", et ceux de cette femme là ont mis en partita mes adorations.

" Cette nuit, tout est simple. La pensée ne réclame rien. Elle s'éclaircit, comme la gorge. Le repos est léger dans les nuances. " (3)

à suivre

Philippe Chauché


(1) Fantaisie / Hsu Pen XV° siècle / traduc. Patricia Guillermaz / La poésie chinoise / Pierre Seghers Éditeur / Club des Libraires de France
(2) Sur l'Air " Printemps a Wuling " / Li Ch'ing Chao 1081-1140 ? / d°
(3) Cercle / Yannick Haenel / L'Infini / Gallimard

mardi 10 novembre 2009

Eclairs (5)




Sur la barque fleurie
Elle sourit
Éclairs

à suivre

Philippe Chauché

lundi 9 novembre 2009

La Courbe du Temps (55)



" Mais c'est quelquefois au moment où tout nous semble perdu que l'avertissement arrive qui peut nous sauver, on a frappé à toutes les portes qui ne donnent sur rien, et la seule par où on peut entrer et qu'on aurait cherché en vain pendant cent ans, on y heurte sans le savoir, et elle s'ouvre. " (1)

Il sait obstinément ce que vivre sa vie d'homme veut dire, de toute évidence qu'aimer le Temps illumine, qu'embrasser le verbe en Mouvement délivre, que toute passion doit s'accorder à l'Infini du silence, que le regard sauve, et qu'une main qui se pose sur une épaule est une éclaircie de fleurs de pruniers. Il se dit tout cela en reprenant ce chemin tant de fois parcouru qui conduit au bord du Fleuve et sous les Arbres. Il se dit qu'il écrira encore d'autre phrases quand il verra la danseuse rouge, il ajoute qu'il écrira des phrases même s'il ne la voit pas, et que les phrases accompagneront ses pas et son regard.

" Je me souviens d'elle, toute frêle,
Assise devant la courtine légère,
Chantant quatre ou cinq chansons,
Ou caressant deux ou trois cordes.
Son sourire était incomparable,
Sa colère avait plus de charme encore.

Je me rappelle l'heure du sommeil.
Je me couche tandis qu'elle n'ose.
Elle veut bien dénouer sa robe
Mais il faut la tirer vers l'oreiller.
Et de crainte qu'on ne la voie,
Timide, elle reste devant la bougie. (2)

" L'Instant présent est un souvenir de l'Instant à venir.
La nostalgie n'existe que dans les rêves des vierges oubliées.
Toute phrase est une caresse.
Tout regard un Instant de lumière.
Son corps délivre, ses mots accueillent, son sourire vivifie. " C'est ce qu'il dit à la danseuse rouge lorsqu'il la voit dans le mouvement du fleuve et le silence des arbres, il ajoute, votre mouvement croise et décroise les temps anciens, devenus sur l'Instant, les Temps présents. Je tiens au pluriel, précise-t-il. Elle l'écoute et d'un sourire renverse le mouvement de sa voix. Dans un autre renversement elle l'embrasse. Il lui dit alors : par vous j'accède au présent, à la vive lumière de la Courbe du Temps qui ouvre à la Joie.


" Chaque aube le jadis pousse dans l'espace une nouvelle lumière. Il n'y a pas deux aubes. Tous les matins du monde sont sans retour. Il n'y a pas deux nuits. Chaque nuit est le fond de l'espace en personne. Il n'y a pas deux fleurs, deux rosées, deux vies. Il faut dire à tout instant : Toi. " (3)

Plus tard dans la nuit terrible où tous les vents du globe glacent les pierres de la ville des martinets, il s'est souvenu du regard que demain elle ouvrira à ses mains et à sa bouche.

" D'où vient ce vent tout chargé de parfum ?
Pour l'accueillir, devant mon rideau, je brave le froid du printemps.
Je suis trop pauvre pour m'acheter des orchidées,
Aussi j'en peins une sur une feuille de papier.

D'une vraie fleur solitaire sur sa tige
Nul n'a pitié.
Mais celle que j'ai peinte,
Ne craint ni le vent froid ni la pluie oblique. " (4)

Son regard est cette orchidée sauvage qu'il embrasse dans la nuit d'automne.

à suivre

Philippe Chauché




(1) Le Temps retrouvé / A la recherche du temps perdu / Marcel Proust / Gallimard
(2) Souvenir / Shen Yueh ( 441-513) / La poésie chinoise / Anthologie des origines à nos jours / traduc. Patricia Guillermaz / Pierre Seghers Éditeur / Club des Libraires de France / exemplaire n° 591 / 1960
(3) La barque silencieuse / Pascal Quignard / Seuil
(4) L'orchidée que j'ai peinte / Ma Hsiang Lan XVI° siècle / La poésie chinoise / Anthologie chinoise / traduc. Patricia Guillermaz / Pierre Seghers Éditeur / Club des Libraires de France / exemplaire n° 591 / 1960

dimanche 8 novembre 2009

Quignard





" J'aurai passé ma vie à chercher des mots qui me faisaient défaut. Qu'est-ce qu'un littéraire ? Celui pour qui les mots défaillent, bondissent, fuient, perdent sens. Ils tremblent toujours un peu sous la forme étrange qu'ils finissent par habiter. Ils ne disent ni ne cachent : ils font signe sans repos. " (1)

L'art d'écrire pourrait être celui de convoquer des Noms qui font l'Histoire, et des histoires d'où viennent des noms. Dans ce sixième opus de " Dernier royaume ", comme dans les précédents, les Noms anciens tissent la trame sensible et le sens complexe du livre.

Le livre file au gré des vents vers le rivage de la mort, cette terre incognita que l'écrivain saisit comme on le fait d'un corps mouvant.

Lisons : " Héraklès, Admète, Dionysos, Orphée, Tirésias, Achille sont descendus aux enfers et en sont revenus. A leur retour ils racontaient ce qu'ils avaient vu. Ils racontaient comme ils pouvaient, avec des mots, les visages bouleversants qu'ils avaient rencontrés, la vieille lumière noire, toute l'ancienne tendresse. " (1)

Le livre délivre des éclats de ce rivage, avant que ne tombe la lumière noire et son tremblement, ce rivage où se joue l'Instant : " Quand il fut à mourir Henri de Lenclos fit approcher sa fille :
- Ma fille, je pense qu'il faut que vous ne vous associez que le temps. Ne devenez jamais scrupuleuse sur le nombre, l'âge, le rang, le coût, l'aspect, la circonstance - seulement sur le choix de l'objet dans le temps que vous en jouierez. " (1) mais aussi : " Il y a une scène étrange dans Pline Epistularum Lib. III 16 où une femme " essaie la mort " afin de l'offrir à son époux sans douleur. Arria l'Aînée plonge le poignard sous son sein gauche, le retire tout sanglant, le tend à son mari, ne tombe point, prend encore le temps de dire (alors qu'elle est morte ) :
- Non dolet, Paete. ( Paetus, cela ne fait pas mal. )
Arria l'Aînée n'es pas synchrone avec la mort.
Dans la mort d'Arria l'Aînée la mort n'arrive pas. " (1)

L'art d'écrire sur le temps passé qui passe, sur cette échancrure qui sépare la vie mouvante de la mort qui n'arrive pas , et qui vous saisit, est un art rare et sombre, le mouvement du livre, ressemble à celui d'une barque blanche qu'élève et abaisse en silence le mouvement de la marée de la vie. Il convient d'adopter ce même mouvement pour lire ce livre, une sorte de va et viens entre les histoires, un va et viens solitaire pour saisir tout ce qui s'y joue : " Quand on glisse sa main un instant dans la mer, on touche à tous les rivages d'un coup. De même le pied dans la mort, par laquelle on quitte le temps. " (1)

L'art d'écrire est celui du scissionniste savant, saisissant dans le mouvement des noms et des mots cette fontaine de jouvence qui mène au rivage du roman qui définitivement s'écrit contre le groupe social.

" La solitude est une expérience universelle. Cette expérience est plus ancienne que la vie sociale car toute la première vie, dans le premier royaume, a été une vie solitaire.
Saint Augustin a écrit : La vie avant de naître fut une expérience.
En Chinois Lire et Seul sont des homophones.
Seul avec le Seul.
Ouvrant un livre il ouvrait sa porte aux morts et il les accueillait. Il ne savait plus s'il était sur terre. " (1)

Retournement : en ouvrant un livre, il ouvrait sa porte aux vivants, accompagné de cette assemblée, il se savait à jamais au Paradis.

" L'intimité qui fait remonter à l'intérieur de soi le monde le plus ancien est le bien le plus rare. " (1)

Mais aussi, cette même intimité qui fait voir des mondes nouveaux est un bien unique. Elle naît dans la nuit sexuelle.
Ce livre est ce bien unique.

à suivre

Philippe Chauché

(1) La barque silencieuse / Pascal Quignard / Seuil

samedi 7 novembre 2009

La Courbe du Temps (54)




" Qu'il vienne, qu'il vienne
Le temps dont on s'éprenne. " (1)

Une joie intense le traverse, il se dit que le rythme qu'il donne à sa vie, vient de là. De la musique des corps, pense-t-il, et de celle des mots qui nous recouvrent d'or.
Cette beauté saisissante lui ouvre un nouvel espace où il se révèle.
Le trouble de sa peau est une pluie d'été.
Il reprend une à une ces phrases, qui se déroulent sous ses yeux dans le Cercle du Temps. C'est dans ces phrases ajoute-t-il sur son écritoire, que je vois au mieux le corps et sa Courbe, et ce corps embrase ses phrases. Il se dit alors dans la lecture lumineuse des phrases que le mouvement de son corps se renouvelle sans cesse. Le renouvellement permanent du mouvement, c'est aussi celui de la passion.

Dans la nuit, la lune
Tout est surprenant
Je m'endors.

" J'ai fait la magique étude
Du Bonheur, que nul n'élude. " (2)


Il ouvre les yeux dans le silence du matin bleu gris, à portée de main une révélation résonne. Toute révélation est un mouvement, note-t-il, ajoutant, toute révélation est un transport du corps qui écoute et vibre, une musique du Temps. Il traverse la ville endormie dans la suspension du doute, son sourire éclaire sa marche, il marche en écrivant et laisse chaque pierre traverser sa peau, il marche et chaque pavé s'élève sous ses pieds, il marche et la réjouissance du Temps l'éclaire.

" Arrivée de toujours, tu t'en iras partout. " (3)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Chanson de la plus haute tour / Une saison en enfer / Arthur Rimbaud / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard
(2) Mémoire / Vers nouveaux et chansons / d°
(3) A une raison / Illuminations / d°

jeudi 5 novembre 2009

Lune d'Automne




Lune d'automne
Dans ses éclats
Je l'écoute.

Gris du ciel
Dans la douceur de sa peau
Je médite.

Matin troublé
Vols lointains d'oiseaux rouges
Je me souviens.

à suivre

Philippe Chauché

mardi 3 novembre 2009

La Courbe du Temps (53)



" La beauté est un renversement ", c'est ce qu'il note en l'écoutant. " La beauté, éclats du Temps ", pense-t-il, sublime regard qui croise le sien. " Les yeux appellent les yeux ", se dit-il. " Le verbe appelle le verbe ", " La peau est l'écho musical de la Courbe du Temps ", ajoute-t-il.

" Le regard des femmes qui vous choisissent s'accorde merveilleusement au Temps ", mais aussi " Leur corps renverse le verbe ", et " La jouissance est le miracle de la phrase et des sens ", ou encore " Dans le mouvement de ses mains fleurissent des nénuphars ", c'est ce qu'il écrit dans son carnet en moleskine noire.

" Un baiser vaut mille poèmes, et un poème vérifie le baiser ", ou encore, " J'accède à la musique de la phrase dans le désir ", mais aussi " Sa main posée sur mon épaule est une rosée ", et encore " Je vois dans ses bras ce que l'on entend par Résurrection ", voilà ce qu'il lui dit.

" Sur son ventre je vérifie les éclats de la Phrase ", et " Dans ses bras, j'écris ", ou encore " Les Cercles du Temps sont les mots qu'elle m'offre ", et " Je l'écoute dans l'espace du roman ", et c'est cela qui rend le monde à sa beauté.

Il lui dit aussi, je suis heureux.

à suivre

Philippe Chauché

La Courbe du Temps (52)



" Pluie, Semence, Dissémination, Trame, Tissu, Texte.
Écriture. " (1)


Il se dit, les temps changent, le vent du nord s'invite et griffe ma peau, il se dit aussi, la pluie patiente, dans quelques heures elle noiera mes chaussures italiennes corail. Il ferme les yeux et laisse l'hiver gifler son visage.

Il se penche sur la glaciation du Temps, étrange, saut dans un autre temps, c'est ce qu'il écrit.

Ma seule arme, pense-t-il, c'est le bonheur, une autre manière d'embrasser l'espace, là près du fleuve et sous les arbres, où plus un seul mouvement n'éclaire le bleu de son regard.

Il remonte le col de velours de sa veste noire, allume à plusieurs reprises une cigarette américaine, et se fige face au fleuve. Les arbres ont disparus.

Plus tard dans la nuit, il reprend ces notes, mots à mots, il ne reconnaît rien de ce qu'il est.

Seule solution se dit-il, seule résistance aux manoeuvres diaboliques qui se déchaînent, tout reprendre.

Il se dit le Temps vibre, le vent du sud embrasse ses yeux, il se dit aussi, l'été illumine chacune de ses mains. Elles sont faites pour l'amour de cette Courbe.

Il se penche sur la révolution du Temps, merveilleux, je suis ce temps en mouvement, pense-t-il, et c'est de ce mouvement que va naître le mot, la peau et la fleur.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Roland Barthes / L'Empire Des Signes / Éditions Albert Skira

lundi 2 novembre 2009

Passion Vive (2)

" La splendeur, le divin de l'esthétique est justement de ne s'attacher qu'à ce qui est beau ; pour le fond elle n'a à s'occuper que des belles lettres et du beau sexe. Je peux me réjouir et réjouir mon coeur en imaginant le soleil de la féminité rayonnante dans sa plénitude infinie, s'éparpillant en une tour de Babel, où chacune en particulier possède une petite parcelle de richesse entière de la féminité, mais de sorte qu'elle en fait le centre harmonieux du reste de son être. En ce sens la beauté féminine est divisible à l'infini. " (1)

Le beau est la splendeur du soir.
Le ciel hésite entre le noir total, le gris perle et le blanc surgissant de la pleine Lune.
Le beau du Temps va naître de l'Instant, dans les mouvements de soie de son regard, éclats vifs.
Les corps nous délivrent de la pesanteur, ils échappent à la loi sociale, c'est une bonne nouvelle.
Le beau de l'Instant, comme un remue ménage du Verbe, fait exploser les certitudes.
Le centre harmonieux de la phrase est définitivement une histoire de peau.
J'écris au temps présent dans la délivrance de l'accompagnement.
Je n'ai rien à perdre à vivre.
La beauté féminine, émergence d'une composition florale.
Jasmin, rose et marguerite.
Ce jour, j'ai l'humeur fleurie.

à suivre
Philippe Chauché

(1) Le Journal du Séducteur / ou bien... ou bien... / Sören Kierkegaard / traduc. F. et O. Prior et M. H. Guignot / Gallimard

dimanche 1 novembre 2009

Céline en Novembre (2)



L'affaire est entendue. Céline est une ordure, un antisémite , un réactionnaire, un danger public, que sais-je encore, mais ajoutent--ils, un grand écrivain, dont on peut se passer, etc. Laissons reposer ces aboiements qui hantent la littérature française depuis prés d'un siècle, un siècle d'écrivain. Rendons-les à celles et ceux, qui ont aussi un temps, cherché querelle à Hemingway, Nabokov, Miller, Joyce, Claudel, Artaud, et quelques autres, laissons mijoter la haine, et elle finira bien un jour par se consumer dans la nuit. Soyons simplement attentifs au pourquoi de la chose inimaginable, pas question de pardonner ces mots là, ces délires, pas question non plus d'éluder les dates, Céline écrit dans un certain temps, une certaine France, qui de toute façon le déteste. Ne rien dire de tout cela, serait une erreur. Céline délire, ne cachons rien de ce délire et de ses outrances, mais regardons de près les autres délires de ces temps.

L'affaire Céline, Sollers l'a connaît bien. Tout écrivain français qui pense qu'écrire est un acte scissionniste devrait aussi s'en occuper, ou pour le moins s'en souvenir, question de langue et question profondément musicale. Sont-ils aussi nombreux à se préoccuper de la musique de leurs phrases ? Cherchez, vous trouverez !
Sollers donc, publie en ce mois de novembre, un petit livre (1), qui une fois de plus va soit être ignoré, moqué, ou faire des jaloux. A vous de voir, mais c'est la même chose.

Sollers reprend des textes où il s'essaye à déchiffrer, au sens musical du mot, les romans de Céline. Morceaux choisis :

" Qu'on ne dise pas qu'il a soutenu un parti contre un autre : ses tableaux sont automatiquement implacables. Il était contre tout ce qui incarne. Se prend pour. Merveilleux démystificateur. Bouffon précis. Clinicien. Expert. Désintéressé. Personne n'a mieux inventorié, avec une plus superbe mauvaise foi, les sournoiseries de la pose. " (1) - Cahiers de l'Herne, n°, 1963 -

" Vous attaquez la Société ? Elle se défend. Vous démasquez le mensonge ? Il redouble, il vous fabrique aussitôt des faux doubles. Après tout, devant une telle mauvaise foi, Céline aurait pu douter, se décourager. Mais non, il est lancé en pleine écriture, à nous deux XX° siècle ! " (1) - Le Magazine littéraire, octobre 1991 -

" Maudit, Céline ? Mais : par définition. Là où il y a un mot, il pourrait y en avoir vingt autres. Une image n'est que l'ombre portée d'une série. Les ailes de la ponctuation entraînent un tourbillon sur place. " (1) - La Guerre du goût - Gallimard -

Et c'est ainsi que va la littérature immédiate, celle qui est donc terriblement travaillée, follement destructrice, amoureusement nourrie, incendiée, musicale, c'est ainsi que va littérature qui importe, le reste n'est que blabla et chichi.

" Vous pensez bien, je n'ai pas le désir du tout de vous apitoyer... déjà quatre livres consacrés à mes malheurs !... je pourrais un peu penser à vous... vous n'avez pas trop souffert, des fois ?... bien autrement!... mille fois pire !... plus délicatement, voilà ! vous n'en laissez rien apparaître, pas un soupir !... mes grossiers avatars, assez ! " (2)

" Tas de décombres et morceaux de boutiques... et plein de pavés par monticules, en sortes de buttes... tramways en dessus, les uns dans les autres, debout et de travers, à califourchon... plus rien à reconnaître... surtout en plus des fumées, je vous ai dit, si épaisses, crasseuses, noires et jaunes... oh j'ai l'air de me répéter... mais n'est-ce pas il faut... je veux vous donner l'idée exacte... pas rencontré un seul vivant, les vivants ! où... je dois dire... ils sont partis... aussi sous des tas de pavés ? pourtant c'était du monde à Hambourg !... disparus tous ? à leur aise !... " (2)

"... le rigodon qu'est tout ! perlipopette que ça saute ! ... cervelles en gibelotte, esclaves aux murènes, dodus, chrétiens aux jaguars, collabos Villa Saïd... et demain tenez vous m'en direz des nouvelles !... de ces marmites écumantes à tous les carrefours... pour qui ? pour qui ? pour vous, pardi ! lentement à bouillir, aux cris de saison... le petit détail qui me froisse un peu, où je tique, c'est la galanterie... ç'aurait été là par exemple l'Hitler gagnant, il s'en est fallu d'un poil, vous verriez je vous le dis l'heure actuelle qu'ils auraient tous été pour lui... à qui qu'aurait pendu le plus de juifs, qui qu'aurait été le plus nazi... sorti la boyasse à Churchill, promené le coeur arraché de Roosevelt, fait le plus l'amour avec Goering... ça tourne tout d'un côté, d'un autre, ils se précipitent, s'en foutent sur membre ils tombent, le principal qu'ils soient mis à fond... oh qu'ils prennent la petite à Adolf, je vous dis, s'en est fallu d'un poil !... " (2)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Sollers - Céline / Écriture
(2) Céline / Rigodon / Gallimard