dimanche 8 février 2015

Sollers dans La Cause Littéraire

 
« Le Saint-Esprit souffle où il veut, à travers tous les instruments et toutes les syllabes. C’est une Pentecôte immédiate, avec langues de feu et improvisations sans effort. Mystère de la foi, mystère de la musique, mystère du silence. “Vous entendez mon silence ?” dit la voix ».
 
L’art du roman est souvent une question de souffle, de vent céleste qui fait flamber les phrases et les pages, comme dans le Dào qui irrigue depuis longtemps les romans de Philippe Sollers. L’écrivain souffle où il veut, sans se soucier des vents contraires, de la morale sociale crispée et des jalousies françaises. Pour s’en convaincre, il suffit d’ouvrir L’Ecole du Mystère, et constater une fois de plus qu’il s’agit là d’une langue de feu – la langue française est une Pentecôte – qui embrase et embrasse le Temps – Le mot « temps » prend ici une majuscule, le Temps, retrouvé, avant d’être définitivement perdu – et ce n’est pas un hasard si Philippe Sollers invite à sa table d’écriture Zhuangzi, Proust, et Heidegger, trois langues et trois pensées de feu. La littérature est toujours une question de souffle, de rythme et de phantasiaque la lumière soit et lumière fut –, le mystère du roman est là, et les preuves ne manquent pas chez l’Européen des bords de Garonne et des jardins de Bordeaux : d’Une curieuse solitude, à Drame, en passant par Paradis I et II, Les folies françaises, ou encore Picasso le héros, L’étoile des amants et Médium.
 
« J’attends Manon, ma sœur extraterrestre, elle va venir dans une heure. Il neige beaucoup, les rues sont boueuses, les trottoirs verglacés et glissants. Manon, c’est le beau temps en plein hiver, le soleil sous la pluie, la chaleur sous le froid coupant, la gaité fanatique quoi qu’il arrive ».
 
Les romans de Philippe Sollers sont à la fois des baromètres et des thermomètres, ils saisissent les éclats solaires, les déchaînements des vents et des marées, les sautes de mercure, comme on le dit des sautes d’humeur. Position idéale de l’observateur : son île atlantique. A chaque roman son île et ses îles, de Ré à Paris, de Bordeaux à Venise, sans oublier New York. Eclats d’humeurs des femmes qui traversent son roman, bonnes et belles pour Manon et Luisa – Sois gaie, la tristesse me tue – assommantes pour les Fanny qui cristallisent ce qu’il avait écrit dans Femmes il y a déjà 30 ans – A travers le temps, Fanny se voit volontiers, en voiles transparents, incarnant la déesse Raison sur l’autel de Notre-Dame –. Sa plume bleue est un sismographe – encore une invention chinoise : Zhang Heng poète cartographe – 78-139 –, ses capteurs ont la rare faculté poétique d’être à fois à l’écoute permanente de notre siècle et des ondes sismiques des temps que l’on dit passés, mais qui sont follement présents, sans la moindre nostalgie – cette graisse mentale qui alourdit tant et tant de romans d’aujourd’hui.
 
 





 
« Etre somnambule très tôt, noter ses rêves, s’endormir n’importe où en trois minutes, être sourd quand il faut, mais rester attentif au moindre changement d’accent dans les mots. Etre familier de toutes les fenêtres et de toutes les portes. Garder son enfance au bout des doigts, surtout, mystère de la foi ».
 
Les romans de Philippe Sollers sont ceux du corps et du cœur absolu, l’un enflamme l’autre, l’autre apaise l’un, et inversement. L’écrivain est cet être singulier et joyeux qui ouvre toutes les portes et les fenêtres sous l’œil complice des femmes de sa jeunesse bordelaise. Qui ne cesse d’écrire, d’une expérience et d’une radicalité à l’autre, ce roman éternel, éloge permanent de l’Infini. Quoi finalement de plus radical que la simplicité divine de son style ? Chez Philippe Sollers, l’écriture tient de l’évidence, de la vérité, de la vitalité, mais aussi du mystère – Fedeli d’Amore – de l’arcane, de l’élévation, pariant avec le lecteur qu’il est bien en train lire un Vrai Roman.
 
« Vous percevez l’infini partout… Joie, Tristesse, Amour, Haine, Connaissance, vous avez l’horloge enchantée qu’il faut ».
 
Philippe Chauché