dimanche 30 juin 2013

Voir et l'Ecrire



" Sur le chemin montagneux
une violette me fascine
sans raison "

" Quelque papillons
leurs ombres voltigent
sur les champs "

" Parmi les feuilles
des cerisiers en fleur
un nid de cigogne. "



" Dormir ivre
sur les graviers
fleuris d'oeillets "

" Je me remémore
beaucoup de souvenirs -
Fleurs de cerisiers "

Basho ( 1644-1694 ) si loin, si proche. Le haïkaï s'écrit comme l'on aime.

à suivre

Philipe Chauché








lundi 24 juin 2013

¡ Si Señor !


L'histoire est toujours amusante, et celle de la presse ne manque jamais de piment, rouge ! En 1987 le quotidien Libération ouvre ses colonnes à un écrivain taurin rare, son nom : Jacques Durand, et tous les jeudi il va donner à ce quotidien sans savoir et sans saveur un parfum unique de jasmin.  L'aventure va se poursuivre jusqu'au printemps 2012, le quotidien va alors se séparer de l'écrivain, sans dire ses raisons, mais personne n'est dupe, l'arrivée quelques mois plus tôt de Nicolas Demorand, le rasoir raseur, y est pour beaucoup. La corrida a mauvaise presse tant à gauche qu'à droite, on murmure qu'elle sent le souffre, la réaction,  le franquisme, ou d'autres balivernes, elle est indéfendable, il ne manque que la parole aux taureaux pour la condamner définitivement. La conscience, la pensée animale animent le blabla des philosophes alter-mondialistes de bazar qui sont en bonnes places dans la gazette, mais en berne de pensées. Peu importe si en son temps Simone de Beauvoir mis Jean-Paul Sartre en situation de comprendre ce qui se joue dans les arènes. " Les corridas m'enchantent et concrètement les toros Miura. Après ma mort j'aimerais me réincarner dans l'un d'eux. "
Jacques Durand a contre lui son style, et le style, c'est l'ennemi, il n'est pas acceptable pour ces zozos qui vendent du mauvais papier. Son style : une épure, un art vif, précis, net et amusé, il a comme d'autres avant lui - l'admirable Jean Cau qui lui aussi sent le souffre - compris que pour faire juste, il faut faire court : trois phrases comme trois derechazos de Manzanares, ¡ Si Señor !

" Avec pañero , toro manso à la pique puis bravo, vindicatif, exigeant c'est passes de la gauche, de la droite, passes de poitrine et par-ci par-là trinchera. L'essentiel. "

" Sa faena ? Trois séries de quatre, cinq derechazos, deux séries de la gauche, le tout sans perdre un pas, en aspirant la charge du toro, en l'envoyant derrière sa hanche pour le reprendre. Chaque série paraphée avec un remate différent : passe de pecho, passe du mépris, farol, kikiriki. "

"  Sa tauromachie ? Lente, passionnelle, bellissime, débridée, sincère, spontanée, templée, jamais préfabriquée. Tauromachie de pieds enfoncés dans le sable, de coeur et de corps offert à un toro collé aux planches et pour vaincre sa réticence. Un combat fusionnel et toujours " al compas " où il semblait se vider pour remplir la Monumental d'émotions déchirantes. "

" Ne pas reculer, jamais, s'offrir poitrine en avant au toro, baisser la main, pour toujours soumettre l'adversité, rester toujours sur ce territoire de comanche où le toro a le devoir de vous prendre, toujours toréer du fond du coeur, ne jamais relâcher sa tenue avec une tauromachie en bras de chemise. "

" Sa stratégie est celle du sachet de thé. Il ne plonge pas brutalement dans l'eau du combat ; il ne torée pas en vrac ; il libère peu à peu sa théine dans une liturgie soignée. "

" De Paula : " je suis tragique. Quand je torée le mieux, il me semble que mon coeur va sortir de ma bouche. Quand je me suis senti bien en toréant, c'est lorsque je me suis senti envahi par cette " fatiga " cet épuisement ". Ailleurs, il évoque pour ses états de grâce torera une " fatiga de muerte " et ajoute : " je ne suis pas fait pour jouer de castagnettes ".

" Il sera enterré le 7, jour de San Fermin. Le 11 juillet dans la chapelle du saint de l'église San Lorenzo, en compagnie d'Orson Wellles, de Deborah Kerr d'Alexandra Stewart et du maire de la ville, Ordoñez fera dire un messe en sa mémoire.
En juin, la municipalité a célébré le cinquantième anniversaire de la mort de " mister Way " comme lui criaient les gamins de Pamplona. "

Suerte torero !

à  suivre

Philippe Chauché








dimanche 16 juin 2013

La Billie de Nabe

Au siècle dernier, un écrivain de fort mauvaise réputation publiait sa passion Holiday, son éblouissement pour l'une des voix les plus troublantes de la musique noire américaine, du jazz pour être précis, Billie dans tous ses états, et la littérature de Nabe - le Zannini de la guitare - plongée comme toujours dans le vitriol - ceux qui ont lu Au régal des vermines en savent quelque chose. Après il y a eu Je suis mort, Visage de turc en pleurs, Oui - Non, et Alain Zannini, et puis des éclats ici et là sur le petit écran - qui n'en demande pas tant - des tracts, un peu de fureur, une dose de mauvaise foie, une auto-édition, une disparition programmée, un programme célinien en quelque sorte. Reste les livres, ses livres - ceux cités ici - qui méritent une paisible attention, un délassement d'été, l'opposé de l'agitation littéraire qui nous prive de sieste, Nabe est un écrivain de la sieste, à partager ou pas, cela dépend du mercure. 



L'âme de Billie Holiday, disponible après quelques années de spéculation sur l'édition originale, qu'il ne montre qu'à quelques amateurs de vins délictueux, livre noir, livre nègre, livre jazz, tranchant comme la trompette Lee Morgan, éblouissant comme les harmonies soyeusement décalées du piano de Lennie Tristano, joyeux comme le scat des Double Six, d'une grâce fragile et déséquilibré comme les chansons de  Billie.  

" Oui ! Une négresse a une âme : qui cela n'étonne pas ? Une noire a une âme : c'est nouveau. Une NOIRE, avec une peau marron et une langue lilas. Une nègre d'amour qui chante la bouche pleine, pleine de lynchés. Une très grande noiraude brunâtre qui n'a pas sa langue dans la poche. Une femme négro-noire, une moricaude beige foncé qui fait des bulles de douleur quand on la pince. Une pute couverte de cirage, une reine en ébène vermoule qui sonne le glas avec sa luette orangée. Une impératrice ruisselante de chocolat chaud qui chasse les sons du temple de son palais. Une droguée très sombre qui se pique de tout souffrir. Une héroïnowomae aux yeux chaloupés dans les larmes, une terrifiante maîtresse d'abordage aux narines bordées de trésor. "

Et tout est ainsi ! 

Au siècle dernier, le monde allait à sa perte, il y est, alors musique :



à suivre

Phillippe Chauché

samedi 15 juin 2013

Tout ça pour rien


L'été, c'est la saison des revues !
Vous voulez-dire que c'est la saison idéale pour en lire !

" Mon number one absolu, c'est Gary Grant... Mais pour les cinéastes, c'est Hitchcock. Il n'y a rien à faire, c'est comme ça. Pour moi, il n'y a qu'un cinéaste. Hitchcock, je peux revoir ses films dix fois, cinquante fois, avec la même attention et le même frémissement. A par lui, personne. C'est un génie absolument supérieur, qui a emprunté le cinéma pour faire quelque chose avec le temps. Ce qu'on appelle suspens est une façon de faire exister concrètement l'être là, la présence absolument précaire et extraordinaire d'une vie humaine dans les vagues du temps... "

" Le ciel se couvre de nuages et progressivement l'air s'assombrit, nous allons changer de temps. Ce qui n'est pas pour nous inquiéter, le ciel ici peut varier d'une minute à l'autre, et ce qui devrait annoncer l'orage n'est le plus souvent qu'un prélude au grand soleil... "

Encore eux !
Que voulez-vous, je les lis depuis trente ans !
Les autres aussi ?
Oui, certains autres, plus ou moins choisis, rencontrés parfois, venus d'ailleurs, d'autres étoiles, qui souvent d'ailleurs n'ont que peu d'estime pour les deux premiers, mais moi seul, sais ce que j'en fais.
Et tout ça pour quoi ?
Mais pour rien, tout cela ne mène à rien et c'est cela qui est amusant !

à suivre

Philippe Chauché


jeudi 13 juin 2013

Des Grives aux Merles


" Finalement, les difficultés que nous éprouvons à saisir son énormité ne vont-elles pas de pair avec la quasi-impossibilité dans laquelle nous nous trouvons de cerner ce siècle où il s'est déployé, cette ère de meurtre absolu à laquelle il a osé donner une littérature ? Car enfin il avait tout prévu, férocement, il avait adhéré à tout le négatif de l'époque, il l'avait saisi dans la prolifération de ses sens. Derrière l'optimisme qui comptabilise la marche du progrès et de la révolution, il a répété qu'il n'y avait en fait que déroutes et ruines. A ceux qui cherchent leur espoir en une opposition radicale du capitalisme et du socialisme, il a répondu de mille façons que les deux, au contraire, s'emboîtaient harmonieusement, ne pouvaient fonctionner à plein régime qu'ensemble et solidaires. Il a eu l'audace de dire que le prolétariat était un fantasme de bourgeois, la lutte des classes un semblant cachant la vérité d'une autre guerre ancestrale. A la dialectique il a donné effrontément le nom de " bafouillage ". Quant à notre réalité dévastée sur laquelle règne la pensée technicienne, il l'a imprudemment appelée " décor de chaises électriques ", au lieu d'en apprécier comme tout le monde le formidable confort. Bref, il a déplu, il déplaît, il déplaira sans doute éternellement. A l'académisme qui lui préférera toujours Drieu et Aragon, comme au progressisme sans cesse contraint de se retailler dans ses loques un Céline d'avant-garde anal, pervers polymorphe, creusant la superbe coupure épistémologique à grands coups rythmés pulsionnels. "

Comme Céline, Muray a de son temps déplu, mais si Céline déplaît toujours autant, Muray s'affiche, des bateleurs, des penseurs pesants, des journalistes chichiteux s'en drapent, ils en font un penseur actuel, faute à leur tour de déplaire et de saisir de ce qui en ces temps mérite un déchirement précis et médical. Signe des temps, où faute de grives on mange des merles.





à suivre

Philippe Chauché 

mercredi 12 juin 2013

Truk' chez les Gari


L'histoire ne bégaye jamais, contrairement à une certaine pensée dominante. Pour le vérifier il faut lire cet ouvrage qui minutieusement revient sur une période tendue : d'un côté des Pyrénées, des jeunes gens sont en prison et risquent la peine de mort, Franco et ses sbires affectionnent particulièrement le garrot, parmi eux Salvador Puig Antich membre de l'ex-MIL, de l'autre, notamment à Toulouse, quelques individus s'associent provisoirement pour que le jeune catalan ne soit pas exécuté, ils le disent haut et fort, pratiquent quelques actions violentes qui vont faire la " une " de la presse : attentats à l'explosif contre les intérêts économiques de l'Espagne et ses représentations, enlèvement du banquier Angel Baltasar Suarez et sa libération, des dégâts, pas de victimes, à l'exception d'un policier qui a distance a manipulé une charge a été blessé, ils disent ce qu'ils veulent et ne cessent de l'écrire, qu'il s'agit de sauver leurs amis du garrot, et cela seulement, on est là à mille lieux des avant- gardes du prolétariat qui naissent ici et là, avec le succès que l'on connaît ! Les gauchistes ne vont pas les aimer, les staliniens les détester, les anarchistes s'en lasser, d'autant plus qu'ils vont s'autodissoudre huit mois après leur naissance, une brève année 74, mais il y aura des arrestations, des procès et une grève de la faim.
Histoire, histoires, récits, témoignages, mais aussi un texte qui se démarque définitivement des pensées qui se croisent dans l'ouvrage, il est signé Truk' d'août 2012, peu importe qui se cache derrière cette signature pourrait-on dire, même s'il lui importe de le savoir, et d'affirmer que non seulement il le sait, mais qu'en plus il le fréquente de temps en temps !
Morceaux choisis :
" Le sens de la chronologie, la mémoire des dates, tout ça... c'est pas pour moi. Et la mémoire, c'est peu dire que ce livre me la rafraîchit, il me fait découvrir des évènements auxquels j'aurais participé.
Un doute qui date. Tu étais là tel jour tu as fait ci et ça... à l'époque déjà, aux policiers sûrs d'eux je vous devez faire erreur, ils brandissent les preuves, c'est écrit là. Preuves de papier : des mots pour attester de la réalité. "
" Distinguer relève du parti pris : le secondaire n'est qu'un point de vue sur le principal et vice versa. Supplétif est venu comme ça pour dire l'implication déterminée dans des GARI déjà constituées. L'essentiel était décidé, je l'étais aussi. GARI ou quoi que ce soit, on prend toujours le monde en marche. "
" Les faits sont les faits. Leur vérité n'est pas dans leur historique ni dans les justifications après coup, analyses et commentaires, pas davantage dans lesdits éléments collés bout à bout. La vérité des faits est dans les faits eux-mêmes.
L'Histoire s'invente après les faits. "
" L'acteur ne comprend pas mieux qu'un autre l'acte dans lequel il est impliqué. Gloseur parmi les gloseurs, il le dit à travers sa grille, en parle comme on parle d'un objet, l'utilise comme illustration.
Ne comprend pas mieux pour la simple raison qu'il n'y a rien à comprendre. Agir pour ne rien faire, parler pour ne rien dire, c'est notre lot. "

à suivre

Philippe Chauché






dimanche 9 juin 2013

Scott à Cannes


" Le 1 er septembre 1924, en fin d'après-midi, on aurait pu voir, étendus sur une plage de sable en France, un jeune homme à l'allure distinguée, accompagné d'une jeune femme, vêtue d'un court maillot de bain bleu vif. Tous les deux étaient hâlés, une teinte chocolatée, au point de pouvoir les croire, à première vue, d'origine égyptienne ; mais, après un examen plus attentif, on voyait bien qu'il y avait quelque chose d'aryen dans les traits et on entendait, quand ils parlaient, que leur voix avaient une intonation légèrement nasale, nord-américaine. Près d'eux, jouait une enfant noire aux cheveux presque blancs, qui de temps à autre frappait une cuiller en fer-blanc contre un seau en criant : " Regardez- moi ! ", sur un ton de réplique. "

" 1929 - L'impression que tout alcool a été bu et que tout ce qu'il peut apporter a été déjà expérimenté, et cependant - " Garçon, un chablis Mouton 1902 et pour commencer une petite carafe de vin rosé. C'est ça - merci. "

" 1932 - Dans le plus grand hôtel de Biloxi, nous avons lu la Genèse et contemplé la mer paver le rivage désert d'une mosaïque de brindilles noires. "

" Il y a dix-sept-ans, j'ai quitté mon travail ou, si vous préférez, je me suis retiré des affaires. J'en avais fini - j'ai laissé la Street Railway Adverstising Company se débrouiller avec ses propres ressources. Je me suis retiré non pas avec mes gains, mais avec un passif qui incluait des dettes, du désespoir et des fiançailles rompues, et je me suis traîné jusque chez moi à Saint Paul pour " finir un roman ". "

" Toutes les célébrités d'Europe ont passé une saison à Cannes - l'homme au masque de fer, lui-même, a séjourné douze ans sur une île toute proche. Ses villas splendides sont construites avec une pierre si tendre qu'elle est sciée et non taillée. Nous en avons visité quatre le lendemain matin. Elles étaient petites, soignées et propres - elles auraient pu se trouver dans n'importe quelle banlieue de Los Angeles. Elles se louaient soixante-cinq dollars par mois. "

Scott était à Cannes, mais ce n'était pas l'écrivain que nous croisons souvent une coupe à la main ou au volant d'une " belle américaine ", c'était l'image que les " studios " veulent en donner, un double - charmant certes - mais un double imaginaire, alors que Scott est férocement sérieux, il ne cesse d'écrire, de boire, et de se chamailler avec Zelda, l'insupportable Zelda, il ne cesse de lire aussi, de boire et de se chamailler avec Hemingway, Scott était à Cannes, mais les écrivains se diluent sous les projecteurs des chefs opérateurs, il n'en reste qu'un double, même charmant, un double qui ne dure que le temps d'un printemps glacial.





à suivre

Philippe Chauché 

samedi 8 juin 2013

Situation

" Comme aux oiseaux voyageurs, il me prend au mois d'octobre une inquiétude qui m'obligerait à changer de climat, si j'avais encore la puissance des ailes et la légèreté des heures : les nuages qui volent à travers le ciel me donnent envie de fuir. Afin de tromper cet instinct, je suis accouru à Chantilly. J'ai erré sur la pelouse, où de vieux gardes se traînaient à l'orée du bois. Quelques corneilles, volant devant moi, par-dessus des genêts, des taillis, des clairières, m'ont conduit aux étangs de Commelle. La mort a soufflé sur les amis qui m'accompagnèrent jadis au château de la reine Blanche : les sites de ces solitudes n'ont été qu'un horizon triste, entr'ouvert un moment du côté de mon passé. Aux jours de René, j'aurais trouvé les mystères de la vie dans le ruisseau de la Thève : il dérobe sa course parmi des prêles et des mousses ; des roseaux le voilent ; il meurt dans ces étangs qu'alimente sa jeunesse, sans cesse expirante, sans cesse renouvelée : ces ondes me charmaient quand je portais en moi le désert avec les fantômes qui me souriaient, malgré leur mélancolie, et que je parais de fleurs... "

"... Dans la famille exilée des Bourbons, le coup pénétra d'outre en outre : Louis XVIII  renvoya au  roi d'Espagne l'ordre de la Toison-d'Or, dont Bonaparte venait d'être décoré ; le renvoi était accompagné de cette lettre, qui fait honneur à l'âme royale : " Monsieur et cher cousin, il ne peut y avoir rien de commun entre moi et le grand criminel que l'audace et la fortune ont placé sur le trône qu'il a eu  la barbarie de souiller du sang pur d'un Bourbon, le duc d'Enghein. La religion peut m'engager à pardonner à un assassin ; mais le tyran de mon peuple doit toujours être mon ennemi. La Providence, par des motifs inexplicables, peut me condamner à finir mes jours en exil ; mais jamais ni mes contemporains, ni la postérité ne pourront dire que, dans le temps de l'adversité, je me sois montré indigne d'occuper, jusqu'au dernier soupir, le trône de mes ancêtres... "

"... La fosse était faite, remplie et close, dix ans d'oubli, de consentement général et de gloire inouïe s'assirent dessus ; l'herbe poussa au bruit des salves qui annonçaient les victoires, aux illuminations qui éclairaient le sacre pontifical, le mariage de la fille des Césars ou la renaissance du roi de Rome. Seulement de rares affligés rôdaient dans le bois, aventurant un regard furtif au bas du fossé vers l'endroit lamentable, tandis que quelques prisonniers l'apercevaient du haut du donjon qui les renfermait. La Restauration vint : la terre de la tombe fut remuée et avec elle les consciences ; chacun alors crut devoir s'expliquer... Il est nuit, et nous sommes à Chantilly ; il était nuit quand le duc d'Enghein était à Vincennes. "

( Mort du duc d'Enghein - Chantilly, novembre 1838 )

En d'autres temps, les hommes de qualité se réservaient avant de parler quelques heures ou quelques jours de réflexions, et lorsqu'ils doutaient de la justesse de leur pensée,  consultaient les oracles, les dieux, les sages, ou parfois quelques penseurs dont les ouvrages éclairaient leurs bibliothèques, puis nourris d'arguments justes et posés, ils pouvaient alors offrir aux curieux leurs réactions, non sans affirmer qu'il s'agissait là d'une impression et non d'une sentence.


à suivre

Philippe Chauché

lundi 3 juin 2013

Desports Monte au Filet


Le nouveau Desports à la main il s'est installé à la terrasse d'un café, plein soleil, et la petite balle jaune a sauté de tables en tables sous les effets d'un mistral mesquin, florilège :

" Chaque année désormais, lorsque l'ennui me prend dans les tribunes de Roland-Garros à contempler les évolutions des joueurs professionnels qui, le visage crispé par l'effort, geignant comme des damnés, moulinent laborieusement leurs gestes mécaniques, la silhouette de mon vieil ami Louis, tel un réconfortant flash-back sur mon écran mental, vient souvent se substituer à ce morne spectacle. Je revois son allure angélique, sa gestuelle de rêve et surtout : son sourire radieux d'éternel enfant captivé par le jeu ! "
( Denis Grozdanovitch )

" Nastase était un clown. Il était vraiment drôle. Un jour, lors d'un match contre Eliot Teltscher, on  disputait une balle, et la discussion entre le juge de ligne et l'arbitre n'en finissait pas. Nastase a dit : " Bon écoutez, décidez-vous, moi je vais prendre un café et je reviendrai dans une demi-heure, vous me direz où vous en êtes. "
( William Klein )

" Un court de tennis - 23,77 mètres par 8,23 - ressemble, du dessus, avec les étroits rectangles des couloirs de double qui le flanquent de part et d'autre, au patron d'un carton dont on aurait replié les rabats. Le filet - 1,07 mètre aux extrémités - divise le court en deux moitiés dans le sens de la largeur ; les lignes de service divisent à nouveau chaque moitié en un arrière-court et un avant-court. Dans les deux avant-courts, la ligne médiane de service qui part du centre du filet et s'arrête à la ligne de service délimite deux carrés de service de 6,4 mètres sur 4,11. La précision des divisions et du bornage, ajoutée au fait que les balles ne peuvent se mouvoir qu'en ligne droite - si on laisse de côté le vent et les effets les plus retors -, font du tennis un exemple parfait de géométrie  plane. C'est du billard avec des boules qui ne tiennent pas en place. Les échecs sauf qu'il faut courir. Le tennis est à l'artillerie et à la frappe aérienne ce que le football américain est à l'infanterie et à la guerre d'usure. "
( David Foster Wallace )

Le tennis est un sport d'aristocrates amusés, rageurs, drôles, déclassés, lointains, timides, délurés, ennuyeux, rêveurs, colériques, élégants, isolés, lunatiques, médiatiques, perdus, lumineux, tricheurs, rusés, flambeurs, joyeux, à la répartie foudroyante, au silence douloureux et aux certitudes millimétrées, au corps actif, comme un principe dont ils ne se départissent que lorsqu'ils raccrochent leur raquette.

On peut aussi lire le lumineux " Le scandale McEnroe " de Thomas A. Ravier - Gallimard - toujours autant détesté ici et là, ce qui n'est pas pour nous déplaire.

à suivre

Philippe Chauché

samedi 1 juin 2013

Quelques Qualités


" L'Espagnol, lui, dit que, pour qu'une femme soit parfaite et absolue en beauté, il faut qu'elle ait trente belles qualités, comme une dame espagnole me le dit un jour à Tollède, où il y en a de très belles, nobles et bien apprises. Les trente qualités sont donc :

Tres cosas blancas : el cuero, los dientes y las manos.
Tres negras : los ojos, las cejas y las pestañas
Tres coloradas : los labios, las maxillas y les uñas.
Tres longas : el cuepo, los cabellos y las manos.
Tres cortas : los dientes, las orejas y los pies.
Tres anchas : los pechos, la frente y el entrecejo.
Tres estrechas : la boca, l'una y otra, la cinta y l'entrada del pie.
Tres gruesas : el braço, el musclo y la pantorilla.
Tres delgadas : los dedos, los cabellos y los labios.
Tres pequeñas : las tetas, la naris y la cabeça.

Ce qui donne en français, afin qu'on puisse comprendre :

Trois choses blanches : la peau, les dents et les mains.
Trois noires : les yeux, les sourcils et les paupières.
Trois rouges : les lèvres, les joues et les ongles.
Trois longues : le corps, les cheveux et les mains.
Trois courtes : les dents, les oreilles et les pieds.
Trois larges : la poitrine ou le sein, le front et l'entre-sourcil.
Trois étroites : la bouche, l'une et l'autre, la taille et le coup-de-pied.
Trois grosses : le bras, la cuisse et le gros de la jambe.
Trois déliées : les doigts, les cheveux et les lèvres.
Trois petites : les tétins, le nez et la tête.

Soit trente en tout.

Ces qualités ne sont pas incompatibles, et il se peut que plusieurs se trouvent ensemble chez une dame, elle est alors faite au monde de la perfection. Mais les voir toutes assemblées sans qu'il en manque une, ce n'est pas possible. Je m'en rapporte à ce que sauront en dire ceux qui ont vu de belles femmes, ou qui en verront, et qui prendront bien soin de les contempler et de les éprouver. Cependant, si elle ne réunit pas toute ces qualités, si la moitié seulement sont accomplies en elle et qu'elle possède les principales, une belle femme sera toujours belle : car j'en ai vu beaucoup à qui il en manquait plus de la moitié et qui étaient pourtant très belles et fort aimables. Ni plus ni moins qu'au printemps on trouve beau un bocage, même s'il n'a pas autant d'arbrisseaux qu'on le voudrait : il suffit qu'on aperçoive quelques beaux et grands arbres touffus pour faire oublier le manque de petits. "




à suivre

Philippe Chauché