lundi 26 septembre 2011
Ma Librairie (17)
photo Robert Demachy
" L'écriture n'a jamais été ce que Jacques Derrida, après Rousseau, appellerait un " dangereux supplément " à la pensée ; elle n'est pas non plus seulement la " manifestation " de la pensée. En réalité, elle est la pensée elle-même. Car il n'y a pas e pensée préalable et en quelque sorte préfabriquée. Il n'y a pensée qu'à partir du moment où celle-ci se formule, c'est-à-dire se constitue par la réalité des mots. Comme il n'y a de sonnet qu'à partir du moment où il est écrit ( " Un sonnet se fait avec des mots ", disait Mallarmé à Degas ) ; comme il n'y a de peinture qu'à partir du moment où celle-ci est peinte. " (1)
Toute phrase rêvée et non écrite est semblable à un corps fantasmé et jamais touché, note-t-il, en reprenant le petit livre du lumineux Clément Rosset ; c'est bien pour cela, qu'il convient de garder le silence sur ce qui n'est pas encore écrit, de même qu'il convient de taire ce que l'on est en train d'écrire, faute non seulement d'en perdre à jamais le fil, mais aussi d'en dénaturer ce qui s'écrit par la parole, qui en dira toujours plus, alors que par essence, écrire revient à s'éloigner de ce que l'on est amené à en dire. Écrire est l'acte le plus silencieux du monde, car son mouvement permanent n'est visible et sensible que lorsqu'il s'accomplit.
Le réel n'est pas un bien commun, mais un saisissement personnel, et rien n'est plus réel que ce que l'on est en train d'écrire, son partage, si partage il y a, n'interviendra que plus tard, lorsque cela sera écrit, et donc pensé.
Que tout cela se fasse dans la langue française, n'est, pense-t-il, pas un hasard, langue jamais autant vivante et réjouissante que lorsqu'elle prouve phrases à l'appui, que tout ne s'est joué que durant l'écriture, Proust et quelques autres en sont la preuve saisissante.
" J'en reviens donc au " choix des mots ", expression par laquelle je désigne ici à la fois la décision d'écrire ( inséparable, à mon sens, je le répète, du fait de penser ) et l'élection des vocables, des phrases, censées " manifester " cette pensée ( alors qu'en réalité ils la constituent de toutes pièces ). Ce dernier choix est essentiel, puisque de lui dépend non seulement la forme mais le contenu même de ce qui se donnera à lire et à penser, - il n'y a d'ailleurs pas lieu, si l'on est en accord avec ce qui précède, de distinguer réellement entre forme et contenu, ni entre lire et penser. Il en va sur ce point de tout texte, philosophique ou pas, comme de toute production, par exemple plastique ou musicale : c'est au moment de la " réalisation " que tout se décide. " (1)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Clément Rosset / Le choix des mots / Les Éditions de Minuit / 1995
samedi 24 septembre 2011
Ma Librairie (16)
" En passant à Genève, j'avais acheté une pleine malle de livres : dans le nombre se trouvaient les oeuvres de Rousseau, de Montesquieu, d'Helvétius et de quelques autres. A peine de retour dans ma patrie, et le coeur débordant de mélancolie et d'amour, je sentis le besoin irrésistible d'appliquer fortement mon esprit à une étude quelconque ; mais à quoi, je ne savais ; mon éducation si négligée d'abord, et couronnée ensuite par six ans de dissipation et d'oisiveté, m'avait rendu également inhabile à toute espèce d'étude. Incertain du parti que j'avais à prendre, et si je devais rester dans ma patrie ou voyager de plus belle, je m'établis pour cet hiver dans la maison de ma soeur ; je lisais tout le jour, me promenais un peu, mais ne frayais jamais avec personne. " (1)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Ma Vie / Vittorio Alfieri / traduc. Antoine de Latour / Éditions Gérard Lébovici / 1989
jeudi 22 septembre 2011
Saisissements
Nîmes, dimanche dernier, un ange aux mains agiles retourne le mouvement du temps, et comme il le fait depuis sa résurrection mexicaine, offre son corps pour le délivrer des pesanteurs qui peuvent l'affecter.
Nîmes, dimanche dernier quelques anticorridas s'en prennent à la statue de Christian Montcouciol Nimeno II qui devant les arènes protège les toreros des anges noirs. Ces incultes notoires, ces humanoïdes aux mains sales, ces inélégants, la souillent, y collent des inscription : " assassin ", " tortionnaire ", et s'en prennent violemment à la compagne du frère du torero nîmois, l'écrivain Alain Montcouciol.
Les anti : cousins hystériques des coupeurs de tête de la Terreur.
à suivre
Philippe Chauché
mercredi 21 septembre 2011
Ma Librairie (15)
Un visage, comme un passage du temps - son déroulement fatidique - une incrustation sur laquelle nous posons à notre tour notre regard, et notre visage, comme s'il s'agissait d'un miroir qui pour une fois déciderait de ne pas nous mentir, note-t-il, et qui nous renvoie, terrible constat, le visage que nous aurons demain, lorsqu'un autre regard se posera sur notre visage qui ne sera plus qu'une éphémère incrustation de ce que nous fûmes, miroir obscur de ce que nous avons plus ou moins vécu et écrit, mais avec obstination et doute permanents.
"... malgré la certitude qu'écrire consiste à rouler l'obscur sur l'obscur pour faire sourdre une lumière par féfaut ou en excès, l'absence d'image rendant l'écrivain semblable à l'absence de Dieu, écrire étant l'inversion de ce par quoi Dieu a fat l'homme à son image et le langage la trace de cette inversion qui est une manière d'effacement... " (1)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Richard Millet / Place des Pensées / Sur Maurice Blanchot / Gallimard / 2007
mardi 20 septembre 2011
Ma Librairie (14)
" Bois du vin ! sinon ton nom du monde des hommes s'en ira !
Quand le vin touche le coeur, tout souci de tout côté s'en va ;
Puis dénoue, boucle à boucle, la chevelure d'une jolie !
Sinon la mort, qui est chauve, te dénouera. " (1)
Qui inscrira l'un des quatrains d'Omar Khayam sur le fronton d'une mosquée ?
" Le coeur est une lampe dont la lumière vient d'une jolie !
S'il y trouve de quoi mourir, il y trouve aussi sa vie !
Avec une lampe à huile, puis un papillon de nuit
On devrait éclairer le coeur de qui aime une joli ! " (1)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Rubayat / Omar Khayam / traduc. Armand Robin / Poésie-Gallimard
dimanche 18 septembre 2011
samedi 17 septembre 2011
Ma Librairie (13)
C'est en la regardant attentivement lire qu'il comprit l'urgence qu'il y avait à écrire. Non sur elle, cela allait de soi, mais sur lui, avec la même distance qu'il mettait entre ses yeux qui la fixaient et ses deux mains ouvertes aux doigts fins et pour certains ornés de bagues anciennes, qui lui permettaient de suivre ligne à ligne ce qu'elle avait ce jour là décidé de lire avec tellement de concentration, qu'il aurait pu s'éloigner de quelques mètres, ou pire quitter le jardin où elle s'était assise, sans qu'elle ne s'en rende compte le moins du monde. A chaque occupation sa distance et son retrait, se disait-il, et à chaque situation son silence. Il resta assis sur le muret de pierres sèches qui entourait son jardin d'où il avait une vue légèrement plongeante sur la lectrice ; elle n'était plus L., mais la lectrice, ce qui changeait tout à son regard, c'est du moins ce qu'il pensait, après une heure ainsi passée en plein soleil à regarder la lectrice. Ce qu'il avait à faire maintenant, se demandait-il, devenir à son tour le lecteur qu'observerait un jour celle qui redevenait pour un soir L., tout en sachant qu'il n'arriverait jamais, comme elle le faisait à transformer en or, le regard de son observateur. Elle referma le livre, le fixa, se leva, défroissa sa robe de la paume d'une main, elle l'a faisait glisser le long de ses cuisses, lui n'avait pas bougé, saisi par cette transformation, cette nouvelle apparition, comme s'il s'agissait d'une femme qui traversait la rue, venait vers lui, sans qu'il la reconnaisse, et lui demandait de la renseigner sur la localisation d'une rue, dont elle pensait être proche, et qu'il ne pouvait lui répondre, se contentant de la fixer tout en s'en éloignant.
- A quoi pensiez-vous ?
- A vous !
- Vous m'amusez, non sérieusement, à qui pensiez-vous ?
- A une femme qui m'aborda il y a quelques jours pour me demander si j'étais du quartier, et si c'était le cas, je ne pouvais ignorer où se situait l'impasse Chateaubriand, je me devais de l'aider...
- Et qu'avez-vous fait ?
- Rien.
- Je vois. Rentrons, je vais vous raconter ce que je viens de lire.
" Ces visages, ces radieux visages entrevus autrefois n'ont vraisemblablement plus forme humaine, sauf dans la mémoire qui en restitue avec une précision saisissante la juvénile beauté, comme si le temps n'en avait pas altéré les traits, défraîchi le teint, terni le regard. Mais c'est une mémoire précaire qui, dès l'instant où il aura été mis fin à ses fonctions, ne laissera rien derrière elle, sinon peut-être, dans le meilleur des cas, quelques traces écrites à peine plus durables et sans commune mesure avec l'intensité de ces apparitions magiquement ressurgies d'un lointain passé tout illuminé par elles et rendu si proche qu'on croirait le vivre à l'heure présente, plus illusoirement encore, qu'il a échappé au pouvoir corrupteur du temps et pris valeur d'éternité. " (1)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Pas à pas jusqu'au dernier / Louis-René des Forêts / Mercure de France / 2001
mercredi 14 septembre 2011
Tensions Nocturnes
" Toute inclination amoureuse, en effet, pour éthérées que soient ses allures, prend racine uniquement dans l'instinct sexuel, et n'est même qu'un instinct sexuel plus nettement déterminé, plus spécialisé et, rigoureusement parlant, plus individualisé. "
Arthur Schopenhauer - Métaphysique de l'amour
- Et vous continuez de croire que l'on attrape les mouches avec du vinaigre, si vous me permettez de nommer ainsi celui que vous appelez " votre cher Arthur " !
- Je..
- Non s'il vous plaît, n'essayez pas d'en rajouter, vous ne trompez personne, sauf vous peut-être, si je puis me le permettre et..
- Mais j'ai...
- et vous feriez mieux de m'écouter, en cessant de me fixer comme vous le faites depuis cinq minutes. M'écouter sans parler, vous devriez bien en être capable ! Sans parler, vous comprenez, où je dois vous faire un dessin.
- Le seul...
- Oui, je connais la suite, je vous cite " le seul dessin qui m'inspire c'est celui de vos fesses et de vos seins " etc. Vous voyez, j'ai bonne mémoire, et je puis poursuivre en me glissant dans votre peau, et rappeler à votre souvenir, ces phrases, charmantes sur le moment, mais que vous...
- Puis-je vous...
- Non, mon cher, vous ne pouvez rien, sauf vous taire, et...
- Et ?
- Cesser sur le champ de plonger votre regard dans l'échancrure de mon chemisier, même si je reconnais que cela mérite de s'y attarder, mais ce n'est pas l'heure, alors servez-moi une coupe de champagne !
- Vous m'avertirez quand l'heure sera venue chère amie, je retourne à mon cher Arthur !
- Mufle !
à suivre
Philippe Chauché
mardi 13 septembre 2011
Chronikà Biblia (4)
Constantin Brancusi
" Elle avait, et c'était toujours troublant à regarder, le sommeil léger - de plus en plus léger aimait-elle à dire - ce qui reflétait fidèlement son état d'éveillée ; lorsqu'elle se réveillait, elle se glissait dans ce kimono rouge garance et en quelques seconde, comme un tour de magie solaire, se retrouvait assise devant un tasse de café noir, une cigarette aux lèvres et un livre ouvert posé sur la petite table où les matins d'été elle aimait à s'asseoir, sorte de sas entre deux légèretés, ajoutait-elle. C'est ensuite que les choses se gâtaient. "
Il referma un instant le manuscrit, amusé par cette première phrase, et se souvenant de la légèreté de son sommeil, qui le poussait à finir la nuit dans le canapé de sa bibliothèque de peur de plomber son sommeil par les terribles cauchemars qui s'invitaient à la seconde même où il fermait les yeux, et comme ce couchage était très inconfortable, il le quittait pour son bureau d'où il pouvait à la fois surveiller qu'elle dormait en toute tranquillité, et s'adonner à quelques écritures, qui le matin venu finiraient à la corbeille.
De temps, lorsque la nuit n'en finissait, il ouvrait un livre ; cela faisait des mois qu'il n'avait pas eu la chance de croiser dans sa chambre la dormeuse légère. Il ne s'en plaignait pas, il pouvait ainsi accueillir ses fantôme sans risquer de troubler son sommeil, et finir la nuit assis sur une chaise de jardin qui donnait souvent le vertige à son dos.
Dans la nuit des éclats rouges, alors lisons :
" Le 21 septembre 1972, dernier jour de l'été, Henry de Montherlant, à 15 h 59, se tirait une balle de revolver dans la bouche et, simultanément, pour être certain de ne pas se rater, croquait une ampoule de cyanure. Septembre 1972, mon Dieu, comme le temps passe ! Cependant, chaque année, c'est le même mois de septembre, mélancolique, oppressant, avec ses nuits qui augmentent, les grilles du Luxembourg qui jour après jour se ferment plus tôt, et ses malheurs qui surgissent sans bruit. Septembre est le mois de la mort, ce soleil pâle. En septembre, les époux divorcent et les amants rompent. L'été, saison fatale aux amours. Seigneur, qu'avons-nous fait de nos couronnes nuptiales ? " (1)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Le taureau de Phalaris / Gabriel Matzneff / La Table Ronde / 1987
lundi 12 septembre 2011
Chronikà Biblia (3)
" Comment vivre comme un homme, si l'on n'est pas de temps en temps un dieu ? "
Arthur Schnitzler
Il se dit, que c'est cette photo qu'il fallait montrer aux côtés des autres vues partout, il se dit qu'en quelque sorte elle sacralise les autres, d'un côté le rayonnement de l'architecture, de l'autre sa destruction diabolique.
à suivre
Philippe Chauché
dimanche 11 septembre 2011
Chronikà Biblia (2)
samedi 10 septembre 2011
Chronikà Biblia
photo Edouard Boubat
Je traverse la ville du sud au nord comme s'il s'agissait d'un jungle où le risque de se faire dévorer par quelques sauvageries est permanent Seule solution, pensais-je, me fier aux situations, les convoquer et en faire bon usage, comme on le dit de la rencontre d'un corps ou d'un livre : " Lecture continue de Chateaubriand, plaisir continu dont j'hésite à me défaire. Je laisse un moment les Mémoires pour revenir à la Vie de Rancé. L'intelligence et la maîtrise des formes rhétoriques paradoxalement libèrent le discours de toute contingence pour engager le récit dans la pure abstraction du balancement calligraphique de l'arabesque : " Tout a changé en Bretagne hors les vagues qui changent toujours ", ou " Lorsqu'on erre à travers les Saintes et impérissables Écritures, où manquent la mesure et le temps, on n'est frappé que du bruit de la chute de quelque chose qui tombe de l'éternité. "... Et comme je reçois un livre affreux sur un peintre qui n'est pas moins misérable : " Fermons les yeux mon âme ! tenons-nous si éloignés de toutes ces choses que nous ne puissions les voir et en être vu. " (1)
Je traverse mon corps de bas en haut comme s'il s'agissait d'un journal qui suivrait à la nuit, la nuit, mes agissements et mes rêves, note-t-il. Je vis, donc je rêve, et l'inverse se vérifie sur l'instant, comme cette conversation, il y a des années à Séville, dégagée de toute intention sur une placette portant le nom d'une sainte que je devinais sensuelle : échanges rapides, évocations plus ou moins partagées, silences, sourires, cigarettes, manzanilla glacée, puis évanouissement, et donc, Retournement du Temps.
Traversée du Temps, je m'y emploie à temps compté.
José Ortega Cano
Il revoit son visage sans affect, plongé dans une inébranlable certitude, 15 août 1992, arènes de Bayonne, de mauvaises gens hurlent, les insultes fusent des tendidos, on lui reproche d'avoir refusé son taureau, de l'avoir très vite ignoré, de ne pas l'avoir tué, cette histoire n'est pas la mienne, les trois avis viennent de tomber, il lui faut traverser le cercle sous la colère, l'injure, la furie, il prend son temps, il l'arrête même, ralenti le plus possible sa marche, certains y voient un défi, d'autres une affirmation de l'Etre face au Néant maléfique partagé, deux hommes se sont levés et le saluent, il ne les regarde pas mais il les voit : " Un diamant ne brille jamais plus que dans les ténèbres de la nuit ; et un héros ne paraît jamais davantage que dans les circonstances capables d'obscurcir la gloire de toute autre que lui. " (2)
Il regarde cette photo, il sait l'homme en grand danger, fracassé, la mort l'a frôlé sur les routes andalouses, et elle n'a semble-t-il pas dit son dernier mot. Qui se lèvera pour le saluer ?
à suivre
Philippe Chauché
(1) Spirito Peregrino / Chroniques du journal ordinaire / Marcelin Pleynet / Hachette P. O. L. / 1981
(2) Le Héros / Baltasar Gracian y Moralès / traduc. Joseph de Courbeville / Editions Champ Libre / 1973
vendredi 9 septembre 2011
Ma Librairie (13)
" L'art peut naître d'une simple passe, une naturelle par exemple. Il suffit qu'elle soit si simple, si claire, si lente et si dépouillée de toute corporéité, qu'il n'en reste plus que le trait immatériel, infiniment prolongé. Une sorte de forme pure. " (1)
Pour qui se risque de temps en temps, à la bonne place, sur un tendido d'une arène sur les hauteurs de Bayonne, sur les bords de l'Adour, à quelques pas du Rhône ou du Guadalquivir, dans un amphithéâtre aux pierres blondes, une naturelle qui se déploie avec la profondeur, la lenteur, et la complexité invisible, la seule qui mérite attention, est à chaque fois un éblouissement. Ce trait là, note-t-il, nous remet au coeur même de ce que savons ou croyons savoir de la finalité d'une faena, et cette situation où chaque geste du torero " qui en a le goût ou le talent, façonne ses qualités - ses apparences " (2) devient un style, une apparence soulignée par Gracian, et cette apparence n'a évidemment rien de naturelle d'autant plus si c'est ainsi qu'on la nomme.
Toute rencontre amoureuse procède elle aussi et avant tout du style, et n'a jamais rien de naturelle.
photo Joaquin Vidal
à suivre
Philippe Chauché
(1) L'appel de Séville / Francis Wolff / Au Diable Vauvert / 2011
(2) Sur le blabla et le chichi des philosophes / Frédéric Schiffter / Puf / 2002
jeudi 8 septembre 2011
Ma Librairie (12)
Antoine Watteau 1684-1721
" Entre l'existence et l'inexistence, à la faveur du mouvement qui fait passer de l'une à l'autre, apparaît, sous la croûte, ce qui couve : alors on entre dans une étrange région où le temps brasille, où de tourbilles de vent transportent avec elles un rythme de feux roulants. La silhouette de la jeune femme s'était effacée, mais à l'intérieur du feu, je la reconnaissais encore : une flamme, une jolie flamme rieuse. " (1)
Parfois, ici, lorsque le jour s'efface, le ciel s'enflamme. Il en va ainsi, écrit-il, de son corps, il s'enflamme lorsque flanche son esprit, l'inverse est plus rare. En ces instants brûlants, elle ne dit mot, laissant ses bras, son ventre et ses jambes dérouler des phrases dont il est le témoin attentif. Un soir où l'incendie se propageait à sa Librairie, elle murmura : méfiez vous de ces flammèches qui embrasent mes seins, à trop les fixer, vous finirez, vous aussi par vous enflammer.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Evoluer parmi les avalanches / Yannick Haenel / L'Infini / Gallimard / 2003
mercredi 7 septembre 2011
Ma Librairie (11)
mardi 6 septembre 2011
Ma Librairie (10)
« Dresser des pierres votives, matérialiser des expériences, donner une consistance durable à ce qu’il y a d’insaisissable et de fugace dans n’importe quel fait, fixer des réalités pas des moyens qui empruntent au naturalisme – quand il le faut – l’indispensable pour convaincre mais rien de plus : telle apparaît, en gros, l’activité de Giacometti, qui semble avoir choisi comme façon constante de s’exprimer un art à trois dimensions parce que c’est dans un tel art qu’il est le plus difficile de s’en sortir sans tricherie. » (1)
« En cette fin d’après-midi d’avril 1964 le vieil aigle despote, le maréchal-ferrant agenouillé, sous le nuage de feu de ses invectives (son travail, c’est-à-dire lui-même, il ne cessa de le fouetter d’offenses), me découvrit, à même le dallage de son atelier, la figure de Caroline, son modèle, le visage peint sur toile de Caroline – après combien de coups de griffes, de blessures, d’hématomes ? – fruit de passion entre tous les objets d’amour, victorieux du faux gigantisme des déchets additionnés de la mort, et aussi des parcelles lumineuses à peine séparées, de nous autres, ses témoins temporels. Hors de son alvéole de désir et de cruauté. Il se réfléchissait, ce beau visage sans antan qui allait tuer le sommeil, dans le miroir de notre regard, provisoire receveur universel pour tous les yeux futurs. » (2)
« L’Homme qui marche (1947, 170 23 x 53 cm) n’est pas moins magnifiquement engagé dans l’aventure, la possibilité extrême de lui-même. Dans son essai sur Giacometti (Giacometti, Verlag Gerd Hatje, Stuttgart, 1971), Reinhod Hold note que « l’homme qui marche est une cause libre ». Ce qui souligne une autre ouverture à ce que la sculpture de Giacometti propose à notre méditation : dans un monde jamais vu l’Homme qui marche est une cause libre : parce qu’il est en lui-même, et pour lui-même, sans cause.
Pour Giacometti, dans la réalité du monde invisible, l’homme qui marche ne possède pas la liberté comme une propriété, c’est la liberté qui le fait marcher et brusquement le possède.
Giacometti aspire ici, comme Cézanne, à la liberté (« Je vous dois la vérité en peinture », écrit Cézanne à Emile Bernard), parce que, possédé par la liberté, et dans la mesure où, dans « le monde invisible » que dévoile la sculpture de Giacometti, dans le monde de Giacometti, « l’essence de la vérité c’est la liberté » (Heidegger, De l’essence de la vérité, Gallimard, Paris, 2001). » (3)
Saisir, note-t-il, tout ce que dévoile le mouvement du sculpteur : essence de l'art. L'Homme qui marche, ne cesse de se déplacer, impossible de le figer, sa marche est la marche de l'art, son mouvement prometteur transforme à vue ce qu'il traverse.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Pierres pour Giacometti / Brisées / Michel Leiris / Folio essais / Gallimard / 1992
(2) Célébrer Giacometti / Le Nu perdu / René Char / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard
(3) Giacometti / le jamais vu / Marcelin Pleynet / Dilecta / 2007
lundi 5 septembre 2011
Ma Librairie (9)
" Je dois à la mission dont je me sens investi une perfection absolue dans la réalisation, un sérieux total dans l'écriture. " (1)
" Enrouler le monde autour de nos doigts comme un fil ou un ruban dont joue une femme qui rêve à sa fenêtre. " (1)
" Je suis la scène vivante où passent plusieurs acteurs qui jouent plusieurs pièces. " (1)
Lisant avec toute l'attention exigée ces phrases éparses de Pessoa, lisant et écrivant, écrivant dans le sérieux absolu de l'écriture, je perds pied, note-t-il.
photo François Garnotel
à suivre
Philippe Chauché
(1) Fragments d'un voyage immobile / Fernando Pessoa / traduc. Rémy Hourcade / Rivages
" Enrouler le monde autour de nos doigts comme un fil ou un ruban dont joue une femme qui rêve à sa fenêtre. " (1)
" Je suis la scène vivante où passent plusieurs acteurs qui jouent plusieurs pièces. " (1)
Lisant avec toute l'attention exigée ces phrases éparses de Pessoa, lisant et écrivant, écrivant dans le sérieux absolu de l'écriture, je perds pied, note-t-il.
photo François Garnotel
à suivre
Philippe Chauché
(1) Fragments d'un voyage immobile / Fernando Pessoa / traduc. Rémy Hourcade / Rivages
vendredi 2 septembre 2011
Ma Librairie (8)
" Entre ses planches utilitaires et ses cintres religieux, pour empuantie que soit la scène, le monde ne saurait devenir si fermé qu'il n'y reste un peu de place pour le jeu. " Vieillerie poétique ", grimaces, blasphèmes, logomachie, mirages, kabbale : à hauteur d'homme, la bouche pousse ses cris, jette ses oracles, égrène ses calembours. Laisser les mots s'animer, se dénuder et nous montrer par chance, le temps d'un éclair osseux de dès, quelques-unes de nos raisons de vivre et de mourir, telle est la convention du jeu. A mi-chemin des sols trop sales et des voûtes trop sublimes, à niveau d'air, entrant dans la peau du rôle, la poésie joue son jeu. " (1)
" Problème de la présence réelle, posée et résolu par Giacometti, alors que ce problème semble avoir échappé à presque tous nos sculpteurs, purs architectes ou fabricants de mannequins que leur bourrage n'empêche pas d'être absents. De même, c'est moins à représenter leurs modèles qu'à leur permettre d'être là ( quitte à laisser plus tard leur figure se réduire en poussière ) que visent les sculpteurs nègres. " (2)
" Sans être aucunement bibliophile, j'ai un soin quasi fétichiste de mes livres. Parmi ceux auxquels je suis le plus attaché, deux me viennent de ma mère qui les reçut comme prix ou cadeaux, je crois, quand elle était encore jeune fille :
à suivre
Philippe Chauché
(1) Glossaire : j'y serre mes gloses / 1939 / Brisées / Michel Leiris / Gallimard
" Problème de la présence réelle, posée et résolu par Giacometti, alors que ce problème semble avoir échappé à presque tous nos sculpteurs, purs architectes ou fabricants de mannequins que leur bourrage n'empêche pas d'être absents. De même, c'est moins à représenter leurs modèles qu'à leur permettre d'être là ( quitte à laisser plus tard leur figure se réduire en poussière ) que visent les sculpteurs nègres. " (2)
" Sans être aucunement bibliophile, j'ai un soin quasi fétichiste de mes livres. Parmi ceux auxquels je suis le plus attaché, deux me viennent de ma mère qui les reçut comme prix ou cadeaux, je crois, quand elle était encore jeune fille :
un RACINE, que j'aime surtout à cause d'Iphigénie ( Clytemnestre en lutte contre Agamemnon son mari, pour défendre sa fille qu'un père sans coeur veut sacrifier ; les dieux intervenant et lançant le tonnerre ) et à cause de la versification racinienne qui présente, en même temps que cette roideur antique à laquelle j'attache tant de prix, une sorte de duveté d'alcôve où toutes les lignes se font fluides comme celles de corps en amour ;
un MOLIÈRE, auteur dont je déteste toutes les oeuvres en raison de ce qu'elles mettent en jeu de mesquin à l'exception de Don Juan ( le " grand seigneur méchant homme ", dont la grandeur est portée à son paroxysme par la terrifiante apparition de la Statue du Commandeur, blanche comme plâtre et dure comme l'antiquité, au milieu des éclairs ).
C'est peut-être, au moins en partie, à ces deux livres que je dois le goût que j'ai toujours eu d'une certaine forme classique, appréciant les beaux vers qui sortent d'un seul jet, comme la saillie d'un animal ou la tension d'un obélisque. En un certain sens, il n'y a pas de différence pou moi entre " antique " et " classique "puisqu'il s'agit toujours de cette même pureté, dureté, froideur ou roideur - qu'on l'appelle comme on voudra ! " (3)
Classicisme de Leiris, classicisme de Giacometti et de Bacon, seule forme de résistance lumineuse, j'écris, note-t-il, avec sous les yeux Ma Librairie, mes chers classiques, et mes modernes , je dessine, sculpte et peint dans la permanence de ceux qui ont dessiné, sculpté, et peint avant moi, note-t-il. L'art absolu est dans le mouvement permanent du temps saisit dans sa totalité, qui embrasse tout, écrit bien.
Classicisme de Leiris, classicisme de Giacometti et de Bacon, seule forme de résistance lumineuse, j'écris, note-t-il, avec sous les yeux Ma Librairie, mes chers classiques, et mes modernes , je dessine, sculpte et peint dans la permanence de ceux qui ont dessiné, sculpté, et peint avant moi, note-t-il. L'art absolu est dans le mouvement permanent du temps saisit dans sa totalité, qui embrasse tout, écrit bien.
Présence de l'écrivain, du dessinateur-sculpteur et du dessinateur-peintre, présence du mot qui comme un toro bravo défie la pique avant de s'engouffrer dans la soie, présence de la mine et du pinceau qui révèle le mouvement du temps et le fait s'envoler comme un pecho, la littérature considérée comme une tauromachie, la peinture comme un faena par naturelles, le dessin son double, et la sculpture son accomplissement, et la pureté vient !
Leiris surréaliste un temps, il s'en éloigne, puis c'est l'Afrique fantôme, note-t-il, inventeur d'une règle du jeu et du je, une chasse à l'homme à l'arc. Ses flèches : ses textes, puissance, précision, questions permanentes, passions aussi, femmes et taureaux, jeux de masques, jeux de mains, jeux de mots, les écrivains, les peintres et les toreros se croisent, tous bien encrés a centre de la piste, écrit-il. Escapades et estocades à Nîmes, Picasso, Cendrars, Bataille, Cocteau, Dubuffet, Paulhan y sont aussi, comme Carlos Arruza, Antonio Bienvenida, Fermin Rivera, Ricardo Torres, Conchita Cintron, Julio Aparicio, Rafael Ortega, le tout orchestré par un magicien : André Castel " Querido amigo Castel, aqui le mandamos este recuedo del dia de toros en Nîmes el 1° o el 2 de junio de este ano 1952, su Picasso " (4) le plus élégant de tous, Michel Leiris, costume, chemise blanche, cravate anglaise, il sourit peu, concentration absolue de l'écrivain : torero, torero, torero !
à suivre
Philippe Chauché
(1) Glossaire : j'y serre mes gloses / 1939 / Brisées / Michel Leiris / Gallimard
(2) Pierres pour Giacometti / Brisées / Michel Leiris / Gallimard
(3) L'âge d'homme / Michel Leiris / Gallimard
(4) Picasso et Leiris dans l'arène / Annie Maïllis / Editions Cairn
jeudi 1 septembre 2011
Ma Librairie (7)
" La plupart des écrivains d’aujourd’hui sont contre nous, parce qu’ils ne sont pas avec nous : ils ne sont pas des écrivains ; c’est dire qu’ils pèchent contre la langue, laquelle seule importe, d’une certaine façon - contrairement à celle dont ces écrivains veulent exister : en oubliant la langue, en faisant comme si elle n’existait pas, ou qu’elle soit un simple outil de communication : autant dire qu’ils s’oublient eux-mêmes, puis-je avancer, notant cela tandis que le soleil se lève, devant moi, entre l’îlot du Grand Bé, où est enterré un des plus grands artiste de notre langue, et Saint-Servan, à droite, où gît la femme qui l’a mis au monde : angle magnifique dans le compas solaire de l’amour filial et de la langue, dans ce nombre d’or de l’écriture, qui constitue la véritable sépulture de Chateaubriand, lequel repose dans le soleil levant dont sa langue a reçu la semence. Les mauvais écrivains, eux, dispersent au lieu de bâtir dans la lumière, et ils écrivent d’une main desséchée, que rien ne guérira. Qu’ils se haïssent les uns les autres, cela semble une loi du milieu littéraire, la plus basse, avec les serpents qui gardent le temple du Nouvel Ordre moral. Elle n’a pas de sens pour nous. Le désert du sens croît. Diviser les justes, multiplier les méchants, voilà à quoi travaillent nos ennemis, multipliant les pierres en lieu et place du pain, et nous reprochant, à vous comme à moi, de trop publier, c’est-à-dire d’exister. Ils voudraient que notre royaume se divise ici-bas et que nous n’atteignions pas au Royaume du Père. Ils prétendent que nous nous haïssons. Je suis pour ma part dépourvu de haine, mais non d’armes. Ils nous prétendent des imposteurs pour faire oublier qu’ils prêchent le faux. Je n’ai pas de posture d’écrivain : j’écris. La guerre n’est pas une posture mais un acte, comme l’écriture. Elle seule me définit, ou me vouera à l’oubli. Du moins serai-je resté fidèle à la douceur terrible de l’ange qui est en moi. " (1)
Les écrivains de ma Librairie ne s'écrivent guère, note-t-il, il y a eu, " Ennemis publics ", de Michel Houellebecq et Bernard-Henri Lévy (2), et cette lettre de Richard Millet - notons que cet écrivain de mauvaise réputation à la plume exemplaire, publie au moins deux livres en cette rentrée littéraire, parions que les gazettes n'en diront rien, même traitement est souvent accordé à Roland Jaccard - à ne pas mettre entre toutes les mains, que le site " pileface.com " publie dans son intégralité, puis silence. Étrange ? Non état des lieux et de la guerre plus ou moins secrète qu'ils se livrent, pour un prix, quelques critiques élogieuses ici ou là, une invitation sur le plateau d'une télévision, ou dans le studio d'une radio, une négociation pour un transfert dans une autre maison d'édition, peut-être simplement leur manque de style, qui déjà s'impose partout, et qu'il serait fatal de confronter.
" Madame de Chateaubriand obtient la permission de me voir. Elle avait passé treize mois, sous la Terreur, dans les prisons de Rennes avec mes deux soeurs Lucile et Julie ; son imagination, restée frappée, ne peut plus supporter l'idée d'une prison. Ma pauvre femme eut une violente attaque de nerfs en entrant à la Préfecture, et ce fut une obligation de plus que j'eus au juste-milieu. Le second jour de ma détention, le juge d'instruction, le sieur Desmortiers, m'arriva accompagné de son greffier. M. Guizot avait fait nommer procureur-général à la cour royale de Rennes un M. Hello, écrivain, et par conséquent envieux et irritable comme tout ce qui barbouille du papier dans un parti triomphant....
" Madame de Chateaubriand obtient la permission de me voir. Elle avait passé treize mois, sous la Terreur, dans les prisons de Rennes avec mes deux soeurs Lucile et Julie ; son imagination, restée frappée, ne peut plus supporter l'idée d'une prison. Ma pauvre femme eut une violente attaque de nerfs en entrant à la Préfecture, et ce fut une obligation de plus que j'eus au juste-milieu. Le second jour de ma détention, le juge d'instruction, le sieur Desmortiers, m'arriva accompagné de son greffier. M. Guizot avait fait nommer procureur-général à la cour royale de Rennes un M. Hello, écrivain, et par conséquent envieux et irritable comme tout ce qui barbouille du papier dans un parti triomphant....
Il voulut raisonner avec moi ; je ne pus jamais lui faire comprendre la différence qui existe entre l'ordre social et l'ordre politique. Je me soumettais, lui dis-je, au premier, parce qu'il est de droit naturel ; j'obéissais aux lois civiles, militaires et financières, aux lois de police et d'ordre public ; mais je ne devais obéissance au droit politique qu'autant que ce droit émanait de l'autorité royale consacrée par les siècles, ou dérivant de la souveraineté du peuple. Je n'étais pas assez niais ou assez faux pour croire que le peuple avait été convoqué, consulté, et que l'ordre politique établi était le résultat d'un arrêt national. Si l'on me faisait un procès pour vol, meurtre, incendie et autres crimes et délits sociaux, je répondrais à la justice ; mais quand on m'intentait un procès politique, je n'avais rien à répondre à une autorité qui n'avait aucun pouvoir légal, et, par conséquent rien à me demander. " (3)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Lettre à Philippe Sollers sur la haine et sur le diable / extrait / Richard Millet / L'Infini / 113 / Hiver 2011 / pileface.com
(2) Flammarion - Grasset / 2008
(3) Mémoires d'outre-tombe / Livre XXXVI / Chapitre 6 / Chateaubriand / Quarto / Gallimard
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