lundi 31 octobre 2011
Faenas
Auguste Rodin
" Tous les mécanismes de l'émotion imprévue, inspirée par la réussite d'une figure, se résument pour moi dans la perpendiculaire formée par une ligne horizontale, muette, s'étirant avec une feinte paresse, et une trajectoire verticale, chargée de tous les cris de surprise et de joie. C'est en quelque sorte la variante impalpable et sonore du théorème d'Ortega y Gasset, selon lequel toute la tauromachie tient à la rencontre entre l'horizontalité du taureau et la verticalité du torero. " (1)
" Une passe de poitrine : la lui mettre entre les seins. " (2)
" Parce qu'elle est émotion et parce qu'elle est torera, l'émotion torera est magique. " (3)
" C'est dans la campagne de Castille, celle de Miguel de Unamuno, de Cervantes, d'Antonio Machado, andalou celui-ci, mais castillan en définitive, que je me suis fait torero. C'est dans la campagne de cette Castille, si aride et si pauvre parfois qu'elle a pour seuls propriétaires les philosophes, les poètes et les rêveurs, que j'ai appris à devenir un homme. " (4)
Même dans les pires moments, note-t-il, ne jamais oublier son sitio, tout un roman, qu'il faudra bien écrire, comme une faena impossible.
Ses naturelles en surprennent plus d'une d'une, lui seul sait qu'elles le conduisent de facto à un volapie.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Taurine / François Zumbiehl / Climats / 1992
(2) Miroir de la tauromachie / Michel Leiris / Fata Morgana / 1981
(3) La solitude sonore du toreo / José Bergamin / traduc. Florence Delay / Seuil / 1989
(4) Pour Pablo / Luis Miguel Dominguin / traduc. George Franck / Verdier / 1994
dimanche 30 octobre 2011
samedi 29 octobre 2011
Sade Vivant !
" L'imagination est l'aiguillon des plaisirs ; dans ceux de cette espèce, elle règle tout, elle est le mobile de tout ; or, n'est-ce pas par elle que l'on jouit ? N'est-ce pas d'elle que viennent les voluptés les plus piquantes ? (Mais) l'imagination ne nous sert que quand notre esprit est absolument dégagé de préjugés : un seul suffit à la refroidir. Cette capricieuse portion de notre esprit est le libertinage que rien ne peut contenir ; son plus grand triomphe, ses délices les plus éminents consistent à briser tous les freins qu'on lui oppose ; elle est ennemie de la règle, idolâtre du désordre. " (1)
C'est ce que l'on pourrait appeler une rencontre de premier ordre, rencontre entre deux écrivains, Donatien Alphonse François, marquis de Sade et Noëlle Châtelet, d'un château l'autre pourrions-nous dire, d'un roman l'autre ; le marquis n'a plus qu'un an à vivre, nous sommes le 2 décembre 1813, il n'aura jamais revu son château de La Coste, que des mains sales, avides de vengeance mettront à terre, et que d'autres transformeront en scène culturelle des plus obscènes - qui douterait que ne ce soit là que l'obscénité se tienne - ni Avignon, ni Carpentras, ni Saumane, ni Mazan ; Noëlle Châtelet fréquente ses romans et ses lettres depuis des années, elle le connaît de réputation, mais pense qu'il faut le voir, non pour le croire, mais pour poursuivre ce dialogue furtif et foisonnant, et le dialogue a lieu, la rencontre de premier ordre, lumineuse, tempétueuse, éblouissante, non qu'il faille rétablir, pense-t-il, quelques vérités sur le marquis de Sade - il suffit de lire sa correspondance - , mais à nouveau l'entendre - pour de bon cette fois -, Sade Vivant et Châtelet brillante et piquante. L'automne libyen brûlera-t-il, lui aussi le marquis ? La charia est un bûcher que ne désavoueraient pas ceux qui l'ont embastillé.
" N. C. - Le plaisir est donc " énergie " ?
M. de S. - Examinez un homme vraiment libertin : vous le verrez toujours occupé ou de ce qu'il a fait, ou de ce qu'il projette de faire. Dans une parfaite insouciance sur tout ce qui ne tient pas à ses plaisirs, vous le verrez pensif, concentré dans lui-même, et comme s'il craignait de donner accès à un mouvement qui pût le distraire une minute des libidineuses idées qui l'enflamment ; on dirait qu'une fois enchaîné au culte de ce dieu, il lui devient absolument impossible d'être ému par quoi que ce puisse être et que rien n'est capable de distraire son âme de la délicieuse passion qui la captive. " (1)
" Foutez ! Vous êtes nées pour foutre !... C'est pour être foutues que vous a créées la Nature ! Laissez crier les sots, les bégueules et les hypocrites. " (1)
Les sots, les bégueules et les hypocrites n'ont peut-être jamais fait autant de bruit, glissons-nous pour les oublier dans les phrases du marquis.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Entretien avec le marquis de Sade / Noëlle Châtelet / Plon / 2011
vendredi 28 octobre 2011
jeudi 27 octobre 2011
Question de Style
" Dès les premiers pas de son parcours et vraisemblablement jusqu'aux derniers, il aura emprunté un chemin tortueux hérissé d'obstacles, de préférence à toute route droite qui n'a pas l'attrait de l'imprévu, n'engendre tout au long qu'un insurmontable ennui. Honnie soit la rectitude insipide où il ne trouverait nulle part alentour ni au-delà à étancher sa soif d'aventure liée au plaisir de la découverte, non moins, il est vrai qu'au risque de s'égarer dans sa recherche opiniâtre d'une issue aussi insituable qu'un trésor enterré et dont l'existence même reste problématique dès lors qu'il n'en peut préciser la nature ni orienter sa quête en connaissance de cause, ce qui ne l'empêche pas, tout au contraire, de courir sa chance, fût-ce à tort et à travers, comme si l'enjeu n'était pas tant d'en saisir et l'exploiter au mieux que de persévérer aveuglément sans se laisser gagner par le doute, son plus mortel ennemi - inhibition, incertitude, mauvais discernement, chacun de ces mots pris isolément étant inapproprié. A quoi bon s'armer de patience et miser sur le peu de temps dont on dispose pour avoir raison des puissances maléfiques qui le tiennent à leur merci avec le plaisir ludique d'un chat torturant sa proie vivante ? " (1)
C'est toujours et plus jamais, note-t-il, la question du style qui se pose à chaque instant, dans chaque phrase, en chaque geste ; l'ennemi c'est son abandon, le laisser aller, le flottement, à chaque seconde et dans chaque situation allier, ajoute-t-il, fermeté guerrière et silence mystique tout en goûtant ses doutes et ses incertitudes ; le style en sera, pense-t-il, plus vif et plus troublant, et sans trouble point de style, ni de lendemain.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Pas à pas jusqu'au dernier / Louis-René Des Forêts / Mercure de France / 2001
mardi 25 octobre 2011
Ma Librairie (25)
" Je redeviens sauvage. Les femmes s'ensauvagent, elles aussi, plus libres, plus dures, proches ou lointaines, nombreuses, marchant à la conquête du monde. Et me voilà de nouveau seul. Je vieillis, beau verbe aux teintes d'anciens émaux limousins, et qui me rappelle qu'un jour, beaucoup plus tôt que je ne l'imagine, je reposerai dans la terre de Siom, à côté de ma mère qui vient de mourir, à Lausanne, sous les yeux de personne, comme elle disait, et comme elle a toujours vécu. " (1)
C'est l'écrivain et son double, un écrivain nanti d'une oreille la plus fine qui soit, note-t-il ; bien entendre pour bien écrire et bien voir. Richard Millet s'écoute raconté pour mieux s'écrire, son double en narration se dissimule derrière un miroir auditif où chaque parole prononcée rebondit pour ensuite s'élever dans l'absolu du style, c'est la position de l'écrivain embusqué, qui pour saisir la faillite du monde et des phrases, ne peut que s'en tenir éloigné, sans pourtant, ajoute-t-il, définitivement s'en éloigner, comme s'il affirmait, que l'on ne voit bien que ce que l'on devine, sachant que l'on en a déjà beaucoup vu et beaucoup fait ; Kafka n'est jamais très loin.
" J'avais décidé de rester caché ; je n'avais pu en savoir davantage sur la beauté de celle que ma soeur avait introduite au salon et à qui elle disait, comme nous en étions convenus, que je n'étais pas encore arrivé à Siom, ce qui faisait de moi l'unique fantôme de la maison, les deux femmes trouvant à s'accorder sur mon dos, comme il se doit entre femmes, dès lors qu'elles n'entrent pas en concurrence, la visiteuse parce qu'elle était dépitée de ne pas trouver celui qu'elle avait fait tant de kilomètres pour rencontrer, ma soeur parce qu'elle était heureuse de lui répondre que je suis un personnage impossible, comme tous les écrivains, même ceux qui semblent avoir renoncé à tout rôle social, sinon à la littérature, reprenant alors une phrase : " Tu n'es pas vivant ! Tu vis avec les morts ! ", que j'avais entendue prononcer à tant de femmes blessées, et même à certains hommes, et qui en concluaient, les uns et les autres, que les écrivains n'ont pas tout à fait la même constitution que le commun des mortels, et qu'ils sont plus proches des idiots, des autistes ou des défunts que du reste de l'humanité. " (1)
Dans ce théâtre d'ombres - certaines mordent et griffent -, pense-t-il, l'écrivain n'a point d'autre place que celle, évoquée plus haut, d'un guetteur embusqué aux tympans vigilants, et aux phrases fusant comme des balles traçantes, sans que jamais l'on n'en devine la cible réelle et dont, ajoute-t-il, la seule raison est de continuer plus que jamais à bien écrire, ce qui en ces temps, relève d'un art secret, clandestin, comme finalement, et je le vois bien ainsi, note-t-il, celui d'un premier chrétien, qui sait qu'il finira dans l'arène aux lions, ou lapidé sur quelque place où les sourires sont désormais déformés par les grimaces de la barbarie, sauf si par miracle, conclut-il, une fiancée libanaise vient à le sauver, ce qui est le pire que l'on puisse lui souhaiter.
à suivre
Philippe Chauché
(1) La Fiancée Libanaise / Gallimard / 2011
lundi 24 octobre 2011
Antoñete
Antonio Chenel Alabaladejo dit « Antoñete » a muerto.
Le silence accompagne parfois la mort des héros.
" Le Je Ne Sais Quoi, qui est l'âme de toutes les bonnes qualités, qui orne les actions, qui embellit les paroles, qui répand un charme inévitable sur tout ce qui vient de lui est au dessus de nos pensées et de nos expressions ; personne ne l'a encore compris, et apparemment personne ne le comprendra jamais. "
Baltasar Graciàn y Moralès
à suivre
Philippe Chauché
dimanche 23 octobre 2011
Ma Librairie (24)
photo Pascal Renoux
" Cher Ramón,
Comme tu l'auras constaté, je ne te donne jamais de conseils littéraires - il ne manquerait plus que ça ! - Nous savons que la littérature est l'extrême divertissement et que tout dépend - pour que demeure quelque chose - de la chance qui nous échoit.
Écrire des lettres, c'est se tenir dans la compassion, hors du conseil ; c'est lié par l'amitié d'être vivant, et non prendre des poses pour la postérité.
Ici, je voudrais percer une partie de mon mystère. Qu'est le noyau le plus mystérieux de mon mystère ? Seraient-ce les gants intérieurs des mains ? Ou ce chapeau haut-de-forme que nous avons dans la poitrine et dont nous tirons toute la cordialité possible ? Ou ce seau rempli de poissons que nous puisons au lac intérieur ?
J'écris : je me lance avec passion sur les traces de cet inconnu ; j'espère le trouver quelque jour, puisque je persiste à t'adresser ces lettres sans enveloppe... " (1)
" ... J'oscille entre deux pôles : la pensée que j'ai tout dit, et le soupçon de ne t'avoir rien dit, espérant pouvoir m'arracher grâce à ces lettres des aveux qu'autrement - sans cette pression du genre épistolaire - je ne serais jamais parvenu à énoncer et dont je n'aurais même pas deviné l'existence... " (1)
à suivre
(1) Lettres à moi-même / Ramón Gómez de la Serna / traduc. Robert Amutio / André Dimanche Éditeur / 1994
samedi 22 octobre 2011
Le Silence des Armes ?
Le 10 septembre 1986 Dolores Gonzalez Katarain dit Yoyes, accusée de trahison, était assassinée à Ordizia par ETA qu'elle avait quitté six ans plus tôt.
" El mito de ETA, la hidra sangrienta que nos atenaz. "
Le silence des armes ? Silence des mémoires ? Mémoire du silence des morts ?
à suivre
Philippe Chauché
vendredi 21 octobre 2011
Liberté Secrète
" Mademoiselle Eradice obéit aussitôt sans répliquer. Elle se mit à genoux sur un prie-Dieu, un livre devant elle ; puis, levant ses jupes et sa chemise jusqu'à la ceinture, elle laissa voir des fesses blanches comme la neige et d'une proportion admirable.
- Levez plus haut votre chemise, lui dit-il : elle n'est pas bien ; là, c'est ainsi. Joignez présentement les mains et élevez votre âme à Dieu ; remplissez votre esprit de l'idée du bonheur éternel qui vous est promis.
Alors le père approcha un tabouret sur lequel il se mit à genoux derrière et un peu à côté d'elle. Sous sa robe, qu'il releva et qu'il passa dans sa ceinture, était une grosse et longue poignée de verges, qu'il présenta à baiser à sa pénitente. " (1)
" Concluons donc, ma chère amie, que les plaisirs que nous goûtons, vous et moi, sont purs, sont innocents, puisqu'ils ne blaissent ni Dieu, ni les hommes, par le secret et la décence ( c'est moi qui souligne ) que nous mettons dans notre conduite. Sans ces deux conditions, je conviens que nous causerions du scandale et que nous serions criminels envers la société : notre exemple pourrait séduire de jeunes coeurs destinés par leurs familles, par leur naissance, à des emplois utiles au bien public, dont ils négligeraient peut-être de se charger, pour ne suivre que le torrent des plaisirs. " (1)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Thérèse Philosophe / Le Terrain Vague / 1954
jeudi 20 octobre 2011
Rigore e fantasia (3)
" Il y a des gens d'une certaine étoffe ou d'un certain caractère avec qui il ne faut jamais se commettre, de qui l'on ne doit se plaindre que le moins qu'il est possible, contre qui il n'est pas même permis d'avoir raison. "
Jean de La Bruyère
à suivre
Philippe Chauché
mardi 18 octobre 2011
Ma Librairie (23)
" La liberté libérée
est la condition
du poème
et de l'insurrection
Une oeuvre d'art
comme une action
de résistance
à l'oppression
réalise ce mystère
de la liberté libérée
En ce sens la poésie
et l'insurrection
sont fraternelles
On ne sait jamais
ce que devient
une liberté libérée
car elle ne devient pas
Elle est... " (1)
Fidélité à l'histoire, fidélité à la poésie libre et à la peinture libre, l'urgence permanente de dire, note-t-il, ce qui s'est joué en Espagne lors du coup d'état de Francisco Franco, une dictature prépare l'autre, c'est toujours ainsi que naissent les danses macabres, et face à cela, des mots et des dessins qui tracent ce mouvement particulier du temps, urgence permanente aussi, ajoute-t-il, pour ne jamais oublier, le rôle funeste des staliniens dans cette histoire - absolue lucidité de Georges Orwell - tout aussi funeste que celle de Philippe Pétain - ne jamais perdre l'occasion de le dire et de l'écrire - d'une dictature, les autres.
à suivre
Philippe Chauché
(1) les poupées de Rivesaltes / Serge Pey et Joan Jordà / Quiero / 2011
lundi 17 octobre 2011
Ma Librairie (22)
dimanche 16 octobre 2011
Rigore e Fantasia (2)
jeudi 13 octobre 2011
Ma Librairie (21)
" Il est des peintres qui ont eu un immense talent, mais leur oeuvre est second ordre. Il leur a manqué d'avoir une forte personnalité. Tel n'était pas votre cas. Ce qui fait le grand peintre, c'est le caractère qu'il donne à tout ce qu'il touche, la saillie, le mouvement, la passion... Vous, vous avez eu ce privilège de recevoir en partage ce qui contribue à faire d'un artiste un artiste majeur : le vital et inlassable besoin de créer, la vigueur des émotions et des sentiments, la volonté de tout tirer à soi, l'inextinguible soif du vrai, l'intelligence aiguë des problèmes de la peinture, la ténacité, la force de conviction, le feu intérieur entretenu par des blessures, une haute conception de l'art, la recherche permanente de l'immuable, de l'intemporel...
Votre passion du vrai. Ce que vous avez été, ce que vous avez pensé, réalisé, dit, écrit, tout a été déterminé par cette passion-là. C'est elle, à mon sens, qui a fait de vous un peintre révolutionnaire. " (1)
Tout est simple, alors que l'on voudrait nous faire croire l'inverse, tout est net et vivant à chaque instant sur la toile, point d'enfermement, point de posture maudite - supercherie des marchants et de nombreux critiques - point de lendemain, car tout se voit, saute aux yeux de ceux qui savent voir - Picasso en permanence -, la peinture libre est là, la littérature à proximité, question de style et même d'une très haute idée du style.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Cézanne un grand vivant / Charles Juliet / P.O.L. / 2006
mercredi 12 octobre 2011
Du Bleu au Blues
" Le 14 avril 1971,à quatre-vingt-dix ans, donc, Picasso peint ce chef-d'oeure d'éveil, rieur et délicat : Le Jeune Peintre. Le peintre a désormais tous les âges, il le dit. Le jeune artiste, lui, est gaucher, il a traversé le miroir. Voilà donc, dans un ton pastel dix-huitièmiste, une nouvelle naissance, grise, blanche, bleue. L'expression du visage est aiguë, un peu intimidée, curieuse. Il y a de quoi être surpris, après avoir fait le tour de l'univers, de se retrouver de nouveau ici, il va falloir s'y remettre, en regardant bien...
Qu'on l'admette ou non, la peinture vit de poésie. " (1)
Toujours aussi élégant, Miles Davis monte sur scène, c'est son atelier, les jeunes musiciens qui l'accompagnent sont attentifs, note-t-il, enjoués, quel mot, ce sont les meilleurs, le trompettiste s'est toujours entouré des meilleurs ; la question de la couleur de leur peau n'est pas son affaire, il laisse cela aux frileux et aux hargneux, autrement dit aux sourds, et en son temps, comme aujourd'hui, ils sont nombreux ; il ne regarde pas le public mais son batteur, malentendu vivace, il est seul, donc très bien accompagné, des femmes et des musiciens - c'est parfois la même chose - ; comme Picasso, " il ne cherche pas, il trouve ", ses disques sont là pour le vérifier, toujours en avance et en retrait, dans l'art simplement, un oreille dans le blues, l'autre dans d'arabesques constructions mélodiques toujours plus turbulentes, comme Picasso, pense-t-il, un oeil ici et l'autre ailleurs, Zurbaran, Vélasquez, Goya, Cézanne - sa grande histoire -, ce qui déroute plus d'un observateur professionnel, on croit les entendre, " mais dans quel cercueil vais-je pouvoir les enfermer ? ", c'est ce qu'ils disent aussi de José Tomas, tout aussi hors du temps et en son centre même, du Bleu au Blues, de l'oreille à la main, tout un roman.
Deux filtres essentiels : la peinture et la musique, on peut y ajouter un troisième : la littérature pense-t-il :
" Je me pris à aimer à New York, la sensation capiteuse et aventureuse qu'il donne la nuit et la satisfaction que le constant papillonnement d'hommes, de femmes et d'automobiles offre à l'oeil privé de repos. J'aimais remonter la Cinquième Avenue, choisir dans la foule des femmes romanesques, imaginer que dans quelques minutes j'allais m'immiscer dans leur existence, sans que personne le sût ou me désapprouvât. Parfois, en imagination, je les suivais jusque chez elles. Elles habitaient des appartements aux carrefours de rues secrètes. Elles tournaient la tête et me rendaient mes sourires avant de disparaître par une porte, dans l'obscurité chaude. Aux crépuscules enchantés de la métropole, j'éprouvais de temps en temps la hantise de la solitude et je la sentais aussi chez d'autres - pauvres employés qui flânaient devant des vitrines en attendant l'heure de dîner tout seuls au restaurant - jeunes employés gâchant, à la brune, les instants les plus émouvants de la nuit, de la vie. " (2)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Picasso, le héros / Éloge de l'Infini / Philippe Sollers / Gallimard / 2001
(2) Gatsby le Magnifique / Francis Scott Fitzgerald / traduc. Victor Liona / Grasset / 1946
mardi 11 octobre 2011
Repetere
" Je préfère les machines à écrire d'occasion car elles ont de l'expérience et la maîtrise de l'orthographe. " (1)
" Lorsque vous vous essayez sur le bord du lit, vous êtes comme un prisonnier qui réfléchit sur sa condamnation. " (1)
" Les cyprès sont des mâts des navires naufragés qui reverdissent. " (1)
" Perles de verre coloré, ambiguës, qu'on pourrait croire royales, précieuses, authentiques... Colliers de verroterie, de nourrice, d'antiques dames de Elche, encore vivantes... Pendants d'oreilles aux gros brillants qu'un cerne obscur de poussière et de crasse rend prestigieux et fait briller... Bagues à l'éclat malheureux et moribond de pierre opaque, comme en portent les mains noires et brûlées, les mains des momies dans les musées archéologiques, ces mains sèches auxquelles je vois toujours s'unir toute bague mise en vente. " (2)
" Carafes à vin, grandes et petites, comme des servantes, rustiquement posées, avec leur bec... Elles sont des animaux aquatiques, joviaux, capricieux, inoffensifs, stylisés jusqu'à n'être pas lus qu'une âme ingénue et transparente... Toujours sympathiques... et nous rappelant ce si triste collège d'enfants, rempli d'objets sévères, antipathiques au souvenir, où la seule chose plaisante, qui nous semblait un oiseau innocent compatissant à notre immense châtiment d'avoir à étudier, était une carafe que le directeur employait pour verser l'encre... Oh ! le carafon que nous tenons sur la bibliothèque, rempli de vin pour les mauvais moments. Sang de Dieu, sang de notre sang dans un corps d'animal ami de l'homme ! " (2)
" L'habit de torero qu'en traversant ce ravin des défroques, j'aimais voir dans le désoeuvrement de mes regards, disparut un jour ; et cette tache de lumière, qui me consolait de la noirceur, disparut de mes yeux.
J'allais l'oublier, quand je le vis réapparaître plus bas, sur un cintre d'éventaire, privé déjà du soin qui le suspendait sur une chaise à l'heure de repos du matador.
Il paraissait plus déprécié déjà, plus éloigné, relégué dans un cercle de pauvreté plus minable, comme s'il avait perdu de sa renommée à la suite de piètres corridas, d'estocades ratées, plantées comme des banderilles.
A nouveau je le touchai, avec l'admiration de mes cent croix d'honneur de pacotille, désirant vérifier de quoi étaient faites ces rondelles où brillaient, en un curieux mélange, des bleutés dorés.
L'habit de lumières était dans l'attente de fêtes plus humbles dans les terres broussailleuses d'Espagne, dans des bourgs plus reculés, où le chemin de fer n'arrive pas. " (2)
Ramón Gómez de la Serna est un drôle d'oiseau, tenant à la fois de l'hirondelle et de la chouette. Le jour, il glisse entre les ruelles aléatoires du Rastro et les tendidos enfumés de la Monumental, la nuit, il se perche sur la plus haute étagère du Café Pombo, yeux mi-clos, et y fait provision d'invraisemblables historiettes, d'aphorismes électriques, de romans déroutants, et de correspondances improbables.
Ramón Gómez de la Serna collectionne des livres anciens, cartes postales trouvées dans la rue, photos fanés de belles élégantes, lettres d'admiratrices opiomanes, tableaux subtilisés aux aimables bavards de son café, statuettes malicieuses, cerceaux de cirque que traversent les ombres de passantes rieuses et suicidaires, romans inachevés et raturés et capes rapiécées achetées pour quelques pesetas à quelque apoderado ruiné, et transforme tout cela en livres inutiles, malicieux et mélancoliques.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Greguerias / Ramón Gómez de la Serna / traduc. Jean-François Carcelen et Georges Tyras / Cent Pages / 1992
(2) Le Rastro / Ramón Gómez de la Serna / traduc. Roger Lewinter et Monique Tornay / Éditions Gérard Lébovici / 1988
lundi 10 octobre 2011
L'Effroi
Ma Librairie (20)
" Dans le paysage aride et sec de la Castille, les seins sont une miraculeuse surprise, deux petites tasses d'eau. " (1)
" Les seins que personne n'a vus ni ne verra sont livides et maudits. Lentement, ils s'emplissent de venin, d'un venin qui intoxique l'âme de la femme qui les porte, d'un venin qui la rendra méfiante, hargneuse, infâme. " (1)
" Pour rencontrer des seins tatoués, il faut vraiment vivre dangereusement ; il n'est pas de plus belle parure que celle-là, même les médaillons sertis de diamants. Les maisons aux persiennes mi-closes de Lisbonne en sont pleines ! " (1)
" Il devrait y avoir des femmes aux seins bleus, aux seins roses et aux seins rouges " (1)
" Ce n'est que lorsque les femmes brûlent de solitude que leurs seins entrent en ébullition. " (1)
" Il y a des seins qui sont véritablement des seins d'amazone. Ils vont toujours au trot. " (1)
" Dans les chemisiers couleur fraise, les seins sont parfaitement définis : ce sont deux kilos de fraises fraîches, savoureuses et parfumées, deux kilos de fraises d'Aranjuez. " (1)
" Il ne faut pas séduire une femme en commençant par ses seins ; ses seins sont la dernière chose à séduire parce qu'ils n'exercent aucune influence sur la femme : les seins assistent à tout, impassibles et muets. C'est la grande erreur que commettent certains débutants : vouloir commencer par séduire les seins de la femme. " (1)
" Il y a des seins terribles, les seins de Miura, des seins braves comme le sont les taureaux du meilleur élevage, des seins que redouteront toujours les hommes qui ont été un jour encornés par les seins de Miura. " (1)
" Les seins des chemisiers rouges semblent faits de coquelicots, ils sont gorgés de sang, et leurs amants jaloux leur font parfois une saignée. " (1)
On a toujours des relations étranges , note-t-il, avec les écrivains qui vous accompagnent depuis des années, si ce n'est des siècles, d'autant plus lorsque leurs livres ont tendance à prendre plus de place que celle qu'il leur a alloué dans un premier temps, à profiter de son absence pour d'un coup de sein pousser d'autres locataires, comme le font parfois les seins de certaines visiteuses à l'endroit d'autres, qui pourquoi le nier, avaient confondues une invitation avec une installation.
Ces Seins là, méritent quelques admirations, et mille coloriages, les seins de papier et de soie s'y prêtent au mieux, il ne peut un instant douter que le madrilène amateur de corridas ne s'en amuse, finalement nous aurons passer noter vie à les mettre en lumière.
à suivre
Philippe Chauché
(1)Seins / Ramón Gómez de la Serna / traduc. Benito Pelegrin / Babel / 1995
dimanche 9 octobre 2011
Ma Librairie (19)
photo Eddie O'Obryan
" L'ennui est ma passion. Il arrive qu'il se dissipe quelque temps, mais il revient toujours, et c'est pourquoi la vie me paraît aussi trépidante que ses dimanches. Comme me le fit remarquer un ami qui a le sens de la formule : " Tu sembles traverser les jours dans le sens de la langueur. " Et il est vrai que je me promène en ce monde en traînant la fatigue d'un décalage horaire. "
" Je n'ai pas lu tous les livres, mais quelques-uns ont clarifié le charabia de mon âme ; je ne suis pas mélomane, mais la musique, mais la musique m'a fait entendre autrement le vacarme du monde ; je ne sais pas tout de la peinture, mais je garde en mémoire tous ces autoportraits d'artistes qui m'ont dévisagé. Donner un semblant de tenue intellectuelle à ses complexes, peut-être est-ce cela se cultiver. "
Pour qui lit depuis quelques années les petits livres de Frédéric Schiffter, la réédition de son Blabla est toute aussi réjouissante que celle des enregistrements de Miles Davis des divines années de son second quintette ( 1959-1968 ) dont en ce mois d'octobre Jazz magazine se fait l'éloge - We love Miles - car à bien lire le philosophe sentimental et à bien écouter - chose on en conviendra fort peut partagée en ces temps, mais finalement qui s'en plaindra - - les musiques du plus elegans des trompettiste, tout lecteur, note-t-il, qui reste sur ses gardes et ne se laisse pas séduire par les alter-philosophes publicitaires sans saveur ni savoir, tout lecteur donc, qui jamais n'attend d'un philosophe quelques cours de sauvetage en haute mer, y découvrira, comme chez le jésuite aragonais, quelques réjouissantes saillies sur l'art de penser et d'écrire en penseur de charme sous la triple et réjouissante protection de Gracian, Montaigne, Cioran et Rosset, tout l'art du Quintette philosophique.
à suivre
Philippe Chauché
samedi 8 octobre 2011
Ma Librairie (18)
" La contemplation de ces îles au couchant me remplit jusqu'à la nuit d'un bonheur calme et extatique. La beauté des îles tient à leur solitude, au rayonnement de leur contingence. Avec elle devient visible le miracle de l'existence, bordée par le néant. " (1)
" Vers deux heures du matin, en sortant de La Coupole, nous allions souvent à côté, au bar du Dôme, nous attabler non loin l'Alberto Giacometti qui y venait régulièrement en compagnie d'une ou deux prostituées du quartier, aux allures de petites-bourgeoises. A cette heure-là, il était ivre et, s'attardant toujours plus longtemps que nous, il continuait sans doute à boire jusqu'à l'aube. J'aimais le bar du Dôme à cause de lui. Il me semble d'ailleurs qu'ils disparurent en même temps. Sans oser lui adresser la parole, j'étais heureuse de le regarder à la dérobée et de jouir du rayonnement amical de sa présence. Je le trouvais beau dans sa solitude indéfectible. " (1)
" Ne pas sortir de chez soi relève de l'exercice d'une liberté. Est-ce pour cela que c'est si mal vu ? On soupçonne le réfractaire, celui ou celle qui se soustrait à la loi du recrutement, à la loi commune. I would prefer not to... je préférerais ne pas..., comme disait le Bartleby de Melville. Ne pas sortir de chez soi, c'est un peu faire sécession... " (1)
" Libérée des servitudes de l'amour, déprise des idéaux d'une sexualité obligatoire, je me sentais au large, tout à mon aise dans ma vie qui s'ouvrait comme la mer immense qui nous entourait à perte de vue. Moi aussi, je vivais au seuil de la vieillesse comme à celui d'une vie nouvelle, une vie où j'écrirais enfin tous les jours. " (1)
Lisant et relisant le petit livre, livre léger et empli de saisissements, où chaque phrase, chaque souvenir, chaque notation l'éloigne des romans dont le seul rêve est de figurer en bonne place - ils en imposent ! - sur les listes publicitaires des prix d'automne, de Catherine Millot, y faisant provision de phrases - une petite croix arrondie tracée au crayon dur dans la marge de gauche - s'y sentant en terre aimable et terrible, et se disant que deux ou trois lecteurs pourraient s'en délecter, comme d'un vin rare et marbré bu une nuit d'avril sur la place Alfalfa, loin de la foule, loin de l'amour, loin de la solitude sociale, et si près de l'absence vitale, en permanence ébloui par la Haute Tenue du livre qu'il avait détecté dès ses premières phrases, trouvant là ce que la nostalgie a de lumineux lorsqu'elle diffracte le temps et qu'elle quitte, sous une telle plume, le terrain minée où depuis plus de deux siècle on a voulu l'enfermer, et se disant au bout du compte que l'invitation faite ici à Proust, à Poe, et à Barthes, est juste et réjouissante. Une amie lui confiait récemment, sans savoir qu'il était plongé dans O Solitude, qu'elle pensait avoir bien lu, car elle avait vécu toutes les dévastations du coeur et les éblouissements du corps.
à suivre
Philippe Chauché
(1) O Solitude / Catherine Millot / L'Infini / Gallimard / 2011
jeudi 6 octobre 2011
Mirages
lundi 3 octobre 2011
La Musique Pure
" Cette musique répond à tous les mouvements de l'esprit, à tous les élans du coeur, à tous les besoins de la fantaisie, du rêve, de l'amour, de la passion. Elle apporte, à tous les désirs, tantôt un aiguillon et tantôt un allègement. Elle est guerrière et pacifique, légendaire et raisonnable, caressante et chaste. Il n'est pas un état d'âme qui ne trouve, dans la connaissance d'une telle musique, une chance de s'illuminer, de s'exalter ou de s'assouvir délicieusement. Et quand on songe que cette musique, trésor mystérieux, troublant miroir, nous est offerte par un paisible bourgeois sans histoire, par ce gros homme à perruque, on est bien obliger de ranimer la querelle de la musique pure...
Jean-Sébastien Bach ne m'impose rien - surtout par sa musique pure -. Il m'offre le palais où je peux, en paix, me promener, endormir, exalter mes pensées, mes douleurs, mes joies, mes désirs. " (1)
La musique s'écoute dans une absolue solitude, loin des foules et des bavardages, note-t-il, et parfois une autre âme solitaire s'y associe.
" Sans Bach, la théologie serait dépourvue d'objet, la Création fictive, le néant péremptoire. S'il y a quelqu'un qui doit tout à Bach, c'est bien Dieu. " (2)
Les humanoïdes qui n'ont au bout du compte rien de divin préfèrent le bruit et la fureur, rien de regrettable en soi, sauf qu'ils ont la maligne tendance à les faire partager.
La Musique Pure ne s'adresse qu'à quelques femmes invisibles et à deux ou trois hommes " sans qualités ", rien ne dit qu'un matin ils ne se croiseront pas.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Georges Duhamel / La musique consolatrice / Éditions du Rocher / 1947
(2) Sur la musique / Syllogismes de l'amertume / E. M. Cioran / Oeuvres / Quarto Gallimard
dimanche 2 octobre 2011
Rigore e Fantasia
L'Italie, éblouissante Italie en ce XVIII siècle, c'est à dire aujourd'hui. Il suffit pour s'en convaincre d'écouter les musiques de Corelli, Bomporti, Vivaldi - tout un roman -, Locatelli, Veracini et Tartini, et tous sens en éveil se laisser entraîner par la beauté harmonique, la grâce, la subtilité, la légèreté, et l'ornementation de la phrase.
Giuliano Carmignola, une Haute Idée de la musique, l'élégance du style, au coeur même du texte, dans le raffinement de ses élans et de ses retenus, nous disant ce soir là en l'église Sant-Luc de Ménerbes - si loin du blabla et du chichi du Luberon, où la vulgarité des parvenus égale celle des déclassés, vivante leçon de marxisme - que cette musique d'hier, s'écrit aujourd'hui dans l'embrasement du Temps, que la musique seule nous sauve de la dévastation généralisée, et du désolemment dominant, et nous offre parfois quelques raisons de vivre, rigore e fantasia.
à suivre
Philippe Chauché
- pour s'en convaincre on peut écouter les enregistrements de Giuliano Carmignola avec l'Orchestre Baroque de Venise d'Andrea Marcon, ou encore l'intégrale des Concerti de Mozart sous la baguette de Claudio Abbado -
samedi 1 octobre 2011
Ma Librairie (18)
photo Man Ray
" L'impatience heureuse des commencements. L'horizon est un cercle parfait, la mer est déserte, vide comme la page blanche qui m'attend, comme les jours à venir, avec juste le soleil et la mer, et les îles. Et le soleil se lèvera sur la mer, se couchera sur la mer. Je pourrai sortir le matin sur le pont le regarder se lever jusqu'à ce que l'aube grise devienne la rose aurore, et ensuite me rendormir, toute enclose dans la beauté du jour naissant. Le bonheur se confond avec la mer et le soleil et l'écriture à venir, ses longues matinées d'écriture, le temps rendu à sa liberté. " (1)
Le livre est ouvert à la première page. Il lit, et il sait qu'il a sous les yeux et la main, un livre de Haute Tenue, un livre qui va se tendre comme une voile sous le vent. Que demander de mieux ? pense-t-il. Il se dit aussi, en poursuivant sa lecture à l'ombre de cet arbre où il s'installe souvent lorsque le ciel le lui permet, qu'il en va de même des corps désirés, leur Haute Tenue se voit sur l'instant, au premier geste, au premier mot, au premier dévoilement. La Haute Tenue, est une évidence qui fait briller un regard, le trouble et la cécité viendront plus tard, comme dans un livre qui tombe de nos mains sans qu'on s'y attende.
à suivre
Philippe Chauché
(1) O Solitude / Catherine Millot / L'Infini / Gallimard / 2011
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