« Ne restent maintenant que les légendes. Des dates, des lieux, des noms. Et des phrases.
J’espère que ces légendes racontent une histoire claire malgré l’absence des photographies qui les accompagnaient ».
Marseille, Miami, aller retour, de l’enfance retrouvée à l’enfance perdue, d’un carnage à l’autre. Shots est le roman noir d’une recherche, celle d’un frère qui se cache. Le roman d’une traque du sang qui s’achève dans la fuite, le sang et les dollars. Shots est le roman des légendes des photos disparues, elles ponctuent par des petits carrés gris les pages du livre, et deviennent des légendes qui se nouent dans l’enfance à Marseille, puis à Miami, où le narrateur ne cesse de traquer les traces de son frère disparu, porteur du visage et des mots de leur mère, au centre tellurique de la mafia, de la drogue, de l’hôtel Biltmore, des galeries d’art, des armes et des dieux vaudous.
« J’ai 36 ans et le mail de mon frère est le seul que je reçois pour mon anniversaire. Je ne sais pas encore que ce sera son dernier mail – et que cette photo sera la dernière que je recevrai de lui ».
« Tout le monde a des dettes ici. Et plus vous en avez, plus ça signifie que vous êtes riche. Bienvenue aux Etats-Unis d’Amérique ! Personne n’a d’argent mais tout le monde en dépense ».
Shots est le journal d’une enquête outre-Atlantique, Miami, Little Havana et Key Biscayne, saisie par la violence mafieuse et d’extrême-droite de la Fondation nationale cubano-américaine, des trafics d’art, où l’ombre du frère perdu ne cesse de se dérober, son ombre et son histoire, qui devient la légende du roman « photographié ». Shots tente de saisir les fantômes du narrateur, les esprits oubliés et frappeurs, toutes ces ombres qui rôdent, ces couteaux et ces armes de poing qui font et défont les vies et les légendes, mais aussi celles qui sauvent, qui protègent de la gangrène, comme cet haïtien « effrayant », Denis Couleuvre, qui lui aussi recherche le frère du narrateur et surtout les milliers de dollars dont il s’est emparé.
« Je suis né à Haïti… J’ai gardé avec moi les ondes telluriques qui ont déchiré mon pays… Votre caméra ne peut pas les accepter… Mais mon image peut accepter votre caméra si je le décide… »
Les images de Shots sont éphémères, en quelques minutes elles s’effacent, elles constituaient la trame du récit, sa colonne vertébrale, mais elles ont disparu, rayées d’un trait d’orage par des forces « magiques ». Le narrateur, photographe de passion et de raison, savait pourtant qu’il devait éviter de saisir l’image de Marie-Louise – la prêtresse vaudou – Damballa effacera tes photos ! Le vent de sa colère emportera toutes tes maudites images. Les notes, les légendes, le récit, la traque et la guerre secrète des gangs, demeurent. Si les images peuvent disparaître, les phrases résistent, elles habitent un subtil et terrible roman noir, stylé, nourri des images de Scarface de Brian de Palma, un roman d’éclats, et d’humeurs, de sang, de sueur et de peur.
Philippe Chauché