« Aragon a été rimbaldien : Je ressentais vivement l’espoir de toucher à une serrure de l’univers : si le pêne allait tout à coup glisser. Rimbaud : J’ai seul la clé de cette parade sauvage. Et puis Aragon a renoncé, il est tombé dans les bras de maman Triolet et du Parti communiste (à l’inverse Artaud n’a jamais cédé, mais au prix de la folie) ».
Les chemins de Pascal Boulanger ne sont jamais de charmants layons ombragés et odorants, il goûte plus profondément les sentiers escarpés, les chemins caillouteux où à chaque pas on risque la chute. Les à-pics, les falaises, l’océan en furie au pied du tombeau de Chateaubriand. Il s’y aventure sans complaisance, comme il s’aventure sur les plages près de chez lui en Bretagne, écrire c’est aussi entendre le silence du vieil océan.
L’écrivain poète croise le fer avec le réel et l’histoire, ne ruse pas avec son siècle, mais lui rend coup pour coup. Il sait que le style est l’arme la plus affutée des poètes, il sait que pour bien écrire, il faut savoir bien lire, que se soit Aragon, Rimbaud (dont il partage l’écoute précise avec Marcelin Pleynet), de Gaulle et Debord (le co-fondateur de l’Internationale Situationniste s’amusera à détourner le Général dans Panégyrique : Toute ma vie, j’ai n’ai vu que des temps troublés… quand de Gaulle écrit : Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France), Lautréamont, Claudel (Un poète regarde la Croix… La Croix, le vertical de la transcendance et l’horizontal de l’immanence se croisent sur un corps jeté en pâture, autrement dit, sur l’actualité comme reconduction de l’Enfer), Claude Minière, Philippe Muray et Arno Schmidt. Ils l’accompagnent, il vérifie à leurs côtés la pertinence de leur singulière présence dans ces carnets acides et heureux.
« Je suis issu d’une famille nombreuse : Baudelaire, Rimbaud, Claudel, Léon Bloy, Péguy, Pasolini, Louis Calaferte… La liste est longue, je cite ceux-là à dessein. Voilà des témoins qui ne s’embarquent pas dans la nef des fous, bouche béante et langue vide ».
« Je suis en avance… J’aime aimer d’avance ».
« Le mal aimé est mal armé ».
C’est bien, ici, comme dans sa lumineuse Anthologie 1991-2008 (L’œil habillé d’une paupière n’est pas dans la tombe. D’ailleurs, placé en ce lieu de parole qui fait parole, Rien ne meurt qui a commencé), une affaire de style qui prévaut, le style comme une arme aiguisée à souhait. Pour bien frapper, il faut frapper juste et avec la rapidité de l’éclair. Face à ce qu’il qualifie de nihilisme actif ou passif, aux concessions à la platitude, à l’épuration technique (…) qui gagne en effet, et depuis des années, les médiathèques avec la complicité de la plupart des nouveaux bibliothécaires incultes, à la débâcle collective, il porte le fer. Ses armes : les grands complices de la pensée, de la poésie et de la littérature, des mots et de phrases explosives. Si vous vous demandez : Pascal Boulanger combien de divisions ? Nous répondons des siècles de romans et de poèmes, de dictionnaires et d’encyclopédies, de penseurs et de poètes, de romanciers et de saints.
« Pourquoi j’apprécie tant le catholicisme de la Contre-Réforme ? Parce que l’incarnation est une poésie grandiose…
Le sang qui baigne le cœur est pensée (Empédocle) ».
« Chaque jour, avec nos yeux de chair grands ouverts, sur la musique, sur les ruines de la ville, chaque jour est un miracle ».
Jusqu’à présent je suis en chemin va aggraver cette mauvaise réputation du poète, trop à droite diront certains, trop conservateur ajouteront d’autres censeurs embusqués, trop chrétien pourra-t-on peut-être lire ici, et d’autres compliments qui ne manqueront pas à l’appel, mais Pascal Boulanger ne s’en émeut pas, il lit, il écrit, il griffe, il convoque, compare, admire et raille, il est en guerre. C’est un nouvel acte de la guerre du style qu’il partage avec un Girondin des Lettres.
Philippe Chauché
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