« Au delà de l’expression “manger des yeux”, la peinture a beaucoup à voir avec le corps bu et le corps mangé. Boire ses paroles, dit-on, car les images sont des paroles silencieuses qui s’échangent de l’un à l’autre » (Profession de foi).
« Pédaler n’est-il pas ajouter du sien à la réalité du paysage, de la même façon qu’écrire distingue la réalité du monde d’avec l’acte qui en même temps le dépose ? Mémoire des mains pour mémoire des jambes… » (Vita Nova).
Jacques Cauda possède le pouvoir très ancien d’enflammer ce qu’il touche, une feuille blanche, une toile, un livre, un corps aimé. Le peintre surfiguratif peint ce qu’il voit, tout est dans l’œil pense l’artiste et il le prouve par ses papiers et ses pastels à l’huile. Les images qu’il choisit ont souvent été déjà « vues », il s’attache à les montrer à travers ce prisme, mais autrement, pour cela il faut savoir dessiner (c’est son cas), ne rien ignorer du trait, et de la couleur (c’est aussi son cas). Dans ses livres, Jacques Cauda raconte sa vie, au cœur de Profession de foi, sa jeunesse délinquante, ses mauvaises fréquentations (« La violence me fascinait. Et l’émeute également »), cette « mauvaise réputation » dirait Guy Ernest Debord. Il est explorateur à Paris, l’œil de sa longue vue livre ce qui devrait rester caché (« Boxer short en soie naturelle, culotte en point d’Alençon ou en coton blanc qui colle au sexe comme la bouche de la lamproie à la peau de sa victime… »), il apprend à voir et donc à dessiner (« Oui, je savais la regarder (merci Léonard !), la regarder de cette manière ravissante qu’on savait tout de suite combien je les aimais les femmes »), étudie le cinéma, travaille du soir au matin pour payer son loyer, réalise des documentaires pour la télévision, puis il peint, ne cesse de peindre. Il lit et écrit sa vie, en peintrécrivain dit-il, à la manière des peintres qu’il admire : Watteau – il se dessine en Gilles –, Cézanne, Matisse, Pollock, Manet ; il a mille vies, c’est le chat Cauda, un ours, un géant.
« Les peintres, ils voient le dedans des choses. La nature au sens large. Les trèfles comme les cœurs » (Profession de foi).
« En picard, on cueille les vélos, ce sont des arums. En vélo, le Christ a toujours une roue d’avance sur le temps qui passe… » (Vita Nova).
Jacques Cauda est un voluptueux lettré, un lecteur qui joue avec le temps, avec Proust, Flaubert, Dumas, Duras, Richard Millet, un dévoreur de pinceaux et de corps – ces derniers tableaux dévorent des corps offerts et ouverts. Jacques Cauda a la passion du livre, du vélo et du Tour. Vita Nova est le récit de cette passion et de quelques autres. Profession de Foi est celui de sa naissance à la vie, donc à la jouissance, à la peinture et aux livres. Comme il écrit, il dessine et il peint. Ses pastels racontent les coureurs, son Tour de France, le Tour de France d’un peintrécrivain, les fleurs des maillots sous le ciel de France. Jacques Cauda écrit comme le maillot jaune roule sur les chemins de son enfance, avec légèreté (« pédaler est ajouter du sien à la réalité des paysages, mécaniquement le mouvement des jambes sur les pédales est comparable à celui qu’exerce notre mémoire »).
Qu’il écrive ses éclats de vie (« 31 décembre 1981, je réveillonne en compagnie des Mémoires d’outre-tombe. Chateaubriand m’enivre »), ses accords de passions (« Sonia, la bouche en rond de serviette, dans un halo de jaunes et de bleus, principaux composants de la lumière du jour, appuyée le dos à la fenêtre du séjour »), qu’il invite des musiciens de jazz dans sa galerie magique et magistrale, à chaque fois son trait, ses couleurs harmonisent la vie, qui se pâme et s’offre à son regard saillant.
Philippe Chauché