« L’autre soir, au dîner, j’ai semé le trouble. En affirmant que la grossièreté et l’incompétence de nombre de journalistes des pages culture ne seraient jamais admises au sein de la rubrique sportive du journal. Personne ne peut faire un papier sur un match de football sans y avoir assisté. Il serait immédiatement démasqué ».
Bâiller devant Dieu est le journal grinçant et amusé d’un moraliste qui ne prend rien très au sérieux, sauf Borges, son chat, et les plages de Benidorm. Iñaki Uriarte est un expert en étude de lui-même, qui sait que pour bien écrire, il faut bien se connaître. Il se fréquente, s’examine, se traque, de sa plage, de son lit ou d’un fauteuil où il sommeille, explore ses réactions et ses humeurs. Il n’est donc pas surprenant qu’il fréquente avec assiduité Montaigne, son maître en introspection : « Toute la gloire, que je prétends de ma vie, c’est de l’avoir vécue tranquille ».
Iñaki Uriarte se passe en revue, comme il passe en revue ce qu’il vit et traverse, et c’est piquant, drôle, réjouissant, léger. Il prend à témoin les écrivains qui occupent ses nuits, ses jours et ses chroniques littéraires, et les invite à ses siestes vagabondes ; Enrique Vila-Matas : « Je t’appelle simplement pour bavarder » ; Pascal, Pessoa et son Livre de l’Intranquillité publié en espagnol en 1984 : « Ce n’est pas tous les jours que nous sommes témoins de la naissance d’un classique » ; Baudelaire, Schopenhauer, Cervantès : « Lire le Quichotte vous rend heureux » ; Byron dans l’œil brillant d’André Maurois : « Saleté de plume ! » ; et Cioran pour son journal : « C’est mon anniversaire. Je l’avais complètement oublié ». Iñaki Uriarte joue avec les citations, s’en amuse ou s’en agace, mais jamais sans élever la voix, c’est sa belle passion. Qui aime bien, sait bien citer ! L’écrivain passe ses journées à lire, à rêver, parfois à boire un verre, à se promener, à bâiller – « J’ai toujours pensé que le bâillement était le symptôme d’une sérénité spirituelle, l’un des actes les plus mystérieux » – et à écrire des critiques littéraires pour un journal basque – l’écrivain est espagnol, mais aussi Basque des Amériques –, ou dans ses Carnets sans trop se prendre au sérieux.
Bâiller devant Dieu est un réjouissant journal stylé d’une belle élégance, Iñaki Uriarte y chuchote, sourit, s’enthousiasme, boit un coca, fume, et accorde tout le temps qu’il faut à converser avec son chat Borges ; l’écrivain argentin qui lui aussi choyait les chats s’en réjouirait. L’écrivain se passe au tamis comme il passe au tamis son époque – « Débatteurs, chroniqueurs, chauffeurs de taxi, même combat. Un déploiement d’indignation morale, le taximètre en marche » – et pratique l’ivresse de la phrase finement aiguisée, du mot amusé, avec la légèreté mélancolique d’un rentier d’un autre temps.
« Je me lève habituellement à onze heures. Ai-je trop dormi dans ma vie ? Dois-je le regretter ? Nous ne dormons jamais “suffisamment”, il est impossible de “dormir suffisamment”. Jules Renard : « Un chat qui dort vingt heures sur vingt-quatre, c’est peut-être ce que Dieu a fait de plus réussi ».
Philippe Chauché
Frédéric Schiffter a signé la préface : http://lephilosophesansqualits.blogspot.com/2019/10/inaki-uriarte.html