samedi 30 juin 2012

Les Belles Fréquentations

" L'an du Christ 1571, à l'âge de trente-huit ans, la veille des calendes de mars, anniversaire de sa naissance, Michel de Montaigne, depuis longtemps déjà ennuyé de l'esclavage de la Cour du Parlement et des charges publiques, se sentant encore dispos, vint à part se reposer sur le sein des doctes Vierges dans le calme et la sécurité ; il y franchira les jours qui lui restent à vivre. Espérant que le destin lui permettra de parfaire cette habitation, ces douces retraites paternelles, il les a consacrées à sa liberté, à sa tranquillité et à ses loisirs. " (1)

" C'est l'incertitude qu'on trouvera au bout du chemin de pensée. Incertitude décisive et qui touche tous les éléments de l'existence quotidienne, la façon de se relier aux autres, la gestion du domaine, les décisions à pendre en matière politique, religieuse, ou d'allégeance à tel ou tel, en quoi le choix qu'on fait peut à chaque instant engager l'existence tout entière comme il est inévitable en des circonstances aussi indécises, et pas seulement des problèmes théoriques " à débattre aux écoles ". Rappelons, entre autres, mais celle-ci à une importance exceptionnelle, écrire sur un sujet aussi grave que les " Prières ", cette formule qui n'est pas seulement diplomatique, précautionneuse ou purgative, mais essentielle : " Je propose des fantaisies informes et irrésolues, comme font ceux qui publient de questions douteuses, à débattre aux escoles : Non pour establir la vérité, mais pour la chercher " (I, LVI, 317). En ces temps troublés, où les justifications les plus contradictoires et les plus semblables s'affrontent et se valent, puisque l'un et l'autre parti usent alternativement des mêmes arguments, inspirés par les mêmes autorités et les mêmes références bibliques ou testamentaires, qui peut légitimement détenir la vérité sur le droit, les devoirs, la justice, la loi, l'affection entre membres d'une même famille, la fidélité et la loyauté, la vertu ou le salut ? (1)







" Non seulement le vent des accidens me remues selon son inclination, mais en outre je me remue et trouble moy mesme par l'instabilité de ma posture ; et qui y regarde primement, ne se trouve guere deux fois en mesme estat. Je donne à mon ame tantost un visage, tantost un autre, selon le costé où je la couche. Si je parle diversement de moy, c'est que je me regarde diversement. Toutes les contrarietez s'y trouvent selon quelque tour et en quelque façon. Honteux, insolent ; (c) chaste, luxurieux ; (b) bavard, taciturne ; laborieux, delicat ; ingénieux, hebeté ; chagrin, debonaire ; menteur, veritable ; (c) sçavant, ignorant, et liberal, et avare, et prodigue, (b) tout cela, je le vois en  moy aucunement, selon que je me vire ; et quiconque s'estudie bien attentifvement trouve en soy, voire et en son jugement mesme, cette volubilité et discordance. Je n'ay rien à dire de moy, entièrement, simplement, et solidement, sans confusion et sans meslange, ny en un mot. DISTINGO est le plus universel membre de ma Logique. " (II, I, 335)  (1)


Des Belles Fréquentations aux Belles Âmes il n'y a qu'un pas, pense-t-il, Montaigne est de ses hommes d'exception qui comme quelques ami(e)s rares, vous offrent en partage, et en toute discrétion,  dans quelques loisirs partagés, le doute, le doute et encore le doute, l'incertitude et le masque, alors qu'au dessus de notre tête, il y a cette lame qui ne manquera pas de nous décapiter, le temps venu. Cette " vérité singulière " est l'un des livres les plus éblouissant, vif, pétillant et grave, qu'il n'ait lu ces temps derniers. Montaigne est plus que jamais présent, vivant, troublant, coupant, ironique, loin, si loin - qui en douterait ? - des penseurs " révoltés " et autres colporteurs du " bonheur ", les autres noms du mensonge dominant, Jean-Yves Pouilloux nous le rappelle avec éclat et justesse, qu'il soit ici pour ses mérites salué.  





" Quand il doit se présenter à " Messieurs de Bordeaux " qui l'élurent maire de leur ville, il fait de lui-même un portrait particulièrement " privatif ", celui d'un homme sans qualités, " sans mémoire, sans vigilance, sans expérience et sans vigueur ", mais également dépourvu de toute propension à la tromperie et au lucre, " sans hayne aussi, sans ambition, sans avarice, et sans violence. (III, X, 1005). Cette figure de soi qu'il offre ainsi me semble représenter précisément le " non-agir " tel que l'expérience et la réflexion de Montaigne suggèrent de s'y résoudre, ou de s'y ranger. Il se trouve que son " air ", ou son " visage " furent gages de sa bonne foi, ou de son honnêteté, ou de sa détermination, ou de sa force d'âme, ou de son indifférence - qui sait ? - et il raconte, sans excessive humilité, mais sans forfanterie non plus, deux épisodes qui illlustrent remarquablement ce que j'imagine être la position politique à laquelle les rigueurs de son temps le contraignent à résoudre. C'est à la fin de l'essai " De la phisionomie " (III, XII), après une description de lui-même sous forme de constat : " J'ay un port favorable et en forme et en interpretation (suivent deux citations latines qui ironisent sur une signification trop flatteuse de la formule, et précisément du présent " J'ay ", car, constate-t-il, il n'est plus maintenant, vieillard avenant qu'il fut ), et qui faict une contraire montre à celuy de Socrates. Il m'est souvant advenu que, sur le simple credit de ma presence et de mon air, des personnes qui n'avoient aucune cognoissance et de mon air, des personnes qui m'avoient aucune cognoissance de moy s'y sont grandement fiées, soit pour leurs propres affaires, soit pour les miennes ; et en ay tiré ès pays estrangiers des faveurs singulieres et rares. " (III, XII, 1059-60) (1)




à suivre

Philippe Chauché

(1)  Montaigne, une vérité singulière / Jean-Yves Pouilloux / L'Infini / Gallimard / 2012

mercredi 27 juin 2012

L'Excellence du Geste



Kelia Moniz






Au plus loin qu'il puisse remonter, il ne voit pas un jour sans qu'il n'ait pensé que l'excellence du geste relève de celle du grand style, et qui dit grand style, dit Grand Siècle, qui pense à l'excellence du geste voit la beauté du regard qui le porte, la phrase qui s'élève comme une vague, l'élégance du visible venant de l'invisible, et à la nécessité absolue d'être, un jour là où on ne l'attend pas, l'autre là où il se doit d'être mais où on ne le voit pas, ses manières :  le sitio del silencio.

" La nuit dernière, au plus profond de ma chambre, le souffle du printemps pénétrait ;
Mon esprit s'en retourna bien loin, sur les bords du fleuve Kiang,
près de la belle jeune fille qui l'occupe.
Il dura bien peu ce songe de printemps ; il fut bien court l'instant où ma tête reposa
sur l'oreiller ;
Cependant cet instant si court m'a suffi pour aller dans le
Kiang-nân, à plus de cent lieues d'ici. " (1)





José Tomas


Souvent, il partage son temps entre la musique des modèles, et le silence des écrivains qu'il fréquente, manière de savoir vivre, autrement dit de savoir entendre, oreille vive comme on le dit, de l'excellence d'un geste.
Il ouvre un journal d'une année future et lit :
" Je suis ce que je montre, mais je ne montre pas ce que je suis. Chacun de mes gestes sera excellent ou ne sera pas.  "

" Paris, Londres, Venise, Blévy ( et, par parenthèse, le mont Valérien ) chacun de ses lieux... et tant d'autres... Autant de lumières... autant d'intrigues... et de romans.... j'y suis... l'océan des rivières de romans... les voyages... le monde comme autant de romans vrais... de cette cécité, du corps. De cette vérité, mes amis n'auront jamais rien su. Je fus, je suis, je reste suspendu à ce qui se trame à ne pas être limité par le plus grand et à n'en pas moins tenir dans les limites du plus petit : de nuit à Nice sur le chemin qui conduit de l'avenue du Capitaine-Scott, au pavillon de Compostelle... je lève les yeux... l'obscurité des palmes, et le ciel sombre avec la lumière étoilée... tout astre qui brille dans le ciel... et les météores lumineux... " (2)






La belle irlandaise - Courbet
à suivre

Philippe Chauché

(1) Un  songe de printemps / Tsin-Tsan / Poésies de l'époque des Thang / traduc. du Marquis d'Hervey-Saint-Denys / Editions Ivrea / 2007
(2) Le savoir-vivre / Marcelin Pleynet / L'Infini / Gallimard / 2006



mardi 26 juin 2012

De la Beauté et du Reste.

" Si ce qui nous fait paraître la mort si effrayante était la pensée du non-être, nous devrions songer avec le même effroi au temps ou nous n'étions pas encore. Car c'est une certitude incontestable, que le non-être après la mort ne peut différer de celui qui précède la naissance, et qu'il ne mérite pas davantage de lamentations. " (1)


Rudolph Koppitz


" C'est un mirage voluptueux qui leurre l'homme, en lui faisant croire qu'il trouvera dans les bras d'une femme dont la beauté lui agrée, une jouissance plus grande que dans ceux d'une autre ; où le convainc fermement que la possession d'un individu unique, auquel il aspire exclusivement, lui apportera le bonheur suprême. " (2)

Auguste Rodin
 

à suivre
Philippe Chauché
(1) Métaphysique de la mort / Arthur Schopenhauer / traduc. Marianna Simon / 10-18 / 1964
(2) Métaphysique de l'amour /                                        d°

lundi 25 juin 2012

Manque de Sérieux

Se prélassant dans la piscine campagnarde de joyeux riches qui ne lui demandaient  rien d'autre que de partager leur douce nostalgie, son hôte, homme des plus élégants, qui s'occupait tout autant de la qualité des chemises blanches qu'il portait assorties à des sandales balnéaires, que de la fraîcheur du champagne rosé qui accompagnait les débuts de soirées, et d'accueillir avec cette distance amusée de jeunes voisines qui venaient quelques instants goûter au plaisir de plonger leurs corps bronzés dans l'eau douce d'un été qui s'annonçait torride, il se disait que la scène aurait sûrement enchanté Eric Rhomer, cinéaste sentimental, s'il en est, il se disait aussi que sa frivolité s'aggravait avec le temps, et qu'au bout du compte, c'était là, chose fort agréable, d'autant plus qu'il l'agrémentait de discussions merveilleusement inutiles et de longs silences musicaux, qui le conduisaient au plus profond de la nuit où chacun et chacune, n'ayant d'autre emprise que le souhait de s'endormir sous les éclats tamisés des étoiles après s'être livrés à des exercices spirituels qui n'auraient  pas déplus à son cher Marquis de Larochefoucauld. 



" Il y a des gens merveilleusement doués pour ne rien faire : les Africains, par exemple ; véritables flâneurs honoraires, ils savent comme les enfants tout ce que rapporte le temps perdu. " (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1) L'art des loisirs / Éloge du repos / Paul Morand / Arléa / 1996

dimanche 24 juin 2012

Cante Jondo

Un certain art de vivre, c'est ici un art certain du cante jondo.






Face à la déferlante des fâcheux de la Fête de la Musique, il s'en tient à quelques principes et quelques manières.

Philippe Chauché

samedi 23 juin 2012

Du Net et du Tranchant



Paco Camino

" La nuit dernière, réveil comme de coutume. Par peur de ne pouvoir me rendormir, j'ai tout fait pour écarter de moi toute velléité de pensée, toute ébauche d'idée. Car c'est l'idée formulée, l'idée nette, qui est le pire ennemi du sommeil. "
Cioran

" Ceux  qui, sans nous connaître assez, pensent mal de nous, ne nous font pas de tort : ce n'est pas nous qu'ils attaquent, c'est le fantôme de leur imagination. "
La Bruyère
Où les autres passent outre, je m'arrête. "
Wittgenstein
photo Maurizio Melozzi

L'âge certain, ce purgatoire du naufrage, fait finalement bien les choses, il s'emploie en ces temps à ne fréquenter que quelques révolutionnaires classiques et réactionnaires modernes, n'ayant point de temps à perdre dans les remous contemporains, sauf, et c'est sa gloire, à n'attacher grande importance, qu'aux rires des désespérés, aux éblouissements naïfs de quatre ou cinq  jeunes femmes dont les corps allument mille feux de la Saint Jean, aux philosophes balnéaires, aux cinéastes ratés, aux écrivains qui savent ce qu'écrire veut dire, aux poètes anciens et aux vins rares, aux aristocrates ruinés, aux alcooliques discrets,  aux moines insolents, aux actrices claudéliennes, aux chinois de l'époque des Thang, aux toreros de l'invisible, aux sensualistes de la saveur, aux voix de la nuit radiophonique et aux membres de la confrérie de la sieste estivale.

" Chaque beau jour qui s'écoule s'en va pour ne plus revenir ;
Le printemps suit son cours rapide et déjà touche à son déclin.
Abîmé dans une rêverie sans fond, je ne sais où se perdent mes pensées ;
Je suis couché sous les grands arbres, et je contemple l'oeuvre éternelle.
Hélas ! toute fleur qui s'épanouit doit mourir en son temps,
Les chants plaintifs du ki-kouey en avertissent mon oreille attristée.
Que d'êtres anéantis, depuis l'âge antique des grands vols d'oies sauvages !
L'homme le plus populaire des siècles passés, s'il revenait aujourd'hui, qui le reconnaîtrait ?... "
Tchin-Tseu-Ngan

L'âge certain, ce soleil à course inégalée, éclaire de ses arcs invisibles le mouvement de sa main, il s'attache aux mouvements des mains, doigts qui se posent sur le clavier, une épaule qui se découvre, un regard radieux et sévère, la musique a besoin de cela.

Philippe Chauché  





mardi 19 juin 2012

De la Beauté en Art 4






" Odeur de cuisses brunes, douce odeur des seins blonds " (1)

Tout se passe comme si l'Art de la Beauté n'était réellement vu et entendu que par quelques femmes et quelques hommes attentifs et invisibles, ne les cherchez pas dans la foule qui d'un vague regard piétine les grandes expositions du moment, ils sont ailleurs dans un autre espace et un autre Temps, ils se laissent parfois enfermer dans des musées, des collectionneurs avisés les invitent à ne rien dire de leur collection, jamais vous ne les entendrez parler de la peinture car ils sont la peinture, comme certaines femmes sont le corps en mouvement.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Mes inscriptions / 1943-1944 / Louis Scutenaire / Éditions Allia / 2007

jeudi 14 juin 2012

Le Tremblement des Barbus.


Les intégristes Turcs n'aiment pas le pianiste Fazil Say, d'autant moins lorsqu'il reprend à son compte un quatrain d'Omar Khayyâm, et il a aggravé son cas en s'amusant de l'attitude d'un muezzin pressé d'en finir avec sa prière, il devra s'en expliquer devant la justice poursuivi pour " insultes aux valeurs de l'islam ", il risque jusqu'à un an et demi de prison, les fâcheux ne goûtent guère aux quatrains du poète Perse, comme d'autres fâcheux tremblaient de colère en lisant Baudelaire ou Sade, ce siècle est aussi amusant que ses précédents. Omar Khayyam était mathématicien et poète, entre le 10 et le 11 ° siècle, septique et mystique, amateur de vin et de jolies femmes, et se disait infidèle et croyant, Soufi lucide, n'espérant qu'au salut sur la terre, entre une mélodie de Luth, un sein de soie et un verre de vin. Beau programme.

" Ceux dont les croyances sont basées sur l'hypocrisie
Veulent faire une distinction entre l'âme et le corps.
Moi, je sais que le vin a le mot de l'énigme
Et qu'il donne conscience d'une parfaite Unité. " *
 


" Limite tes désirs des choses de ce monde et
vis content - Détache-toi des entraves du bien
et du mal d'ici-bas, - Prends la coupe et joue
avec les boucles de l'aimée, car, bien vite, -
Tout passe... et combien de jours nous reste-
t-il ? " *


" Le monde étant périssable, je ne fais que de
l'artificiel  ; - Je ne suis que pour la gaieté
et le vin qui brille. - On me dit : " Que dieu t'accorde le repentir ! " Il ne le donne pas,
et le donnerait-il, je n'en voudrais pas. " *

" Ne te dépense pas tant en tristesse insensée, mais sois fête.
Donne, dans le chemin de l'injustice, l'exemple de la justice,
Puisque la fin de ce monde est le néant,
Suppose que tu n'existes pas, et sois libre. " *







à suivre

Philippe Chauché

* Les Quatrains / Omar Khayyâm / traduc. Charles Grolleau / Éditions Gérard Lébovici / 1991

mercredi 13 juin 2012

De la Beauté en Art 3

Alexandre Hollan

" La nuit, caresse les seins de la jolie et baise tout le jour les lèvres de la belle ! " (1)

Nous y sommes, pense-t-il, au centre même de la Beauté en Art, elle passe par là, par le corps, certains corps d'évidence, des corps artistiques et contradictoires, et la nature dans ses fulgurances troublantes, les corps et la nature ne cessent de traverser l'art, l'art est sans cesse traversé par les corps et la nature, les siècles n'y changent rien, les temps assoupis ou troublés n'y peuvent rien, ils sont là, elle est là, et c'est toujours une bonne nouvelle, bonne nouvelle qui vous saisit chez quelques peintres vifs et vivants, Hollan, Manet, Monet, Matisse, Cézanne, pour ne citer qu'eux, ce qu'ils savent des corps et de la nature, ce qu'ils entendent, voient, sentent, devinent, oublient, se voit et s'entend, vous traverse dans tous les sens, comme un corps en mouvement, les peintres de la Beauté ne cessent de bouger, même dans une absolue immobilité.




" Manet seul... Manet entre, suivi de sa famille et de quelques amis... Manet, les fleurs... l'art, l'intelligence poétique de Manet... Manet en son temps... Manet... les fleurs du temple... le grand coeur de Manet : " Je vous écris dans mon jardin... " - " Je ne vous écrirai plus, vous ne répondrez jamais ", et encore, toujours Mlle Isabelle Lemonnier, en d'une tête d'une lettre qu'il illustre d'un bouton de rose : " Décidément, ou vous êtes bien occupée, ou vous êtes bien méchante. Cependant on n'a pas le courage de vous en vouloir " ... La liberté de Manet ( la rose est sans pourquoi ).
Manet et les fleurs... ou, d'un sentiment que j'ai récemment éprouvé... " Se sentir gaspillé en son humanité ( et non plus seulement en son individu ) de la même manière que nous voyons la nature gaspiller ses fleurs une à une... c'est un sentiment qui passe tous les sentiments. - Mais qui en est capable ? Seul un poète à coup sûr : et les poètes savent toujours se consoler. " (2)






à suivre

Philippe Chauché

(1) Ta part légitime / Moïse Ibn Ezra / Poésie hébraïque / traduc. Frans de Haes / L'Infini / Gallimard / 1981
(2) Le savoir vivre / Marcelin Pleynet / L'Infini / Gallimard / 2006

mardi 12 juin 2012

Court Saisissement

" Avec l'encre de ses averses et de ses pluies, avec la plume de sa foudre, avec la main de ses nuages, l'hiver écrivit sur le jardin une lettre de pourpre et de bleu. Jamais artiste n'eût pu concevoir chose pareille.
Et c'est pourquoi, devenu jaloux du siècle, le sol a brodé des étoiles dans le pli des parterres. " (1)



à suivre

Philippe Chauché

(1) La broderie de la terre / Salomon Ibn Gabirol / Poésie hébraïque du IV° au XIII° siècle / traduc. Frans de Haes / L'Infini / Gallimard / 1981

lundi 11 juin 2012

De la Beauté en Art 2



De la beauté en art, et c'est la question de la beauté, une éducation esthétique comme le dirait l'ami Frédéric Schiffter - il faudra attendre quelques mois pour lire son nouvel ouvrage sur le sujet aux éditions Autrement - qui fait scandale, la beauté est toujours un scandale en ce siècle de fâcheux, la beauté est l'art d'être, elle n'est jamais offerte, elle demande une grande attention au savoir et à la saveur. La beauté en art : un scandale national, pense-t-il, un scandale permanent, demandez à Courbet et à Rodin ce qu'ils en pensent ; la beauté : une façon d'être au monde, elle livre un combat permanent contre la vulgarité, pour s'en convaincre, il suffit de voir ce qui s'expose en ces temps dans les musées d'art contemporain ; la beauté est d'essence follement élitiste, d'où sa mauvaise réputation, alors que la vulgarité à un bel avenir devant elle, voyez comment s'habillent vos chers contemporains, regardez ce qu'ils lisent, qui ils fréquentent, comment ils parlent et vous comprendrez en une seconde, qu'ils soient si peu concernés par l'art de la beauté, et la beauté en art et qu'ils préfèrent l'abondance de laideur dominante.





à suivre

Philippe Chauché 


dimanche 10 juin 2012

De la Beauté en Art



" La beauté n'est plus un critère en art ! " c'est ce qu'elle lui dit, il se demande si la laideur dominante n'est pas désormais le critère dominant, pas étonnant que les humanoïdes s'y sentent en si bonne compagnie, d'une laideur l'autre pourraît-il dire, mais il s'en garde bien, laissant les affaires du monde au monde, se contentant simplement de vérifier sur le motif ce qu'il en est de la beauté en art, et de convoquer Bonnard, de Kooning, Matisse, Pollock, Tiepolo, une traversée vivifiante de l'art vivant, dialogue permanent entre ces peintres si proches, solitaires joyeux, désespérés amusés,  loin du chichi des conservateurs et du blabla des critiques d'art, mouvement permanent du temps et des corps, écoutez ce qu'ils vous disent, laissez-vous regarder par les toiles et vous comprendrez.


















à  suivre

Philippe Chauché

mercredi 6 juin 2012

Lui et les Autres


" Cribler la scène de grossièretés exemplaires de tact. Boxer contre l'époque mais prenant des gants pour éviter un scandale autre que celui de la simplicité, des formes et dans les formes. Démêler l'écheveau des lignes, refuser l'énigme en cours. Être encore plus ambitieux, plus juste, plus musical. " Je cherche quelque chose qui peut-être n'existe pas : le coup juste. ", dira McEnroe. Prouvez-le. Je pense à cette anecdote, Jean-Sébastien Bach répondant à l'admiration d'un élève : " Il s'agit de frapper les notes juste au bon moment. " Notez bien. Non pas les coups justes mais les coups justes au bon moment, juste comme ce qui relie la frappe au temps lui-même. Et comme résultat immédiat le bon moment ( je souligne ). Ici l'amateur supérieur paré prend le pari d'une avancée momentanée de la joie contenu dans un signe dérisoire, ce qui la distingue à jamais d'un modèle compétitif de bonheur professionnel. Un présent qui ne s'expose pas : inférieur du point de vue de l'offre et de la demande. De courte durée mais infinie. Sentir profondément l'instant, voilà. Ses stridences. Ses effloraisons. Ses basses. Son écriture. Cela passe bien sûr par une variété incessante des effets, de la cadence, du rythme, alternance du lift ( un peu ) et du slice ( en revers surtout ). Rigueur dans la fantaisie, maîtrise dans l'improvisation, fugue de fond. " (1)






Chercher le musicien là où il n'est pas censé être, c'est à cela qu'il s'emploie souvent, le corps amoureux lorsqu'il ne s'accorde pas au mouvement du Temps joue faux, lisez vraiment ce que vous êtes en train de lire en ce moment, non avec l'oeil, mais avec l'oreille, exercice très spirituel et finalement peu usité. Dans ce qui l'occupe là, le tennis, et qu'il lui arrive de regarder de ce qui s'y joue - au sens musical où il l'entend - il cherche la cadence, la fantaisie, la maîtrise, cette lame de fond, ce rondo qui tourne et vire à l'improvisation, McEnroe, c'est Jimmy Giuffre, Free Fall, et aujourd'hui, qui, quoi, où, il cherche cet art musical qui éclaire si bien le tennis lorsqu'il se livre et se délivre.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Le scandale McEnroe / Thomas A. Ravier / L'Infini / Gallimard / 2006

mardi 5 juin 2012

Un Mois sur la Terre 2


Shen Zhou
" Surtout ne pas surestimer ce que j'ai écrit, cela me fermerait l'accès de ce que j'ai à écrire. " (1)

" On a planté sur ma bouche les baisers de tous les rendez-vous,
Agité, dans mon coeur, les mouchoirs de tous les adieux... " (2)

" Dans mes activités artistiques également je n'ai que de bonnes manières. " (3)

" Ce que j'ai appris, je ne le sais plus. Le peu que je sais encore, je l'ai deviné. " (4)

" J'aurai passé ma vie à mélanger les genres et les styles ! " C'est ce qu'il me dit, ajoutant que ce constat concerne à la fois la littérature et les hommes, et pour les femmes lui demandais-je ? " C'est elles qui ont donné un certain style à ma vie, même dans l'ordinaire j'ai gagné en extraordinaire ! "

à suivre

Philippe Chauché

(1) Journal / Année 1912 / Kafka / traduc. Marthe Robert / Grasset / 1954
(2) Fragments d'un voyage immobile / Fernando Pessoa / traduc. Rémy Hourcade / Rivages poches / 1990
(3) Remarques mêlées / Wittgenstein / traduc. Gérard Granel / GF Flammarion / 2002
(4) Maximes et Pensées / Chamfort / Folio classique / 1970


dimanche 3 juin 2012

Instants de Chine

Alexandre Hollan
" La rivière de ce soir est lisse et calme,
Les fleurs du printemps s'épanouissent.
Le courant emporte la lune,
La marée ramène les étoiles. " (1)

" Derrière le voile de ma fenêtre, le soleil s'en va, le crépuscule vient.
Dans ma maison d'or, nul ne voit les traces de mes larmes.
La cour est vide et silencieuse, le printemps meurt.
Les fleurs de poirier  jonchent le sol, je n'ose ouvrir ma porte. " (2)

" Mon sommeil de printemps a oublié l'aurore.
Voici que les oiseaux chantent de toute part.
Cette nuit bruissaient le vent et la pluie.
Qui sait combien de fleurs maintenant sont tombées. " (3)




Alexandre Hollan

Sur l'instant se saisir du mouvement du Temps, note-t-il, l'oeil attentif, la main suspendue, les muscles tendus, la respiration retenue, puis en une fraction de seconde lâcher sa flèche, c'est à dire écrire, ou aimer, c'est parfois chose semblable.

" Seul, assis, je contemple l'eau et la montagne,
Appuyé contre un mol oreiller, j'écoute le vent et la pluie.
Tous les jours des amis viennent et s'en vont,
Tous les ans les fleurs éclosent et tombent. " (4)

à suivre

Philippe Chauché



(1) Fleurs et clair de lune sur la rivière du printemps / Empereur Yang de Sui / 569-618 / La poésie chinoise / Patricia Guillermaz / Pierre Seghers - Club des Libraires de France / 1960 / exemplaire n°591
(2) Regret de printemps /  Liu Fan P'ing / d°
(3) Aurore printanier / Meng Hao Jan / d°
(4) Fantaisie /  Hsu Pen /  d°