samedi 31 mai 2008

Les Frégates Noires (2)



Vos longues voiles noires se croisent dans le ciel de la rue des Vierges, vos éclats d'ailes donnent consistance à ma pensée.
Lorsqu'ils s'adonnent au temps du vol vif, les martinets de la ville des Vierges célestes, sont de fins pinceaux d'encre de chine, des suspensions vibrantes du temps aimé.



" ... Les femmes que nous avons pu aimer, beaucoup plus que celles que nous aimons sont au ciel de vos ballets, et ce que nous écrivons pour vous c'est aussi pour qu'elles le lisent, car où que vous voliez elles sortent de leur ancienne paralysie et profitent de votre correspondance pour entendre à nouveau une lecture de lettres... Vous bordez le ciel d'un liseré testamentaire, la seule chose qui reste du souvenir du jour. Le parchemin où il est garanti qu'il fut pour un jour notre ciel... (1)



Je vous retrouve dans le printemps de la ville, rayonnants dans la rue pavée des Vierges gracieuses, je vous admire lorsque vous accompagnez de vos cordes portées les voix qui résonnent dans la Cour d'Honneur du Palais des Papes.


Régulièrement vous me donnez des nouvelles des fées que vous croisez le soir dans vos escapades nuageuses, vous me réveillez en grattant de votre plumier les carreaux des hublots de mon navire du siècle d'Or, et vous me conduisez dans des lieux que vous seuls connaissaient et qui abritent tous les secrets de plume de la ville des Vierges éblouies.




" ...En passant, vous passez par les miroirs comme un avertissement contre les cheveux blancs et vous faites ce qu'il faut pour rajeunir ceux qui croient en vous, car vous serez un jour la dernière mèche noire de leurs chevelures blanches... " (1)



Lorsque l'orage et la pluie défigurent le printemps, vous vous cachez dans les caves peintes où vous jouez au poker avec des merles et des chouettes chevêches.

à suivre


Que mille lunes rousses éclairent ton regard



Philippe Chauché



(1) Lettres aux hirondelles et à moi-même / Ramon Gomez de la Serna / André Dimanche Éditeur








jeudi 29 mai 2008

Les Frégates Noires

" Chères hirondelles,
Un autre printemps !
Voici que je vous ai vues revenir comme pour m'assurer que le monde tourne et que, par-dessus tout, le devenir persiste.
Vous êtes la joyeuse écriture d'une lettre quand déjà l'humanité s'est faite au régime des condoléances et qu'il faut continuer à vivre et avoir de l'espoir.
Vous écrivez vos lettres avec l'encre neuve de cette année et vous savez, bien sûr, que vous présidez le concert du monde civilisé, mais plus paisiblement que les autres.
D'abord je vous ai vues rentrer dans votre foyer de l'an passé et la première chose que vous allez faire, c'est couver vos hirondelles, pour qu'en votre absence elles sachent retrouver le chemin de leur nid sous mon auvent.
Votre sens de l'orientation est merveilleux, car, dans l'ignorance du nom et du numéro de la rue, l'homme lui-même, qui suit à pied les chemins, ne saurait trouver ce trou caché parmi les toits que, vous, vous trouvez toujours.
Je m'aperçois que vous êtes l'unique consolation de l'homme, l'affirmation tenace d'un doux anniversaire...
J'ai compris ce que vous me disiez en déchiffrant les signes que vous me faisiez hier : " Vis dans l'onde sereine et pour l'onde vague, lumineuse et éthérée et ainsi tu sauras aller vers ce que tu ne sais pas, comme tu as su entrer dans la vie à partir de ce que tu ne savais pas."...
Vous m'offrez l'enchantement de la richesse contenue dans un peu d'espace et un peu de temps, l'urgence de remplir les heures d'inquiétude, à griffonner des pages, écrire des lettres aux confidences les plus simples, à prodiguer d'architecturaux coups d'oeil aux gâteau de mariage à cent étages, colonnes de lumière pleines de symboles, arbres de poétiques fleurs d'oranger, volutes de caprices et de coeurs qui battent..." (1)

Vous êtes ces croches noires sur la partition du ciel, des messagers qui cachent sous leurs ailes nos lettres de vie et d'amour, des chandeliers gracieux qui éclairent nos rêves, vos cris sont des haïkus invisibles qui chassent le diable, vos dérives célestes inventent une autre géographie amoureuse du ciel.

" Dans le ciel je vois de nombreux et beaux oiseaux, mais c'est à vous que j'écris toujours parce que vous appartenez à l'union postale universelle de la pensée... " (1)

à suivre

Que mille martinets dessinent ton visage de déesse.

Philippe Chauché

(1) Lettres aux hirondelles et à moi-même / Ramon Gomez de la Serna / André Dimanche Éditeur / 2006



mercredi 28 mai 2008

Le Bonheur et les Notes

Les martinets le savent, la musique est là, il suffit seulement de se mettre en état de l'écouter, c'est simple, la musique est une évidence, elle éclaire le monde, les martinets le savent, eux qui chaque soir traversent le temps de la rue pavée une partition dans le bec. Il ouvrent leurs ailes et de leurs plumes légères tracent de lumineuses partitions, la musique est cette palpitation profonde du corps qui s'accorde au temps.
Quatre regards qui s'accordent, quatre respirations qui vibrent, la musique circule entre leurs doigts agiles, elle s'envole, et les martinets reconnaissent là quatre soeurs inspirées, elles viennent d'Oslo, s'appellent Berit Cardas, Oyvor Volle, Henninge Landaas, Bjorg Lewis, réunis dans le Quatuor Vertavo (1), elles viennent de se poser sur la scène de l'Opéra Théâtre de la ville des martinets.
Ce soir elles invitent Bela Bartok et c'est un éblouissement. La musique s'invente là sur l'instant, elle n'a jamais été aussi vivante, vivifiante, aussi riche, somptueuse, glorieuse, grâce de l'éclat, éclats de vie vécue, le violon de Berit Cardas cadence les lumineux accords du violoncelle de Bjorg Lewis, pour bien jouer il faut écouter ce qu'invente la musique intérieure, être dans le silence pour s'élever dans le chromatisme, pour bien jouer il faut sentir sur sa peau, dans son ventre, au centre de sa pensée musicale toutes les envolées tonales, la musique s'élève dans la fulgurance du vol des martinets.
Ce soir là dans la lumière du bonheur, les notes illuminaient le regard d'une fée attentive, les fées s'élèvent et rayonnent dans la musique.

Que mille violoncelles s'accordent à ton regard.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Quatuor Vertavo / Intégrale des Quatuors de Bartok / SIMAX / 2002

mardi 27 mai 2008

Autres Temps

" ... Là le soleil est du soleil, à la bonne heure !
Le vert est du vert, et de la chaleur à en crever, et
foutre, quand c'est rouge il fait rouge !
On est comme un tigre au milieu des bêtes plus
faibles. " (1)

Pardonnez-leur, ils ne savent plus ce qu'ils lisent, pardonnez-leur, ils ne savent plus lire, tout leur paraît fané, pourri, gangrené, les mots ne résonnent plus sur leur peau flétrie, pardonnez-leur, ils n'ont plus de mémoire, ils grignotent les pauvres romans qu'on leur offre chaque mois, romans qui finissent par fondre sous la foudre du soleil. Alors, alors, qu'ils sont là plus que jamais vivants, alors qu'ils vibrent, qu'ils virevoltent, qu'ils s'envolent, qu'ils honorent la vie et frappent au ventre le diable et ses admirateurs.

Qui mieux qu'elle, a une telle conscience du corps en mouvement et de la voix habitée, qui mieux qu'elle sait que les mots pour exister doivent venir du ventre, du muscle, de la peau, des cuisses, du sexe, des pieds, des jambes, des oreilles et de la bouche, qui mieux qu'elle les habite de plaisir et de bonheur ?

Elle est l'espace du mot, elle est le mouvement du verbe, l'hésitation de la poésie, la tentation du théâtre, elle s'aventure sur l'océan de Claudel, boussole lunaire, marbre de sable, rose éblouissante, son nom : Valérie Dréville, avec d'autres elle sera cet été dans la Carrière Boulbon pour le Festival d'Avignon, pour leur " Partage de midi ", honneur leur soit rendu.


" Après le long silence fumant,
Après le grand silence civil de maints jours tout fumant
de rumeurs et de fumées,
Haleine de la terre en culture et ramage des grandes
villes dorées,
Soudain l'Esprit de nouveau, soudain le souffle de
nouveau,
Soudain le coup sourd au coeur, soudain le mot donné,
soudain le souffle de l'Esprit, le rapt sec, soudain la pos-
cession de l'Esprit !
Comme quand dans le ciel plein de nuit avant que ne
claque le premier feu de foudre,
Soudain le vent de Zeus dans un tourbillon plein de
pailles et de poussières avec la lessive de tout le village ! " (2)

Que mille envolées de mots nourrissent tes pensées.

à suivre

Philippe Chauché



(1) Partage de Midi / Paul Claudel / Gallimard / Folio / 1985
(2) L'Esprit et l'Eau in Oeuvre poétique / Paul Claudel / Bibliothèque de la Pléiade / 1967

lundi 26 mai 2008

L'Espace Visible

" C'est une chose bien connue et souvent répétée, surtout par les hommes de l'art ; on ne devient pas torero ; on l'est de naissance. Tout au plus le sculpteur Venancio Blanco, spécialiste de sujets taurins et religieux, consède-t-il que " le torero, comme l'artiste naît ; après, il faut qu'il se fasse ". Formule que reprend mot pour mot le matador Juan Antonio Alcoba Macareno, professeur à l'École taurine de Madrid, en insistant sur le fait que le sentiment est l'essence même du torero, quels que soient par ailleurs les circonstances et les résultats de l'apprentissage : " On ne peut naître torero, ne jamais apprendre ni parvenir à l'être, mais ressentir le toreo de l'intérieur. " (1)

François Zumbiehl, le plus madrilène des français, auteur d'un admirable " Le Calife (Manolète) " (2) saisit ce qui fait aussi l'essence de la tauromachie, c'est à dire son imaginaire, il prend sa source dans le réel, ce que je vois là, ce que dis cet homme capote ou muleta à la main, puis tout se bouscule, tout s'envole, tout explose, s'envole en branchages et fleurs rares, autrement dit la tauromachie fait penser, fait inventer, fait imaginer, mais aussi, comment elle se raconte dans les mots des hommes de soie, ils disent ce qu'ils ont fait ou ce qu'ils font là dans le cercle doré, ce qu'ils font vraiment, ou ce qu'ils croient faire, ce qu'ils pensent faire, là encore, l'imaginaire s'invite.

La tauromachie est un roman, une philosophie, une éthique, un art d'être et de vouloir, de vouloir ce que l'on est, et d'être ce que l'on veut. Cela peut se vérifier chaque jour, il suffit d'être au rendez-vous, comme pour l'amour finalement.

Que mille fleurs de romarin parfument tes yeux.

à suivre

Philippe Chauché



Chaque jour dans le vent ou la pluie, entre deux éclats de lune ou de soleil nous nous faisons,
(1) Le discours de la corrida / François Zumbiehl / Verdier
(2) Le Calife ( Manolete ) François Zumbiehl / Marval 1995 / Autrement 2008 /

dimanche 25 mai 2008

La saveur et le Savoir

à P.A.B.

" Au commencement est le silence. " (1), le verbe viens plus tard, s'il vient, rien ne l'y oblige, rien ne presse finalement, rien n'oblige le verbe à être, alors que tout vient de ce silence, tout passe par lui, il y a ainsi des silences qui en disent long et des mots qui sonnent aussi creux qu'une cruche de terre rouge qui sort du four. Pour mieux savoir où nous en sommes avec avec le verbe, il est heureux de l'exposer au silence, un petit jeu très instructif constituerait à rendre silencieux les premiers mouvements de toute aventure amoureuse.
Au commencement est le silence, le corps en sait quelque chose, ou en tout cas devrait le savoir, l'évidence éclate dans l'amour, dans la musique et dans l'écriture, c'est bien d'un corps que nous parlons et pas seulement, on saisit tout de suite s'il tient le coup face au silence, ou s'il disparaît, il en va de même du corps du torero, il en va de même de celui qui regarde de son tendido, regarde et attend en grand silence, cela devrait en tout cas être ainsi.

Au commencement est le dessin au fusain, il s'agit de saisir le mouvement, d'esquisser ce que seront les esquives, de présager de l'immobilité. Le corps amoureux du torero offre sa toile jaune aux éclats de peau et de cornes. L'art de l'accord et du désaccord, la saveur et le savoir, tout un art conjugué !

" Dans la vie et dans le monde des toros il est nécessaire qu'il y ait des brouillons. Je dirais même que dans les bonnes faenas j'aime que tout à coup il y ait quelque chose qui ne sait pas la perfection. " ... " Je n'aime pas ce qui est parfait ; j'aime ce que je sens. "... " L'important est d'embarquer le toro jusqu'à la fin de la passe de muleta. Jusqu'à ce que cela semble ne pas se terminer, et qu'on prolonge la charge du toro au-delà de ce qui est normal. C'est cela l'idée que j'ai de ma faena rêvée, que chaque passe de muleta n'a pas de fin. " (2)
Au commencement est le silence, et le mot vient, l'image surgit, il s'agit de dire et de redire, ce qui a été vu, de dire et de redire ce qui est invisible.
à suivre
Que mille redondos soulignent ta grâce.
Philippe Chauché

(1) Le discours de la corrida / François Zumbiehl / Verdier
(2) Curro Romero, Morante de la Puebla, Miguel Abellan in Le discours de la corrida / François Zumbiehl / Verdier

jeudi 22 mai 2008

L'Art du Large

" De nos jours, l'amour est en exil, a dit Ravèse, c'est ce qui se vérifie partout où nous pouvons encore poser notre regard. Il n'est d'ailleurs pour s'en convaincre que d'éventer la couche des amants, leurs draps empestent le grabat avec une telle intensité qu'on jugerait presque que c'est l'amour qui est malade. En vérité, l'amour ne s'y trouve pas, on lui a substitué des corps qui sentent la métastase et la charogne, a dit Ravèse, et c'est précisément ce qu'il a de neuf dans cette affaire, c'est précisément dans cette déglingue que nous pantelons à moitié vifs comme des homards en promotion sur les étals de satan. Voyez-vous, si l'on peut affirmer qu'il en est séparé, il n'existe pas pour autant dans un royaume imaginaire d'où il chuterait parfois pour nous cogner la tête, non, l'amour n'est pas une flèche suspendue à l'arc de Cupidon, c'est même tout le contraire, a dit Ravèse, il est la transfiguration d'un corps qui déciderait contre la terre entière que le trépas n'est rien pour lui. Bien sûr, cette décision se vérifie à deux, pourtant cette décision qui est à tous les égards la décision la plus courageuse que l'on puisse prendre, eh bien, cette décision est avant tout la décision d'un corps seul, luttant seul, absolument seul, contre les préventions les plus courantes, et donc contre les préventions les plus ignobles, a dit Ravèse; Testez cette vérité auprès de la canaille humaine, dites dans un de ces dîners mondains où les soi-disant élites sociales se réunissent pour cimenter leur corruption et leur bêtise, dites que vous ne croyez pas au trépas, ou pire, que vous croyez en l'amour, on vous rétorquera incontinent que le trépas est une certitude et que l'amour s'effiloche avec le temps qui assassine. " (1)

Les phrases, souvent, il s'amuse à les faire tourner sept ou huit fois dans sa bouche avant de les écrire, parfois le jeu dure encore plus longtemps. Les phrases dit-il en ces instants, c'est comme un vin de garde, un Châteauneuf du Pape, par exemple, mais il y en a d'autres des exemples ajoute t-il, alors restons en là ! Les phrases donc, ont besoin de l'air intérieur avant de goûter à l'air extérieur. Tenez dit-il, celle là, elle est restée au moins deux jours en bouche, c'est là que sa robe a pris toute sa divine richesse, si vous doutez de l'existence de la robe des phrases, ce qui suit ne vas pas améliorer les choses, ajoute t-il. C'est donc là, que sa robe a pris d'autres courbes, certains, alors ont pu me surprendre la goûtant, la faisant circuler dans son air intérieur, les mains dans les poches, les jambes des pantalons retroussées, les pieds nus dans le sable au ras de l'écume blanche et grise, sur une plage des Landes, dans un espace vide d'humains en mal de vagues à l'âme, et comme il est question de la vie, dans les phrases, et de l'amour, dans ces mêmes phrases, et du diable, l'immortalité des phrases a épousé ma langue, me souffle t-il, ma gorge, mes gencives, mes dents, le rouge intérieur de mes lèvres, mon palet, et même mon nez. Prêt à tout sentir mon nez, m'a t-il dit, prêt en tout cas à sentir ce que ces phrases ont de vie et de joie, alors qu'il conviendrait qu'il sente la mort. Vous avez remarqué a t-il ajouté, que ces humains ne cessent de dire qu'ils sentent la mort venir et l'amour finir, alors que pour ma part, je ne cesse de sentir la vie et la victoire de l'amour. Puis les phrases s'élancent, comme les filles de Pina Bausch, elles dansent les phrases, dans la musique silencieuse du temps apaisé. Puis d'autres phrases sont accueillies, celles-ci par exemple :

" Si quelqu'un peut mettre dix mois de réflexion pour juger son amante - mince problème où il ne donne, en vitesse et en profondeur, que sa propre mesure - il existe au contraire des journée de conflits historiques où il faut savoir juger des facteurs mille fois plus complexes en une heure. Il n'y a pas de progrès cumulatifs garanti dans la conscience, les connaissances, les oeuvres, d'un révolutionnaire - on peut dire aussi : d'un homme, d'une femme. Il y a des embranchements de la vie où il faut tout de suite choisir telle voie, des sauts qualitatifs, des occasions manquées et des retombées. Il ne faut pas craindre les erreurs - qui sont forcément, un jour ou l'autre, inévitables - mais la mauvaise manière de les reconnaître. Certaines erreurs ne sont qu'une perte de temps : le temps qu'elles ont duré. D'autres vous ferment, pour longtemps ou définitivement, des possibilités théoriques et pratiques qui étaient à un moment saisissables. On n'a pas reconnu à l'heure qu'il fallait, par exemple, un moment révolutionnaire, ou une personne, tout un côté virtuel et proche de la réalisation de soi-même. (2)

C'est par une nuit coupante comme un poignard andalou qu'il m'a dit tout cela, toute l'histoire des phrases soumises à son air intérieur, avant d'être exposées à l'air extérieur, cette nuit de toutes les victoires dura un siècle. Un siècle baigné de phrases et de vins blancs de la Mancha, soyeux et épais comme des Capotes et troublantes comme les jambes de nos amoureuses. Nous avons ainsi inventé le siècle d'une nuit du crime inversé. Ces phrases ne pouvaient nous entraîner que sur cet échiquier là, décrit plus haut, nos cavaliers avaient l'allure de rois, nos rois savaient se retirer avant que ne s'écroule leur réputation, la notre était décidément sans faille. Notre chemin de vie passait par quelques bars de nuit où s'affinent quelques révolutions permanentes, alors que ces femmes et ces hommes croisés n'esquissent que leur misérable petit théâtre pornographique qu'ils alimentent de niaises pensées moisies, sur la mort, la vie et l'amour, le diable s'en frotte les sabots, comme le font les taureaux lorsqu'ils s'ennuient un dimanche aux arènes. Quant à nous, nous avions plus que jamais pris le parti de la vie qui incendie la mort.

Que mille dérives accompagnent tes aventures.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Grand Art / Valentin Retz / Gallimard / L'Infini
(2) Guy Debord in Debord ou La diffraction du temps / Stéphane Zagdanski / Gallimard

mardi 13 mai 2008

Cap au Sud

Durant quelques jours ce blog se met en veille, le temps d'embrasser le Large et ses Déesses et de défier l'Espace.

Que mille mouettes glissent dans ton regard.

à suivre

Philippe Chauché

lundi 12 mai 2008

Angles d'Attaque

" Qu'est-ce que la virtù ? Une " vertu " issue de la Renaissance italienne, amplement employée par Machiavel sous une acceptation complexe et énigmatique. Nietzsche en donne dans La Volonté de puissance une définition qui correspond point par point à l'éthique de Guy Debord : " Je reconnais la vertu : 1° à ce qu'elle ne réclame pas d'être reconnue; 2° à ce qu'elle ne suppose pas partout la vertu, mais plutôt tout autre chose; 3° à ce qu'elle ne souffre pas de l'absence de la vertu, mais considère au contraire que cette rareté établit une distance propre à la respecter tant soit peu ; 4° à ce qu'elle ne fait pas de propagande...5° à ce qu'elle ne permet à personne de s'ériger en juge ; parce qu'elle est toujours une vertu pour soi ; 6° à ce qu'elle fait de préférence tout ce qui est généralement défendu ; la vertu, telle que je l'entends, est le véritable veritum à l'intérieur de toutes les législations grégaires ; 7° bref, à ce qu'elle est la vertu de style Renaissance, la virtù, exemple de virus moral... " La virtù plus spécifiquement machiavelienne est d'abord une intrépidité intrinsèque, une physiologie du courage, une force d'âme qu'aucun combat ne rebute. Dans la Première Décennale, elle désigne l'aiguillon qui propulse la fureur des " robustes Français " et leur fait renverser les troupes italiennes. Debord possédait au plus haut point cette détermination impavide. Une anecdote que rien ne permet d'infirmer en témoigne. En mai 68, un colosse des barricades propose de gagner les C.R.S. à la cause de la révolution en vue de lutter contre ses ennemis futurs ; l'auteur de La Société du Spectacle enlève calmement ses lunettes et balance sans tergiverser au molosse mal inspiré un formidable soufflet, histoire de lui enseigner la dialectique selon la méthode préconisée par Hegel pour démontrer à un phrénologue l'invraisemblance de ses conjectures : en lui brisant le crâne... " (1)

Ce livre, dévoile s'il en était besoin la fumisterie éditoriale qui célèbre le quarantième anniversaire de mai 68, histoire nette, précise, argumentée, et rayonnante de ce soufflet. Lisons :

" Il existe un rapport intime entre le passage du temps et une certaine forme de jeu, au double sens de la joie ludique et du décalage, comme lorsqu'on dit que du bois joue. Pour échapper à la pure complaisance contemplative envers le cours du monde - celle du spectateur, soit celui qui " regarde de loin" -, une singulière approche diffractée du temps est indispensable, fondée à la fois sur le don inné, jamais assoupi, du kaïros, et sur le sens du vrai.
Debord possédait au plus haut point cette fibre joueuse. " Je n'ai jamais su que jouer ", déclarait-il à Gilles J. Wolman dès 1953, comme il le rappelle dans le Manifeste pour la construction des situations : " Je crois que cette vérité devra être, après tous les trucages également inutiles de l'affection ou de l'hostilité, le dernier jugement sur mon compte. " (1)


On aura finalement tout écrit sur Debord, exercices d'admiration pétrifiés, cours théoriques de stratégies guerrières, témoignages pris sur le vif, critiques féroces, moqueries, regrets de ne pas avoir partagé avec lui quelques dérives françaises, italiennes et espagnoles, mises en perspectives historiques et hégéliennes, que sais-je ! Même constat finalement pour Marx.

Zagdanski propose une lecture directe et complexe qu'il nomme La diffraction du temps, essentielle à ses yeux, troublante aux nôtres :



" Diffracter signifie étymologiquement rompre en morceaux, et la diffraction désigne la déviation d'un rayon de lumière traversant un corps opaque.
La première et la plus concrète démonstration par Debord de ce parti pris de fractures et d'opacité reste la troublante photographie de 1951, dont la pellicule - conformément à la méthode " ciselante " inventée par Isou - a été volontairement piétinée : nonchalamment vêtu de noir, mains dans les poches, tête légèrement penchée sur sa droite, le visage à moitié dans l'ombre, l'élégant Guy défie les zombies zieuteurs. La nef qu'indique cette floutée de proue appareille pour le solitaire maelström du temps. " (1)



Cette diffraction va se jouer sur le terrain révolutionnaire, dont l'acte fondateur sera d'évidence, ce " Ne Travaillez Jamais " inscrit sur le mur de la rue de Seine en 1953, dans la fondation de l'I.S., et sa mise en situation dans la directive n° 2 " Réalisation de la Philosophie ", tout un programme, dont les actes apparaissent là devant nous dans le livre de Zagdanski, diffraction du cinéma dès ses premiers films " invisibles " et d'évidence dans " In girum imus nocte et consmimur igni ", que l'on peut lire comme une diffraction de " La Divine Comédie ", pas moins, c'est ainsi. Poursuivons :

" A l'entreprise collective de l'I.S. va ainsi succéder une série de relations d'amitié sincère ( avec Lebovici, Sanguinetti, Juvénal Quillet, Jaime Semprun, Jean-François Martos... ), et surtout le renforcement de la complicité précieuse d'Alice - à qui sera dédié le film La Société du Spectacle -, complicité qui ne décroîtra plus, et qui ne ressortit pas seulement de l'existence d'un couple véritablement libre tel que Debord le décrit en conclusion de sa lettre à Loiseau : " Un couple réel se vérifie en ceci qu'il peut aller librement à travers la vie, et toutes ses circonstances, en se renforçant comme accord effectif qui ne mutile les virtualités ni de l'un ni de l'autre... " (1)

A propos de Gianfranco Sanguinetti et de sa thèse, qui fût aussi celle de Debord, sur l'assassinat d'Aldo Moro, ce qu'il nomme fort justement le terrorisme défensif, sur le terrorisme des Brigades Rouges, qui tombait " à pic ", permettant à l'Etat italien de sortir grandi de cette supercherie criminelle, bref sur l'implication réelle ou dissoute des services secrets dans l'assassinat d'Aldo Moro, il est amusant d'entendre aujourd'hui, et non pas hier, quelques défenseurs publics de cette thèse, les mêmes finalement qui pourfendaient celle de Sanguinetti et Debord, se demander si finalement derrière tout cela, il n'y avait pas la " main de l'Etat d'alors ". Pour mémoire " Du Terrorisme et de l'Etat " fût publié en Italie à la fin du mois d'avril 1979, et en France en 1980. (2)


Ce qui a toujours dérangé chez Debord, c'est à la fois, l'art de vivre à chaque instant ses théories, sa présence sur tous les fronts vifs de la guerre sociale, son absence du front médiatique, cette disposition de ne composer qu'avec ceux qui le méritent, ses façons d'écrire et de vivre les villes françaises, italiennes et espagnoles qui l'auront un temps accepté et un autre chassé, cette traversée de la " belle langue classique ", qui ne cessera de nourrir la sienne :

" J'ai ( même ) séjourné dans une inaccessible maison entourée par des bois, loin des villages, dans une région extrêmement stérile de montagne usée, au fond d'une Auvergne désertée. J'y ai passé plusieurs hivers. La neige tombait des jours entiers. Le vent l'entassait en congères. Des barrières en protégaient la route. Malgré les murs extérieurs, la neige s'accumulait dans la cour. Plusieurs bûches brûlaient ensemble dans la cheminée.
La maison paraissait s'ouvrir directement sur la Voie Lactée. La nuit, les proches étoiles, qui un moment étaient intensément brillantes, le moment d'après pouvaient être éteintes par le passage d'une brume légère. Ainsi nos conversations et nos fêtes, et nos rencontres, et nos passions tenaces. " (3)

Que mille girandoles s'allument sous tes pas.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Stéphane Zagdanski / Debord ou La diffraction du temps / Gallimard / 2008
(2) Gianfranco Sanguinetti / Du Terrorisme et de l'Etat / Grenoble MCMLXXX
(3) Guy Debord / Panégyrique / Tome Premier / Éditions Gérard Lebovici

vendredi 9 mai 2008

Le Visible et l'Invisible

Cela pourrait se lire comme un jeudi de lumière, du visible et de l'invisible, cela pourrait se voir comme un état de grâce, de saveur et de savoir. Les grands toreros ne montrent pas ce qu'ils dessinent sur le sable, les grands toreros inscrivent leurs faenas dans notre mémoire à l'encre sympathique. Julian Lopez El Juli a le savoir d'un père de la tauromachie et la saveur miraculeuse d'un encyclopédiste. Le jeune homme est un mathématicien de l'allégorie secrète, un peintre du vide, un musicien du silence et de l'invisible.

" Rosée blanche sur la ronce
une goutte
sur chaque épine " (1)

Que les fées le protègent.

Que mille transparences te parlent de moi

à suivre

Philippe Chauché

(1) Buson / Anthologie Haïkus / traduct. Roger Munier / Fayard

mardi 6 mai 2008

Le Silence des Anges

Voilà l'homme, vivant, arboré de notes, il accompagne le silence des anges.

Que mille partitas te protègent du diable

à suivre

Philippe Chauché

lundi 5 mai 2008

Trames


" Comme Laugier, " dont presque plus personne ne connaît le nom ", dirait Richard avec le mépris de ce qui existe pour ce qui n'existe pas, ce qui n'existe pas étant ce dont on n'a pas parlé depuis trois semaines. Je l'entends et le vois lui aussi, Laugier, voix plutôt aiguë, nette : plutôt pâle ; il n'a jamais été enregistré ni filmé, c'est son chef-d'oeuvre, un vrai trou noir littéral... Trois livres brefs, une ou deux photos, tassé, il boit de la bière, il reste enfermé chez lui, il joue aux échecs, " plusieurs illégalités à la fois ", ce sont ses mots. Mystique d'un genre nouveau, hyper rationnel, pile de négativité, il a suicidé la société en lui, pas de martyre, mais seulement une présence, démontrant, par son seul refus, l'irréalité voulue, orchestrée, la falsification permanente. " Ah, Laugier "... Pour quelques-uns, ce nom résonne parfois comme une sorte de jugement dernier redouté, honte, rappel des dates et des dossiers de la corruption générale. Un de ses meilleurs amis a été assassiné, lui non, c'est étrange. Il ne s'est pas tué, ce qui est encore plus étonnant. Il n'est pas non plus devenu fou, malgré le désir explicite et constant de ses contemporains. " (1)

" Avions-nous à la fin rencontré l'objet de notre quête ? Il faut croire que nous l'avions au moins fugitivement aperçu ; parce qu'il est en tout cas flagrant qu'à partir de là nous nous sommes trouvés en état de comprendre la vie fausse à la lumière de la vraie, et possesseurs d'un bien étrange pouvoir de séduction : car personne ne nous a depuis lors approchés sans vouloir nous suivre ; et donc nous avions remis la main sur le secret de diviser ce qui était uni. Ce que nous avions compris, nous ne sommes pas allés le dire à la télévision. Nous n'avons pas aspiré aux subsides de la recherche scientifique, ni aux éloges des intellectuels de journaux. Nous avons porté de l'huile là où était le feu. " (2)
" Kant a beau dire : " Le temps n'a qu'une seule dimension ". Le Programme occidental a beau acquiescer à cette phrase depuis que l'Occident existe, tu as le droit de contester ce mensonge maquillé en évidence.
Oui, tu as le droit de contester la tripartition du passé, du présent et du futur.
Sans entrer dans les colimaçons du délire, quiconque t'impose de recevoir comme une vérité la phrase de Kant cherche à mettre ta ciboule en cage.
La question devient alors : acceptes-tu qu'on mette ta ciboule en cage ? " (3)
Je vis le présent au futur, le futur au passé, et le passé au présent, question de tempérament, d'activisme amoureux.
Je vis l'instant comme une floraison biblique, et l'histoire du temps comme un palindrome rigoureux.
Il faut traverser le temps pour le renverser, et le renverser pour le traverser. Question profondément politique, c'est ainsi que nous entendons le politique. Le temps vif du politique est à notre portée, il suffit seulement d'ouvrir les oreilles et de les désensabler.
Que mille signes du temps éclairent ton regard.
à suivre
Philippe Chauché
(1) La Fête à Venise / Philippe Sollers / Gallimard / 1991

(2) In girum imus nocte et consmimur igni / Guy Debord / Éditions Gérard Lébovici / 1990

(3) L'Axe du Néant / François Meyronnis / L'Infini / Gallimard / 2003

dimanche 4 mai 2008

Le Silence du Printemps

" Il est midi
les loriots sifflent
la rivière coule en silence " (1)
" Pourquoi Issa écrit-il ? Pour rien, certainement, et juste afin de constater la longue inutilité de la fête sans fin de sa vie...
Ce n'est pas qu'Issa ait trop de respect pour la poésie, qu'il se sente indigne d'elle. Au contraire. Pour s'y livrer avec l'arrogance que les autres y mettent, il manque juste d'assez de sérieux et d'un peu de courage. Il se dit qu'au fond cela suffit et qu'il y a déjà eu asses de mots posés sur le monde au cours des siècles, de poèmes fatiguant l'horizon de toue leur solennité vaine, que la lune, l'étang, la neige, les fleurs de cerisiers ont bien mérité qu'on les laisse un peu tranquilles, qu'on les abandonne au grand silence calme qui leur convient. Si Issa se résout à écrire, peut-être est-ce avec la certitude que cette décision ne l'engage à rien, que toute histoire est finie, qu'il n'y a rien à ajouter du tout à ce que d'autres ont dit, qu'il est juste question de s'effacer, de fatiguer sa vie dans insignifiance paisible d'un temps qui, de toute façon s'enfuit.
Écrire, il le sait, est juste une façon de laisser pour personne un signe dans le soir :
au soleil couchant - sur un mur pour toi j'écris - j'ai été ici. " (2)
" Les nuages accélèrent
au rythme du cri
du coq de bruyère. " (1)
Touches blanches dans le bleu du ciel
Silence du printemps
J'ouvre les yeux
Sur le temps
Silence du printemps
Dans la rue des anonymes
Silence du printemps
Lèvent les yeux vers les statues des vierges
Silence du printemps
Demain je prends le dernier bateau
Silence du printemps
La pluie n'effacera pas mon passage ici
Dans le silence du printemps.
Que mille mouettes se posent sur le pont de ton bateau
à suivre
Philippe Chauché
(1) Kobayashi Issa / Anthologie Haïkus / traduct. Roger Munier / Fayard
(2) Philippe Forest / Sarinagara / Gallimard

vendredi 2 mai 2008

L'Invisible

" Matisse le Peintre ne sortit qu'une fois de sa toile.
Matisse se plaignait sans cesse à ses proches :

- Je suis trop dans ce que je fais. Je ne peux pas m'en sortir.
Un jour, au mois de novembre 1944, Matisse travaillait à son ordinaire à une toile toute jaune, dans
son atelier. C'est le jour où sa fille Marguerite rentra de déportation.
Tout d'abord, un instant, sa fille, poussant la porte, maigre de façon indicible, lui fut méconnaissable.
Bien sûr, après un instant de retard, il fonce vers elle, il serre sa fille dans ses bras.
Cette toile s'appelle La lectrice à la table jaune.
C'est la seule peinture de Matisse restée inachevée.
Jamais plus il ne put rentrer à l'intérieur de cette toile et la poursuivre.
La vera icona brisant la figuration. " (1)

On disait de lui, qu'il s'était installé dans le silence, que la musique l'avait abandonné, comme un os de sèche sur le sable par la marée descendante, on disait aussi, que depuis ce jour là, il n'avait plus ouvert son piano, on disait tant de choses sur lui, mais on ignorait qu'il avait franchi cet espace où la musique du silence vibre sous le regard, ses yeux chantaient, ses mains chantaient, ses bras s'envolaient dans le vide. Ils avaient voulu faire disparaître les musiciens, ils avaient brûlé les partitions, écrasé les violons, mais son silence absolu était musique.

Que mille fontaines de jouvence baignent tes pieds.

à suivre

Philippe Chauché


(1) La lectrice jaune / Pascal Quignard / Les Paradisiaques / Grasset

jeudi 1 mai 2008

La Voix et le Regard


" Écoute ce rossignol
sur la branche naissante ;
comme le plaisir l'envahit
et comme il sait parler d'amour.
S'envolant joyeusement,
fidèle, il cherche son nid
et le doux plaisir qui l'y attend. " (1)

" C.B. - Ce qui me frappe, et qui est amusant, c'est qu'on joue la musique de Vivaldi, de Haendel, de Hasse, et les jeunes sont très intéressés, plus encore que dans les autres générations : Vivaldi parle plus que Puccini. Pourquoi ?
P.S. - Mais parce le XIX ° est un siècle de vieux, et après, ce sont des vieux qui se massacrent les uns les autres. C'est moisi... Aujourd'hui la notion du temps est abolie. Tout est là. D'accord, mais c'est fallacieux. Car " tout est là " veut dire : " rien n'est là " ! Nous sommes les premiers humains qui avons la faculté de comprendre tout ce qui a été fait autrefois, alors que nous n'y étions pas. Voilà une responsabilité extraordinaire. Nous sommes les premiers à avoir une aussi grande information. J'insisterais personnellement sur le mot " jeune ", que vous utilisez, Cecilia, à propos du baroque. C'est une sensation érotique qu'ont les jeunes, c'est une énergie érotique. Érotique, au sens de la singularisation du désir. Vivaldi, c'est l'extase. Mozart aussi, d'ailleurs.
C.B. - Mais alors pourquoi Vivaldi a-t-il provoqué cette extase, non en 1950 mais aujourd'hui ?
P.S. - Parce qu'en 1950 nous sortions d'un des plus grands ravages de l'histoire mondiale, d'une morbidité intégrale : nous venions d'écraser l'humanité, avec tout ce que l'on sait. C'est tout ! Avec des gens comme Deller, tout un négatif était évacué. C'était la vengeance contre la joie ! Idem pour vous.
C.B. - Ce que vous me dite me fait très plaisir. Je viens de passer à la bibliothèque de Turin, et l'on recherche de plus en plus les manuscrits de Vivaldi que j'ai enregistrés dans mon récital pour en faire des intégrales. Comment aurais-je pu imaginer cela ? Et pourtant, c'était un projet assez difficile à mener au départ car ce n'était pas un répertoire populaire : convaincre une maison de disque de faire un disque de musique inconnue de Vivaldi, ça n'était pas évident : on a accepté ça un peu comme un cadeau. " (2)

C'est une déesse, une déesse qui ne s'embarrasse pas du nihilisme dominant, elle a compris qu'il n'avait point de prise sur la musique, d'évidence sur celles là, Vivaldi, Haendel, Mozart, sainte trinité que rien ne peut atteindre, et ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé, pornographies cinématographique et publicitaire, ( les deux faces d'une même bêtise ), mais la musique, cette musique là résiste à tout, elle est inviolable, irrécupérable, elle est bénie des dieux, et Cécilia Bartoli l'a compris d'évidence.

Jamais femme n'aura ainsi chanté, jamais la musique n'aura aussi bien caressé les mots, jamais les mots n'auront été aussi éclatants, chez elle tout est musique, elle embrasse les partitions, elle doit rendre les pianistes fous de bonheur. Écoutez cette vague, écoutez cela résonne de bonheur, d'un érotisme absolu, écoutez la joie, l'art de la joie, écoutez comment chante cet ange là, bien vivante, qui sait beaucoup de chose sur son sexe, Mozart dit-il autre chose dans Cosi ?

C'est le sublime de la contre - réforme, cet art du baroque qui explose et embrasse le ciel d'étoiles et de déesses.

Que mille mandolines bercent ta démarche.

à suivre

Philippe Chauché
(1) Dell'aura al sussurrar - extrait - Cecilia Bartoli - The Vivaldi Album / Il Giardino Armonico / Decca
(2) Entretien Cecilia Bartoli - Philippe Sollers - 27 février 2003 - 16 h / Gallimard / L'Infini n° 84 / Automne 2003