Marquise de La Ferté Imbault 1715 - 1791
" Nos plaisirs amoureux cette seconde fois nous semblèrent plus solides ; nous crûmes de les savourer avec plus de délicatesse, nous y raisonnions dessus. Elle me pria de faire tout mon possible pur la rendre féconde, car dans le cas que son père s'obstinât à ne pas vouloir qu'elle se mariât si jeune, il changerait d'avis quand il la verrait grosse. J'ai dû lui faire un doctrinal par lequel elle comprit que l'enfantement ne pouvait dépendre de nous qu'en partie ; mais qu'il était probable qu'il arrivât une fois ou l'autre principalement quand nous nous trouverions dans la douce extase en même temps.
Travaillant donc à la chose avec étude et attention, après deux épreuves qui selon allèrent très bien, nous passâmes quatre bonnes heures à dormir. J'ai appelé ; on nous porta des bougies, et après avoir pris du café nous recommençâmes nos travaux amoureux pour parvenir à l'accord de cette mort source de vie qui devait assurer notre bonheur. Mais l'aube étant venue nous avertir que nous devions retourner à Venise, nous nous habillâmes à la hâte, et nous partîmes.
Nous fîmes la même partie le vendredi, et je crois devoir faire grâce au lecteur du détail de notre entretien qui quoique toujours nouveau pour ceux qui s'aiment, ne paraît souvent pas tel à ceux qui en écoutent les circonstances. Nous avons fixé notre dernière partie au jardin pour le lundi dernier jour des masques. La seule mort pouvait m'y faire manquer, car ce pouvait être le dernier jour de nos jouissances amoureuses. " (1)
- Casanova semble vous inspirer mon ami !
- Je vous avoue que vous m'inspirez en cette circonstance plus d'emportements que l'écrivain vénitien, sans pour autant lui enlever le moindre de ses mérites, dont le raisonnement amoureux, et vous l'avez je ne puis en douter, compris, s'appuie à la fois sur la volupté d'un corps qui sait s'offrir et d'un verbe qui ne se fixe point de limites, vous pouvez chère et douce amie inverser à loisir les deux propositions.
- Un peu comme vous m'invitez à inverser le motif.
- Je vois que mes leçons portent leurs fruits et vous rendent encore plus désirable.
- Et justement si vous m'en entreteniez une nouvelle fois !
" Ce n'est pas en dilettante que Casanova écrit ses Mémoires. Il écrit furieusement, dans une fièvre, un défi à ses forces physiques, incompréhensibles pour qui voulait réduire le comportement de Casanova écrivain à un simple passe-temps, une consolation pour libertin à la retraite. " J'écris treize heures par jour, qui me passent comme treize minutes ", peut-on lire dans une lettre à son ami Opiz. Et, ailleurs, dans la même correspondance : " J'écris du matin au soir et je peux vous assurer que j'écris même en dormant, car je rêve toujours d'écrire. " Cette omniprésence de l'écriture dans l'existence de Casanova au château de Dux, cet autre temps dans lequel il se jette éperdument ( le temps de la construction d'une phrase, de la recherche d'un mot, de la trouvaille d'une image ), ne signifient pas, par leur intensité, que Casanova, lorsqu'il écrit, est tout entier livré à son passé dans une sorte de fusion affective quasi hallucinatoire qui effacerait complètement la réalité qui l'entoure. Non, Casanova écrit d'où il est, c'est-à-dire de très loin. Et ce qu'il utilise de ses souvenirs est vu d'un regard froid... Le regard froid du libertin, mais aussi de celui de qui connaît soi-même et les autres d'un savoir où perce, sur le fond d'une tendresse, la nuance sûre d'un mépris... La positivité, l'euphorie des écrits de Casanova, ne renvoient pas à la naïveté d'un sujet content, mais à l'indifférence d'un sujet éloigné qui revit sa vie d'un point où tout cela ne le concerne plus et, sans doute, ne l'a jamais complètement concerné. " (2)
Catalogue, comme chez Da Ponte ( Casanova l'a aidé à quitter Venise où l'orage de l'inquisition grondait ) dans Don Giovanni de Mozart :
" La Tintoretta ( Venise ) Elle le reçoit en princesse et lui pose des questions en français. Henriette ( Parme ) La préférée. Aventurière déguisée en officier, femme du monde et musicienne... Elle est la parfaite incarnation de sa prédilection pour l'esprit français. Ancilla ( Lyon ) Grande courtisane vénitienne qui se vend pour très cher ou se donne pour rien, à condition qu'on sache lui expliquer la nature de son désir. Esther ( Amsterdam ) Quatorze ans, riche et célèbre. Une jolie peau, des yeux " parlants, très noirs et très fendus ". Joue très bien du clavecin, adore lire. ( nous sommes bien loin du tourisme sexuel dominant et des radotages de très vieux écrivains, des enflures publicitaires et marchandes de DSK et d'Onfray, ce siècle a les libertins qu'il mérite - c'est moi qui précise - ) L'actrice Toscani et sa petite fille ( Bonn ) Voluptueuse matinée avec elles deux. Il éteint en la mère le feu que l'enfant allume en son âme... Clémentine ( campagne milanaise ) Il lui offre des centaines de livres et des robes. Petite fille prostituée ( Vienne ) Elle le séduit par son latin. " (2)
- Vous voilà, me semble-t-il, bien heureuse.
- Ce qui se lisait sur mon ventre, se lit aussi sur mon visage.
- J'avoue chère élève, que vos progrés sont constants.
- Tout le mérite vous en revient.
- Je ne mérite d'autres mérites que celui de m'accorder avec une certaine oreille aux délices que vous me dévoilez.
- Alors nous poursuivons ?
- Et Casanova n'en sera pas dépaysé.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Casanova / Histoire de ma vie / Robert Laffont / 1993
(2) Casanova Un voyage libertin /Chantal Thomas / Denoël