jeudi 31 décembre 2009

Questions de Décembre

Un livre lu et relu cette année ?

Un disque découvert et écouté sans arrêt ces derniers mois ?

Ce dont vous êtes le plus fier ?

Ce que vous regrettez ?

Ce que vous seriez prêt à recommencer l'an prochain ?

Votre idée de la Joie en cette fin d'année ?

Votre idée de la littérature ?

Votre idée du Bonheur ?

Votre idée du Temps ?

Votre idée de la jouissance ?


mais aussi :

Le principal trait de votre caractère ?

La qualité que vous appréciez chez un homme ?

La qualité que vous appréciez chez une femme ?

Ce que vous appréciez le plus chez vos amis ?

Votre principal défaut ?

Votre rêve de bonheur ?

Quel serait votre plus grand malheur ?

Ce que vous voudriez être ?

La fleur que vous aimez ?

L'oiseau que vous préférez ?

Vos auteurs favoris en prose ?

Vos poètes préférés ?

Vos héros dans la fiction ?

Vos compositeurs préférés ?

Vos peintres favoris ?

Vos héros dans la vie réelle ?

Vos héroïnes dans la vie réelle ?

Ce que vous détestez par-dessus tout ?

Caractères historiques que vous méprisez ?

Le fait militaire que vous admirez le plus ?

La réforme que vous admirez le plus ?

Le don de la nature que vous voudriez avoir ?

Comment aimeriez-vous mourir ?

État présent de votre esprit ?

Fautes qui vous inspirent le plus d'indulgence ?

Votre devise ?

mais aussi :


Vous regrettez l'année qui s'achève ?

Vous doutez de celle qui s'annonce ?

Vous finissez l'année heureux ?

mais aussi :

D'où viennent ces premières phrases ?

" Tout va très vite, maintenant, en plein dans la cible. "

" J'aurai passé ma vie à chercher des mots qui me faisaient défaut. "

" Le désastre ruine tout en laissant tout en l'état. "

" On est entré dans une zone de chocs. "

" Seul, sur le quai désert, en ce matin d'été,
Je regarde du côté de la barre, je regarde vers l'Indéfini,
Je regarde et j'ai plaisir à voir,
Petit, noir et clair, un paquebot qui entre. "

" C'est maintenant qu'il faut reprendre vie. "

" Par hasard, la fin du monde a commencé sous ma fenêtre. "

" Il faut avoir été réellement incarné pour ne pas perdre sa chair et la retrouver enfin dans cette même enveloppe. "

" Qu'y a-t-il de plus engageant que l'azur si ce n'est un nuage, à la clarté docile ? "

" Pour parler franc, là entre nous, je finis encore plus mal que j'ai commencé... "

" Tel qu'en lui-même l'éternité le chante. "

Qu'elle est la phrase qui cette année vous a ébloui ?

Celle que vous avez écrite dont vous êtes le plus fier ?


à suivre

Philippe Chauché

mercredi 30 décembre 2009

La Laitière de Bordeaux




" Madrid s'est endormi, il sent une tension monter dans son ventre, ses vieux démons s'invitent, le sommeil l'oublie, il se dit que dès demain, il prend le premier train pour la frontière, oublie tout, toute cette histoire impossible qu'il tente de réinventer. Il s'est allongé sur le lit, pas un bruit, le manuscrit est ouvert : « Goya dénude sa belle laitière bordelaise dans son minuscule salon où s’amoncellent les dessins et les toiles. Leurs corps s’unissent et ses mains se posent sur sa poitrine, délectation. Il est de fort bonne humeur et la jeune femme aime venir poser pour son peintre, les séances se déroulent en début d’après-midi, pas tellement pour la lumière qui fait briller ses pinceaux, mais parce que c’est à ce moment de la journée où il est de forte bonne humeur. Il se souvient d'avoir peint ce tableau pour le Duc, il se souvient de la cour d'Espagne, de la musique qui s'éloigne, des fantômes qui s'invitent. Mais aujourd'hui, il peint la vie, et embrasse sa laitière d'amour. Elle a fait glisser son chemisier blanc et il embrasse ses seins. Puis il prend ses distance et pose sur la toile quelques touches de blanc, de gris, de jaune, juste ce qu'il faut pour attendre. Elle est nue dans ses bras et le vieux peintre comme on l'appelle dans la rue, le vieux peintre se lance dans la découverte sur le vif d'un corps. Ce n'est pas une épreuve, c'est une aventure. Leur jouissance dure longtemps, elle donne au vieux peintre des pistes pour des toiles qui vivront demain, mais l'heure n'est pas à la peinture, l'heure est à la jouissance. Leurs rencontres l’étonnent toujours, il est heureux, un répit, car le soir venu ses fantômes prennent toute la place, l’assomment, l’enferment dans leurs cercueils de douleurs, c’est insupportable, il n’en parle à personne, seule sa peinture peut dire tout cela, les mots ils se refusent à les laisser être contaminés, c'est comme sa peau, même usée, elle doit avoir la même élasticité, la même vérité du corps. Parfois le matin il va saluer la Garonne, le visage de sa belle laitière se reflète dans les eaux qui se projettent sur les piliers Pont de Pierre. La lumière de ses toiles claque sur les voiles des bateaux qui attendent la marée, barriques de vin, ballots de tissus colorés, malles de tissus. Il croise des jeunes femmes qui remontent leurs jupes en le voyant. Il s’est déjà fait traité de fou, on a voulu l’enfermer, lui prendre ses pinceaux et ses couleurs, mais en vain, il continue de peintre sur le motif. Sa belle laitière a dégrafé le haut de son double corsage brodé, remonté ses jupes, il s’est placé à la bonne distance. Il fixe la toile et son modèle, leurs yeux se croisent, ses pinceaux se signent et libèrent l’espace, sa laitière est contre lui, il admire cette forte poitrine blanche, fait courir un pinceau sur sa peau, sa brosse couvre ses cuisses. Il lui parle de l'Espagne, du sable, de la pierre, des fleurs, du chant qui monte des rues d'Almonte, de lui, de Cervantès, il voudrait follement lire à haute voix les aventures du Quichotte, mais ici à Bordeaux, pas un livre, rien que ses couleurs, ses rêves et ses pinceaux. Ils ont joui au pied du chevalet. Ma fée des bords du Rhône aime cette histoire, elle aime lorsque ma voix glisse dans les draps et s'enroule autour de ses cuisses. » - Esquisses du bonheur - 2008

à suivre

Philippe Chauché

lundi 28 décembre 2009

Evidences (2)

" Je vois - j'enflamme le réel.
Je vois, et tout alors devient possible.

J'écoute - j'embrasse le temps.
J'écoute, et sa musique me comble.
J'écoute - toute peau tendue.

Je vois son corps suspendu.
Et les éclats du temps me comblent.

J'écris dans la floraison de sa peau.
J'écris dans la joie de son regard.
J'écris dans l'évidence de son silence.

Je vois ce qu'elle écoute.
J'écoute ce qu'elle écrit.
Et mes mots s'illuminent.

Mes mots - résonance du silence.
Mes mots - grain du regard.
Mes mots - naissance de la joie.
Mes mots - le bleu de la danse. "

Voilà l'évidence, se dit-il, en refermant le livre.


Auguste Rodin 1840-1917

à suivre

Philippe Chauché

dimanche 27 décembre 2009

La Courbe du Temps (64)

" Alors ma vie fut entièrement changée. Ce qui avait fait, et non à cause d'Albertine, parallèlement à elle, quand j'étais seul, la douceur, c'était justement, à l'appel de moment identiques, la perpétuelle renaissance de moments anciens. " (1)

Rien ne lui semblait plus évident que cette phrase qui venait de naître. Les phrases naissent du temps aimé, se dit-il, mais aussi de l'effervescence d'un regard. Rien n'est plus beau, pensa-t-il, qu'une phrase venue d'un regard et d'un geste. Rien n'est plus troublant ajouta-t-il, qu'une phrase qui voit le jour d'un corps aimé, les corps qui n'ouvrent pas sur de telles phrases, sont des corps oubliés. Rien ne lui semblait plus nécessaire qu'une phrase qui se pose sur l'envolée de la jouissance. La jouissance qui ne donne pas vie à une phrase, est une jouissance volée, et toute jouissance volée n'est que l'ombre de la vie pensait-il. Et ces phrases vivantes sont indestructibles, comme l'est un corps dans le mouvement de l'amour, qui est, écrit-il, le mouvement de la vie, et le mouvement de la vie est cette phrase qui s'est naturellement posée sur son écritoire. Une phrase morte est une phrase sans corps. Son regard est une phrase, ses seins sont ces phrases qu'il écrit dans la nuit naissante, ses bras, ses cuisses, son ventre, ses pieds, tout son corps est une phrase. Tout cela il l'a vu en entrant dans la Courbe du Temps, en la faisant sienne, elle ouvre aussi sur cela, se dit-il, sur la phrase du corps, elle se déroule sous ses mains, elle naît du regard qu'il lui porte, des mots embrassés.


Léonard de Vinci 1452-1510


Ces phrases l'ont accompagné sur le chemin qui mène au Fleuve et sous les arbres. C'est là, dans cet espace ouvert sur le Temps, qu'il a senti la force tellurique des phrases et du corps, des corps qui vivent dans le mouvement des phrases, des phrases qui s'illuminent lorsqu'on les touche. Le Temps est là, devant ses yeux, facilement saisissable, comme le sont les phrases. La première qui lui est apparue, il l'a notée sur le carnet noir et jaune, ce carnet de la renaissance : " Aujourd'hui tout devient possible, le bleu du ciel s'accorde à la Courbe du Temps, et le mouvement de son regard ouvre un espace nouveau, et c'est dans cet espace que la délivrance s'opère, que les phrases prennent une autre force, la force de ce mouvement, la grâce de la transparence d'une phrase qui embrasse une épaule, c'est dans cet espace du Temps que mon corps devient la phrase de toutes les phrases, une magie blanche qui transforme en or chaque geste, chaque baiser, chaque envolée du corps et de phrases, la transparence des phrases dans le bleu du ciel est celle du corps aimé, et le corps aimé devient une phrase. " Voilà, c'est dans cette phrase que je me baptise, se dit-il, comme dans l'élévation joyeuse d'une musique.




Rien de plus évident, se dit-il, que ce regard, cette voix, ce corps, un regard qui illumine la rue des Vierges Perchées, une voix qui embrase le Temps aimé, un corps qui immortalise le mouvement vif de l'amour. Face au Fleuve et sous les arbres, la danseuse rouge écrit, et c'est une danse. Face au Fleuve et sous les arbres, la danseuse rouge chante, et c'est une floraison. Face au Fleuve et sous les arbres, la danseuse rouge danse, et c'est une phrase. Il se dit, elle s'envole, et dans ce mouvement il voit ce déchirement où il va se glisser de tout son regard, et ce regard c'est ce qu'il écrit dans la nuit qui glisse sur le chemin qui conduit au Fleuve.


Léonard de Vinci 1452-1510

Ces phrases l'ont accompagné dans la nuit où se glissaient les gracieuses étoiles du Temps, elles vibraient, tournaient, montaient et descendaient dans les rues de la ville blanche et grise, elles s'enfonçaient entre les pavés, pour réapparaître plus loin dans les éclats de fleurs jaunes et rouges, et ce mouvement des phrases ressemblait à celui des mains de la danseuse rouge du bord du Fleuve et sous les arbres. Alors, il s'est dit, " de ces phrases je fais un paradis, de ce mouvement une joie, de ce silence une révélation ".

à suivre

Philippe Chauché

(1) Albertine disparue / A la recherche du temps perdu / Marcel Proust / Gallimard

samedi 26 décembre 2009

La Courbe du Temps (63)

" Jouer c'est expérimenter le hasard. " (1)

Dans le gris laqué du matin, il offre son visage aux éclats de son regard, il laisse la musique de sa peau délicieuse s'écrire sur la portée de ses mains. Il se dit que l'amour est une partition sans fin, et dans la musique qu'il invente à chaque fraction de seconde mille caresses de pinceaux, mille offrandes d'une vie lumineuse. Il se dit aussi, que la vie vive vient de la Courbe du Temps, qu'elle est sa permanence, dans la beauté du temps aimé naissent mille autres temps anciens et nouveaux, que chaque mouvement est une pensée, que chaque pensée est un baiser, que chaque baiser est un éblouissement, que chaque éblouissement retourne la magie noire dominante, et que les mauvaises manières du siècle s'effacent sous l'enchantement révolté de sa présence miraculeuse.


Domenico di Tommaso Bigordi, dit Ghirlandajo - Florence, 1449- id., 1494

Dans le matin d'hiver son regard fait disparaître toute crainte et tout soupçon, c'est ce qu'il écrit sur son épaule, dans le matin d'hiver son éblouissante présence diffracte ses baisers, dans le matin d'hiver l'espace du Temps est celui de la phrase, l'espace de la phrase est celui de son ventre et de ses seins, l'espace de son corps découvre une faille qui ouvre sur un autre temps, un autre espace, un autre mouvement, une Courbe réjouissante, et il convient ajoute-t-il pour être à la hauteur de la " situation " de savoir toucher avec les yeux, et voir avec les mains.


Domenico di Tommaso Bigordi, dit Ghirlandajo - Florence, 1449- id., 1494

Un regard, un mouvement, un sourire, l'espace nouveau est là, il faut s'en saisir.




Domenico di Tommaso Bigordi, dit Ghirlandajo - Florence, 1449- id., 1494

à suivre

Philippe Chauché

(1) Novalis / Fragments / traduct. Maurice Maeterlinck / José Corti Éditeur

mercredi 23 décembre 2009

Evidences

" Quand le vent souffle du nord
les feuilles mortes
fraternisent au sud. " (1)

Le vent du nord donne des ailes
Aux déesses.

Les espaces du Temps
Se découvrent dans le dévoilement d'un corps.




La suspension du Temps
Est un regard.


à suivre

Philippe Chauché

(1) Buson / Anthologie Haïkus / traduct. Roger Munier / Fayard

dimanche 20 décembre 2009

La Courbe du Temps (62)

" Tout objet aimé est le centre d'un paradis. " (1)



" Le vent d'hiver réduit le Temps à sa juste mesure. Suite pour le déplacement d'une main dans l'espace. Éclats vifs d'un regard. Absolue vérité qui transcende l'espace. " C'est ce qu'il écrit dans le bleu du ciel, face à son cadran solaire amoureux qui éclaire la rue des Martinets, ses phrases s'envolent et se posent dans l'espace rayonnant de son regard. Il se dit que " le paradis est plus que jamais à une portée de peau ", " sa grâce tient à cela, à cette envolée harmonique ", pense-t-il, " à cette musique qui s'élève du mouvement merveilleux d'un visage, " les visages se transforment sous les éclats d'une main ", se dit-il, " la peau brille sous le soleil d'un regard ", " un ventre se révèle dans l'éternité partagée d'une caresse ", mais aussi, " toute la beauté de l'Instant est un silence joyeux ", " et mes phrases ", ajoute-t-il, " naissent de cette main que révèle la Courbe du Temps".


" Si celui qui doit vous peindre doit vous voir,
Et ne peut sans s'aveugler vous regarder,
Qui sera assez puissant pour votre portrait faire
Sans vous ni ses yeux blesser ?

En neige et roses j'ai voulu vous fleurir ;
Mais c'eût été honorer les roses et vous outrager ;
Deux étoiles pour les yeux j'ai voulu vous donner ;
Mais quand jamais les étoiles en ont-elles rêvé ?

J'ai connu l'impossible dans cette esquisse ;
Mais votre miroir à votre propre éclat
Assura le succès dans son reflet.

Il pourra vous représenter sans lumière fausse,
Puisque vous êtes de vous-même, dans le miroir,
Original, peintre, pinceau et copie. " (2)





" ... Viens me parler ô parle moi lèvres d'aube cuisses d'éclairs
Libellules lasers sur le sommet de mon crâne
Hulottes et pipistrelles du nocturne échevelé
Et verts luisants murets de pierre sèche
Illuminant tes yeux de très anciennes constellations
Qui raturent le ciel... " (3)

Le mouvement du Temps est une Courbe,
Et dans cette Courbe,
- Brillance
J'écris.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Fragments / Novalis / traduct. Maurice Maeterlinck / José Corti
(2) De la difficulté de faire le portrait d'une grande beauté, qui le lui avait demandé, et seul moyen possible d'y parvenir / Francisco de Quevedo / traduct. Frédéric Magne / La Délirante
(3) Saume dins lou vènt / Psaume dans le vent / Serge Bec / la cardère

vendredi 18 décembre 2009

Les Eclats du Temps

" La nuit où la jeune biche me dévoilait
L'astre brûlant de ses pommettes
Et le fauve rubis des cheveux qui voilait
Sa tempe de cristal perlé de gouttelettes
- Tout le tableau de sa beauté... -
Elle était ce soleil qui pendant sa montée
Rougissait les nuées, quand va poindre l'aurore,
De ses flammes et de ses ors. " (1)

Il écrit dans les Éclats du Temps
- Révélation
Il écrit dans le mouvement lumineux d'un visage
- Joie
Il écrit dans la permanence de la vibration d'un corps
- Jouissance
Il écrit dans le silence de la musique de la nuit
- Élévation
Il écrit pour chasser la terreur
- Nécessité.



Le bleu du ciel souligne les Éclats du Temps.
Le silence du matin est une visage.
Ma joie, une courbe du bonheur.

à suivre
Philippe Chauché


(1) La nuit... / Juda Hallévi / Poèmes d'amour de l'Andalousie à la Mer Rouge / traduct. Masha Itzhaki et Michel Garel / Somogy

jeudi 17 décembre 2009

Le Chant du Corps

" Chaque phrase que j'écris vise toujours le tout, donc toujours à nouveau la même chose, et toutes ne sont pour ainsi dire que des aspects d'un objet considéré sous des angles différents. " (1)

" Les éclats du corps aimé ne cessent de briller dans la nuit et la transfigurent. " C'est ce qu'il se dit, ajoutant : " en la regardant j'ai été retourné par le Temps et j'ai découvert sa permanence ", mais aussi : " le Temps appartient à ceux qui connaissent le savoir de la saveur. ". Il se laisse alors emporter par le chant du corps qui délivre et éclaire, et ne doute plus que le Paradis s'entend dans son regard.



" La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstantielle ou ne sera pas. " (2)

à suivre

Philippe Chauché


(1) Remarques Mêlées / Ludwig Wittgenstein / traduct. Gérard Granel / GF Flammarion
(2) L'amour fou / André Breton / Gallimard

mercredi 16 décembre 2009

Identité Musicale

Tout est là se dit-il, tout s'éclaire dans la musique de Bach. Il se dit aussi que la beauté d'un corps heureux ressemble à cela, et que la joie d'un visage soyeux n'est autre que l'éclat d'un violoncelle inspiré. Son identité musicale.

Le musicien est en photo sur le coffret (1), en noir et blanc, son corps c'est l'instrument merveilleux, ce violoncelle c'est lui. Yeux fermés, petites lunettes rondes, visage inspiré, en lévitation.
Ce musicien c'est Pablo Casals.
En ces temps de confusions générales, où la vulgarité domine, il est fort utile de se souvenir qu'un dictateur le condamna à mort de l'autre côté des Pyrénées, Franco n'aimait guère la musique, Casals détestait Franco comme il détestait Hitler, mais il y avait la musique, celle de Bach, de Beethoven, de Haydn, de Boccherini, de Tartini, cette musique qui ridiculise les dictateurs et leurs admirateurs, cette musique : son identité.
Il y avait Barcelone, Madrid, Paris, Alfred Cortot, Jacques Thibaud, Prades, Porto Rico. Il y avait la permanence de la musique, son absolue beauté, son éternelle nécessité. Ecoutez la suite N°1 enregistrée à Paris le 25 novembre 1936, cet art d'embrasser la mélodie et le Temps, écoutez cette manière unique de chanter et de danser avec Bach, écoutez la sonate N° 2 de Johannes Brahms gravée à Londres en 1936 aux côtés de Mieczyslaw Horszowski ou encore les dix variations de Ludwig van Beethoven aux côtés de Cortot et Thibaud, une belle manière de résister à la glaciation de la pensée et des corps.

Mon identité ? musicale !

L'amour inspiré est une musique.
Se savoir étranger aux fausses notes du Temps que l'on veut nous faire embrasser.
S'accorder aux vibrations d'un corps heureux et offrir mille accords de joie.




La joie vive d'un regard heureux est cette musique.



Pour aimer, il faut d'abord s'accorder à la musique de l'Instant.
Toute joie partagée est une musique.
Toute musique est un regard ébloui.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Pablo Casals / The Complete Publisched EMI Recordings / 1926-1955 / EMI Classics /

mardi 15 décembre 2009

Le Secret des Secrets

" J'assiste au secret des secrets, mais sans pouvoir le percer. " (1)

Il lui a donné rendez-vous dans un café de la ville où un temps il séjourna, à un regard de l'océan, paquebot embarqué dans une dérive qui mène à une scission qui délivre de la douleur des temps, lumière luxueuse, coupes de champagne, belles femmes assises qui attendent que leurs amoureux les surprennent avant qu'elles ne les quittent, un livre ouvert, il se glisse à ses côtés. Il lève les yeux, et le regarde en silence. Merci d'être venu cher complice. J'ai un livre pour vous. Il me traverse comme une vague glacée.

" Parole d'attente, silencieuse peut-être, mais qui ne laisse pas à part silence et dire et qui fait du silence déjà un dire, qui dit dans le silence déjà le dire qu'est le silence. Car le silence mortel ne se tait pas. " (2)

Je suis, cher ami, dans cet état de parole d'attente : " le regard qui n'est plus regardé s'éteint ", " c'est dans l'absence qu'un visage se déchire ", mais aussi, " le déchirement révèle mon vrai visage ". Seule réponse à donner pense-t-il, retourner les phrases, lui offrir un autre éclat du Temps de l'Instant : " le regard un jour aimé, le reste à jamais ", mais aussi " c'est la Joie qui délivre du déchirement ", " de l'absence naît une autre résonance ", " si toute parole est une parole d'attente, tout corps perdu est un corps qui va renaître " et " dans le délabrement misons sur le verbe du corps ". Je vois, lui dit-il, que vous êtes infatigable, je vous admire, je sais tout cela, en un temps vous m'auriez même entendu dire des choses semblables, mais je vous avoue qu'aujourd'hui le renversement que je subis, si fort éloigné de celui dont vous me parliez il y a peu, est un déchirement qui diffracte mon coeur, ma peau et mon âme. Avant de nous quitter je vous laisse ces reproductions, lisez, écoutez, ce que disent ces toiles, vous comprendrez mieux de quoi il est question.








Il a quitté notre café des bords de la terre, comme il le faisait à chaque fois, sans se retourner. Il a ouvert le catalogue qu'il venait de lui offrir (3), l'écrivain s'y expliquait :

" Je peins comme j'écris. Pour trouver, me retrouver, pour trouver mon propre bien que je possédais sans le savoir. Pour en avoir la surprise et en même temps le plaisir de la reconnaître. Pour faire ou voir apparaître un certain vague, une certaine aura où d'autres veulent ou voient le plein. " (3)

Il s'est dit, il vivait comme j'écrivais, il me reste à lui faire entendre qu'il devra écrire comme je vis.

à suivre

Philippe Chauché

(1) L'infini turbulent / Henri Michaux / Mercure de France / 1964
(2) L'écriture du désastre / Maurice Blanchot / Gallimard / 1980
(3) Henri Michaux / Peintures 1975-1984 / Villa Béatrix Enéa / Anglet / jusqu'au 6 février 2010

dimanche 13 décembre 2009

La Saveur et le Savoir (3)

" Quel corps ? Nous en avons plusieurs . " ( Le Plaisir du Texte ) J'ai un corps digestif, j'ai un corps nauséeux, un troisième migraineux, et ainsi de suite : sensuel, musculaire ( la main de l'écrivain ), humoral, et surtout : émotif : qui est ému, bougé, ou tassé ou exalté, ou apeuré, sans qu'il n'y paraisse rien. D'autre part, je suis captivé jusqu'à la fascination par le corps socialisé, le corps mythologique, le corps artificiel ( celui des travestis japonais ) et le corps prostitué ( de l'acteur ). Et en plus de ces corps publics ( littéraires, écrits ), j'ai, si je puis dire, deux corps locaux : un corps parisien ( alerte, fatigué ) et un corps campagnard ( reposé, lourd ). " (1)

Il s'est dit en allant là-bas, j'y passerai. Même un court instant, je me dois d'y passer. D'autant plus qu'il s'était rappelé à lui en lisant ce livre (2). C'est ce qu'il aimait à nommer la géographie des écrivains, celle-ci passait par ce village dominant l'Adour et sa Lumière, il se souvint avoir lu un jour un texte sur cette lumière du Sud-Ouest qui lui était familière, mais dont il n'arrivait plus à localiser de quel ouvrage il l'avait tiré. Cela se disait-il n'a pas grande importance. Il avait fait le voyage, traversé le village et garé sa voiture sur un trottoir à quelque mètres de l'entrée du cimetière. Lui revenait alors en mémoire, qu'il avait déjà écrit sur ce cimetière : " Je suis à Urt. Dans ce petit cimetière sur la colline. Nous y déposons quelques cailloux sur la pierre claire lézardée de mousse grise. Lecture attentive et à haute voix de l'écrivain. Brigitte m'aime pour ces lectures de Roland Barthes dans notre cimetière. Nous donnons un autre corps à ses écrits. Donner des voix aux tombes, de la vie aux pierres, y déposer des caresses, des nuées de vie, y inscrire d'autres histoires. C'est dans les mots portés haut que nous trouvons une autre énergie, un autre souffle, une autre musique. Une façon différente d'être au monde. Cela demande une certaine position du corps. La colonne d'air doit être libérée, les épaules retomber légèrement, les jambes s'ouvrir. Le poids se porte sur la plante des pieds, les mains donnent le rythme, les hanches le fixent, le ventre durcit, les yeux fixent cet espace de vie et de lutte. Plus tard, une autre déesse croisée sur les bords du Fleuve m'a appris la lecture optique de la peau. Sourcils envolés, bouche opale, peau de pétale, verbe libre, étoile permanente du bonheur. Il a son tour composé sa lite, en souvenir de son regard et de R.B. : m'asseoir au soleil dans les arènes de Madrid, les cigarettes blondes un peu fortes, les chemises blanches, Joselito, José Tomas, le café très noir, le whisky écossais trés tourbé, Sollers, Novarina, les vins de Cairanne, la voix de François Mauriac, les actrices des films de J.L.G., prendre le train la nuit, passer le Cap du Figuier à la voile, Mozart, avoir très chaud, l'eau pétillante, les chouettes, passer la nuit dans la Cour d'Honneur du Palais des Papes, le melon, le vol des martinets, écouter Martha Argerich, le parfum du romarin en été, les montres mécaniques, l'amitiée de N., Miro, écouter une voix aimée, les aphorismes de Cioran, les livres anciens, l'amour le matin, l'horchata, les bagues en or, etc. " (3) Il a poussé le lourd portail de fer, tourné sur la gauche, emprunté la dernière allée, marché quelques mètres, elle était là. La large pierre grise tâchée de blanc, il pensait qu'il s'agissait d'un champignon blanc, Henriette Barthes née Binger, 1893-1977, Roland Barthes, 1915-1980. Pas de croix, pas de fleurs, quelques cailloux ici et là rassemblés ou égarés. Il a déposé les siens, cinq petits cailloux blancs. Il est resté quelques minutes debout face à la tombe, seul, pas un bruit. Il s'est dit, " c'est un bel endroit pour se reposer et écrire ". " Écrire fait rebondir la vie ". " Aimer est une révélation ". " Le corps de l'écrivain écrit dans le mouvement du Temps ". En retrouvant la chambre de son adolescence inquiète, il s'est servi un verre de Lillet blanc, Podensac, la saveur, allumé une cigarette, le savoir, et a repris sa lecture.



" Le roman n'a pas pu être écrit. C'était un labyrinthe. Et Barthes hésitait à l'emprunter. Question de temps. Dans ce roman devaient entrer des fragments de toutes sortes, journal, incidents, fiches, méditations, portraits, micro-récits.
J'avais parfois l'impression que Barthes butait sur quelque chose de plus fort que lui. C'est peut-être qu'au coeur du labyrinthe il y avait un Minotaure. La mère ?
Et puis il y eut la mort. " (2)

C'est le dernier paragraphe de " Mémoire d'une amitié " qu'il a lu hier soir. Il a pris quelques notes, souligné des paragraphes. Il se dit, qu'il se doit, ici de les reprendre, pour la saveur et le savoir :

" Le dessert est sur la table. Un fruit généralement, qu'il pèle patiemment. On fume en prenant le café préparé dans une cafetière à l'italienne. Lui, un havane de taille moyenne, et moi des Camel à bout filtre. On bavarde encore, car c'est à ce moment-là que nous reviennent les choses à se dire qu'on avait oubliées. Caféine et nicotine induisent ces réminiscences. Tout est soudain serein, comme si le monde était fait pour finir par " un bon cigare " et dans la fumée bleue qui s'exhale en volutes de nos corps. Ces rappels sont brefs, jamais très nombreux, mais ce sont généralement de " bonnes nouvelles ". Il m'annonce qu'il a eu des places pour tel concert ou bien c'est moi qui en ai pris pour l'Opéra, je suis sur le point de terminer l'article " Oral/Écrit " qu'il ma chargé d'écrire pour l'Encyclopédia Eïnaudi et qu'il doit cosigner, il me propose de m'emmener au Maroc pour les vacances de Pâques ( nous n'irons pas ), un groupe de chercheurs américains est en train de développer un programme informatique sur la base des cinq codes de lecture forgées pour S/Z ( les débuts de l'hypertexte dont Barthes, sans le savoir, serait l'inventeur...) " (2)

" Je me suis vite rendu compte qu'entre Barthes et sa mère s'était nouée une relation trés particulière qu'on aurait pu réduire à la simple généralité oedipienne, ou à celle plus stéréotypée, et plus vulgaire encore, de l'homosexuel vivant avec sa mère. C'était la relation de deux individus dont le lien de maternité ou de filialité avait été comme débordé par un amour totalement personnel, d'une grande autonomie et d'une grande plénitude dans les contenus imaginaires qu'elle déployait... " (2)

Il a poursuivi la lecture où il l'avait suspendue dans la nuit :

" Que dit le maître au disciple pour susciter ainsi chez lui ce désir de savoir, ce désir de penser ? Il lui dit tout simplement : " Tu peux penser ". " (2)

" Peu à peu je me suis convaincu que Barthes aimait son ennui. Qu'il aimait interrompre longuement toute communication et peu à peu chuter dans le neutre comme dans une sorte de coma public.
J'aimais penser que cet amour de l'ennui, ou du moins cet art ascétique de l'ennui qui absorbait son énergie vitale, était né avec la cure de silence qu'il avait faite lors de son séjour à Saint-Hilaire pendant sa tuberculose. Je me disais que cette étrange cure, dont je n'ai jamais su exactement le protocole et la motivation thérapeutique, avait été comme originaire dans cette habitude prise à s'ennuyer. Une habitude au sens de Proust, comme l'habitude du baiser maternel. " (2)

" Parfois nous parlions d'amour et il fallait répondre à la question : " Qu'est-ce que faire l'amour ? " Quand ce fut mon tour, je répondis, je ne sais pourquoi : " C'est l'étreinte. " Et Barthes ajouta : " C'est ça. C'est tout à fait ça. " (2)

Il a refermé le livre, et il s'est dit, et pour moi, " Qu'est-ce que faire l'amour ? " : " C'est voir, c'est écouter, c'est être éternellement dans l'Instant. " mais aussi : " C'est écrire sur un corps aimé le plus beau des romans. " ou encore : " C'est offrir au corps aimé une musique de la Joie. " Il s'est dit qu'il reviendrait dans quelques mois, dans le cimetière du village et déposerait ses petits cailloux sur la pierre grise et blanche.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Le corps pluriel / Roland Barthes par Roland Barthes / Écrivains de toujours / Seuil / 6 août 1973 - 3 septembre 1974
(2) Roland Barthes le métier d'écrire / Eric Marty / Fictions & Cie / Seuil
(3) Esquisses du Bonheur

mercredi 9 décembre 2009

Le Paradis de la Vie (4)



" Qui une fois, Lisi, a su vous regarder
Et qui est parvenu à vous connaître,
Mérite de pouvoir vivre sans vous voir,
Et de ne pas mourir s'il a su vous aimer.

Il n'a pas su vous voir, ni ne saura vous estimer
Qui d'avantage désire voir ces étoiles ;
Et qui vous vit une fois, ose vous offenser
S'il essaye encore de vous contempler.

Ces feux d'amour, riches et avares,
Ou bien ceux du ciel n'en sont que des flammèches,
De moindre ardeur, même si moins rares,

Ou Nature réunit dans vos yeux
Les étoiles, ou vos lumières claires elle répandit
Dans le ciel pour les créer. " (1)

Qui une fois vous a aimé,
Peut embrasser le Paradis - et disparaître sur l'Instant.
Qui une fois vous a vu,
Peut se glisser dans le mouvement du Temps - et s'en détacher.
Qui une fois vous a perdu,
Doit écrire - " il cherchait l'Or du Temps ".

Disparition du corps :
" Il tourne dans la nuit
Et se laisse consumer par les flammes ".
Naissance d'un regard :
Il embrasse le verbe du silence.

" Ai tant amat de viure
dins lis augas alabras
de ta planeta
quora ta pèu bluia
que de la mar s'enauçava
me subrondava d'una brefonià
de desirs

Ame tant de viure
de tu " (2)

" J'ai tant aimé vivre
dans le plancton vorace
de ta destinée
quand ta peau bleue
surgissant de la mer
me submergeait d'une tempête
de désirs

J'aime tant vivre
de toi " (2)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Sonnets amoureux / Francisco de Quevedo / traduct. Frédéric Magne / La Délirante
(2) Saume dins lou vént / Psaume dans le vent / Serge Bec / la cardère

mardi 8 décembre 2009

Propos Intempestifs (4)

" Avoir frôlé toutes les formes de réussite, y compris la réussite. " (1)

Ne garder que la vibration d'une voix, la beauté d'un visage, la grâce d'un sourire.

Contre la souffrance, le vaccin du silence.

Vieillir, c'est perdre patience.

Ecrire, pour ne pas perdre la vue.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Aveux et Anathèmes / E. M. Cioran / Oeuvres / Quarto Gallimard

lundi 7 décembre 2009

La Courbe du Temps (61)



" Avivant un agréable goût d'encre de Chine une poudre noire pleut doucement sur ma veillée. - Je baisse les feux du lustre, je me jette sur le lit, et tourné du côté de l'ombre je vous vois, mes filles ! mes reines ! " (1)

Il se dit, c'est cette voix qui délivre, sauve, enchante, illumine, se faufile sous sa peau, embrasse son coeur. Cette voix pense-t-il, est celle de l'Eclat du Temps. L'Eclat du Temps, c'est un soleil qui se lève sur le Fleuve et sous les arbres, et offre de l'or à son regard.
C'est aussi se dit-il, une musique de Bach qui effleure sa joue.
Cette voix ouvre une autre brèche où il s'engouffre. Cette voix, il la prend par la main.

" A la longue, la main qui écrit vient d'un autre corps qui enveloppe et comprend le corps, ses déplacements, sa flexibilité, ses respirations, ses courbures, ses oublis, ses mise à distance. " (2)

La voix dans sa main, il traverse la ville blanche dans le noir de décembre. Le froid saisit son regard, le fixe, et c'est face au Fleuve et sous les arbres qu'il s'ouvre à son tour. Comment ouvrir le regard ? c'est la question qu'il se pose en cette nuit des étoiles. Le regard, une brèche où se glisse la voix. Il ajoute, " la voix est la musique du regard ", mais aussi, " sa voix est une phrase sur le point de naître ", " c'est un écho de la vibration de sa peau ", et encore, " c'est en écoutant que l'on voit ", " entendre c'est embrasser ", et " cette voix conduit au Paradis ".

" Je demande à Mara trois syllabes. Elles les prononce. C'est parti.
Couchée sur le dos, Mara regarde les syllabes rouler entre ses seins. Elles descendent jusqu'au nombril, vont mouiller son pubis. Entre ses jambes, les syllabes se multiplient. De chaque syllabe fleurissent, comme des pétales, de nouvelles syllabes. Entrecroisées dans l'air au-dessus du corps de Mara qui ferme les yeux, les syllabes s'élèvent ; elles forment des phrases, un nuage de phrases légères qui, brusquement, filent vers la Seine, où elles se frottent à l'écume. Elles rebondissent à la vague, et reviennent lécher les épaules de Mara, sa bouche, les pointes de ses seins. " (3)

Il a passé la nuit sur le muret de pierre. Dans les éclats des eaux du Fleuve, il a vu ceux de la voix, il s'est dit, cette voix résonne et transforme à chaque minute les couleurs du Fleuve. Ces couleurs sont celles de la danseuse rouge qui s'est ici offerte à son regard. Alors il a pensé, cette Courbe du Temps ouverte par la danseuse rouge des bords du Fleuve et sous les arbres, s'entend et se voit dans sa voix, une voix qui devient courbe, et dans cette courbe, il se glisse.
Le glissement du corps dans le Temps est une manière de résurrection, c'est ce qu'il note au matin sur son écritoire, et cet écritoire résonne dans le jour qui se lève d'une voix qui est un corps en mouvement, et ce mouvement est un roman qui s'écrit à chaque seconde dans les déplacement des corps.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Illuminations / Phrases / Arthur Rimbaud / Oeuvres complètes / 1972 / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard
(2) Le Secret / Philippe Sollers / Gallimard
(3) Évoluer parmi les avalanches / Yannick Haenel / L'Infini / Gallimard

samedi 5 décembre 2009

La Courbe du Temps (60)





" Yasaka. Jasmin, fontaine, petits ponts, arbres, taiko (tambour) au lointain.
La forme des arbres. Ombres bleues, pleine lune.
Héron blanc gracile et lourd corbeau noir, coups de becs du héron au corbeau.
Papillon jaune clair voletant sur fond de bambou vert. " (1)

Le ciel s'assombrit.
Il a noué son écharpe de cachemire noir, traversé la place Saint Pierre, en silence franchi le porche de l'église. Personne. L'heure semble-t-il n'est pas à la prière pour les hommes de peu de joie. Il s'est assis sur un banc dans le fond de cette machine à embrasser le Verbe et le Temps, et laissé son regard filer entre les pierres blanches.
Il s'est dit, " le silence ouvre une brèche ", c'est cela la Courbe du Temps. Il s'est dit aussi, " là, je traverse d'un regard les plaines et les montagnes d'un pays vif et éblouissant ", " je voyage dans le Temps apaisé et doux d'un regard ", " je suis saisi par un mouvement que seul je peux entendre ", " je suis dans l'immortalité d'une phrase ". Cette phrase, elle s'est glissée sous sa peau, la phrase de la danseuse rouge des bords du Fleuve et sous les Arbres, phrase magique qui transforme les mots en or. " L'or des mots naît de ses lèvres " a-t-il pensé, " l'or de son corps est tout entier contenu dans cette phrase ", mais aussi, " j'ai trouvé l'or du Temps dans son sourire ", cette phrase qui ne le quitte plus, c'est l'or de la joie.
Il s'est dit, c'est une rose qui s'est dessinée entre ses seins, j'y pose mes lèvres et une nouvelle brèche s'ouvre. C'est un bouton d'or qui s'est glissé sous son épaule, un coquelicot sur ses cuisses, une aubépine sur ses fesses, une clématite blanche sur son ventre, une glycine bleu violacée sur sa bouche, un oeillet sur sa main, une tulipe jaune derrière son oreille, un myosotis sur son sexe.
Toutes ces fleurs dans mon regard, dans l'oeil de la Courbe du Temps, c'est ce qu'il écrit face à un bouquet de résédas.



" Les fleurs ont, paraît-il, des intentions amoureuses. Il suffit de les faire parler ( et, même si ce n'est pas le cas, le récipendiaire des fleurs est une femme ). Voici comment on s'exprimait au dix-neuvième siècle :

Acacia, blanc ou rosé, désir de plaire.
Amandier, douceur, bonté.
Amarante, rouge brun, amour durable, rien ne pourra me lasser.
Aubépine, prudence, restons discrets, cachons notre amour.
Azalée, bleu ou rose, joie d'aimer, heureux de vous aimer, heureux d'être aimé.
Bouton d'or, joie d'aimer.
Camélia rouge ou rose, fidélité, je vous trouve la plus belle, je suis fier de votre amour.
Clématite blanche, désir, j'espère vous toucher.
Coquelicot, ardeur fragile, aimons-nous au plus tôt.
Cyclamen rouge, jalousie, votre beauté me désespère.
Dahlia, reconnaissance, merci, merci.
Gardénia blanc, sincérité.
Genêt, préférence.
Géranium, sentiments.
Giroflée rouge brun, jaune feu, constance, je vous aime de plus en plus.
Glaïeul rose ou orange, rendez-vous, le glaïeul au centre d'un bouquet indique, par le nombre de fleurs, l'heure de la rencontre ( tout cela avant le téléphone, le portable, et pour déjouer les interceptions postales ).
Glycine bleu violacé, tendresse.
Hortensia, caprice.
Iris, coeur tendre.
Jacinthe, joie du coeur.
Jasmin, amour voluptueux.
Laurier-rose, triomphe.
Lilas, amitié.
Lys, pureté.
Marguerite, extrême confiance.
Myosotis, souvenir fidèle.
Narcisse, froideur.
Mimosa, sécurité, personne ne sait que je vous aime.
Oeillet, admiration.
Orchidée, ferveur ( et même beaucoup plus ).
Pavot, désigne l'heure, et complète la signification des glaïeuls ( usage inconnu en Afghanistan )
Pensée, affection.
Pervenche, mélancolie.
Pétunia, obstacle, indiscrétion, surveillance.
Pivoine, vigilance, mon amour veille sur vous, veillez sur vous.
Réséda, tendresse.
Rose, amour, rose blanche : soupir, rose rose : serment, rose thé : galanterie, rose rouge vif , passion.
Scabieuse, tristesse.
Tulipe, toutes couleurs, déclaration d'amour.
Violette, amour caché, clandestinité, secret, ambiguïté sexuelle, unisexualité, et. " (2)

Le ciel s'éclaire.
Il est assis face au Fleuve et sous les arbres dans le silence de l'hiver, il a ouvert le livre, il voit sous les lignes ses deux mains qui se croisent et se décroisent et qui font vibrer la phrase. Il se dit, cette phrase est un bouquet de Myosotis.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Poussière d'or / Marc Dachy / L'Infini n° 105 - Hiver 2008 / Gallimard
(2) Fleurs / Philippe Sollers / Hermann Littérature

jeudi 3 décembre 2009

Je Crois (2)

Je crois à la transparence d'un regard.
Je crois à la beauté d'un mouvement.
Je crois à la nécessité d'un baiser.
Je crois aux éclats du Temps.
Je crois à mes fidélités.
Je crois à mes attentions.
Je crois que l'élégance est un combat.
Je crois que vivre délivre.
Je crois qu'aimer est une grâce.
Je crois Vivaldi vivant.



Je crois que les mots sont des offrandes.
Je crois que les caresses sont des mots.
Je crois à l'éblouissement des sentiments.
Je crois à l'absence lumineuse.
Je crois à la tendresse éclatante.
Je crois au verbe qui se fait jouissance.
Je crois à la jouissance qui se fait mot.
Je crois à la puissance des fleurs.
Je crois qu'un regard est une offrande.
Je crois à l'infidélité fidèle.
Je crois Scarlatti là.





Je crois à la protection des fées.
Je crois aux baisers des déesses.
Je crois à l'art de la courtoisie.
Je crois que lire délivre.
Je crois que vivre aide à lire.
Je crois que la poésie est un corps qui s'offre.
Je crois à l'insouciance.
Je crois Matisse heureux.
Je crois dans l'offrande d'un sourire.
Je crois au bonheur d'être embrassé.
Je crois aux nuits éclairées.
Je crois à la générosité de l'oubli.
Je crois au bonheur d'un silence.
Je crois à la joie d'un corps heureux.
Je crois...

A suivre

Philippe Chauché

mercredi 2 décembre 2009

Je Crois

Je crois dans la clarté des mots.
Je crois dans les éclairs de la peau.
Je crois dans la lumière d'un regard.
Je crois dans la douceur d'une absence.
Je crois dans le verbe qui se fait chair.
Je crois que la jouissance tétanise le diable.
Je crois dans l'odeur des livres.
Je crois dans le miracle du vin.
Je crois dans ce que je suis.
Je crois dans le bleu du ciel.
Je crois dans la Joie de la Musique.



Je crois que le Temps est imminent.
Je crois que la beauté sauve.
Je crois qu'aimer c'est offrir l'immortalité.
Je crois que le silence est une offrande.
Je crois que la parole est une fleur.
Je crois que le corps des femmes est un Paradis.
Je crois que tout vient à qui ne sait pas attendre.
Je crois que la tendresse fait fleurir les mains.
Je crois que la poésie aide à aimer.
Je crois qu'aimer est une musique.
Je crois Picasso vivant.
Je crois à l'immortalité d'un sourire.
Je crois à l'éternité des corps mêlés.
Je crois à ce que j'étais.
Je crois à ce que je deviens.
Je crois que la mort me fuit.
Je crois qu'aimer c'est peindre.
Je crois à la Courbe du Temps.
Je crois à la douceur du vent.
Je crois à la passion de la soie.
Je crois à l'Instant.
Je crois...

à suivre

Philippe Chauché

mardi 1 décembre 2009

La Courbe du Temps (59)



L'Instant est bleu, et dans le bleu du ciel, il écoute Mozart. Le Quintet pour clarinette (1), non se ravise-t-il sur l'instant, c'est Mozart qui m'écoute, la musique écoute celui qui l'écoute, de même que la peinture regarde celui qui la regarde, il suffit de le savoir et tout est transformé.

L'Instant flamboie, et dans ce flamboiement de l'Instant : Mozart. Allegro, Larghetto, Menuetto, Allegro con variazioni, et les éclats de vie vive prolongent sa vue. Mozart toujours, comme un baiser embrase mes mots, Mozart au centre du corps musical. Un corps peut-il être autre chose ?

Il laisse le jour décliner sur sa tour des délices. Il se dit que la danseuse rouge des bords du Fleuve et sous les arbres séduirait Mozart. Il se dit aussi, que ses mains qui se croisent et se décroisent dans le bleu de l'automne, ressemblent au diamant d'une clarinette. Il ajoute, la Courbe du Temps vient aussi de la musique de Mozart. Mozart, permanence du Temps Présent. Il le voit nettement dans le bleu du ciel et le rouge qui embrasse la cheminée de brique qui prolonge sa vision fleurie par le Kegelstatt-Trio. Il écrit aussi, c'est dans la musique que j'embrase son regard.





" ... Plus de lendemain,
Braises de satin,
Votre ardeur
Est le devoir.

Elle est retrouvée !
- Quoi ? - l'Eternité,
C'est la mer mêlée
Au soleil. " (2)




L'Instant est passé du bleu soutenu à un bleu plus lointain, la musique l'écoute, dans une intensité éclatante. Il sourit au mouvement du Temps, celui de la musique de Mozart, et de la danseuse rouge.
Il fait sien le saisissement de la note et du verbe.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Wolfang A. Mozart / Clarinet Quintet, Kegelstatt-trio, Adagio et Fugue / Michel Portal - Jean-Claude Pennetier - Quatuor Ysaÿe / Ysaÿe Records
(2) Une saison en enfer / Arthur Rimbaud / Oeuvres complètes / Bibliothèque de la Péliade / Gallimard / 1972