« Donc, si j’ai bien compris le programme, dans dix jours, je meurs ».
Le narrateur de cette fiction échevelée change de peau, de sexe et passe de vie à trépas avec une facilité déconcertante. Tout est follement sérieux et sérieusement décalé dans cette Vie des hauts plateaux. Chaque petite histoire tient dans un mouchoir de poche. Chaque courte excursion romanesque est comme la pièce d’un puzzle qui se suffit à elle-même, même si rien ne nous empêche de vouloir lui trouver sa place dans le tableau général et méticuleux de la fiction, car toutes se répondent et s’emboitent. Philippe Annocque fourmille d’idées et de projets pour ses personnages mouvants. Idées et projets qu’il prend à la lettre et met en œuvre en deux phrases trois mouvements. Pas étonnant que cette fiction assistée soit née sur son blog, au jour le jour. A chaque jour suffit son histoire, d’où quelle vienne, très conscient de n’être pas à moi seul l’auteur de mes livres (se croire complètement l’auteur n’est à mes yeux qu’une illusion)*. Il s’en joue et en joue, qu’il aille à la pêche, qu’il meure, qu’il se marie, ou qu’il fasse un enfant à sa nouvelle épouse. Tout n’est que jeu, jeu du réel et de l’absurde.
« Il faut le savoir : quand on a une casquette, c’est pour la vie. On fait son sport avec. On nage avec. On dort avec. On prend sa douche avec. On fait l’amour avec. On meurt avec.
Je parle de casquette parce que j’en ai une ; mais avec un chapeau melon, c’est pareil ».
Philippe Annocque joue à cache-cache avec le réel qu’il imagine sous l’éclairage à la fois de l’Oulipo et du Surréalisme, dans ce que ce dernier a de plus réjouissant, son humour noir. On ne peut s’empêcher de voir dans ces histoires minuscules des matières en fusion, des exercices littéraires joyeux et décalés, à la manière des Papous dans la Tête, mais sous ces transformations à vue, sous ces brillantes esquisses loufoques se cachent également des tensions plus profondes qui hantent le(s) narrateur(s) de cette Vie des hauts plateaux.
« Ma précédente femme était noire. Bien sûr, que je l’avais choisie pour sa couleur (et puis aussi, et surtout : parce qu’elle passait par là, évidemment). Je voulais voir si nous aurions des enfants vert foncé, pour changer. Et bien non : ils étaient soit noirs comme elle, soit vert clair comme moi. C’est comme ça que ça marche. J’ai du renoncer à avoir des enfants vert foncé ».
Philippe Annocque est un fabuliste, qui écrit dans une langue souple et simple, avec la simplicité de l’évidence*, et qui a un sens aigu de la chute et de la tragi-comédie, j’ai l’impression que nous vivons pris dans un perpétuel hiatus entre l’évidence et l’opacité du monde, et c’est quelque chose de cet ordre que je souhaite faire sentir*. Les situations qui alimentent ses histoires sont fantomatiques, étranges, surprenantes, troublantes, follement drôles, comme saisies sur le vif d’un réel irréel, reflétées dans un miroir qui a réfléchi à deux fois avant de renvoyer leur image, comme dans les films de Buñuel.
Après La vie mode d’emploi, la voici venue des hauts plateaux, un exercice d’équilibriste qui a le bon goût de ne pas se prendre au sérieux.
« Finalement je ne suis pas mort. La vie s’est arrêtée avant ma mort. Deux jours avant ma mort pour être précis ».
* l'auteur à son éditeur
Philippe Chauché