« Que vienne la grande Musique, celle dont on s’éprenne, la belle, la vraie, celle de Bach à Coltrane, de Mozart, de Stravinski, de Vivaldi à Miles, cette merveille qui chaque jour promet du jouir en combattant les peines, offre du libre à penser, éveille à la pensée et au recueillement de l’être. Un chef d’œuvre ne s’épuise jamais ».
Le Goût du divin est le livre de ce désir, désir de musique, du divin, désir d’amour, mais aussi et c’est fort heureux désir de croiser la plume, comme l’on croise le fer avec la Réforme, le Diable et ceux qui s’en réclament.
Le Goût du divin chemine aux côtés d’écrivains vivants, qu’ils n’aient plus ouvertement donné signe de vie ne change rien à l’affaire, ils sont là, et bien là : Voltaire, De Maistre, Faulkner, mais aussi Dante, Pascal, tour à tour saisis par le divin et son art, qui n’est pas étranger à leur style – ce nectar de la pensée. Franck Aria est aussi un lecteur attentif de Philippe Sollers – La guerre du goût –, des scissionnistes de Ligne de Risque* et de Stéphane Zagdanski qui l’accueille parfois dans sa librairie**.
Il sera donc question du religieux, du divin, de sa musique, de sa joie, et de ses divines occupations, c’est l’un des enjeux du Goût du divin, qui s’emploie également à retourner Luther, comme l’on retourne une mauvaise carte.
« Dès son accouchement, la Réforme expulse l’art. Elle détruit orgues, statues, reliques ; elle brûle les tableaux, saccage les églises comme la Terreur deux siècles plus tard… Les calvinistes maudissent le génie qu’ils ne sauraient atteindre. Imagine le Shem, imagine le sombre Calvin arpentant les rues… sa démarche grave, son air fâché, ruminant sa rage contre les vivants, d’un œil sérieux comme celui des morts ».
Le Goût du divin, c’est ce que découvre Shem dont le roman est un fragment décisif de l’histoire, deux mois dans l’histoire d’un homme en devenir, sous les phrases d’Estevan et le regard amoureux d’Annabel. C’est alors que peuvent naître les phrases, son Goût des phrases : la révolution du style est en marche, Rimbaud a lu la Bible, mais aussi, la félicité appartient au monde du secret, la volupté est libre pensée, ou encore, je tiens le monde à distance pour m’être présent.
Franck Aria a le Goût du divin, autrement dit du bonheur, de la littérature, de la pensée qui vagabonde et s’égare, de la musique, des villes – entre Rome et Venise –, des écrits des jeunes apôtres, de l’empreinte fraîche de la terre, des chants d’oiseaux, des pins, des herbes enfantines baignées de lumière et d’harmonies claires.
« L’acte d’écrire : manivelle à densifier le présent. Avant, on y est déjà ; après on y est toujours. La preuve : j’ai beau tourner la manivelle, je ne me sens pas fatigué ; comme si midi sonnait toujours. Cette impression curieuse me fait la nuit radieuse ».
Le Goût du divin est un roman de la renaissance, de la résurrection, par le Père et la Fille – que de beautés au monde cet automne ! – de l’attention et des intentions. Shem écoute et le roman se déroule, une parole comme un torrent, un mouvement comme une danse. Le divin s’écoute, s’écrit et se danse ! Question de style et de Goût !
Philippe Chauché
* Yannick Haenel et François Meyronnis, publiés dans L’Infini chez Gallimard