jeudi 2 février 2023

Rematar



" Rematar, le verbe, sonne étrangement : on dirait qu'il s'agit de tuer (matar)à répétition. De trouver cette intensité caractéristique du cinéma - celle dont parlait André Bazin à propos de La Course de taureaux - dont l'intensité de l'arrêt répété, dans ces gestes qui n'en finissent pas de finir en beauté... C'est arrêter en beauté, c'est faire de l'arrêt une figure. Non pas interrompre simplement la beauté des pas (pour le danseur) ou des passes (pour le torero), mais faire fuser la splendeur dans cette interruption même... Les remates de la danse flamenca comme des tauromachiques délivrent souvent des mouvements chantournés sur eux-mêmes, des boucles interrompues ou suspendues en l'air. " (1) 




Nous y sommes ! Où ? Dans sa danse ! Regardez Israël Galvan autrement que comme un danseur de flamenco de plus, ou de moins. Regardez ce qui se joue là dans ses mouvements. Qui d'autre danse ainsi ? Personne ! Ce qui se découvre là, nourri certes de l'histoire de la danse flamenca, est un autre temps de la danse, une autre aventure historique de la danse. L'art de l'arrêt, du remate , celui à bien y regarder de José Tomas, pour ceux qui savent encore regarder et écouter ce qui se joue dans les arènes. 
Le danseur est dans le Temps et l'Instant, ce qui ici nous occupe depuis quelques siècles. Il ouvre ce Temps, et délivre cet Instant, regardez-le tourner sur lui même, c'est un corps toupie, un corps vibrant dans l'élévation, et dans le Verbe. Qui peut douter que c'est bien du Verbe dont il est question ici, il suspend le temps (au sens de battement) et le mouvement. Il danse des haïkus. 

Philippe Chauché 

 (1)Le danseur des solitudes / Georges Didi-Huberman / Les Éditions de Minuit