« Certains gouffres ne sont pas faits pour être mesurés ; ni certains yeux, pour scruter l’innommable. En tout cas, moi, j’aurais voulu ne jamais voir le visage des démons qui nous haïssent et nous abusent, depuis que l’homme est appelé à se trouver et à se perdre ».
Une Sorcellerie est un roman divin, qui comme le fit Dante dans la Comédie, traverse l’Enfer et ses sorcelleries, pour ensuite laisser le Paradis l’illuminer. L’écrivain poursuit cette immersion dans l’Enfer, déjà à l’œuvre dans Noir parfait. Le narrateur de ce roman inspiré et troublant se voit littéralement projeté, il sort de son corps, dans l’esprit d’un sorcier, le maléfique Daxull, un personnage aux mille ressorts et perversions, et qui jette mille sorts mortifères sur ses disciples dans des messes noires dont il est le grand ordonnateur. Le narrateur se retrouve immergé dans ce théâtre orgiaque de la destruction radicale de l’Être, par les yeux d’un démon qui manipule les âmes, les corps, et la science. Cet écart, ce basculement, ce bouleversement, que subit le narrateur, se déroule en 2015, quelque temps avant les attentats islamistes visant le Stade de France, les cafés et restaurants de Paris, et le Bataclan, probablement, comme si le Diable y rodait. De cette immersion dans la tête d’un autre, d’un ange déchu, de cette fantaisie diabolique et échevelée, le narrateur reviendra transformé et avide de lumière et de Lettres. L’obscurité, les forces du mal, les terreurs et les humiliations ne peuvent longtemps l’habiter et le contaminer.
Une Sorcellerie est le roman de ce voyage dans un temps maudit, puis dans un temps révélé, car le narrateur va s’aventurer avec son épouse sur une terre où tout s’est dénoué, libéré, où la parole s’est faite chair, et donc roman : Israël. Un air divin le traversera, comme il sera traversé par le Conte du Graal, ce roman enchanté, qui ne cessera de l’habiter tout au long de son périple romanesque. Peu de temps avant ce voyage en Terre sainte, il sera encore une fois propulsé hors de son corps au contact de la Couronne d’épines du Christ, sauvé des flammes en quelque sorte, comme elle le fut quand Notre Dame à son tour s’enflamma.
« Quel incroyable entrelacement de métaphores m’avait guidé ! Je m’en rendais compte à présent. Aussi, lorsque les femmes, aux fichus détrempés et aux pointes de cheveux ruisselantes, ont allumé chacune un cierge en se servant des candélabres disposés aux quatre coins de la pierre qu’elles avaient vénérée, j’ai retrouvé l’eau et l’éclat ».
Une Sorcellerie est un roman de feu, de sang, d’air, d’eau et de terre. Un roman qui, comme l’avait en son temps fait son complice de la revue Ligne de risque, François Meyronnis (1), dissèque le Néant, pour faire jaillir la lumière ; un roman qui entraîne le lecteur en Enfer, pour enfin, radicale transformation, atteindre et entendre le Paradis. Ce roman fait de visions terribles et lumineuses, est aussi celui où l’on entend ce qui s’y joue. Un roman où l’auteur s’emploie à dévoiler la force diabolique du désespoir du nihilisme à l’œuvre. Un roman enfin inspiré par un air divin, un souffle qui essouffle le désespoir, en s’appuyant sur des paroles saisissantes tirées de livres qui le sont tout autant et notamment le Livre de la Splendeur de Shimon bar Yohaï, dont le narrateur sera guidé jusqu’à la tombe, et touché physiquement par une vision du silence. Cette vision du silence est celle du roman de Valentin Retz, le silence que l’on voit, et qui sauve, face au bruit et aux furies qui empêchent de voir et d’aimer. Une Sorcellerie est aussi un roman qui scelle l’amour à la victoire de la vie sur la mort.
« Tout resplendissait sous le soleil de la victoire ».
Philippe Chauché
(1) « Sauver le vouloir, Nietzsche n’a pas d’autre objectif. C’est-à-dire le rendre à son innocence, en le libérant de sa gangue de haine » (L’Axe du Néant, François Meyronnis, Gallimard L’Infini, 2003).
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