vendredi 5 août 2011

Les Vertiges du Hasard (26)


" Donc, je rêvais corne de taureau. Je me résignais mal à n'être qu'un littérateur. Le matador qui tire du danger couru occasion d'être plus brillant que jamais et montre toute la qualité de son style à l'instant qu'il est le plus menacé : voilà ce qui m'émerveillait, voilà ce que je voulais être. " (1)

La vie comme preuve d'un certain style, le style comme vérification que la vie ne vaut d'être montré que par le style qui s'en dégage, et vécue que sur l'instant, sur le motif dirait Cézanne.
L'instant taurin ne pardonne pas, il vérifie sur le sable ce que l'homme de soie sait, voit, comprend et écrit.
José Maria Manzanares hier face à son premier taureau d'El Pilar, dans le cercle gracieux des arènes de Bayonne, c'est cela : l'art de la profondeur et la profondeur inouïe de ses naturelles et derechazos, retenant dans son poignet et sa tête le conseil de Montaigne, va à l'essentiel, réduit sa tauromachie au minimum, n'en garde que le parfum, ne s'embarrasse pas de fioritures inutiles ni de mascarades, il sait que le dominio jamais ne doit se voir, mais être. Question de style, toujours une question de style, le jeune homme se souvient de celui de son père, bon sang ne saurait mentir. Il porte bien son nom, si lourd, disaient certains à porter, et pourtant, un voisin : " Il a su oublier l'art du torero des toreros pour en retrouver toute l'essence profonde ". Il ne montre rien mais révèle tout, il est là, glorieusement dans le cercle ensorcelé des cornes, comme Cézanne face au motif minéral, le taureau est cette montagne dont il faut saisir les strates invisibles pour les révéler dans le croisement du pinceau et du couteau.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Michel Leiris / L'âge d'homme / Gallimard / 1946

1 commentaire:

  1. Sur le style, l'essentiel et Manzanares (qui veut dire "pommeraies") :

    "Eh bien, les poètes qui disent "j'aime les choses, je veux entrer dans la pomme", quant à connaître bien une pomme, ils manquent le train. Quant à exprimer leur amour de la pomme, ils manquent encore le train. Et ils le manquent encore quant à exprimer quoi que ce soit d'eux-mêmes. Tandis que, comprenez-moi bien, entre une description parfaite et un cri, un appel, il n'y a pas tellement de distance. Une description parfaite c'est une façon de serrer les dents, une façon de NE PAS crier, vous me comprenez bien ? (même une description de la pomme..."
    Francis Ponge

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