samedi 11 février 2012

Transpositions.


" De travers, ça elle aimait. Elle aimait le faire, le faire plonger dans ses courbes, ses monts et vallées. Elle aimait le rendre fou, l'éblouir de ses reflets éternels, le narguer impunément. Et lui, il parcourait. Aisselle, sexe et cheveux. Il humait, broutait. Le crâne, artifice de couleurs. Et pourtant personne ne lui avait appris les couleurs. Elles lui étaient familières. Il savait que la lumière y était pour quelque chose. Mais quoi ? Sait pas ! Il s'était inventé un vocabulaire. A tiroir. Il y avait la lumière-sang, la lumière-ciel, la lumière-herbe, la lumière-lait et d'autres encore... Toutes définies d'après de lointains souvenirs qu'il en avait de la terre d'origine.
Et ce qu'il préférait chez elle, avant toute chose, et qui le faisait le plus souffrir, c'était sa lumière-lumière. Ah ! Ça oui ! Quel feu follet ! Cette petite ! Elle connaissait les éclairages ! Les caches et les contre-caches ! Les courbes qui prennent bien la lumière ! " (1)

- Vous ignorez sûrement que vous avez là, affaire à une experte, et vous...
- A la voir, je ne peux en douter !
- et vous seriez surprise, ma chère, si...
- Si vous me disiez que auriez bien aimé vous trouver à la place du photographe.
- si... vous disais-je avant que vous ne me coupiez la parole, si vous saviez qu'elle est experte en transpositions de compositions baroques, et d'ailleurs quoi de plus baroque que de poser ainsi nue sur son piano, et ce n'est pas la place du photographe que j'envie mais celle du piano, et si je puis ajouter, tout dans son corps révèle son jeu, et tout dans son jeu irradie son corps.
- Nous voilà bien avancés, heureusement que vous vous dédouanez en glissant ici et là quelques textes qui font bien dans le paysage.
- Je ne vous le fait pas dire, avec vous au centre, cela prend une belle allure !
- Et je dois prendre la pose ?
- Je vous y invite.
- Ainsi ?
- J'avoue mon trouble.
- Ou ainsi ?
- Je dois dire que là, vous vous surpassez.
- Sachez cher ami, que j'ai quelques compétences moi aussi en transpositions.

" La nuit, caresse les seins de la jolie et baise tout le jour les lèvres de la belle... Noie ton coeur dans les plaisirs, fais la noce, bois à l'outre sur les berges de la rivière, au son des lyres, des colombes et des martinets. Danse et réjouis-toi, bats des mains, sois ivre et frappe à la porte de la jolie ! " (2)
 
à suivre
 
Philippe Chauché


(1) Vision par une fente / Camille Guichard / L'Infini / Gallimard / 1991
(2) Ta part légitime / Moïse ibn Ezra / Poésie hébraïque / traduc. Frans de Haes / L'Infini / Gallimard / 1982

1 commentaire:

  1. Méli mélo de mots qui tricotent un hymne à la sensualité : j'aime ;-)

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