jeudi 26 avril 2012

Calle Sierpes


Edouard Manet 1832-1883

" Vous cherchez la calle de Sierpes, celle où existe peut-être encore un bar qui s'appelait Los Corales. A la terrasse, où peut-être à l'intérieur, se réunissait presque tous les jours Juan Belmonte, Rafael El Gallo et leurs amis. Les passants s'arrêtaient pour les voir, les petits toreros cherchaient à leur parler. Vous l'avez lu, et vous avez tellement imaginé cette scène qu'il vous semble parfois l'avoir vraiment vaincue. El Gallo, la calvitie brillante, un foulard de soie blanche noué autour du cou, n'arrête pas de boire des petits cafés noirs et de fumer des Havanes. Juan Belmonte est immobile, il ne parle pas, il écoute et regarde en l'air, la mâchoire pointée vers l'énorme tête de toro noir accrochée au mur. " (1)

" Au bout d'une large rue, un groupe de femmes habillées de noir étaient assises à l'ombre sur le pas de leur porte, elle discutaient en s'éventant. Lorsque la voiture de Roberto est arrivée à leur hauteur, elles se sont poussées du coude et on cessé de parler puis elles se sont signées en baissant la tête. L'une d'elles a même embrassé une médaille qu'elle portait autour du cou.
A notre tour, quand nous sommes passés à leur hauteur, j'ai observé comment elles faisaient du bout des doigts des petits signes de croix en direction de mon frère qu'elles ne quittaient pas des yeux... C'est à cet instant précis que la peur a repris en moi toute sa place. " (1)





Dès la première fois peut-être, écrit-il, ce sont les plus silencieux qui l'ont touché, ceux qui n'ont jamais été aussi seuls que là, dans le cercle ocre, ceux qui se gardent de tout laisser-aller, de tout effet de percale, dans le saisissement invisible de la terreur qui glace les poignets, pensant à l'instant du premier pas dans le sable qu'il s'agissait du dernier, et que finalement, ajoute-t-il, tout cela n'avait que peu d'importance, mais que là comme ailleurs, il convenait de ne jamais déroger à ce qui fondait cette passion inutile et glorieuse, le grand style, comme on le dit du siècle des penseurs, et ce grand style devait se fondre comme une ombre dans la nuit, et dont parfois on ne voit qu'un bras qui  s'allonge pour écrire l'improbable roman du désespoir des hommes de soie.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Le fumeur de souvenirs / Alain Montcoquiol / Verdier / 2012



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