lundi 13 août 2012

Vanités


" Monsieur de Saint-Cyran, après qu'il fut élargi de sa prison l'année 1643, évoquait les vanités du monde à la façon dont les peintres avaient pris l'habitude de les représenter sur leurs tableaux ;
verres de vin à demi pleins ;
luths brun et rouge ;
cartes à jouer blanchâtres ;
pelures de citron qui pendent au bord des tables ;
miroirs sans reflet.
De tous ces objets il disait qu'il s'était passé avec aisance dans le cachot.
Même de l'image de ce qu'on n'a pas, on se passe. 
Les rêves suffisent à pourvoir de l'ersatz pour tout ce dont le corps est privé.  " (1)

" Saint-Cyran évoque la vanité des livres qui ne sont que des livres. Des dieux qui ne sont que des fantasmes. Des idées qui ne sont que des désirs....
Avant la geôle, je pensais : Derrière le monde visible, il y a un monde. Maintenant, sorti de l'ombre où le roi a voulut me placer pour reposer mes yeux, je pense : Derrière le monde invisible, il y en a encore un autre, qui est seul réel. " (1)
Il aura note-t-il, passé son siècle à désorienter la vie que quelques bonnes âmes avaient pour lui organisée, il aura passé sa vie à déserter un siècle que les morts s'étaient approprié, il ne reste qu'un léger vent d'été, son âme est soyeuse, ses mots tout aussi rares que les éclats d'or dans les mouchoirs brodés des jeunes filles qu'il lui arrivait de croiser, il n'est ni moderne, ni ancien, il se déploie simplement dans des livres qui ont la profondeur troublante de la peau d'une déesse, et cela définitivement lui convient, comme une vanité.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Les Ombres errantes / Pascal Quignard / Grasset / 2002

1 commentaire:

Laissez un commentaire