dimanche 25 novembre 2012

Trêve






" Tout le pousse à se retirer de ce cirque ", ce sont ses mots, il ne peut rien en dire, car il aurait justement beaucoup à en dire.
Le cirque social, il le connaît sur le bout des lèvres, d'autant mieux, pense-t-il, qu'il est aujourd'hui devenu langue commune, ce qu'en d'autres temps on aurait nommé langue vulgaire, sans sources, sans histoire, sans vie et donc sans doutes, note-t-il.
Il trouve d'ailleurs pour le moins amusant que la langue - cet état d'être au monde et de s'accorder à son corps et à ses mouvements - se volatilise, grand principe de la servitude volontaire, dont les effets sont visibles jusque dans les façons d'aimer et les manières de s'en défaire, au royaume des aveugles les bavards sont rois.
Dans cet état du monde et ses aléas, surgissent parfois des écrivains - pourquoi toujours vouloir leur donner tant de place ? lui demande-t-on ! une question qui le laisse de marbre !  - qui en savent beaucoup et qui provisoirement se sauvent en mariant ce savoir à leurs humeurs,  sorte de résistance intérieure, éthique de l'être confronté au néant de pacotille dominant, alors que le seul qui mérite quelque attention est celui, définitif, qui s'annonce.
Frédéric Berthet est de ceux là, regard vif, plume souple, constat net, langue parfaite, air amusé du désespoir et du comique qu'il engendre - les grands désespérés sont des amuseurs nés, si l'inverse était vrai cela se saurait -.
Reprenant pour rien, son Journal de Trêve, - sa fidélité aux Journaux trouve à chaque jour sa faim ! - il livre ici quelques instants, saisis sur le vif, comme disent les photographes, quand il y avait des photographes.

" Délinquant assez juvénile, envoyé plutôt spécial : au fond, j'ai toujours cru que les raisons de ma  présence sur terre n'étaient qu'une enveloppe à ouvrir au dernier moment. "

" L'ascèse n'est qu'une façon de mettre un terme à la mémoire pour l'empêcher de repartir dans l'autre sens vers la nuit qui n'a jamais eu lieu. "

" Les petites annonces que je pouvais passer : échangerais intérieur contre extérieur. "

" Johana s'approcha de moi et  me prit la main. Vous ne me croyez pas ? Mais il y avait des témoins. Je pourrais lancer un appel, une photo a peut-être été prise à ce moment là, Ingrid Caven a peut-être traversé devant nous, et nous étions dans le champ ? "

" Il eut le sentiment que tout était habitable, sauf peut-être ce sentiment lui-même. "

" - Je me demande... Je me demande, reprit-elle, pourquoi tu n'es pas sincère.
Il freina, et s'arrêta au feu rouge, avec l'irrésistible envie de sortir de la voiture et de la planter là.
- Pas sincère ?
- Pas sincère, bien sûr... Tu dis la vérité, mais tu n'es pas sincère.
- Enfin...
C'est à cause de la littérature, et surtout des livres que je n'ai pas écrits. Mes personnages se pressent dans ma voix.
- C'est peut-être parce que je  veux écrire, un jour.
- Voyons, Jérémie, on peut très bien écrire et ne pas se jouer un cinéma pareil. Et puis je ne m'intéresse pas à la littérature. "

" Je sais bien qu'en général on est " dépassé par les évènements " : moi, j'ai plutôt été dépassé par l'absence d'évènements. "





à suivre

Philippe Chauché

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