samedi 8 juin 2013

Situation

" Comme aux oiseaux voyageurs, il me prend au mois d'octobre une inquiétude qui m'obligerait à changer de climat, si j'avais encore la puissance des ailes et la légèreté des heures : les nuages qui volent à travers le ciel me donnent envie de fuir. Afin de tromper cet instinct, je suis accouru à Chantilly. J'ai erré sur la pelouse, où de vieux gardes se traînaient à l'orée du bois. Quelques corneilles, volant devant moi, par-dessus des genêts, des taillis, des clairières, m'ont conduit aux étangs de Commelle. La mort a soufflé sur les amis qui m'accompagnèrent jadis au château de la reine Blanche : les sites de ces solitudes n'ont été qu'un horizon triste, entr'ouvert un moment du côté de mon passé. Aux jours de René, j'aurais trouvé les mystères de la vie dans le ruisseau de la Thève : il dérobe sa course parmi des prêles et des mousses ; des roseaux le voilent ; il meurt dans ces étangs qu'alimente sa jeunesse, sans cesse expirante, sans cesse renouvelée : ces ondes me charmaient quand je portais en moi le désert avec les fantômes qui me souriaient, malgré leur mélancolie, et que je parais de fleurs... "

"... Dans la famille exilée des Bourbons, le coup pénétra d'outre en outre : Louis XVIII  renvoya au  roi d'Espagne l'ordre de la Toison-d'Or, dont Bonaparte venait d'être décoré ; le renvoi était accompagné de cette lettre, qui fait honneur à l'âme royale : " Monsieur et cher cousin, il ne peut y avoir rien de commun entre moi et le grand criminel que l'audace et la fortune ont placé sur le trône qu'il a eu  la barbarie de souiller du sang pur d'un Bourbon, le duc d'Enghein. La religion peut m'engager à pardonner à un assassin ; mais le tyran de mon peuple doit toujours être mon ennemi. La Providence, par des motifs inexplicables, peut me condamner à finir mes jours en exil ; mais jamais ni mes contemporains, ni la postérité ne pourront dire que, dans le temps de l'adversité, je me sois montré indigne d'occuper, jusqu'au dernier soupir, le trône de mes ancêtres... "

"... La fosse était faite, remplie et close, dix ans d'oubli, de consentement général et de gloire inouïe s'assirent dessus ; l'herbe poussa au bruit des salves qui annonçaient les victoires, aux illuminations qui éclairaient le sacre pontifical, le mariage de la fille des Césars ou la renaissance du roi de Rome. Seulement de rares affligés rôdaient dans le bois, aventurant un regard furtif au bas du fossé vers l'endroit lamentable, tandis que quelques prisonniers l'apercevaient du haut du donjon qui les renfermait. La Restauration vint : la terre de la tombe fut remuée et avec elle les consciences ; chacun alors crut devoir s'expliquer... Il est nuit, et nous sommes à Chantilly ; il était nuit quand le duc d'Enghein était à Vincennes. "

( Mort du duc d'Enghein - Chantilly, novembre 1838 )

En d'autres temps, les hommes de qualité se réservaient avant de parler quelques heures ou quelques jours de réflexions, et lorsqu'ils doutaient de la justesse de leur pensée,  consultaient les oracles, les dieux, les sages, ou parfois quelques penseurs dont les ouvrages éclairaient leurs bibliothèques, puis nourris d'arguments justes et posés, ils pouvaient alors offrir aux curieux leurs réactions, non sans affirmer qu'il s'agissait là d'une impression et non d'une sentence.


à suivre

Philippe Chauché

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