dimanche 9 février 2014

Un Certain Regard

 
 
 

Le 7 juillet 1961, Roger Grenier est à Pampelune, San Fermin est en deuil. Cinq jours plutôt Ernest Hemingway s'est suicidé, quelques jours avant il avait annulé sa réservation de la chambre 217 de l'hôtel La Perla. Toute la ville le sait, les toreros et les taureaux en parlent. Papa aura son buste, et tous les 7 juillet on noue à son cou de bronze le foulard rouge des navarrais, mais de 7 juillet 1961 son ombre de géant ne quitte pas celle d'un écrivain français régent du Collège de Pataphysique.
 
" Dans la chapelle San Fermin à l'église de San Lorenzo, j'ai vu Antonio Ordóñez, le très célèbre matador, seul en prière. Il a commandé une messe à la mémoire de son ami Ernesto et il est arrivé le premier. Ordóñez prie seul, longtemps. Puis les amis, un à un, se présentent à ce rendez-vous mélancolique. La feria de Pampelune, pour Hemingway, cette année, ce sont ces chants, ces orgues, les répons des diacres, et ce dies irae...
Soudain, sur la place del Castillo, noire de monde, dans le tourbillon des bandes et des fanfares qui parcourent la ville en dansant, sans répit, sept jours et sept nuits, j'ai reçu un choc. Hemingway se trouvait devant moi.
Il trônait à la terrasse de l'Iruña, son café favori. La barbe blanche en éventail, entouré d'amis respectueux, il buvait du vin rouge, lui, le Vieux, Papa comme on l'appelait. Et je sortais de la messe !
Je ne crois pas aux fantômes. Et, bien que Pampelune fonctionne au vin rouge, pendant tout le temps de la feria, je n'avais pas l'impression d'être sujet à une hallucination.
Je me suis respectueusement approché :
" Señor, monsieur, sir, en quelle langue faut-il vous parler ?
- Americano y castillano.  "
J'ai donc continué, dans la langue de Gary Cooper.
- Vous êtes américain ?
- Plus ou moins.
- Et vous vivez en Espagne ?
- Plus ou moins.
- Pour quoi faire ?
- Voir les taureaux.
- Ne seriez-vous pas écrivain ?
- Plus ou moins.
- Enfin, c'est fou, on ne vous a jamais pris pour...
- Plus ou moins.
- Puis-je vous demander comment vous vous appelez ? "
Hemingway n'attendait que ça. Il ouvrit son portefeuille et me tendit sa photo, imprimée sur une carte de visite. Au dos, il y avait son vrai nom : " Kenneth H. Vanderford " ( remarquez le H. ). Et, en anglais et en espagnol, un aphorisme:
" Chacun, en cette vallée de larmes, ressemble plus ou moins à quelqu'un d'autre. "

Le 9 février 2014, je suis à Montfavet, et j'ai rendez-vous avec le petit livre de cet écrivain qui fréquente la NRF depuis le premier janvier 1964 et qui aura connu tout le monde dans la Maison, des écrivains qui ressemblent plus ou moins à d'autres écrivains.






à suivre

Philippe Chauché

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Laissez un commentaire