une clairière / qui découpe / un cercle de lumière / et le ciel, à vif »
La
poésie d’André Velter est une clairière. Un ciel mis à vif par les mots, comme
la musique flamenca de Pedro Soler,
qui accompagne silencieusement Tant de
soleils dans le sang. La poésie libre de l’écrivain résonne dans
les ruedos et au centre
tellurique de la terre andalouse. Elle saisit comme une saeta, ce chant sacré lancé à la ville
et au monde dans une rue de Séville au passage du Cachorro. André Velter se met au tempo du Temps, inspiré par la musique
silencieuse du torero José Tomás,
par le duende solaire de Lorca,
au cœur des vibrations de la phrase qui s’allonge comme une éternité, qui vibre jusqu’à l’os. Vamos, vamos, vamos, vamos, écrit-il, et
le poème s’élance avec la profondeur naturelle d’un mouvement de poignet, de la
plume à la muleta, de la cape à la plume sous la lune qui donne aux chants et
aux champs tant de vibrations profondes, de chants profonds, cante jondo de l’autre côté des Pyrénées.
« D’un
œillet à l’oreille ou la boutonnière / tu ravives le danger, la beauté, / le
risque cardinal des hommes / soumis à la lumière andalouse, / à celle qui
aveugle aux seuils des torils / autant que sur la neige et dans les
blés. »
D’un
chant l’autre à la fin de l’ouvrage, sept poèmes-tracts sous la plume légère et
inspirée du dessinateur Ernest Pignon-Ernest. Le trait s’envole entre les noirs
et les gris, blancs profonds, noirs éclatants, comme un résumé net et précis de
ce qui se joue là, corps nus qui se dénouent, mains qui se croisent et pieds
ailés du marcheur.
Tant
de soleils, tant de phrases sur le qui-vive, tant d’éclats, de saisissements,
d’éclairs qui traversent les corps et les pierres, tant de retenues, d’ivresses
de mots que l’on porte en médaille sur le cœur, tant de sang, tant d’accords de
guitare qui s’offrent là, tant de miracles qui apparaissent à l’aplomb de vie.
André Velter a l’art secret de transformer la soie en phrases, la percale de
ses mots en musiques, les fleurs du Guadalquivir en ivresses, de donner aux
phrases cette saveur rare dont on s’enivre en effleurant l’encre des pages
de Tant de soleils dans le sang.
Il a des visions, c'est-à-dire qu’il voit et jamais ne se dérobe à ce qui se
joue dans l’axe vibrant de sa poésie. Vamos, vamos, vamos y suerte.
« Guadalquivir
/ rien qu’à te dire / tu mets un autre ciel à ma bouche, / une tout
autre Amérique / sur la route de nos Indes / soyeuses, galantes,
enchantées. "enchantées. »
« L’état
d’évasion permanente, voilà / qui est naturel à notre imaginaire, voilà qui crée
ce diamant de pure lumière / en forme d’au-delà tonique et solaire / où
l’avenir s’évade en même temps que le temps. »
Ecrire
ici, c’est partir d’un bon pied, comme l’on part du bon tempo, avec à chaque
fois la bonne attaque, le bon accord et le juste mot, et par éclats, son
tremblement devient le vibrato du monde. Ecrire ici, jusqu’au bout de la
route, c’est vocaliser le monde qui se déroule sous ses yeux, ses
grandeurs et ses terreurs, ses menaces, ses oublis, ses miracles, ses déserts
et ses soleils. Passer d’Ouest en Est comme l’on traverse un pont suspendu,
écrire pour trouver un bel équilibre, c’est aussi cela la poésie d’André
Velter.
« Je
veux d’une trajectoire qui ne connaît que sa force, / sa haute fréquence
physique, ses envolées mentales / et l’impulsion de mantras sans mesure / que
je crée soudain, scande une fois ou deux, et oublie. »
Philippe Chauché
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