« A 16h34, à la 79e minute de
la rencontre, Alcides Ghiggia, l’ailier uruguayen, déboule, excentré.
Il a éliminé Bigote, son vis-à-vis, et s’en va chercher la tête ou le
pied de Schiaffino. Comme sur le premier but de la Celeste,
Barbosa l’anticipe, légèrement avancé, oui, Barbosa anticipe le centre,
il ne ferme pas bien l’angle de son but, Ghiggia l’a vu, tire, Barbosa
se détend mais trop tard, la balle lui échappe, l’Uruguay marque. La Celeste même au score et le Brésil ne la rattrapera jamais, il va perdre « la Finale » ! (Le gardien maudit, Olivier Guez).
Comme la littérature, le football est
affaire de détente et d’anticipation. Il faut bien fermer l’angle de son
but pour éviter que la phrase lancée à vive allure ne finisse dans le
filet. Comme la littérature, le football est affaire de stratégie, on
occupe le terrain ou on semble se découvrir, mais c’est une ruse
chinoise, les attaquants sont en place, mais un milieu jaillit comme un
haïku, pied droit, pied gauche, déhanchement, retour sur le droit et
exclamation finale, la clameur se poursuit longtemps en suspension comme
chez Céline.
« Entre ciel et terre, sur l’herbe
rouge ou bleue, une tonne de muscles voltige en plein oubli de soi,
avec toute la présence que cela requiert en toute invraisemblance.
Quelle joie, René, quelle joie ! » (Nicolas de Staël à René Char).
Comme le football, la peinture est
affaire de détente et d’inspiration. Le mouvement inspire le mouvement, à
condition d’entendre et de voir ce qui se joue sur la pelouse et sur la
toile. Nicolas de Staël voit le hasard et celui-ci le lui rend bien. Ses Footballeurs en témoignent, c’est un Prince foudroyé chez les Princes du Parc.
« Le 21 novembre 1973, dix mille
spectateurs assistent à cette partie sans adversaire, le match,
propagande de la dictature militaire, se veut une célébration de la
victoire et la qualification. Autour du terrain, les soldats surveillent
les joueurs et le public, la mascarade officielle ne doit souffrir
d’aucune sorte de contestation. Et ainsi, onze joueurs se retrouvent à
arpenter seuls le terrain jusqu’à ce que Francisco Chamaco Valdès,
buteur du club Colo-Colo, aille marquer l’unique but de la rencontre » (Le jour où Pinochet a assassiné le football, Adrien Bosc)
.
Football et littérature, imaginons Père
Ubu à l’Estadio Nacional de Santiago du Chili, Merdre, le foot : 1973,
l’URSS offre au Chili une qualification pour le Mondial sur tapis vert,
l’équipe adverse ne s’est pas déplacée, deux mois plus tôt un militaire
amateur de Ray Ban renversait le gouvernement d’Allende. Point
d’esquive, de dribble, de débordement, de petit ou de grand pont, mais
un mauvais roman national. On joue pour de faux comme disent les enfants, mais on torture et on meurt pour de vrai dans les tribunes et les vestiaires. Ji tou tue au moyen du croc à merdre et du couteau à figure.
« A Kyoto, il est un sanctuaire – le
Shimogamo Shrine – où l’on croise d’antiques officiants affublés de
robes à parements multicolores. Chaque mois de janvier, une poignée
d’entre eux s’adonnent à des parties de kemari hajime avec une balle en
peau de daim de vingt-quatre centimètres de diamètre qu’ils sont tenus
de se renvoyer de leur seul pied droit sans que jamais celle-ci ne
touche terre. Le terrain ne dépasse pas quelques mètres carrés, mais
chacune de ses quatre extrémités est marquée par un arbre distinct :
pin, saule, cerisier, érable. Une archiviste aurait trouvé trace d’une
partie de cet ancêtre du football au XIIe siècle et noté qu’une balle
avait été anoblie à la même époque pour avoir rebondi cent fois sans
discontinuer » (La force du prophète, Benoît Heimermann).
Comme en littérature, en football rien
n’est jamais gagné, un but peut en cacher un autre, une phrase tout
renverser, un mauvais geste comme une faute de style se payer comptant.
Il ne suffit pas de croire que ce que l’on vient d’écrire est un pur
bijou, ou que la brillante attaque décisive que l’on a menée marquera
son temps, il ne suffit pas de le croire, mais cela porte chance.
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/desports-4-special-coupe-du-monde
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