dimanche 14 décembre 2014

Dubuffet - Moreau dans La Cause Littéraire


« … voilà des siècles (des siècles elliptiques) que mes mots bégaient “peinture”, “peinture”. Je pense cette fois que c’est la vôtre qu’ils voulaient dire. Une couleur, une forme qui soient tribales, tripales, qui résument avec des dévergondements, des commencements de gâchis rattrapés par le feu, la torture nue du destin », M. M. à J. D. 23 février 1969.
 
« Votre lettre tournoyante et trépidante comme un vol de papillon dans le rayon d’un phare. C’est la danse du oui-non, de la visée-vision, de l’ébullition gelante. Votre lettre jaillissante en figure d’éruption, d’explosion. Je suis grandement touché de l’affection qu’elle me manifeste », J. D. à M. M. 8 avril 1969.
 
Après Personne n’est à l’intérieur de rien (Jean Dubuffet, Valère Novarina) recensé ici même, voici un nouvel opus de correspondances entre le peintre et un écrivain. Marcel Moreau, auteur des hauteurs, écrivain du risque permanent, de la mise en danger de la phrase et du corps. Ma main qui éprouve la chaleur de mon corps en mesure à la fois la finitude et la toute-puissance (Les arts viscéraux).
 
Les deux artistes vont échanger une soixantaine de lettres de 1969 à 1984, des lettres qui circulent comme du sang dans les artères du temps, au rythme des publications et des expositions. Lettres admirables d’admiration réciproque, lettres vives et précises, lettres de feu : vous enflammez tout sur votre vaillant passage, vous donnez à la vie son sens et son éclat, Mon adhésion à vos griffures, à vos nervures, à vos cassures, lettres de résistance aux têtes molles, lettres d’énergie vitale, car l’art est là, dans chaque ligne échangée, brut, vivant, survivant, résistant à la pensée mortifère.
 
« Lorsque je pense à votre œuvre en expansion permanente (verticale, horizontale, oblique, giratoire), mon enveloppe mentale se dilate », M. M. à J. D. 24 novembre 1971.
 
« Mon violon se réjouit très fort de rencontrer si enflammé archet », J. D. à M. M. 26 novembre 1971.
 
Jean Dubuffet, peintre des empreintes et des monolithes n’a cessé de correspondre avec des écrivains qui ont croisé son destin d’artiste en mouvement perpétuel : Raymond Queneau, Claude Simon, Witold Gombrowicz, Alexandre Vialatte : le jardinier du Grand Magma, Jean Paulhan, Gaston Chaissac, le peintre de la Neuve Invention, attentif au vif du sujet et aux hasards objectifs, au Drame de la vie Je vous ai envoyé cet été au moins 83 pneumatiques mentaux, 42 lettres télépathiques et 21 cartes en pensée… (Valère Novarina), et aux frissons des arbres : vos forêts sont entrées en moi par les racines(Marcel Moreau).
 
« J’admire très fort l’ardeur qui flamboie dans votre pensée et la prodigieuse mise en œuvre du langage qui la véhicule », J. D. à M. M. 8 mai 1979 à propos du Discours contre les entraves.
 
« J’ai un jour rêvé que je faisais un livre avec vous. Moi le texte, vous les dessins. Vous les dessins, moi le texte », M. M. à J. D. reçu le 16 novembre 1979.
 
Ce livre rêvé ne verra jamais le jour, le peintre est occupé à de petites peintures (où plutôt des assemblages de morceaux découpés dans les peintures) qui ne peuvent déboucher sur un livre, puis à sa biographie. L’écrivain ne cesse d’écrire, d’être publié et parfois refusé, sans jamais se départir de son être écrivaindans le déploiement des espèces langagières en liberté. Les deux artistes réunis par leur farouche opposition à l’asphyxiante culture.
 
Philippe Chauché
 


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