dimanche 23 août 2015

Pautrel dans La Cause Littéraire


" Ozu aime lire, s’enivrer, dormir, prendre des bains, marcher, faire l’amour avec des geishas ou bien des amies chères, écrire, encore lire, filmer, capturer le mouvement de ses acteurs et ses actrices interprétant les dialogues, regarder les fleurs, regarder la mer qui ne change jamais, seul le ciel change qui fait changer la mer… "
 
Marc Pautrel aime écrire. Ecrire et lire, se confier à la musique d’une phrase, aux couleurs des mots qui la grisent, à cette suspension, cette retenue, cette façon tellement singulière d’écrire à hauteur d’homme, comme celle, tout aussi singulière, qu’avait Ozu de placer sa caméra à quatre-vingt centimètres du sol. L’un privilégie le plan fixe, les plans de coupes, ses comédiens regardent l’objectif pour vivre la scène, ils sourient, prennent le temps de parler et leurs regards transpercent l’objectif. L’autre écrit dans ce même saisissement, ce même silence, la phrase est toujours juste et courte, nette et précise, elle respire. Sa phrase est baignée de la saveur de la juste description – je vois donc j’écris. Elle ne cherche jamais l’effet majeur pour se concentrer sur l’art mineur. C’est alors, que le roman d’Ozu peut, comme les cerisiers, fleurir.
 
« Dans une vie, on ne voit les cerisiers en fleurs qu’une poignée de fois, quelques dizaines, pas plus, parce que petit on ne se rappelle pas, et en tout on ne vit vraiment que soixante ou soixante-dix floraisons, on fait la fête sous les arbres en fleurs beaucoup moins de cent fois ».
 
Marc Pautrel se glisse dans l’œil vif du réalisateur du Voyage à Tokyo. Il écrit sa vie, ses passions, ses drames, ses doutes, ses pertes, ses fleurs, son travail. Un roman, un film, une main qui décrit, un regard, une voix qui dit et redit ce qu’il attend de ses acteurs. Ozu le silencieux, Ozu l’admirable, Ozu vénéré et reçu par l’Empereur – Ozu marche vers la sortie du Palais impérial, sans s’arrêter il ferme les yeux un instant, il sourit, il a piégé le Temps, il peut bien disparaître, il ne mourra jamais – sous le regard de l’écrivain. Ecrire, c’est aussi être au centre tellurique de la vie que l’on écrit, que l’on décrit, pour s’en faire une seconde peau, sans se départir de la sienne propre. Cette peau, c’est le style, Marc Pautrel s’inspire d’Ozu, inspire et aspire Ozu. Mêmes silences, même goût de la précision, du juste mot à sa juste place. Même passion pour les fleurs, des villes, les trains, même profonde attention à l’agencement architectural d’un plan, d’un paysage, d’un chapitre, d’une phrase, d’une évocation, d’une sentence. Même manière d’embrasser le mouvement de ses personnages, de ses acteurs, mêmes doutes, c’est l’homme Atlantique* qui croise l’homme Pacifique.
« Comme dernière demeure, il veut quelque chose de très simple, juste un grand cube de marbre sombre, avec gravé dessus, non pas le symbole de sa famille, mais juste un caractère… il veut un carré de marbre avec gravé en grand ce seul caractère chinois : , Mu : absence. Il sait pourquoi ».
 
Ozu de Marc Pautrel, est un roman de l’absence, de la disparition – son quartier, son père, l’admirable Mizoguchi, sa mère –, un roman du vide, et de la vie du vide. Ozu est un roman de la sérénité, de l’éphémère, un roman d’éclats de bonheurs partagés, dans la pluie de perles** des fleurs de cerisiers –les fleurs vont peu à peu s’ouvrir, elles seront de plus en plus vastes, et les lourdes branches de plus en plus blanches.
Ozu est un roman de l’immersion dans la vie du cinéaste et dans la lumière de ses films qui ne cessent eux aussi de fleurir à chaque nouveau printemps, un roman de la renaissance et de l’immortalité.
 
Philippe Chauché
 
* Marc Pautrel vit à Bordeaux, ville atlantique s’il en est
** Marcel Proust, cité dans Ozu
 

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