lundi 12 juin 2017

Jean-Luc Outers dans La Cause Littéraire




« Aux antipodes, il continuait inlassablement à nous faire part de ses éblouissements et de ses indignations qu’il publiait en forme de missives nous mettant en garde de ne pas nous endormir : la beauté et l’horreur, en effet, deux raisons majeures de rester éveillé. Même s’agissant de beauté, il lui arrivait de s’indigner : “Ce n’est pas que les gens ne remarquent pas la beauté, c’est qu’elle leur est insupportable”. Il n’en aurait jamais fini ni avec le trait de pinceau, ni avec les naufrages, ni avec la tyrannie », L’unique trait de pinceau, sur Simon Leys.
 
 
 
Le dernier jour est un livre hommage, un dernier hommage, un Tombeau, comme le souligne J-M.G. Le Clézio dans son avant-propos, un livre épitaphe, une oraison à la manière de Bossuet, mais aussi un exercice d’admiration complice. Le dernier jour est un roman d’amitiés, réjouissant, lumineux et gracieux. Jean-Luc Outers sait la justesse des mots et de la narration – il s’agit d’un magnifique roman composé dirait Philippe Sollers son éditeur ! – pour ne cesser de faire vivre ces écrivains et cette cinéaste disparus.
 
Le dernier jour est toujours un premier jour littéraire et l’écrivain a la finesse du trait de plume et la légèreté du pinceau, pour nous faire partager quelques instants, quelques fragments de vies suspendues – l’ultime instant, l’accompagnement – d’Henri Michaux, Dominique Rollin, Chantal Akerman, Hugo Claus et Simon Leys, ces grands disparus. Ces derniers instants vécus, racontés, vus, lus et entendus, ces derniers frémissements de proches, face parfois au corps reposant dans son cercueil, ou à l’urne funéraire contenant ses cendres – ce nuage prêt à s’envoler. Les corps ont beau disparaître sous terre, ou sous les flots, ils vibrent encore dans les yeux des amis et des proches qui les accompagnent. Le dernier jour est aussi le roman de cette vibration profonde.
 
« Qu’advient-il de la beauté des corps une fois que l’âme s’en est allée ? Du visage surtout, là où réside “le secret de l’être”. Elle avait été bouleversée par les visages peints par les primitifs flamands, dont le mystère et la grâce, traversant les siècles, survivraient à leurs modèles. Des visages, elle en avait dessiné, y compris le mien, “un visage à la fois de l’enfance et de la brutalité”, m’avait-elle confié. Les portraits de Jim, entassés dans un grand carton vert, ne se comptaient plus », La mémoire oubliée, sur Dominique Rollin.
 
 
 
Le dernier jour est aussi le roman de la beauté éclairée de souvenirs, de la tendresse d’un regard, de mots échangés, de silences, de livres qui se referment ou que l’on ouvre pour dire le mouvement de la vie, qui se glissent entre les pierres des cimetières, sur le pont d’un voilier ou dans la douce lumière d’une église. En quelques pages, Jean-Luc Outers dessine ce souffle qui s’épuise, cette mémoire qui s’évapore – terribles pages sur la maladie qui brisa Dominique Rollin –, ce corps qui chute, et ces derniers instants où les regards se croisent, et où se fait le silence. Admirer est un art rare, mais écrire cette admiration l’est encore plus. Jean-Luc Outers nous offre ici le roman de ces disparitions, l’instant d’avant, et les moments d’après, ces derniers jours et ces dernières heures partagés – mais dont les échos se prolongeront longtemps –, avec finesse et délicatesse. Grand témoin de ces grands disparus, l’écrivain souffle à chaque phrase sur les braises de la vie – « Nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels ».
 
« La radio nationale annonça la triste nouvelle dès l’ouverture du journal parlé. Elle se désolait de ne disposer d’aucune archive sonore de la voix du défunt. Personne, en effet, même le plus futé des journalistes, n’avait réussi, fût-ce clandestinement, à enregistrer la voix du poète », L’homme sans visage, sur Henri Michaux.
 
 
 
Le dernier jour est au bout du compte un formidable roman de la vie qui sommeille dans la mort, qui surgit après la mort. L’écrivain sensible trace des portraits inoubliables, il écrit sur le motif, comme un peintre, par touches, par mots, par couleurs, par phrases, par aplats, par sensations, il voit, il entend, il lit et ses grands disparus vivent, qui pourrait douter que certains écrivains font des miracles ?


Philippe Chauché


http://www.lacauselitteraire.fr/le-dernier-jour-jean-luc-outers

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